Citations de Albert Lozeau (70)
LAURIERS
"Les armes de Satan c'est l'horreur de la guerre,
"Les peuples affolés, Jésus sur le Calvaire,
"Le sang, le cri de mort, le meurtre volontaire;
"Les armes de Jésus c'est l'honneur de la guerre,
"Les peuples rétablis, Jésus sur le Calvaire,
"Le sang, le sacrifice et la mort volontaire."
CHARLES PÉGUY.
JE L'AIME
Je l'aime, comme on aime un beau vers de poète,
Qui chante clair comme un pinson,
Et que l'âme ravie avec ferveur répète, —
Pour la douceur de sa chanson.
Je l'aime, comme on aime une fleur fine et frêle
Qui paraît exquise à chacun,
Et qui charme encor plus lorsqu'on s'approche d'elle,
Pour la douceur de son parfum.
Je l'aime, comme on aime une fleur, un vers tendre,
Comme une étoile au ciel d'été,
Comme tout ce qu'on aime aussi sans le comprendre,
Pour la douceur de sa beauté !
Chaque âme a sa voix, à quoi bon lui demander des notes inconnues, dans un ton qui ne lui convient pas. Le talent est libre, et il serait ridicule de croire qu'on va poser des frontières à son vol ou des règles à son caprice.
Ainsi, loin d'être un marginal, Albert Lozeau a joué un rôle actif dans l'institution littéraire de son temps. S'il a toujours refusé de se laisser embrigader dans une école et n'a jamais pris la plume qu'en franc-tireur, indépendant de toute attache sauf des amitiés, ce qu'il disait, avec clarté et modération, avait néanmoins son poids et établissait sa position et sa renommée.
À une valseuse
Pendant que vous valsez, belle, gaie et légère
Dans les bras du premier venu,
Et que vous acceptez l’étreinte passagère
D’un étranger, d’un inconnu,
Vous la femme si bonne et la vierge si pure
Ignorant tout du sombre mal,
Vous subissez, modeste et douce, la souillure
Des désirs qu’avive le bal.
Et sans en rien savoir, livrée à la cadence,
Vous ne sentez pas que des bras
Vous possèdent bien plus que n’exige la danse ;
Vous valsez et ne pensez pas.
Mais moi qui vous adore et tremble de le dire,
Qui vous aime comme de loin,
Qui connais la vertu de votre cher sourire,
Hélas ! moi qui ne danse point,
Je ne mérite pas cette faveur insigne
De presser vos petits doigts blancs,
Et je n’ai pas le droit, moi l’ami trop indigne,
Qu’a le dernier de vos galants…
Valsez, charmante fée aux jolis pieds agiles,
Qu’on se repasse tour à tour
Comme ces fins bijoux délicats et fragiles
Qu’on admire et qu’on aime… un jour !
Le Bon silence
Le soir est triste. Il pleut. J'écris
Pour vous, petite sœur, ces lignes.
Dehors nuls roulements, nuls cris;
Si l'on y parle, c'est par signes.
Vous dirai-je que j'aime bien
Le silence humide de pluie,
Bien plus que le soleil qui vient
Et d'un rayon doré l'essuie!...
Car le silence, vous savez,
C'est de l'infini qui sommeille
Sous les cieux brumeux ou lavés,
Et je n'aime point qu'on l'éveille.
U a des mots muets charmants,
D'exquises tournures de phrases
Qui vous jettent de longs moments
Au sein d'enivrantes extases!...
Il me parle de vous, le soir;
Quand s'appesantit ma paupière,
Il me souffle, gentil — faut voir!—
«Pense à son cœur dans ta prière. »
Et je dis un bout d'oraison,
Cieux, pour ma sœurette aimée;
Rien qu'à prononcer votre nom,
Ma lèvre en est tout embaumée !
Je crois voir du haut de son ciel,
Le bon Dieu, tendrement, qui penche,
Pour écouter l'essentiel —
Votre doux nom — sa tête blanche...
Bénissez donc, petite sœur,
Le silence des soirs de pluie,
Dont la voix toute de douceur
Agenouille mon cœur, qui prie...
L’âme close
Nous avons commencé, lorsque nous nous aimions,
Par nous conter sans fin toutes nos actions,
Nos rêves les plus fous et nos moindres pensées;
Puis, ds choses se sont dans le vague effacées…
Sans jamais nous mentir, nous ne nous disions pas tout,
Nous ne nous contions plus nos désirs jusqu’au bout,
Et la prudente peut vint des choses écrites.
Nous nous sentions tout près, tout près d’être hypocrites.
Puis, nous prîmes parfois un air indifférent,
Comme un masque divers qu’on quitte et qu’on reprend.
Et depuis, sans savoir, comme on se laisse vivre,
Notre âme à peine tue est close comme un livre.
Petite lettre
Sur le papier bleu pâle où je trace ces mots
Que demain vous lirez, attentive ou distraite,
Quelque chose de moi s’exprime et se reflète,
Comme un arbre penché sur le miroir des eaux.
Sans le vouloir, notre âme aux choses qu’elle touche
Laisse une empreinte neuve et claire comme un nom;
Les mots qu’elle choisit, s’ils ont le même son,
Changent de sens selon le regard et la bouche.
À parler de notre être, il s’en échappe un peu;
Rien qu’à frôler la main la rose la parfume;
Et, comme elle, mon cœur que vous transmet ma plume,
Plus subtil qu’un parfum, vit sur le papier bleu…
Un air
Un air, auquel le vent du soir donne des ailes,
Un air de violon ou de violoncelle
Passe rapidement, triste et profond, sur nous,
Comme un oiseau perdu venant on ne sait d’où.
Il ralentit parfois son vol, puis l’accélère,
Descend, monte, s’élance, atteint la lune claire
Et redescend, plus faible à travers la rumeur,
Plane, remonte encore, et redescend, et meurt…
Qu’il ressemble à mon âme inégale et trop prompte,
Cet air de violon qui descend et qui monte!
Chanson grise
Puisque les branches sont nues
Tout le long des avenues,
Demeurons en la maison;
Car dans notre chambre sombre
Est prisonnière un peu d’ombre
De la dernière saison.
Puisque les fleurs sont fanées
Et sous les pieds profanées,
Demeurons en la maison;
Car dans notre chambre chaude
Comme un dernier parfum rôde
De la dernière saison.
Puisque les voix entendues
Des mésanges se sont tues,
Demeurons en la maison;
Car dans notre chambre trône
L’écho des chansons persiste
De la dernière saison.
Puisque tout périt ou pleure
Au vent flétrissant de l’heure,
Demeurons en la maison;
Car dans notre chambre grise
Le souvenir s’éternise
De la dernière saison.