Alain Deneault en conférence-dédicace à la SCOP Librairie Les Volcans ! Il répond aux questions de ses lecteurs pour son ouvrage Médiocratie.
Si nous sommes honnêtes, on est tous un jour ou l'autre moyens en quelque chose – on ne peut pas toujours être au maximum de nos capacités ! Le problème, c'est que l'on nous contraigne à l'être en toute chose.
La principale compétence d'un médiocre ? Reconnaître un autre médiocre.
On s'éloigne de l'appréciation des choses en s'obligeant à passer par la monnaie pour en mesurer la valeur. La culture de l'argent fait écran. La culture capitalistique au sein de laquelle la valeur se mesure par le patrimoine financier et les objets de luxe, chez les riches, et, chez les consommateurs moyens et les pauvres, par les aubaines et le rapport qualité-prix, a entraîné le développement de pathologies spécifiques. Elle a rendu les uns structurellement avares et cyniques, les autres blasés et cupides.
La finance devient maîtresse du jeu tout en n’étant rattachée à aucun État.
Jusqu'alors, la gestion gouvernementale avait toujours été entendue comme une pratique au service d'une politique publiquement débattue. Mais puisque cette politique s'est laissée renverser par cette pratique au point de s'effacer à son profit, il convient de dire de la gouvernance qu'elle prétend à un art de la gestion pour elle-même.
«Le royaume du crime devrait être invité au G-8, puisque ça en fait la huitième puissance mondiale.»
(Éric Vernier, colloque «Paradis fiscaux et enfers judiciaires: la justice ou le chaos», Paris, Assemblée nationale de France, 27 mai 2009.)
Convenons enfin que le régime dans lequel nous évoluons maintenant ne menace plus la démocratie, mais a mis ses menaces à exécution. Nommons-là ploutocratie, oligarchie, tyrannie parlementaire, totalitarisme financier... Que ce soit chanter, se consacrer à la philatélie, frapper dans un ballon, lire Balzac ou fabriquer des moteurs, l'oligarchie s'assure que la moindre opération socialisée s'insère dans une gestion des inscriptions et des codes qui favorisent au sommet la concentration du pouvoir. Toute activité humaine s'organise de façon à ce qu'augmente le capital de ceux qui surplombent l'agrégat d'opérations. Cela nous rend pauvres, à tous égards.
Il continue d’y avoir un droit, mais les contraintes qu’il impose s’appliquent aux majorités n’ayant pas accès aux paradis hors la loi.
Jean de Maillard, magistrat de sa profession en
France, a multiplié des monographies et articles dans lesquels il signale l’impossibilité dans laquelle se
trouve aujourd’hui un juge de distinguer les activités licites ayant cours dans le domaine de l’industrie et
du commerce des activités illicites que gèrent des cartels criminels, voire les entreprises elles-mêmes.
La gouvernance, qui depuis a fait florès, est une forme de gestion néolibérale de l’État caractérisée par la déréglementation et la privatisation des services publics et l'adaptation des institutions aux besoins des entreprises. De la politique, nous sommes ainsi passés à la gouvernance que l'on tend à confondre avec la démocratie alors qu'elle en est l'opposé.
Dans un régime de gouvernance, l'action politique est réduite à la gestion, à ce que les manuels de management appellent le « problem solving » : la recherche d'une solution immédiate à un problème immédiat, ce qui exclut toute réflexion de long terme, fondée sur des principes, toute vision politique du monde publiquement débattue. Dans le régime de la gouvernance, nous sommes invités à devenir des petits partenaires obéissants, incarnant à l'identique une vision moyenne du monde, dans une perspective unique, celle du libéralisme.
"Jouer le jeu veut pourtant dire accepter des pratiques officieuses qui servent des intérêts à courte vue, se soumettre à des règles en détournant les yeux du non-dit, de l'impensé qui les sous-tendent. Jouer le jeu, c'est accepter de ne pas citer tel nom dans tel rapport, faire abstraction de ceci, ne pas mentionner cela, permettre à l'arbitraire de prendre le dessus. Au bout du compte, jouer le jeu consiste, à force de tricher, à générer des institutions corrompues.
La corruption arrive ainsi à son terme lorsque les acteurs ne savent même plus qu'ils sont corrompus. "
Comment résister à la médiocratie ?
Résister d'abord au buffet auquel on vous invite, aux petites tentations par lesquelles vous allez entrer dans le jeu. Dire non. Non, je n'occuperai pas cette fonction, non, je n'accepterai pas cette promotion, je renonce à cet avantage ou à cette reconnaissance, parce qu'elle est empoisonnée. Résister, en ce sens, est une ascèse, ce n'est pas facile.
Revenir à la culture et aux références intellectuelles est également une nécessité. Si on se remet à lire, à penser, à affirmer la valeur de concepts aujourd'hui balayés comme s'ils étaient insignifiants, si on réinjecte du sens là où il n'y en a plus, quitte à être marginal, on avance politiquement.