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Critiques de Ales Kot (32)
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Devlin Waugh : Blood Debt

Un personnage complexe et difficile à écrire

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Ce tome fait suite à Devlin Waugh: Swimming in Blood et Devlin Waugh: Red Tide, écrits par John Smith, qu'il n'est pas indispensable d'avoir lu avant. Mais il vaut mieux savoir qui est le personnage pour comprendre son comportement. Il regroupe plusieurs histoires, toutes dessinées et encrées par Mike Dowling. Ces chapitres ont été sérialisés dans le magazine hebdomadaire 2000 AD en 2017/2018.



Blood debt, écrit par Rory McConville, sérialisé dans les progs (numéros) 388 à 393 de l'hebdomadaire 2000 AD. Des personnes sont attablées dans un restaurant, un tout petit morceau cubique dans leur assiette, et un casque de réalité virtuelle sur la tête. Soudain, un individu passe à travers un mur sous la force d'une explosion, et va s'écraser sur une table. Devlin Waugh fait son entrée dans la salle, par une porte circulaire, avec un pistolet encore fumant à la main. Pour commencer, il a mal pris la tentative d'assassinat, mais ce qui l'a mis hors de lui, c'est la calomnie avec des sous-entendus de malversation financière. L'homme de main se redresse sur son séant, en se tenant le ventre d'une main pour empêcher ses intestins de sortir de sa blessure, et en lisant son ordre de mission de l'autre : si l'un des clients se trouve dans l'incapacité d'honorer ses obligations, ses dettes passeront au membre de leur famille, le plus proche. Il continue : en ce qui concerne Freddy Waugh, il a été déterminé que cette personne est… Devlin l'interrompt : Freddy, qu'est-ce qu'il… Il reçoit un coup de poing dans la mâchoire car le costaud s'est remis debout et il lui assène plusieurs coups de poings au visage alors qu'il est à terre. Waugh lui donne un conseil : ne jamais interrompre un homme avant qu'il n'ait pu prendre son premier plat. Il lance sa tête en avant et mord le coup de son adversaire, puis lui suce le sang.



Les tomes précédents ont montré qu'il n'est pas si simple que ça de trouver le bon équilibre entre les différents ingrédients qui constituent ce personnage : un dandy à la Oscar Wilde (enfin, toute proportion gardée car ses réparties n'ont pas autant d'esprit), un environnement de science-fiction qui est celui où évolue Judge Dredd, un état de vampire, un agent de l'Église, une homosexualité assumée, et par moments maniérée, sans oublier une carrure imposante. Pour cette première histoire, le scénariste commence de manière intrigante : un envoyé prêt à faire payer Devlin Waugh pour des dettes qui ne sont pas les siennes, une escale par la librairie du Vatican, un surprenant voyage à travers les limbes à bord d'un paquebot de croisière. Tous les ingrédients sont réunis pour une aventure à la démesure de ce personnage. L'artiste réalise des dessins aux contours rugueux, ce qui génère des ambiances âpres bien adaptées à un surnaturel agressif, à des situations aux arômes de décadence et de péchés. Ses personnages présentent tous une réelle personnalité visuelle, et le lecteur voit bien les caractéristiques de chaque environnement, même si le niveau de détail n'est pas très élevé. Puis Waugh et ses hommes parviennent sur la planète où se trouve son frère Eddy, et les auteurs donnent l'impression de présenter platement chaque élément narratif, le système de protection pour empêcher que n'importe qui puisse entrer, les exclus du système ayant tout perdu et étant devenus fort logiquement des sortes de zombies, les attaques successives. Les bons ingrédients sont bien là, mais il manque l'esprit de la série, faute de parvenir à faire ressortir le caractère si contradictoire de Devlin Waugh, conscient de tout ce qui le met à l'écart de la bonne société, et pourtant se piquant d'en être un membre remarquable et raffiné.



Kiss of death, écrit par Rory McConville, sérialisé dans les progs (numéros) 397 à 399. Mercury, une jeune star des réseaux sociaux et du spectacle a commis un faux pas. Sa manageuse lui conseille de s'acoquiner avec Devlin Waugh pendant quelque temps, sans forcément devenir son amant, pour faire oublier ledit faux-pas. Waugh se prête au jeu, et Mercury se retrouve à la suivre dans une enquête contre des créatures pas très propres.



Cette histoire est plus courte que la première ce qui la rend plus divertissante, car les auteurs parviennent à maintenir le rythme d'inventivité de l'ouverture jusqu'à la fin. Elle s'oublie rapidement, tout en ayant constitué une lecture agréable.



Call me by thy name, écrit par Ales Kot, paru dans le prog (numéros) 400. Un ami de Devlin Waugh lui demande d'intervenir dans une de ses propriétés qui est hantée par une entité nommée Tittivilus, qui dévore ses locataires. Pour une raison qui n'appartient qu'à lui, l'enquêteur s'y rend avec un godemichet dans la poche de son imperméable. A very large Splash, écrit par Ales Kot, paru dans les progs (numéros) 415 à 420. Après ce prologue, Devlin Waugh passe ses vacances sur une splendide petite île, se prélassant sur un transat au bord de la piscine, avec Tittivilus, maintenant emprisonné dans le godemichet, sur le transat à côté de lui, mais ce dernier ne souhaitant pas faire la conversation. Le soir, dans la villa de luxe, Devlin avec l'entité, savoure un repas en compagnie d'Ursula Heckerling, une mondaine socialiste, le juge Tompkins, Vadim Stroganoff, un exorciste et bodybuilder ayant travaillé pour le Vatican, le philanthrope Xi Wei, l'artiste Amalia Green et Armand Le Pew, un coureur de jupon. Après un bon repas, un début de soirée dans leurs appartements privés, les convives se rejoignent au salon pour visionner des vidéos mythiques comme l'atterrissage lunaire filmé par Stanley Kubrick, ou une séance d'urologie d'Eva Braun avec Adolf Hitler, ainsi qu'une dernière dont personne ne sait ce qu'il y a dessus.



Le lecteur retrouve le même dessinateur, avec ses mêmes caractéristiques : des personnages visuellement bien campés, un savoir-faire remarquable pour s'affranchir de dessiner les arrière-plans quand ils ne sont pas strictement indispensables, pourtant la narration visuelle a tout de suite plus de saveur. Direct, Ales Kot donne dans le politiquement incorrect avec ce démon emprisonné dans un godemichet que Devlin Waugh emmène partout avec lui, à qui il parle. Le lecteur sourit en voyant cet objet vomir comme s'il éjaculait quelque chose de pas frais. Pas de doute, c'est transgressif, et en même temps dans le ton. Waugh affiche ses différences à la vue de tout le monde, à la fois comme une fierté, à la fois comme un défi de lui faire une remarque, ce que tout le monde de se garde bien de faire. Le prologue s’avère un peu léger, tout en étant amusant en explicitant que ce démon a été créé pour punir les copistes qui ont fait des fautes dans les textes sacrés. Le lecteur ne s'attend pas à retrouver ce même démon dans sa même enveloppe en plastique dans l'histoire suivante. Il lui faut un peu de temps pour accepter que le scénariste l'écrive ainsi au premier degré, et qu'il convient de le prendre comme un personnage à part entière, même dans cet état. La scène au bord de la piscine exhale un parfum provocateur finalement beaucoup plus subversif et amusant que la simple incongruité de la forme de Tittivilus.



Le lecteur sourit à nouveau en retrouvant une forme typiquement anglaise d'ennui dans la bonne société : une soirée entre gens en habit de soirée, pour passer le temps, avec une conversation calibrée au millimètre, entre bonnes manières pincées, et sous-entendus épicés. Le coup des cassettes vidéo apporte une touche surannée à l'ensemble, à nouveau parfaitement en phase avec les manières empruntées de Devlin Waugh et de ses individus singeant la haute société, sans y appartenir. Il faut quelques scènes pour que le lecteur mesure bien la différence avec les deux histoires précédentes. De fait, la narration visuelle est plus variée et plus piquante. Cela provient du scénario qui comprend des scènes plus inventives, plus décalées, plus diverses. Mike Dowling s'en tire très bien pour montrer toutes ces choses : Devlin nageant vigoureusement dans la mer avec le godemichet attaché à sa tête comme un tuba, le même Tittivilus installé à table sur une chaise avec une chemise blanche et une veste noire de costume, Devlin au lit avec un bel éphèbe, le même éphèbe nu cloué au plafond, avec un pentacle tracé sur le torse de son corps sans vie et ses tripes pendant hors de son ventre, des têtes en train d'exploser projetant de la matière cervicale et du sang, un combat sous-marin entre deux hommes nus, etc. Le lecteur perçoit que toutes les composantes de Devlin Waugh sont bien intégrées dans un seul et unique être qui fait sens, avec toujours sa fierté d'assumer ce qu'il est et toutes ses contradictions, et une forme de destin tragique qui pèse sur lui. Une réussite remarquable.



Troisième tome consacré aux aventures de cet agent très spécial, et premier à ne pas être écrit par John Smith. Le lecteur retrouve bien toutes les caractéristiques du personnage dans les deux histoires écrites par Rory McConville, avec un ressenti un poussif, à la fois pour la narration visuelle, à la fois pour les aventures qui partent sur la base d'une intrigue prometteuse mais qui perdent rapidement en rythme. Il accueille avec plaisir le changement de scénariste et il plonge dans une histoire, avec un prologue, bien plus décapante, bien plus savoureuse et irrévérencieuse, comme il sied à un personnage d'une telle stature, avec une narration visuelle dont les caractéristiques de surface n'ont pas changé, mais qui montre des événements beaucoup plus intéressants.
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James Bond, tome 6 : Corps à corps

Annoncée depuis plusieurs années, Corps à corps, sixième volume des aventures de James Bond proposée en langue française par les éditions dynamite aura, tout comme l’adaptation très réussie au demeurant de Casino Royale, a su faire attendre son lecteur.



Et le résultat n’est pas (du tout) à la hauteur de nos attentes. Nous avons même droit à un interview en fin de volume. De cet échange il n’en sortira d’ailleurs par grand-chose, sinon une porte ouverte vers une éventuelle suite et l’autopromotion du scénariste.



Ce nouveau volume se compose de six séquences. Il faudra aller au bout de ces histoires pour découvrir qu’elles ont un lien entre elles. Les deux meilleures (ou moins mauvaises pour être franc) sont placées sont en début et fin de volume. Elles doivent d’ailleurs davantage au travail de dessinateur de Luca Casalanguida, déjà habitué de la série et qui nous conduit en chemin connu.



Pour les autres séquences… le résultat est bien moins réussi. Le scénario tente de raccrocher son histoire dans le contexte de sortie de l’Union européenne, servant allégrement de critique contre le gouvernement anglais, et place des histoires franchement dérangeantes qui n’hésitent pas à franchir le cap du ridicule : notamment un face à face entre un agent (qui malgré un doute persistant tant les dessins sont peu réussis), semble usurper l’identité de 007 se retrouve face à une scientifique renégate qui se termine douloureusement.



L’autre passage dérangeant sera le passage par un sauna rempli de nazis. Entre un 007 qui commet bourde sur bourde et des nazis tatoués (homosexuels refoulés et trafiquants d’armes) se saoulant tout en parlant affaire… il ne manquait plus que le final pour laisser le lecteur plier de rire, ou rouge de colère. Une nouvelle fois la question se pose… 007 est-ce bien lui ?



Cette histoire touche le fonds du fonds… mais à force de creuser l’on peut espérer trouver du pétrole : ou pas ! Et c’est une nouvelle déception qui nous emmène encore plus bas que terre, via une confrontation entre Bond et un méchant en plein Londres, le tout très mal mis en scène, scénarisé, dessiné, bref… et le final est une nouvelle fois une insulte faite au lecteur. Voilà c’est terminé… ne cherchez pas à savoir les suites, le scénariste ne semble pas en savoir davantage…



Une histoire est un peu particulière et pourra parler aux adeptes de Fleming en renvoyant à Motel 007. Mais là aussi la déception est au rendez-vous avec un final vite bâclé. Mais il s’agit peut-être d’un récit pivot pour une suite… l’espoir reste permis !



La thématique des blessures, pourtant originale, inédite et plutôt dans l’actualité cinématographique du personnage ne prend pas et peine grandement à masquer le manque de tout… sans suite, cet ouvrage n’offre que peu d’intérêt et si suite il y a… et bien il va y avoir du travail pour rattraper le tir !



Fuyez cette lecture si vous le pouvez !
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Generation Gone

Ce tome comprend une histoire complète indépendante de toute autre. Il contient les 5 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2017, écrits par Aleš Kot, dessinés et encrés par André Lima Araújo, avec une mise en couleurs réalisée par Chris O'Halloran.



En 2020, Ellena Ferrante et Nick sont allongés dans l'herbe, sous la lumière de la Lune, de nuit. Ils parlent de leurs émotions, de se contrôler et de Carl Sagan. Le lendemain, Akio, un génie scientifique évoque l'érosion de la position de pouvoir des États-Unis sur l'échiquier mondial, et la possibilité d'inventer de nouvelles armes qui pourront enrayer cette érosion, devant des militaires haut gradés. Il leur présente un diaporama sur le projet Utopie, expliquant comment tout dans l'existence peut être ramené à de l'information qui peut elle-même être écrite sous forme de code. Il prend comme exemple les ouvrages dont la lecture peut changer une vie. Il indique qu'il est convaincu de la possibilité d'utiliser des langages codés assimilables par l'être humain provoquant d'autres types de transformation de l'intérieur pouvant déclencher l'apparition de capacités assimilables à des superpouvoirs. Il a écrit un tel code qu'il a séparé en trois morceaux. Le Général en charge de la réunion et du suivi de l'avancée des travaux d'Akio lui demande s'il a des preuves tangibles de ce qu'il avance. La réponse étant négative, il lui demande de plutôt se remettre à travailler sur le projet Airstrip One.



Le lendemain, Ellena et Nick se rendent chez leur ami Baldwin. Ils se sont réunis pour tenter de pénétrer dans le système informatique de la DARPA (Defense Advanced Research Projects Agency). Ils réussissent mais manquent de se faire détecter parce que Nick était trop absorbé pour se déconnecter à temps. En fait leur intrusion a été détectée par Akio. Après une journée de travail, Elena rentre chez elle rejoindre sa mère cancéreuse. Nick rentre chez lui et mange en silence avec ses parents avant de prendre un bain. Après avoir fait ses exercices matinaux, Baldwin mange seul, puis sort voir le soleil sur le toit. Le Général rend visite à Akio pour se plaindre du manque d'avancée dans ses travaux et confisquer les serveurs contenant les informations relatives au projet Utopie. Le soir les 3 hackers se réunissent pour pirater les serveurs d'une banque et se servir. Leur piratage est lui-même piraté par Akio qui leur transmet les 3 morceaux de code transformatif.



Aleš Kot est un scénariste atypique, capable aussi bien d 'écrire une saison hallucinante et extraordinaire des Secret Avengers (Secret Avengers Volume 1: Let's Have a Problem avec Michael Walsh), que des comics indépendants très ambitieux comme The Surface avec Langdon Foss. Ici, le lecteur se rend rapidement compte qu'il s'agit d'un récit rapide et spectaculaire, dans une veine plutôt facile à lire. Le scénariste met en scène 3 jeunes adultes assez désabusés quant à ce que leur réserve l'avenir. Chacun doit vivre en ayant conscience que la société ne les attend pas, et que la justice sociale n'existe pas. L'un d'entre eux doit cumuler 2 emplois pour payer les frais médicaux de sa mère, l'autre a vu son frère mourir dans une manifestation pacifique, sous les coups des forces de l'ordre, et le troisième n'a que trop conscience du racisme ordinaire. C'est donc la raison pour laquelle ils ont choisi de prendre un raccourci en s'appropriant de l'argent qui ne leur appartient pas. En face d'eux, Akio travaille pour le gouvernement, mais il est lui aussi insatisfait de ne pas pouvoir mener à bien les recherches qui lui tiennent à cœur, les travaux qui ont réellement la capacité de transformer la société. De fait les 3 jeunes gens acquièrent bien des capacités extraordinaires à la fin du premier épisode, comme par exemple la possibilité de voler par ses propres moyens. La question est bien de sûr de savoir ce qu'ils vont en faire. Non, ils ne revêtent pas des costumes moulants aux couleurs criardes avec des noms de code puérils, pour combattre le crime.



De fait André Lima Araújo réalise des dessins dans une veine descriptive et réaliste, avec des traits de contours assez fins et très peu d'aplats de noir. Sa manière de dessiner évoque celle de Martin Morazzo dans Great Pacific de Joe Harris. Ses personnages ont des morphologies normales, sans exagération de muscle ou de poitrines. Le lecteur peut voir les différences d'âge, que ce soit la jeunesse du trio (une vingtaine d'années), ou la marque des années sur le visage et le corps des parents de Nick, de la mère d'Elena, ou encore sur le Général. Dans le premier tiers du récit, le langage corporel des protagonistes est de type naturaliste, sans exagération de mouvement, ou d'expression du visage. Par la suite, la violence des événements et leur soudaineté justifient des mouvements plus vifs et plus amples, et des émotions qui marquent plus les visages. Alors même qu'il y a de nombreuses discussions et du travail sur ordinateur dans le premier tiers, l'artiste sait concevoir des plans de prises de vue qui restent vivants et intéressants visuellement. Pour le remarquer, il suffit de regarder les planches muettes quand Elena se rend au travail puis revient chez elle, quand Nick mange avec ses parents puis prend un bain, et quand Baldwin se prépare pour sa journée. Le degré d'informations visuelles est élevé, et ses pages se comprennent au premier coup d'œil.



Parmi les superpouvoirs, il y a une super-force, ce qui implique des combats physiques et des actes violents et destructeurs. Passé le moment de plaisir physique du vol autonome, André Lima Araújo doit représenter cette violence. Il continue de dessiner dans un registre descriptif et réaliste, et ça fait mal. Au fil des affrontements, le lecteur peut voir le casque d'un policier voler en morceaux, des nez cassés qui pissent le sang, et même un individu déchiré en deux, avec du sang partout. L'artiste prouve à plusieurs reprises qu'il sait représenter la violence et montrer l'horreur corporelle, pas seulement lors des affrontements physiques. Au fur et à mesure de l'augmentation du niveau de violence, il fait bon usage des cases de la largeur de la page pour montrer l'ampleur des coups portés, et il a recours à des cases plus grandes pour qu'il y ait assez place pour la destruction. Il utilise également des traits parallèles pour marquer la vitesse des déplacements. Le lecteur se retrouve donc à regarder un spectacle qui dégénère de page en page, prenant conscience de la souffrance accompagnant l'utilisation des pouvoirs, de leur démesure par rapport au corps humain normal, des ravages que cela occasionne dans les différents environnements où ils sont utilisés.



André Lima Araújo montre des endroits réalistes, existant dans le quotidien, aisément reconnaissables et fonctionnels. À la rigueur, il n'y a que la cabane au fond des bois qui semble un peu étriquée, mais le reste, de la salle de réunion à la centrale nucléaire, correspond à ce qui existe. Par contre l'effet de l'utilisation des superpouvoirs fait basculer la narration visuelle dans un registre plus spectaculaire, l'éloignant du monde de tous les jours, pour aller vers un récit plus orienté action avec un soupçon d'horreur. Le lecteur s'en trouve un peu surpris car le début du récit laissait entrevoir d'autres directions possibles, comme celle de creuser la nature des 3 documents établis par Akio, et la relation entre matière et information. Finalement Aleš Kot se concentre sur le devenir des 3 jeunes gens. Il montre comment leur histoire personnelle va orienter la manière dont ils se servent de leur pouvoir, ainsi que leurs relations interpersonnelles. S'il n'est pas assez attentif, le lecteur peut même ressentir l'impression que le récit se termine alors qu'il vient tout juste de commencer.



L'une des citations en quatrième de couverture évoque les problèmes du millénaire. De fait, Aleš Kot se focalise sur ses 3 principaux personnages, avec Akio en plus. Il reprend une trame très classique d'une organisation militaire qui crée des surhommes, un peu malgré elle, parce qu'elle s'est fait doubler par le scientifique en charge du projet. Aleš Kot utilise le genre superhéros, ou plutôt surhomme, pour sonder un aspect de la société. Il raconte bien une histoire au premier degré, Elena, Nick et Baldwin cédant à la tentation d'utiliser leur pouvoir, pourchassés par les militaires qui veulent contenir ces individus afin de les utiliser. Le lecteur retrouve un récit très classique. Dans le même temps, les 3 jeunes gens font un usage inattendu de leurs pouvoirs, qui les conduit à s'affronter entre eux. Il apparaît alors que leur conduite découle de leur position sociale, de leur histoire personnelle, et de la manière dont la société les a traités. Aleš Kot réalise en creux une critique pénétrante et acerbe sur la place que la société réserve aux jeunes.



Le lecteur se lance dans cette lecture, a priori tenté par le nom du scénariste. Il commence par découvrir une histoire de possibilité d'acquérir des superpouvoirs grâce au codage de l'information ce qui l'aiguille vers un récit entre superhéros et métaphysique. Les dessins d'André Lima Araújo montrent un monde concret et réaliste, rapidement trop normal pour contenir de tels pouvoirs. Petit à petit, la véritable nature du récit se dévoile au fil de scènes de plus en plus spectaculaire, pour une histoire plus originale, mais manquant un peu de substance en termes de critique sociale.
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Bloodborne, tome 4 : Par-delà le Voile

Un homme en quête de vérité se demande où se situe la vérité et où commence l'hallucination...



Après trois tomes de Bloodborne que j'ai beaucoup apprécié, voici le moment de lire enfin le tome 4, et j'avoue que celui-ci m'a laissée beaucoup plus dubitative. Sur le visuel, rien à dire, c'est toujours aussi beau ! Les monstres sont magnifiques, et la page parlant du Sang Ancien qui bascule lentement dans les tons rouges est superbe.



Côté histoire, j'ai trouvé celle-ci assez confuse, ce qui n'est pas un souci en soi. Par contre, de nombreux éléments ne sont pas raccords avec le lore, et là ça me gêne beaucoup plus, de même que ça m'empêche de véritablement me projeter dans l'histoire. Si certains passages se déroulent à Yharnam sans aucun doute possible, d'autres en revanche sont sujet à débat, et il est difficile de déterminer s'il s'agit de libertés prises par rapport au jeu (comme par exemples ces nombreuses statues présentant un visage découvert) ou alors s'il faut comprendre que le personnage se trouve ailleurs mais est poursuivi par ses cauchemars. Idem pour l'apparition de certains monstres qui n'ont aucun sens, comme ce combat entre Paarl Sombrebête et Celui Qui Renaquit : s'agit-il d'un fantasme du personnage qui peine à vraiment se remémorer ce qu'il a vu ou d'un simple passage de fanservice ? Je ne citerai que ces deux exemples, mais beaucoup d'éléments ont fait que j'ai eu du mal à me situer et donc du mal à apprécier ce tome 4. A mon avis, l'auteur aurait dû tracer plus nettement la frontière afin de pouvoir distinguer ce qui est à Yharnam (de manière fidèle) et ce qui ne l'est pas.
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Zero, tome 2 : At the Heart of It All

Ce tome fait suite à Zero Volume 1: An Emergency TP- (épisodes 1 à 5) qu'il faut avoir lu avant car il s'agit d'une histoire complète en 4 tomes. Il contient les épisodes 6 à 10, parus initialement en 2014, écrits par Ales Kot. L'épisode 6 a été dessiné et encré par Vanesa R del Ray, le 7 par Matt Taylor, le 8 par Jorges Coelho, le 9 par Tonči Zonjić, le 10 par Michael Gaydos. La mise en couleurs de tous les épisodes a été réalisée par Jordie Bellaire. Le design de la publication a été réalisé par Tom Muller.



Lors de la seconde guerre mondiale, les nazis se livrent au bombardement d'une forêt pour débusquer des militaires russes. Il en sort un troupeau de chevaux qui traversent un lac en cours de gel. Alors qu'ils posent les sabots à la surface de l'eau, ils produisent le déclic nécessaire pour déclencher le changement de phase de liquide à solide, toutes les autres conditions de température et de pression étant réunies. Ils se retrouvent figés dans la glace. En 2019, en Suisse, Edward Zero accomplit une mission d'infiltration dans les installations du CERN, et plus particulièrement dans le laboratoire du Large Hadron Collider (LHC) pour arrêter Nova Ginsberg, un terroriste. Fin septembre ou début octobre 2020, dans la banlieue de Ciudad Juárez au Mexique, Roman Zizek conduit un 4*4 avec Edward Zero comme passager. Ils se rendent dans la propriété d'un chef de cartel pour une transaction illégale. En conduisant, Zizek demande à Zero ce qu'il pense des plages. Il lui répond que la dernière fois qu'il a mis les pieds sur une plage c'était le 21 novembre 2015 en Italie, pour une mission d'extraction. Ça ne lui a pas fait une grande impression. Puis il demande à Zizek pour quelle raison il lui pose une question sur une plage. Ils arrivent au rendez-vous. Les gardes armés leur ouvrent le portail de l'enceinte. Le trafiquant leur parle de de Kali Yuga, l'âge qui vient après Satya, Trita et Dvâpara.



En octobre 2020, au Royaume Uni, Sarah Cooke est en train de courir dans les bois. Vingt minutes plutôt, elle arrivait en voiture à son rendez-vous avec l'agent McGoohan. Après lui avoir serré la main, elle lui demandait ce qu'il avait à lui donner. Trois mercenaires armés sortaient des ruines derrière lui et McGoohan annonçait qu'elle était la bienvenue à ses propres funérailles et qu'un tireur embusqué était prêt à l'abattre au moindre mouvement. Cooke répondait que son propre tireur embusqué tenait en joue celui de McGoohan. En 1993, en Bosnie, Roman Zizek se livre au trafic d'armes avec plusieurs factions ennemies engagées dans le conflit Bosnie-Herzégovine (1992-1995). Il participe à une partie de poker avec l'un de ses clients. Ce dernier lui rappelle qu'il est hors de question que Zizek vende des armes à un autre client. Il se moque également de lui pour sa relation avec Marinka, une jeune femme capturée servant de prostituée à ses hommes. En 2038, au Royaume Uni, Edward Zero est assis sur une chaise au bord d'une falaise, tenu en joue par un enfant armé d'un revolver. Il lui explique qu'il a compris que tout a une importance quand il avait 32 ans. En 2022, il se trouvait en Islande à travailler comme cuistot dans un restaurant.



La lecture du premier tome avait de quoi déconcerter : une savante recomposition chronologique (épisode 1 en 2018, 2 en 2000, 3 à 5 en 2019, sans compter celles avec le vieil homme assis sur sa chaise au bord de la falaise en 2038), un agent secret opérationnel avec le permis de tuer, une ou deux avancées technologiques relevant de l'anticipation, un dessinateur différent par épisode. Il vaut mieux que le lecteur ait bien les épisodes du premier en tome en tête pour pouvoir apprécier ceux-ci : la mission à Beit Hanoun dans la Bande de Gaza en 2018, la formation d'agents spéciaux de Mina Thorpe et Edward Zero dès leur plus jeune âge en 2000, la réunion de financement d'un groupe terroriste en 2019, l'assassinat de l'agent spécial Garreth Carlyle à Rio de Janeiro en 2019 et l'interrogatoire de débriefing qui a suivi, mené par Roman Zizek (le supérieur de Zero) et Sarah Cooke (la supérieure de Zizek). Une fois ces éléments bien en place dans son esprit, le lecteur plonge dans ces 5 nouveaux épisodes. Il constate avec plaisir qu'il situe tous les personnages sans difficulté : l'agent spécial Edward Zero (de son vrai nom Edward Stoikivic), Roman Zizek Sarah Cooke, Nova Ginsberg. Il s'agit toujours d'une histoire d'espionnage avec séquences d'action, se focalisant sur les 3 premiers personnages, toujours racontée sans suivre l'ordre chronologique.



Chaque épisode est raconté par un artiste différent, ce qui correspond bien au fait qu'il s'agit d'époques différentes, ou que l'état d'esprit d'Edward Zero a changé d'une séquence à l'autre. Il ne s'agit ni d'une facilité éditoriale pour pouvoir tenir le rythme mensuel de publication, ni d'une lubie du scénariste. La cohérence de la série est assurée par Tom Muller qui a conçu le design des couvertures et de l'intérieur de chaque numéro. C'est une tâche généralement invisible ou assumée par l'éditeur. Ici, le scénariste a conçu son œuvre comme un tout et en a confié l'habillage à Tom Muller, artiste à part entière ayant apporté sa créativité à l'œuvre finale. De la même manière, la mise en couleurs des 5 numéros a été réalisée par une unique artiste : Jordie Bellaire. La cohérence qu'elle apporte s'avère plus discrète car cette artiste développe une palette spécifique pour chaque épisode. Inconsciemment, le lecteur enregistre qu'elle utilise des aplats de couleurs pour chaque artiste, unifiant ainsi l'aspect visuel du tout. Au-delà du fait que chaque épisode comprend les trois mêmes personnages, ou qu'il y soit fait allusion dans chaque épisode, le design et la mise en couleurs apportent un lien à l'ensemble, en arrière-plan, mais bien présent. Enfin chaque artiste réalise des dessins avec une apparence sans peaufinage des traits, chacun à sa manière, comme une forme d'urgence ou de reportage saisi en direct.



Les pages de Vanesa R. del Ray donnent une impression d'esquisses repassées plusieurs fois, aboutissant à une forte densité de noir, et une impression de représentation détaillée. Par comparaison, les pages de Matt Taylor donnent une impression de détourage plus fin et plus délicat, avec juste les éléments essentiels, sans beaucoup de détails. Les pages de Jorges Coelho sont celles dont le rendu s'approche le plus d'une bande dessinée réaliste traditionnelle, avec une sensation de description précise, même si quand le regard s'attarde sur une case il devient visible que le degré de finition est loin d'un rendu photographique. Tonči Zonjić détoure les formes avec un trait plus gras et plus épais, donne une impression évoquant parfois Alex Toth, avec un bon niveau de détails. Les contours tracés par Michael Gaydos sont plus épais, plus irréguliers, sans beaucoup d'arrondis, et les formes portent en elles des aplats de noir massifs, aux contours irréguliers, sans être déchiquetés. Effectivement, chaque épisode porte en lui une identité graphique propre, tout en donnant l'impression que tous les 5 se situent dans un même registre. Avec une telle construction narrative, le lecteur s'attend à ce que la narration visuelle soit elle aussi exigeante et nécessite un bon niveau de concentration. Il découvre qu'il n'en est rien. La narration visuelle est simple et facile à suivre, tout en étant très personnelle.



Chaque épisode développe une scène d'action ou plusieurs pouvant occuper plus de 80% de la pagination. Dans l'épisode 6, le lecteur suit l'infiltration d'Edward Zero : les mercenaires qu'il neutralise définitivement, sa progression vers le grand collisionneur de hardons. Dans le suivant, il assiste à une exécution rapide et définitive. Dans le 8, la lutte de Sarah Cooke pour sortir du piège occupe 80% de l'épisode. Dans le 9, le lecteur suit Roman Zizek dans ses tractations à haut risque. Il n'y a que le 10 où l'action marque le pas. Chaque artiste met en œuvre ses talents de metteur en scène pour des pages dynamiques découpant l'action de manière que chaque mouvement, chaque coup porté se succède logiquement par rapport au placement de chaque personnage et à leur mouvement précédent. Il s'agit bien d'un récit d'action violent dans lequel l'usage des armes à feu et des techniques de combat à main nu aboutit à des morts ou des blessures graves. Chaque artiste sait montrer cet aspect essentiel de la vie des protagonistes.



Porté par la narration visuelle personnelle et efficace, le lecteur replonge dans ce récit d'espionnage sec et brutal. Il en apprend plus sur la vie de Roman Zizek avant d'intégrer cette agence. Il découvre comment Sarah Cooke navigue en eaux troubles pour satisfaire ses supérieurs. Il voit l'évolution du regard qu'Edward Zero porte sur son métier, sur la manière dont son métier le façonne. Chaque épisode apporte sa pierre à l'édifice de l'intrigue, tout en apportant un point de vue avec du recul. Le lecteur continue de se demander qui dirige la mystérieuse agence, ainsi que l'objectif réel poursuivi par Nova Ginsberg. Il savoure la paranoïa qui se dégage de ce nœud de vipères où chacun essaye de se protéger, tout en manipulant les autres, et en s'assurant de pouvoir faire en sorte que ses actions soient propices à plusieurs interprétations. Il admire la dextérité avec laquelle le scénariste sait insérer son récit dans une réalité encore plus horrible que sa fiction : le trafic de drogues, les viols commis pendant la guerre Bosnie-Herzégovine (entre 20.000 et 50.000). Il ressent les états d'esprit d'Edward Zero sans qu’ils ne soient explicités. D'un côté, les personnages semblent entièrement le jouet de leurs compétences, des circonstances de leur vie : savoir tuer pour Zero, avoir été un jeune adulte pendant le conflit Bosnie-Herzégovine pour Zizek. D'un autre côté, leur inconscient est aux prises avec leurs aspirations individuelles et leurs actions violentes, conflictuelles, irréconciliables. Cette dimension existentielle affleure à plusieurs reprises. Nova Ginsberg demande à Edward Zero : qu'est-ce que l'existence ? Ginsberg répond : L'existence est un perpétuel état de guerre. Le trafiquant de drogues mexicain est persuadé que le monde est entré dans l'âge de la dégénérescence spirituelle (Kali Yuga). Enfin, l'épisode 10 prend le lecteur par surprise en montrant Edward Zero prendre conscience que chaque acte a de l'importance. En Islande, il se retrouve dans une mise en scène illustrant un extrait de Comme il vous plaira, la pièce de William Shakespeare : Le monde entier est un théâtre, Et tous, hommes et femmes, n'en sont que les acteurs. Et notre vie durant nous jouons plusieurs rôles.



Ce deuxième tome confirme toute la personnalité de cette série, Le scénariste a conçu un tout prenant une apparence protéiforme, grâce au recours à un artiste différent par épisode, tout en conservant une cohérence globale grâce au designer et à la coloriste. Il raconte un récit de genre : un récit d'espionnage violent et terrifiant, en mettant en œuvre les conventions narratives associées à ce genre, tout en en faisant une métaphore de l'existence humaine, avec une dimension philosophique ambitieuse et intelligente.
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Material, tome 1

Ce tome raconte une histoire complète et indépendante de toute autre. Il comprend les 4 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2015, écrits par Ales Kot, dessinés, encrés et mis en couleurs par Will Tempest, avec une présentation graphique désignée par Tom Muller. Il commence par une introduction de 3 pages rédigée par Spencer Ackerman, un journaliste qui recommande de bien lire les notes en bas de page, et qui évoque la mort de Tamir Rice, un afro-américain de 12 ans abattu par un policier de 26 ans à Cleveland. le tome se termine avec 4 textes, chacun paru au début d'un numéro. Fiona Duncan parle du théoricien marxiste Franco Berardi (philosophe et militant politique italien, surnommé Bifo). Jarett Kobek évoque comment la CIA en est venu à considérer que la torture est efficace comme moyen d'interrogation. Sarah Nicole Prickett évoque les frasques de Lindsay Lohan. Bijan Stephen évoque la haine raciale bien vivace aux États-Unis.



À l'institut de Technologie du Massachussetts (à Cambridge), Julius Shore est en train de donner un cours de philosophie dans un amphithéâtre. Il commence son intervention sur la notion d'Ici, sur le fait que les individus vivent dans une époque accélérée que l'hyper-capitalisme impose la consommation du temps comme premier moyen de production. L'investissement premier n'est plus le travail en lui-même, mais le temps qu'on lui consacre. L'individu passe de plus en plus de temps avec les machines et devient froid comme elles. Un étudiant exprime son désaccord : le dualisme numérique ne résout rien, les machines font partie de la nature également. L'étudiant invoque Georg Wilhelm Friedrich Hegel (1770-1831) et Arthur Schopenhauer (1788-1860), Shore répond avec Henry David Thoreau (1817-1862). L'étudiant indique que les machines seront bientôt en mesure de ressusciter Thoreau grâce aux ordinateurs quantiques et aux intelligences artificielles. le professeur reprend son exposé en pointant du doigt que l'oeil humain ne perçoit que trois pourcents du spectre électromagnétique, et qu'il n'est pas possible de se construire une vision du monde ainsi, avec une perception aussi réduite. Pendant ce temps-là, l'étudiant prend ses affaires et sort de l'amphithéâtre. Tout ce dont vous avez besoin pour faire un film, c'est d'une femme et d'un flingue, citation de Jean-Luc Godard. Nylon Dahlias est une jeune actrice, mais déjà assez âgée pour que sa valeur commence à diminuer. Elle vient de se faire un rail, quand son téléphone sonne. Son agent Reuben Wasserman lui indique que le réalisateur Sailor Rosenfield veut faire un film sur elle et qu'elle a rendez-vous dans ses bureaux.



À Chicago dans l'Illinois, une manifestation pour les droits des afro-américains se déroule dans la rue. La police est en place. Un gradé indique que les journalistes viennent de partir avec leurs caméras et que les policiers en tenue anti-émeute peuvent charger la foule. Franklin reçoit plusieurs coups. Adib fait partie des prisonniers qui ont été détenus à Guantánamo. Il a été torturé et il a subi le supplice de l'eau qu'on l'oblige à boire jusqu'à distendre son ventre. Actuellement, il est en train de bénéficier de l'attention professionnelle d'une dominatrice dans son donjon : elle lui fait également ingurgiter beaucoup de liquide. Julius discute avec sa fille par internet, lui disant qu'il se sent fini, qu'il n'avance à rien dans l'écriture de ses livres. Sa fille répond qu'elle ne veut pas le recevoir en consultation et qu'elle est enceinte. Une fois la conversation terminée, ça le fait réfléchir. Il reçoit un message de quelqu'un souhaitant être son ami, et pouvant voir l'original de la toile de Jackson Pollock dont Shore a une reproduction dans son bureau. Sailor Rosenfield et Nylon Dahlias se trouvent devant deux producteurs que Rosenfield essaye de convaincre de financer son projet de film sur Dahlias.



Dans son introduction, Spencer Ackerman prévient le lecteur que cette lecture exige un peu de temps de cerveau disponible, une réelle implication, et qu'il ne faut pas oublier de lire les notes en bas de page. Celles-ci sont finalement peu nombreuses et très courtes. Elles constituent autant de liens vers des événements réels, une sorte d'extension naturelle vers la source utilisée par Ales Kot, ou un prolongement de la thématique abordée dans la page concernée. Ayant lu l'introduction, le lecteur a bien compris qu'il faut qu'il accepte la narration comme elle vient : quatre fils directeurs suivant chacun un individu clairement identifié, à savoir le professeur Julius Shore, l'actrice Nylon Dahlias, le jeune afro-américain Franklin et l'ex-détenu de Guantánamo Adib. Chacun de ses fils narratifs s'avère très simple à suivre. le professeur fait face à une crise existentielle, son inutilité, ou en tout cas la futilité de ses actions à ses yeux. L'actrice a obtenu un rôle en or : être la muse d'un réalisateur qui souhaite faire un film tout entier dévoué à la personnalité de son actrice. Un jeune homme est en bute au harcèlement policier. Un individu brisé par la torture est incapable de retrouver une vie normale.



Will Tempest avait déjà collaboré avec Ales Kot pour l'épisode 5 de la série Zero, contenu dans Zero Volume 1: An Emergency. Il dessine dans un registre réaliste et descriptif, sans exagération des morphologies, sans dramatisation appuyée. Il détoure les contours d'un trait fin, légèrement irrégulier, ce qui donne une impression un peu spontanée, avec une forme ponctuelle d'imprécision, ou de fragilité, en fonction des séquences. Par exemple, Julius Shore semble croqué sur le vif avec une belle expressivité de son visage, et des postures très naturelles pour un intervenant en amphithéâtre. Par contre seul un des étudiants est représenté autrement que par une vague silhouette, soit en train d'écouter, soit écroulé sur sa table. le dessinateur rend bien compte du volume de l'amphithéâtre, tout en détourant légèrement les contours de la pièce, le tableau, le bureau la séquence d'après est consacrée à Nylon Dahlias et est tout aussi impressionnante de naturel. le lecteur sait qu'il reconnaîtra facilement cette dame, grâce à sa morphologie, son visage et sa coiffure. Il la regarde se faire un rail, avec un gros bruit d'aspiration. Il sourit en voyant son visage de défoncée, la bouche entrouverte avec un filet de bave, et plus loin le regard complètement dans le vague, avec un sourire idiot aux lèvres. le récit repose pour plus de la moitié sur des dialogues, et Will Tempest sait rendre les personnages vivants alors même qu'il utilise souvent un cadrage en plan taille de face. le lecteur éprouve la sensation d'être assis en face de son interlocuteur lui-même assis à bureau face à son ordinateur, assis à une table de réunion. Parfois l'artiste varie avec une alternance de gros plans le temps de 2 ou 3 cases : le naturel des personnages est confondant et donne à nouveau l'impression qu'ils s'adressent directement au lecteur.



Alors même qu'il peut avoir l'impression d'une simple succession de dialogues, le lecteur prend conscience que l'histoire apporte une forte variété de situations. Ainsi Will Tempest sait conférer de la plausibilité à des scènes banales : cours en amphithéâtre, inquiétude d'un homme face à son chien, promenade au bord d'un étang, bande de quatre jeunes en train de papoter sur un toit plat d'immeuble, couple dans le lit conjugal, courses dans un supermarché au rayon des glaces, maman en train de préparer à manger, et tout ça juste dans les deux premiers numéros. La simplicité apparente des dessins, leur douceur rendent font de ces moments des évidences naturelles, exhalent un parfum d'humanité universelle. Will Tempest sait tout aussi bien rendre compte de moments plus animés. le lecteur est saisi par un sentiment de crainte et d'étouffement lors de la manifestation, la couleur devenant sombre alourdissant l'atmosphère, augmentant son caractère sinistre et violent. La séance avec la dominatrice est tout aussi surprenante et dérangeante. le lecteur a l'impression de suffoquer avec Adib, alors que des images en alternance évoquent une gravure sur bois reprise dans un ouvrage de 1556. Dans le même temps, la narration visuelle reste très pragmatique, ordinaire, permettant de croire à la situation, impliquant le lecteur.



Le lecteur se sent gagné par la familiarité des personnages qu'il observe, en même temps que par leur singularité. Il prend plaisir à suivre le questionnement de Julius Shore peut-être contacté par une intelligence artificielle évoluée, se demandant, avec lui, s'il doit y croire ou pas. Il suit avec curiosité Nylon Dahlias dont le projet de film de Sailor Rosenfield semble être une ode à sa personne, en même temps qu'un projet incroyablement narcissique pour elle. Il suit Adib et son impossibilité à dépasser son traumatisme, ainsi que les réactions de sa femme ce qui évite que ce fil narratif ne soit trop noir, entre constat de ses problèmes et incapacité à trouver un réconfort. Il voit Franklin se heurter à un racisme profondément enraciné dans la société, un racisme systémique. Chaque histoire est intéressante prise pour elle-même, sans lien avec les trois autres. Chaque histoire apparaît comme très différente : un professeur d'une soixantaine d'années, une actrice d'une trentaine d'années, une victime traumatisée d'une trentaine d'années, un jeune homme de 16 ou 18 ans. Arrivé à la fin du tome, le lecteur constate que ces histoires sont restées indépendantes sans intersection, sans connexion. Il s'interroge alors sur une telle construction de récit. le titre lui donne un premier indice : ces quatre vies sont des sujets, par exemple des sujets d'articles. Ensuite il repense au cours de Julius Shore en introduction, à la finitude du regard de l'être humain, ce qui lui fait penser à la diversité de ces 4 existences. Enfin, il remarque que chacun des quatre personnages traverse une phase de changement, différent à chaque fois, avec une évolution différente. Enfin, il note un bref échange entre le professeur d'université et un de ses lecteurs. L'étudiant estime que les personnages de son dernier livre n'étaient pas connectés entre eux, qu'ils dérivaient juste, ce que n'est pas loin de penser le lecteur de ceux de cette histoire. Il demande s'il en sera différemment dans le prochain, si Shore a fit plus d'effort. Ce dernier répond que les attentes de son interlocuteur n'ont pas de sens pour lui, et qu'il doit accepter le mystère. Cela semble être Alex Kot s'adressant directement à son propre lecteur, lui donnant la clé de son intention.



Ce tome constitue une expérience de lecture très différente : quatre tranches de vie différentes rassemblées en feuilleton dans un unique ouvrage. Les dessins de Will Tempest ne sont pas très impressionnants en surface mais ils créent une proximité des personnages incroyable, sans être voyeuriste ou malsaine. Chaque personnage devient un être vivant pour le lecteur qui se retrouve impliqué dans la vie d'un professeur d'université âgé, d'une actrice en perte de vitesse, d'un individu torturé à tort à Guantánamo et d'un jeune homme afro-américain. Au-delà de leurs interrogations, les auteurs donnent à voir la diversité de l'expérience humaine.
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Generation Gone

"Génération Gone" d'@ales_kot (Alès Kot) et André Lima Araùjo (@erdna11) chez @HiComicsFrance



Synopsis :



"États-Unis, 2020.



Trois hackers adolescents en quête d’espoir et sans rien à perdre.



Un centre d’expérimentation gouvernemental ultra-secret.



Un plan simple.



Ils sont jeunes, laissés-pour-compte, doués et très en colère. La société ne leur a jamais facilité la vie. Pourquoi mettraient-ils leurs nouveaux super-pouvoirs à son service ?"



Scénario : Alès Kot ;

Dessins : André Lima Araùjo ;

Éditeur : HiComics ;

Prix : 17.90 € ;



Ici commence la seconde vie de nos héros, ici commence leur vie de Super-Humains. Abandonnés, trahis depuis toujours par la société, qui ne leur a jamais fait de cadeaux, nos trois jeunes surdoués de l'informatique, vont échafauder un plan audacieux et simple, mais aux conséquences inattendues. C'est ce qu'ils vont découvrir, à leur dépend, lorsqu'ils seront infectés par un étrange "virus", élaboré dans le plus grand des secrets, par un éminent scientifique, qui, les espionne dans l'ombre, depuis un site ultra-secret du gouvernement. Ce "virus" va les doter de pouvoirs, dépassant tous leurs rêves les plus fous et, vont être le fer de lance à leur incommensurable colère. Prenant conscience de cette "nouvelle" vie qui leur a été imposée, nos trois jeunes seront confrontés à un choix cornélien : pactiser avec l'ennemie et mettre à son service leur power pour le bien de la communauté ou juste vivre leur nouvelle vie sans aucune limite et dire f@u#ck à tout le monde. Problème épineux, lorsque l'on découvre le pourquoi de leur haine et de leur colère. La discorde n'est pas loin, non plus, entre nos trois jeunes, car l'amour va rentrer en jeu et semer ses petites graines diaboliques. Ce qui aura pour conséquence, un affrontement digne du courroux de Zeus, entre deux de nos protagonistes, qui n'aura pas à rougir face à un BatmanVsSuperman. La Colère, l'Amour, le Pouvoir sont des sentiments puissants, qui, associé aux hormones de nos ados, deviennent un mélange plus instable que la nitroglycérine.



Qu'est-ce que j'en pense de ce tome ? : 



Rien que sur le papier, l'association : jeunes paumés + expérience interdite + pouvoirs, m'a mis tout de suite l'eau à la bouche, car il m'a fait penser à un super film, au scénario assez proche : CHRONICLE. Film à découvrir absolument, car petit budget, mais grosse, très grosse claque visuelle et scénaristique (casting composé du futur acteur de CREED et du futur Bouffon Vert, dans le cycle Amazing Spider-man). En parlant de scénario, celui de Monsieur Alès Kot est simple, classique, mais tellement bien fait. Il accroche le lecteur dès les premières pages, pour le relâcher, à bout de souffle, mais comblé, lorsque ce dernier fini la dernière phrase de cette sublime oeuvre. C'est dynamique, puissant, intense et tellement jouissif. Les dessins de Monsieur André Lima Araùjo sont de toute beauté également et mettent bien en couleur la critique sous-jacente de la société dans laquelle nous vivons ou vivrons. C'est une vraie claque que je me suis prise, en pleine figure et je vous annonce avec grand plaisir que ce comics fera partie de mon Top10, voire de mon Top5 de 2019. Les personnages principaux sont attachants, leur personnalité modèle avec brio le ton, la direction et le rythme de cet opus, pour notre plus grand plaisir. Le combat final est magistralement bien orchestré et conclu parfaitement ce premier tome (j'espère que ce n'est pas un one-shot). Je ne peux donc que vous conseiller de lire, relire, partager et re-relire ce comics, d'autant plus qu'il a été également conseillé chaudement par notre ami le @CommisDesComics (ceux qui le connaissent, savent que ce n'est pas rien), mais également de découvrir le catalogue de nos amis de chez @HiComicsFrance, car c'est juste impressionnant le nombre de comics géniaux qu'ils ont dans leur besace.



Note : 20/20.



Comme toujours, suivez-moi sur les réseaux sociaux ou directement sur ce blog, pour échanger avec votre serviteur et/ou être les premiers avertis lorsque paraît une nouvelle #chronique. Je viens également d'ouvrir un #insta, un compte @Babelio et je suis "Superlecteur" sur IZNEO, pour ce blog à retrouver sous les #nametag : yradon4774 (insta) et Yradon4774 (Babelio et IZNEO).



See you soon sur les ondes...




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The New World

Ce tome comprend une histoire complète indépendante de toute autre. Il contient les 5 épisodes de la minsérie (les numéros 1 et 5 étant doubles) initialement parus en 2018, écrits par Aleš Kot, dessinés et encrés par Tradd Moore, avec une mise en couleurs réalisée par Heather Moore, et un design de la publication réalisé par Tom Mueller.



Le 15 avril 2037, plusieurs bombes nucléaires ont explosé dans 5 des plus grandes métropoles des États-Unis, sans qu'aucun groupe ne revendique ces actions. La nation s'est fragmentée en plusieurs gros états dont la Nouvelle Californie qui a remonté la pente économique pour retrouver une véritable prospérité. Ce jour-là, la chasseuse de primes Stella Maris a revêtu son armure pour une mission dans un immeuble désaffecté. Dans le même temps, dans un autre quartier, Kirby Shakaku Miyazaki se fait passer pour un technicien de haute compétence et se rend à son rendez-vous de prise de poste, avec un dénommé Miller, pour le network qui retransmet les interventions de Stella Maris. Cette dernière est montée dans les étages et repère une fillette dans un couloir, à qui elle dit de rentrer dans son appartement. Le criminel surgit derrière Stella avec un flingue, et l'écume aux lèvres. Miller a emmené Kirby Shakaku Miyazaki dans la salle de production, tenue par Jim Molina. Stella Maris passe à l'action et neutralise l'agresseur en tour de main. Elle le plaque au sol, et les téléspectateurs commencent à voter pour savoir s'ils veulent qu'elle le capture, ou qu'elle l'exécute sur le champ.



Alors que le résultat du vote est majoritaire pour l'exécution, Stella Maris refuse de passer à l'acte et préfère faire un prisonnier. Dans le même temps, Kirby Shakaku Miyazaki a quitté subrepticement la salle de production, et même le bâtiment et il actionne un télérupteur déclenchant un module qu'il a laissé dans la salle et qui provoque le piratage des émissions pour diffuser un message : écrasez l'état policier. Le soir, Stella Maris dîne avec son grand père (le président de la Nouvelle Californie). Il lui reproche de ne pas suivre le vote du public, de ne pas exécuter le criminel. Il évoque le professionnalisme de Logan Maximus, un autre chasseur de primes qui n'éprouve aucun état d'âme à suivre l'avis du public. Il souhaite qu'elle soit plus professionnelle, ce qui lui permettra d'accéder à la première place, de détrôner Logan Maximus. Dans la salle de production, Miller sait que ses jours sont comptés. Jim Molina lui indique que le hacker n'a pas été aussi malin qu'il l'a cru et qu'il a laissé des empreintes électroniques qui vont permettre de l'identifier.



Dans l'énorme production de l'éditeur Image Comics dans les années 2010, l'attention du lecteur est attiré à la fois par le nom du scénariste (auteur entre autres de Secret Avengers avec Michael Walsh, de Zero ou de The surface avec Langdon Foss]]), ou par le nom du dessinateur ayant réalisé ), ou par le nom du dessinateur ayant réalisé Luther Strode avec Justin Jordan, ou All New Ghost Rider avec Felipe Smith. Il note l'aspect psychédélique de la couverture, et l'aspect très rond des dessins. Le récit commence doucement avec 7 pages évoquant en des termes brefs l'avènement de New California, pour expliquer que le récit se passe évidemment dans le futur, ce qui permet quelques exagérations d'anticipation. Bien sûr, le lecteur repère rapidement quelques éléments d'actualité comme la notion de célébrité dans une société où tout est spectacle, y compris l'activité de pourchasser les criminels, le principe des décisions interactives, ou encore l'existence d'un mur évoquant celui appelé de tous ses vœux par le quarante-cinquième président des États-Unis. Tradd Moore met à profit cet environnement d'anticipation. Il réalise un travail à la fois esthétisant, à la fois descriptif avec un fort niveau de détails. Moore commence par un dessin en double page de la Maison Blanche en ruine, puis le dessin en double page de la Nouvelle Californie. Le dessinateur sait trouver le juste milieu entre des décors attestant d'avancées technologiques, en matière de construction, d'aménagement, de communication. Le lecteur observe donc la manière dont il joue avec les espaces des appartements, les revêtements de sol ou de mur, les différents types de meubles, les formes d'écran. Moore accentue la fluidité des formes en exagérant l'arrondi de leurs contours. Heather Moore renforce cette vision parfois un peu infantile en utilisant une palette de couleurs pop, très agréable à l'œil, habillant chaque élément de manière vive et claire.



Durant ces 150 pages de comics, Tradd Moore enchante le lecteur par le degré descriptif de ses dessins. Dans celui en double page présentant la Nouvelle Californie, le lecteur peut prendre le temps de regarder chaque toit, ainsi que les bras de grue qui dépassent, avec une parfaite lisibilité, sans sensation d'étouffement. Quelques pages plus loin, Stella Maris a pénétré dans la cage d'immeuble du forcené, et les murs sont couverts de graffitis qui se chevauchent, sans compter les sacs poubelles abandonnés dans les parties communes. Lors du vote pour savoir si elle doit abattre son prisonnier, la narration montre plusieurs endroits avec des gens en train de voter. Le lecteur se dit qu'il aimerait participer au barbecue organisé sur le toit d'un immeuble à South Central, montré juste dans une case, mais avec un luxe de détails irrésistible. Par la suite le lecteur découvre le palace présidentiel de Griffith Park dans une vue du ciel extraordinaire, à la fois pour son architecture, à la fois pour le parc qui l'entoure. Il a également du mal à croire à la case où Kirby rentre à l'appartement de son père, et où il peut apercevoir dans une unique case : Kirby sur la gauche en train de faire tourner la clé autour de son index, le tapis avec ses motifs, l'escalier qui monte à l'étage, le canapé sur lequel se trouve Clark (le père de Kirby) avec un robot assis à côté de lui, l'écran plat de télévision, les plantes vertes au premier, la table avec les chaises dans un plan plus loin, et encore le coin cuisine en arrière-plan, tout ça avec une lisibilité parfaite.



Tradd Moore se montre tout aussi inventif et personnel pour la représentation des protagonistes : leurs visages, leurs tenues vestimentaires, leur langage corporel. En phase avec sa personnalité, Kirby a adopté une apparence voyante, avec des cheveux blond clair, une cicatrice sur la joue droite, un bandeau de pirate mais qu'il ne rabat pas sur son œil. Le lecteur constate que le souci de l'apparence est partagé par de nombreux individus, en particulier le président avec sa tenue blanche, sa chevelure ondulée mi-longue, et son très long bouc argenté. Il est visible que le dessinateur prend un réel plaisir à imaginer des visages tous différents et très travaillés. Il n'y a que Stella Maris à avoir conservé une apparence naturelle. Il en va de même pour les tenues vestimentaires, souvent extravagantes, sans être totalement impossibles. Le lecteur se divertit à regarder ce sens de la mode orienté pop et flashy. De manière à conserver un niveau de lisibilité satisfaisant, Moore s'en tient à des postures et des mouvements naturalistes pour les personnages, rehaussés par une belle expressivité de leur visage.



Sous réserve qu'il apprécie l'exubérance baroque de la narration visuelle, le lecteur se délecte de l'inventivité de Tradd Moore à chaque page, avec des visions étonnantes, parfois déroutantes, et mémorables. Le lecteur n'est pas près d'oublier la double page de l'affrontement entre Stella Maris et le criminel sous influence (une double page avec uniquement des onomatopées), la vision du satellite dans l'espace (un jeu sur le noir et les contrastes), le dessin en double page dans a boîte de nuit où le regard de Stella rencontre celui de Kirby, la voiture de Mark bondissant hors du garage dans un dessin en pleine page avec une impression psychotrope brillamment exécutée, ou encore la vision du mur séparant la Nouvelle Californie du reste du monde. Au fil des pages, le lecteur se retrouve emporté par cette narration visuelle riche et libérée. Alors qu'Aleš Kot peut réaliser des intrigues à la structure complexe, il a ici préféré un fil directeur simple et facile à suivre : Kirby et Stella tombent amoureux et se retrouvent à fuir les autorités qui pourchassent le dangereux agitateur qu'est Kirby. Cette trame simple permet au scénariste de développer des séquences elles aussi surprenantes, sans risque de perdre son lecteur.



Au départ, le lecteur se dit que le scénariste va développer la fibre de la comédie romantique, avec Kirby Straight Edge et très ordonné avec des convictions anti-autoritaristes, attiré par Stella instrument du gouvernement, désordonnée et peu regardante quant à sa nourriture. Cet élément guide effectivement les réactions des personnages, Kirby étant très inquiet de devoir opérer par lui-même Stella pour enlever les mouchards électroniques implantés dans son corps. Mais le récit ne se focalise pas sur cette relation comme centre d'intérêt premier. Outre la dimension politique et sociétale de certaines situations, Aleš Kot met en scène également des comportements très humains qui apparaissent comme des stratégies comportementales plus ou moins conscientes. La plus évidente est de Mark Miyazaki, (le père de Kirby), un vétéran qui se désensibilise en consommant de l'alcool de manière à ne plus ressentir les remords et l'impossibilité de trouver une forme d'action concourant à une éventuelle rédemption. Le lecteur prend peu à peu conscience que les choix de vie de Kirby sont guidés par un traumatisme d'enfance quand ses parents ont été arrêtés comme des fuyards. Jim Molina est entièrement prisonnier d'un système l'obligeant à agir sous la contrainte, même si elle ne prend pas la forme d'une menace physique. Logan Maximus refuse d'envisager l'éventualité d'une remise en question, malgré la preuve de sa nécessité incarnée par Mark, son ancien compagnon d'armes. Alors qu'elle quitte tout sur un coup de tête (effectuant une remise en question radicale, mais cohérente avec ses valeurs morales), Stella Maris ne peut pas renoncer à son chat (Godzilla), une forme d'attachement affectif qu'elle ne peut pas sacrifier. Ainsi chaque personnage acquiert une épaisseur et une dimension humaine le rendant unique et permettant au lecteur de reconnaître ses propres questionnements, ses émotions.



Sur la base de la couverture, le lecteur peut croire qu'il s'agit d'une histoire d'amour entre 2 individus que tout oppose avec un vague vernis futuriste. À la lecture, il apparaît que Tradd Moore fait preuve d'une implication et d'une inventivité sans retenue pour donner à voir ce futur proche et décalé. Aleš Kot propose une intrigue simple qui lui permet de faire ressortir la personnalité de ses personnages, au travers des épreuves peu communes auxquelles ils doivent faire face.
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Lost Soldiers

Maltraitance patriarcale

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Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Il regroupe les 5 épisodes de la minisérie, initialement publiés en 2020, écrits par Aleš Kot, dessinés et encrés par Luca Casalanguida, mis en couleurs par Heather Marie Lawrence Moore, avec un design graphique de Tom Muller.



Il y a des souvenirs dans la boue. Il est possible de suivre une traînée de sang attestant du cheminement d'un individu blessé depuis des croix de bois, au travers d'un terrain vague, jusqu'à un individu affalé contre un mur, avec un fusil automatique sur les genoux, ayant perdu connaissance. Le commentaire qui court tout du long évoque les morts, civils et militaires, la destruction des bâtiments, l'absence de signe pour matérialiser le moment quand un être humain devient un fantôme. En 1969, au Vietnam, les soldats Hawkins, un afro-américain, et Berg, un juif, sont de garde pour scruter la jungle derrière des sacs de sable, pendant la nuit. Le sergent Kowalski passe les voir pour s'assurer qu'ils assurent bien leur mission. Ils reprennent leur discussion après son départ : Hawkins estime que John Wayne est l'épitomé du héros. Berg estime que Superman remplit mieux ce rôle, ce qui n'étonne pas son collègue car Superman est un héros juif. Quarante plus tard, Hawkins et Kowalski écoutent le commandant Santos expliquer les paramètres de leur mission, à un groupe d'une quinzaine de soldats. Il s'agit d'effectuer une mission officieuse à Ciudad Juárez, au Mexique, pour échanger des mallettes avec le parrain local. Il explique que la mission se déroulera en deux temps, et qu'il en choisira six d'entre eux pour aller jusqu'à Ciudad Juárez.



Quarante ans auparavant au Vietnam, le peloton de Kowalski se retrouve sous un feu nourri. Berg a encaissé plusieurs et balles, et il est mort dans les bras de Hawkins qui appelle désespérément un médecin au secours. Kowalski se tourne vers le sergent Burke, en continuant à répondre au feu de l'ennemi pour suggérer une retraite. Burke réfléchit et décide froidement qu'ils doivent continuer à pousser vers l'avant. Les soldats obéissent. Au temps présent, après le briefing, Hawkins et Kowalski se retrouvent dans les vestiaires. Le premier demande au second quand a eu lieu son dernier examen de la prostate. Kowalski n'a pas l'air très attentif. Hawkins lui demande comment va son épouse Minnie. À nouveau son interlocuteur se montre évasif. Hawkins comprend que ça ne doit pas aller fort. Il demande si Kowalski va se porter volontaire pour la mission à Ciudad Juárez, parce que lui n'en a pas l'intention. La réponse est affirmative. En 1969, au Vietnam, Kowalski demande à Hawkins encore sous le choc du décès de Berg, s'il va bien. L'autre est ailleurs. Kowalski lui recommande de manger un peu, en lui tendant sa propre gamelle. Hawkins voit sans cesse le corps sans vie de Berg dans ses bras, le sang sur son visage.



Plonger dans une histoire de ce scénariste peut être un peu intimidant car ses récits ne sont pas toujours faciles d'accès, mais d'un autre côté, il comporte souvent une idée directrice très forte, et des personnages jamais fades. Il suffit au lecteur de lire les mots composant le lexique placé en fin d'épisode 2 pour avoir la confirmation du thème : obusite, trouble comportemental de guerre, stress de syndrome post traumatique, violence, guerre. Il est possible que le lecteur soit un peu désorienté au début : une voix désincarnée qui déroule un commentaire sur la guerre dans un mode d'expression avec des touches poétiques, et des touches oniriques, et des images montrant quelqu'un qui suit la trainée de sang en vue subjective, jusqu'au blessé. Les contours sont délimités par des traits encrés un peu secs, un peu épais parfois, pour une apparence qui ne fait pas forcément joli, qui ne cherche pas à séduire. Puis le premier épisode alterne des séquences au Vietnam en 1969, et une opération clandestine à Ciudad Juárez en 2009, avec deux militaires présents aux deux époques, ayant donc 40 ans de plus en 2009. Les dessins restent très crus, sans affèterie, évoquant par moment ceux de Goran Parlov, dessinateur ayant travaillé avec Garth Ennis sur plusieurs histoires de Nick Fury version MAX, et plusieurs histoires Punisher version MAX également. Le rapprochement n'a rien de fortuit car le sergent Burke ressemble à Frank Castle comme un frère, et l'épisode 4 porte comme titre Punisher. Mais ce n'est pas une histoire du Punisher, cependant, il est possible d'y voir un hommage à l'œuvre de Garth Ennis.



La trame de l'intrigue est facile à suivre : il s'est passé un événement dans l'unité du sergent Burke en 1969 pendant la guerre du Vietnam qui a traumatisé Hawkins (la mort d'un ami sous yeux dans la jungle), et un autre qui a généré une haine entre Burke et Kowalski. Le scénariste entremêle les scènes de 1969 et celles de 2009, faisant progresser les deux fils narratifs, la curiosité du lecteur allant en grandissant pour découvrir ce qui oppose ainsi les deux militaires. Dans le même temps, il apprend à les connaître à travers leurs actes, se faisant une idée de leur caractère. Il a vite fait de s'habituer à l'apparence un brut des dessins, en cohérence totale avec la nature du récit, des affrontements sur le champ de bataille, des opérations militaires, des assassinats à l'arme à feu, à l'arme blanche. Comme le point de départ le laisse supposer, c'est un récit d'homme, des individus dont la guerre est le métier, et qui ont les compétences et la carrure de professionnels, avec quarante ans de métier en 2009. D'une certaine manière, la narration visuelle donne l'impression d'avoir été réalisée par un de ces soldats. La mise en couleurs apparaît simple : parfois des cases barbouillées d'une seule couleur, pas toujours appliquée de manière bien uniforme, parfois avec une couleur appliquée par endroit par-dessus à grand coup de pinceau, parfois en respectant bien les traits de contour, sans dépasser. Loin d'être chaotique, cette mise en couleurs protéiforme accompagne bien les états d'esprit des personnages, entre le calme d'une progression ordonnée, et la soudaineté d'un tir nourri.



L'artiste réalise des pages où tout semble aller de soi, un simple reportage d'un journaliste embarqué qui sait saisir les moments spectaculaires, mais aussi l'enchaînement des actions, les expressions qui en disent long, tout autant que les gestes machinaux qui attestent d'une longue pratique professionnelle. Le lecteur éprouve la sensation de voir de vrais êtres humains, des hommes endurcis au combat, une ambiance virile, sans être exagérée de manière romantique ou spectaculaire. Il retient son souffle pendant la longue séquence d'action muette de 16 pages de l'épisode 3. Il se rend compte après coup, qu'il n'a pas prêté attention à la manière dont l'artiste procède. Ce n'est que s'il le souhaite qu'il refeuillète cette bande dessinée pour observer l'usage très régulier de cases de la largeur de la page, de quelques cases coupées en biais pour accompagner un mouvement soudain ou un choc, de quelques cases en insert pour montrer la quasi-simultanéité d'une action et d'une réaction, et des bandes de case pour suivre une action au cours de plusieurs moments. La narration visuelle coule de source, tellement naturelle que la bande dessinée semble avoir été réalisée une seule et même personne.



Le lecteur voit donc Hawkins et Kowalski lors de deux missions, agir en combattants professionnels, et pendant des moments de préparation et quelques moments en civils. S'il a lu les épisodes de la série Punisher MAX d'Ennis, il a parfois l'impression de retrouver cette forme de narration très particulière : sèche, entièrement dans l'efficacité, avec le poids d'une forme de fatalité, ces militaires vivant avec le souvenir de morts, leurs camarades tombés au combat, les individus qu'ils ont pu éliminer. En cela, le lecteur retrouve aussi le poids qui pèse sur les épaules de cette version de Frank Castle, version Ennis, mais sans l'humour outré et macabre, sans les moments Ennis. Alors que le scénariste s'en tient rigoureusement à cette version professionnelle de combattant aguerri, le récitatif apporte une touche teintée d'un jugement. Le lecteur comprend rapidement que le récitatif en début de récit, est celui de la guerre personnifiée, évoquant le prix à payer, la réalité de la mort, des carnages, des massacres, des dommages collatéraux chez les civils, en vie humaine, en destruction de maisons, de foyers. Le thème du traumatisme court tout du long du récit, que ce soit le premier éprouvé par Hawkins tenant le cadavre de son ami dans les bras, ou que ce soit l'effet cumulatif d'années, de décennies consacrées à neutraliser des ennemis, à les tuer. Aleš Kot met en scène le paradoxe d'une vocation qui consiste à sauver des êtres humains en en tuant d'autres. Le lecteur se souvient alors de la première citation en ouverture du récit, de Bell Hooks. Le premier acte de violence que le patriarcat exige des mâles n'est pas la violence à l'encontre des femmes. Au contraire, le patriarcat exige de tous les mâles qu'ils commettent des actes d'automutilation psychique, qu'ils tuent la partie émotionnelle de leur être. Bien plus que l'horreur des tueries, ces deux phrases explicitent l'intention de l'auteur et mettent à nu la force émotionnelle de son récit.



Après l'estomaquant Days of Hate avec Danijel Žeželj, Aleš Kot réalise un nouveau récit coupant le souffle du lecteur. La narration visuelle de Luca Casalanguida & Heather Marie Lawrence Moore prend le lecteur aux tripes, avec une évidence naturelle. S'il est familier des récits d'opérations spéciales, le lecteur en retrouve tous les codes mis en œuvre avec pertinence et intelligence, et un malaise présent du début à la fin, généré par le mal être intérieur de ces hommes d'action, sans qu'ils ne le verbalisent jamais.
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Generation Gone

C'est un comics assez classique dans le genre. En effet, trois jeunes adolescents hackers se font piéger par un scientifique d'origine asiatique aux ordres de l'armée qui leur transmet visuellement un code informatique qui les transforme en super-héros. L'une peut voler comme Superman, l'autre semble indestructible et le troisième voit l'avenir proche.



Je n'ai pas trop aimé le trait assez vif mais qui manque de précision et de rondeur. Pour autant, il y a tout de même une assez bonne colorisation de l'ensemble.



Par contre, le récit se laisse lire dans la mesure où l'on suit avec plaisir ces trois jeunes qui se révèlent au fur et à mesure. Certains veulent détruire le monde alors que d'autres veulent le sauvegarder. Il y a tout une violence mais qui est assumée.



Le thème exploité est celui de la colère des jeunes désabusés contre la société et le gouvernement. Il est clair qu'il ne faut en aucun cas leur donner des super-pouvoirs.



Au final, un comics indépendant plutôt prenant.
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Zero, tome 4 : Who By Fire

Ce tome fait suite à Zero Volume 3: The Tenderness of Wolves (épisodes 11 à 14) qu'il faut avoir lu avant. Il s'agit du dernier tome d'une histoire complète, il faut donc avoir commencé par le premier et les lire dans l'ordre. Il contient les épisodes 15 à 18, initialement parus en 2015, écrits par Ales Kot, et mis en couleurs par Jordie Bellaire. L'épisode 15 a été dessiné et encré par Ian Bertram, le 16 par Stathis Tsemberlidis, le 17 par Robert Sammelin, le 18 par Tula Lotay. Le design de la série a été conçu et réalisé par Tom Muller.



Quelque part dans un quartier populaire de Mexico, un écrivain est en train de composer un texte sur sa machine à écrire. Il est question de savoir où les chevaux sont allés, de fumée qui explore le relief d'un visage, de chevaux dans un miroir, d'individus manquant d'imagination qui trouvent refuge dans la réalité, de questions dépourvues de sens, de munitions toutes utilisées. Au Royaume Uni en 2025, l'agent Edward Zero se tient devant un garçon qui l'a emmené dans un camp de réfugiés adolescents. Zero est blessé et saigne encore, le garçon a une partie du corps recouverte de champignons. Il parle à Zero de l'esprit laid (Ugly Spirit) qui est en lui. Il lui indique qu'il ne lui reste qu'une chose à faire : se joindre à eux. Le garçon ajoute : les rêves sont la manière dont nous traversons tous le multivers. À Mexico, William Seward Burroughs expose sa théorie sur l'art à Allen Ginsberg : tous les arts sont d'origine magique. L'art a toujours une fonction concrète, celle de rendre réel ce qu'il représente. Cela fait sens pour Ginsberg. Burroughs continue : il a créé un personnage portant le nom de son interlocuteur Ginsberg Nova qui veut tuer Edward Zero. Burroughs a fait des rêves après avoir pris des champignons hallucinogènes avec Ginsberg. Cela lui a ouvert l'esprit : il a eu l'impression de s'identifier avec la mémoire des fungi. Il a rêvé d'un homme sur un falaise, et de son fils qui le tenait en joue. L'homme n'avait pas prêté assez d'attention à une chose qui lui était arrivé et maintenant l'univers était cassé.



Burroughs et Ginsberg continuent de discuter et le premier fait part de sa certitude qu'il mourra avant le second. Dans le camp d'adolescents, le garçon dépose délicatement quelques fungi sur la langue d'Edward Zero qui avale. Le garçon indique que la chose noire est la carte, mais pas la réalité, c'est l'esprit laid. Il explique qu'il ne s'agit pas d'une relation symbiotique entre l'esprit laid et l'être humain. Alors que les champignons se développent et colonisent les adolescents, le texte de l'auteur reprend : la connexion entre l'enfant et un rêve inachevé, une régurgitation noire de parasites qu'il appelle Zéro, les changements météorologiques qui s'entremêlent avec la carte du Kali Yuga. Ce garçon le tient bien. Et lui, Burroughs, que comprend-il de la scène sur la falaise ?



Ça arrache !!! Le lecteur est venu pour découvrir la fin de ce récit d'espionnage dans lequel un agent très spécial, certainement le meilleur dans sa partie, a fini par remettre en question son éducation et sa formation, jusqu'à repousser le système de valeurs qui lui a été inculqué dès son plus jeune âge, pour préférer redonner de la valeur à la vie des individus qu'il croise, pour les voir autrement que soit des moyens pour arriver à ses fins, soit des cibles à exécuter. Il retrouve bien ce fil de l'intrigue avec Edward Zero acceptant d'ingérer une petite quantité de fungi offerte par l'adolescent. Au fil des chapitres, il apparaît des souvenirs, avec certains personnages des tomes précédents comme Roman Zizek, Marinka. Il est également fait mention de Ginsberg Nova, le mystérieux espion qu'Edward Zero a tenté d'arrêter au grand collisionneur de hadrons du CERN. Le lecteur retrouve également la réalisation particulière de la série : son design confié à Tom Mueller dont c'est le métier, ainsi que le recours à un artiste différent par épisode. Ian Bertram impressionne fortement par ses dessins descriptifs, un peu chargés en traits signifiants, tout en étant un peu déliés. Il rend bien compte de la nature invasive du fungi, de sa texture presque moelleuse, du comportement un peu décalé de William S. Burroughs. Stathis Tsemberlidis réalise des traits de contours plus fins, mais avec autant de petits traits non signifiants, comme si chaque case était mouchetée de petits fils entortillés, pour une impression de surfaces très marquées par l'usure de la réalité, proche de l'effritement par endroit. La coloriste accentue encore cette sensation par une mise en couleurs comme un peu décalée par rapport aux traits encrés. Robert Sammelin utilise également des traits fins pour détourer les formes, mais ils sont plus propres, sans cette impression de surcharge, même si la mise en couleurs continue de produire cet effet décalé de temps à autre. Les pages de Tula Lotay sont magnifiques, donnant une impression de dessins plus croqués sur le vif, plus dans l'émotion subtile.



Mais le récit ne commence pas avec Edward Zero : il montre William S. Burroughs (1914-1997) en train d'écrire dans son style d'écriture si particulier, pas des cut-ups, pas tout à fait de l'écriture automatique, mais une forte dynamique d'associations d'idées. Quel rapport avec Edward Zero ? Quelques pages plus loin, l'écrivain indique à Ginsberg qu'il a créé le personnage de Ginsberg pour tuer Zero, signifiant qu'Edward Zero n'est finalement qu'une fiction inventée par lui. Le Nova lecteur est pris de court : son intérêt dans cette histoire d'espionnage hyper violente a été vain, un investissement émotionnel pour une histoire dans l'histoire, pour un personnage qui n'est qu'une fiction dans une fiction. Qui plus est, il vaut mieux qu'il dispose d'une ou deux notions sur la Beat Generation et sur William S. Burroughs pour espérer comprendre ce qui est en train de se jouer. En particulier, il se retrouve face au nom de Joan Vollmer (1923-1951) et à une image ou deux qui évoque sa mort à Mexico. Cela ne fait sens que s'il connaît les circonstances du décès de la compagne de Burroughs. De même, quand l'écrivain évoque l'esprit laid (Ugly Spirit), la suite fait sens sous réserve de savoir de quoi il parle, c’est-à-dire qu'il s'agit d'un concept qu'il a développé dans son œuvre littéraire. Le scénariste fait également référence à Patti Smith représentée sur scène pendant un concert. Le lecteur fait alors le lien entre les références aux chevaux et l'endroit où ils vont et l'album de la chanteuse Horses. Tout ceci emmène bien loin de la crise existentielle traversée par Edward Zero. En outre, il ne faut pas espérer découvrir ce qu'il est advenu de Ginsberg Nova qui ne fait aucune apparition dans ces pages. Il n'y a pas donc pas de fin à l'intrigue ?



C'est plus compliqué que ça. Ales Kot évoque donc l’esprit laid, une forme de vie parasite qui s'installe dans l'être humain et qui est la source de ses comportements agressifs, méchants, mauvais. Un peu simpliste ? Peut-être, mais aussi une métaphore de la violence, des comportements destructeurs de l'humanité en générale et de l'être humain, sans avoir à recourir à une morale, judéo-chrétienne ou autre. Or cela correspond exactement au cheminement personnel d'Edward Zero qui a remis en question sa vie passée à éliminer des cibles, sans la moindre empathie. Du coup, Edward Zero peut effectivement être considéré comme l'expression du cheminement intérieur de Burroughs, comme l'expression littéraire de son remord, une histoire hallucinée entre anticipation et délire provoqué par l'usage de substances psychotrope. Mais le personnage d'Edward Zero reprend le dessus dans le dernier épisode, Burroughs n'apparaissant que dans 4 pages. Finalement, cette mise en scène de l'écrivain ne serait-elle pas qu'une fiction créée par Ales Kot ? Il s'agirait alors de sa façon à lui d'évoquer la part de mal présente en chaque individu. En fonction de sa sensibilité, le lecteur peut trouver que le scénariste a dû lui aussi abuser de substances hallucinogènes et que son récit d'espionnage se serait suffi à lui-même sans besoin de rajouter cette couche sur la création qui rappelle un peu The Surface Volume 1 (2015) du même auteur avec Langdon Foss, sur la nature de la réalité. De même le dernier épisode illustré par Tula Lotay évoque Supreme: Blue Rose (2014/2015) de Warren Ellis qu'elle avait également illustré, une réflexion sur la création et la réalité. Dans le même temps, ce récit n'est pas qu'un tissu d'élucubrations aboutées les unes aux autres, selon la technique du cut-up de Burroughs. Ales Kot parvient à lier de manière logique un regard conceptuel à la réalité concrète. Il passe avec aisance de l'idée que tout n'est que théâtre (William Shakespeare) à la reproduction des schémas de violence, les fils imitant le comportement de leur père. La deuxième moitié du dernier épisode est silencieuse et répond à la question de ce qu'il advient d'Edward Zero, ainsi qu'à celle d'où sont allés les chevaux.



S'il a suivi la carrière d'Ales Kot, le lecteur sait qu'il s'agit d'un auteur ambitieux. Il retrouve la variété des illustrateurs, et savoure ce que chacun d'eux apporte. Il est pris au dépourvu par l'irruption de William S. Burroughs, et peut-être rétif à ce changement radical d'optique dans le récit, d'autant plus si ce créateur lui est totalement étranger. Sous réserve d'accepter de suivre le scénariste dans cette voie inattendu, il découvre que sa narration n'a rien perdu de son pouvoir de fascination, et que l'ensemble fait sens pour une réflexion personnelle sur la nature humaine dans ce qu'elle a de plus détestable.
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Zero, tome 3 : The Tenderness of Wolves

Ce tome fait suite à Zero Volume 2: At the Heart of It All (épisodes 6 à 10) qu'il faut avoir lu avant. Comme il s'agit d'une histoire complète en 4 tomes. Il faut avoir commencé par le premier. Il comprend les épisodes 11 à 14, initialement parus en 2014, tous écrits par Ales Kot, et mis en couleurs par Jordie Bellaire. L'épisode 11 a été dessiné et encré par Ricardo Lopez Ortiz, le 12 par Adam Gorham, le 13 par Alberto Ponticelli, et le 14 par Marek Oleksicki. Le design de la série a été conçu et réalisé par Tom Muller.



Septembre 2025, en Islande, la vue traverse les nuages pour se rapprocher de plus en plus de l'île qu'est l'Islande, jusqu'à se retrouver au pied d'un volcan dont s'échappe des volutes denses. Le temps est au brouillard épais qui gomme le paysage, qui le noie dans une grisaille quasi uniforme. Le premier jour. Edward Zero se trouve avec Penn : ils sont nus dans le lit sans couverture, d'une petite maison à l'écart de la ville, elle aussi noyée dans le brouillard. Penn se tient tout contre Edward et lui dit qu'elle aime quand il rit (il a ri pendant qu'ils faisaient l'amour). Il lui répond que rire ne lui vient pas avec facilité. Penn commence à embrasser sa lèvre supérieure, puis lui mordille la lèvre inférieure. Il a une érection. Elle descend un peu dans le lit, et commence à lui faire une fellation. Il s'adonne à ce plaisir. Jour deux. Penn demande à Edward ce qui se passera si le volcan ne s'arrête pas. Il lui répond qu'il s'arrêtera car tout change. Jour trois. Ils sont assis à table face à face, et ils savourent une soupe. Jour 4. Le brouillard est toujours aussi intense. Quelqu'un observe la maison à la jumelle. Penn & Edward sont sortis dans la basse-cour pour donner à manger aux poules. Penn réussit à convaincre Edward de leur parler, parce que les œufs sont de meilleure qualité depuis qu'elle le fait.



En octobre 2025, dans un endroit tenu secret du Royaume Uni, Edward Zero avance dans une maison envahie par une végétation étrange : il est vêtu d'une combinaison étanche qui le couvre de la tête aux pieds. Dans le salon, il regarde un homme à moitié couvert de champignons, debout, en train de divaguer. Il raconte qu'il pensait que c'était une malédiction, mais en fait il s'agit d'une bénédiction. Les meilleurs sont restés à l'intérieur, mais ils ne peuvent pas bouger. Une arme. Un monde sans pistolet chargé. Ils ne comprennent pas. Zero le laisse continuer de parler et avance : il entre dans une grande pièce sans meuble. Un jeune adulte se tient dans un coin, tourné vers l'intérieur de l'angle. La pièce est également envahie par cette étrange végétation, sauf un quart de cercle dégagé autour du jeune homme. Il est en train de se soulager contre le mur. Il s'adresse à Zero en lui disant que sa combinaison ne le sauvera pas. À l'extérieur le pavillon est recouvert d'une bâche, l'isolant de l'air, et des individus en combinaison blanche s'affairent autour et empêchent quiconque d'approcher. Le jeune homme engage la discussion : Zero lui confirme qu'il a une mission à effectuer. Le jeune homme indique que ça va être difficile parce que les spores le protègent.



Le premier tome avait demandé un réel effort au lecteur pour comprendre la structure narrative et être certain d'avoir bien identifié les personnages principaux. Le second tome se lisait d'une traite avec la part belle faite à l'action et à l'histoire de Roman Zizek et de Sarah Cooke. Le lecteur est impatient de découvrir la suite, de savoir comment Edward Zero se retrouve assis sur une chaise en 2038, menacé par un jeune garçon avec une arme à feu, au bord d'une falaise au Royaume Uni. Il retrouve le personnage principal en Islande, en 2025. Il se souvient qu'il y a séjourné en 2022 dans l'épisode 10, le dernier du tome précédent, mais il ne semble pas y avoir de lien direct. Peut-être qu'Edward Zero y resté en attendant. Cette fois-ci, le scénariste choisit de respecter l'ordre chronologique, et l'épisode 14 commence exactement là où se termine l'épisode 13. Dès l'épisode 11, le lecteur est frappé par la facilité de compréhension : un laps de temps court, une narration linéaire, le calme du couple, suivi par un affrontement rapide entre Zero et une personne venue pour l'assassiner. Le deuxième épisode est également mené tambour battant : une mission compliquée (Comment tuer ce jeune homme ?), suivie par une proposition très inattendue et très tentante pour Zero, à nouveau avec un déroulement strictement chronologique, dans une durée réduite de 2 ou 3 jours. Enfin un commando s'introduit dans le quartier général de l'Agence et tue systématiquement tous ceux qui sont présents. Leur objectif : tuer Edward Zero, et ne laisser personne vivant. Il s'agit donc essentiellement de 4 épisodes consacrés à l'action, à des missions d'assassinat, perpétrées par Zero, ou dont Zero est la cible.



Comme depuis le début, le dessinateur change à chaque épisode. Pour les 10 premiers, cela faisait sens d'un point de vue narratif, car chacun se déroulait dans une année différente. C'est moins une évidence ici où tous les épisodes semblent se suivre de manière chronologique à peu de jours d'intervalle. À nouveau, Kot a choisi ses collaborateurs parmi les artistes indépendants, avec un rendu d'où sont absents tous les clichés des comics de superhéros, avec une apparence inscrivant ces artistes dans un registre indépendant, à l'écart des standards de la production industrielle de masse. Comme pour les 2 tomes précédents, la mise en couleurs de Jordie Bellaire installe une unité pour l'ensemble, tout en utilisant des variations discrètes, d'une part pour être en phase avec la nature de chaque séquence, d'autre part pour compléter au mieux les spécificités graphiques de chaque artiste. Ricardo Lopez Ortiz dessine dans un registre descriptif en se concentrant sur certains détails, et en s'en tenant aux formes générales pour le reste. Il ajoute des petits traits de texture dans les formes détourées, ainsi que l'équivalent de tramage à demi effacé. Il met en œuvre quelques caractéristiques des seinens, comme les traits de vitesse, ou les exagérations d'expression pour l'agresseur, ou encore les traits droits pour le visage d'Edward Zero, sans pour autant donner l'impression de singer un mangaka. Avec l'apport de Jordie Bellaire, il rend bien compte de l'épais brouillard. Sa mise en scène du combat physique dans la maison est sèche, claire, structurée et elle rend bien compte de sa brutalité.



L'épisode 12 s'ouvre dans une teinte verte pour rendre compte de la présence des végétaux dans la maison, ce qui tranche avec la grisaille de l'épisode précédent. Les dessins d'Adam Gorham ne portent pas la trace de l'influence manga. Ils rendent très bien compte de la texture des différentes plantes. Le lecteur ressent pleinement la bizarrerie inquiétante de la présence d'une flore mutante, une menace certainement, mais impossible à évaluer, à cerner. Gorham sait rendre l'étrangeté de ce face-à-face entre Zero enveloppé dans sa tenue contre les risques biologiques, et ce jeune homme détendu qui explique sa situation. Après la mission, la mise en scène du débriefing est très statique : un échange formel d'informations ou Zero et Cooke restent sur leur quant-à-soi sans rien laisser paraître. Ce parti pris narratif est fait sciemment, car les émotions se révèlent une fois l'entretien terminé, chacun s'étant isolé de son côté. Le lecteur retrouve avec plaisir Alberto Ponticelli, l'artiste de la série Unknown Soldier de Joshua Dysart. Il se rapproche d'un registre plus réaliste, faisant contraster le niveau de détails des personnages avec les arrière-plans, pour mieux les faire ressortir. Il illustre l'avancée d'Edward Zero pour éliminer les intrus dans une séquence de 14 pages, très violente, sans pitié, avec des coups portés brutaux et sans élégance, entièrement dans l'efficacité pour faire mal et neutraliser. Ce n'est pas de la violence spectacle, c'est écœurant, en cohérence totale avec la nature du récit. Marek Oleksicki prend le relais de Ponticelli dans un registre visuel très proche, avec des traits de contour un peu plus gras, moins effilé, et un sens de la violence tout aussi viscéral, dépourvu de tout romantisme. Le lecteur ressort écœuré de ce corps à corps sans pitié, jusqu'à la mort, avec une volonté de tuer qui met en valeur les compétences extraordinaires de combattant à main nue.



D'une certaine manière, il est donc possible de lire ces 4 épisodes très vite, uniquement comme une suite de combats acharnés d'une rare violence, avec une volonté de tuer d'une rare intensité, nourrie par une détermination sans faille et des capacités niveau expert. Il est donc possible de les prendre pour un récit d'espionnage et d'opérations clandestines, basés sur l'action, et c'est tout. Pourtant, s'il a lu les tomes précédents, le lecteur sait qu'il s'agit d'une histoire animée par une réelle qualité littéraire, et il aborde ces affrontements successifs, avec un autre état d'esprit. Il relève forcément quelques détails. Le plus évident : dans la dernière page du dernier épisode un jeune adolescent demande à l'agent Zero où sont passés les chevaux. Cela renvoie à l'anecdote racontée dans l'épisode 6 sur un collectionneur de chevaux pendant la guerre. De même au cours de l'épisode, il note qu'Edward Zero est majoritairement représenté sous son profil gauche, ce qui met en évidence son œil aveugle. Il ne peut pas s'agir d'une coïncidence : ce sont des plans de prise de vue sciemment construits, pour évoquer l'aveuglement passé de Zero, et s anouvelle façon de voir les choses avec un œil en moins. Ales Kot continue de faire évoluer Edward Zero : ce dernier a pris conscience de la destination vers laquelle l'entraîne son mode de vie. Il a commencé à questionner le métier qui lui a été inculqué dès le plus jeune âge, à prendre conscience du cercle vicieux de la violence. Il a commencé à percevoir les autres comme des individus plutôt que comme des cibles associées à des missions. Quand il se bat dans le premier épisode, c'est son éducation, son endoctrinement qui s'exprime sans laisser de place à sa personnalité, comme un automate aveugle en pilotage automatique. Son parcours est un questionnement sur la force comme mode de vie.



Avec ce troisième tome, Ales Kot et les artistes continuent de raconter une histoire d'espionnage musclée en mettant en œuvre les conventions du genre au premier degré, tout en montrant comment un tel mode de vie façonne l'individu, le cantonne à un système relationnel destructeur pour les autres et pour lui, avec des dessins en révélant toute la crudité. Un récit à vif, sans fard, d'une force terrifiante.
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Days of hate, tome 2

Ce tome fait suite à Days of Hate Act One (épisodes 1 à 6) qu'il faut avoir lu avant car il s'agit d'un diptyque qui forme une histoire complète. Il contient les épisodes 7 à 12, initialement parus en 2018/2019, écrits par Aleš Kot, dessinés et encrés par Danijel Žeželj, et mis en couleurs par Jordie Bellaire. Žeželj a réalisé les couvertures et le design des numéros a été réalisé par Tom Muller.



Sept semaines plus tard, la nuit dans un motel à Washington DC, Huian Xing se tient nue avec un couteau à la main, devant le lit où dort Peter Freeman. Finalement elle se recouche. Freeman émerge un instant et lui adresse la parole. Elle répond qu'elle essaye de déterminer ce qui se passe, ce à quoi correspond le fait qu'ils soient amants. Elle ajoute qu'il ne la trouble pas : elle sait exactement qui il est, et il ne serait pas capable de le gérer si elle lui disait. À l'extérieur, les phares des voitures continuent de tracer des arabesques lumineuses sur les autoroutes urbaines et les échangeurs. À Pittsburgh en Pennsylvanie, Amanda Parker et Arvid Nafisi sont assis à même le sol dans la cafétéria vide d'un immeuble de bureau désaffecté, dans un étage élevé. Ils regardent la ville en contrebas, elle aussi plongée dans la nuit. Elle lui demande s'il a déjà lu du Samuel Beckett (1906-1989) : il comprend qu'elle veut parler de En attendant Godot (1952). C'est effectivement le cas : elle se dit qu'avec l'avènement de l'anthropocène, tout est déjà arrivé et l'humanité va s'autodétruire devenant folle à cause de son incapacité à éviter d'aller à sa perte. Arvid lui répond qu'il a une vision totale de ce qui se passe et que les mots lui manquent pour s'exprimer.



Peter Freeman est de retour chez lui et il enserre sa femme en lui disant qu'il souhaite qu'elle vienne avec lui à une soirée. Il monte voir son fils dans sa chambre : il est en train de jouer avec un gros dinosaure en peluche. Son téléphone sonne : il répond que ce n'est pas le bon moment. Huian veut savoir s'il viendra ce soir. Il ne sait pas encore. Il regarde son fils. Le soir venu, Huian se retrouve seule dans la chambre du motel, et elle se met à récupérer les mouchards électroniques qu'elle avait placés sous le lit, sous le lavabo, sous une dalle de faux-plafond. À Pittsburgh, Arvid Nafisi se réveille en sursaut et pointe son arme à feu sur le cou d'Amanda Parker qui essaye de le réconforter. Toujours la nuit, dans une banlieue pavillonnaire, un groupe de gendarmes pénètrent une maison et arrêtent Taranen Nafisi, l'épouse d'Arvid. Elle demande à savoir où est son fils. De l'autre côté, une voisine a tout observé.



Le premier tome se terminait sur une révélation concernant les plans d'Amanda Parker et de Huian Xing, changeant la manière dont le lecteur perçoit les personnages. Pour autant, l'histoire continue sur la même thématique : 3 terroristes continuent de planifier et d'exécuter des poses de bombes ou des assassinats dans des lieux fréquentés. S'il a gardé à l'esprit l'influence revendiquée par le scénariste (en particulier L'Armée des Ombres, 1969, de Jean-Pierre Melville), le lecteur regarde le récit sous l'angle de la résistance. Il voit Amanda Parker et Arvid Nafisi, isolés, angoissés pour leurs proches, s'interrogeant de plus en plus sur la futilité de leurs actions, leur manque d'impact réel, une résistance de principe face à un gouvernement omniprésent avec les forces de l'ordre à sa disposition et une capacité d'interpeller n'importe quel citoyen pour des raisons de sécurité nationale. Les dessins montrent bien comment les 2 terroristes / résistants s'installent dans des bâtiments désaffectés, vivent en marge de la société, focalisés sur leur objectif, totalement en opposition avec la loi, les forces de l'ordre, mais aussi la vie quotidienne des citoyens ordinaires. Les couleurs de Jordie Bellaire montrent des scènes crépusculaires, avec quelques zones de couleur fondues dans la grisaille maronnasse. Les dessins de Danijel Žeželj montrent des personnages sculptés, comme s'ils étaient un peu rigidifiés par leurs convictions et par le poids de leur transgression. Comme dans le premier tome, le scénariste a placé une ou deux citations en ouverture de chaque épisode. Il y en a une de Kathy Acker qui indique que les révolutions commencent souvent avec le terrorisme. Elle incite ainsi le lecteur à réfléchir sur le positionnement moral d'individus tuant pour résister, mais aussi sur le fait que l'Histoire jugera leurs actions en fonction de leur réussite (résistance) ou non (terrorisme). La citation de Sylvie Plath évoque la rigidité des os, comme s'il se produisait une calcification de l'individu qui continue de se tenir droit. Enfin celle de John Berger (le passé n'est pas fait pour y vivre) indique que l'individu ne peut pas non plus rester passif, figé dans le passé.



Le lecteur est également venu pour découvrir la suite et la fin de l'intrigue. Au vu des forces en présence, il se doute bien qu'il est en train de lire un drame, que 3 individus ne suffiront pas pour renverser un gouvernement légitime et démocratique. Aleš Kot prend le parti de ne pas montrer l'acte terroriste perpétré par Parker et Nafisi. Le lecteur les voit se déplacer jusqu'à arriver à Washington, et réaliser quelques préparatifs. En alternance, il voit comment Huian Xing résiste à la pression de plus en plus dure que lui fait porter Peter Freeman, responsable de la cellule antiterroriste. Le lecteur remarque que les auteurs reprennent la disposition de l'épisode 5, le temps de quelques pages de l'épisode 10 : une case de la largeur de la page consacrée à Amanda Parker & Arvid Nafisi, une autre de la largeur de la page consacrée à Huian Xing, et une autre à Peter Freeman. À nouveau, les faits et gestes de ces 4 personnages sont entremêlées, ayant des conséquences les uns sur les autres, quand bien même ils se trouvent à des endroits différents. Le récit présente une forte dimension psychologique, chaque individu agissant en fonction de la manière dont il interprète la réalité, dont il agit en son âme et conscience en fonction de ses expériences personnelles, de ses convictions associées à des émotions. La mise en couleurs très élaborée montre que ces personnages évoluent dans un monde d'un seul tenant, dans un état émotionnel qui ne permet qu'une vision monolithique de la réalité : le bleu feutré et impersonnel de la chambre d'hôtel où se rencontrent Peter & Huian, le brun ou le gris ou le rouge des discussions d'Amanda et Arvid, le gris froid des locaux professionnels de Peter Freeman. Les décors sont majoritairement industriels et urbains, froids et impersonnels. Les visages montrent des personnages ressentant le poids de leur pensée, d'individus ayant choisi une route à suivre et ressentant profondément ce que ça leur coûte.



Cette histoire est également un thriller psychologique d'une rare intensité. Amanda Parker a convaincu Arvid Nafisi de l'assister dans un acte terroriste et il a dû abandonner sa femme et son fils. Elle se débat avec la responsabilité d'avoir ainsi embarquer cet homme dans son projet risqué, dangereux, sûrement sans retour, et probablement faisant courir un risque mortel à sa famille. Le comportement et le regard d'Amanda Parker montre qu'elle sait qu'elle est condamnée, que leurs actions ne sont qu'une goutte d'eau et n'amèneront pas de changement radical, ne provoqueront pas une rupture. Les postures et les expressions d'Arvid montrent qu'il est moins radicalisé, qu'il lui reste une attache émotionnelle positive quand il pense à sa femme et son fils. Contrairement à toute attente, Peter Freeman s'avère plus ambigu. Le lecteur en prend conscience quand le personnage sort de la lumière blafarde et retrouve une lumière normale, en rentrant chez lui, et même des couleurs vives lorsqu'il se tient devant son fils de 4 ou 5 ans, dans une chambre joyeusement colorée. Le lecteur ressent encore plus cette connexion avec la vie normale, lorsque Peter discute avec sa femme dans son bureau, et que les couleurs s'assombrissent et se ternissent au fur et à mesure.



Cette histoire est également un discours politique en sourdine. Il y a un premier degré évident : la lutte contre une dictature qui sait utiliser les outils de la démocratie pour en conserver l'apparence, à commencer par une force de l'ordre instrumentalisée sous prétexte de sûreté nationale. Danijel Žeželj rend admirablement bien la terreur qui prend le citoyen ordinaire quand un groupe de 6 agents en tenue pénètre dans son foyer pour l'arrêter sans autre forme de procès. Glaçant. Le lecteur se rappelle le thème principal du premier tome et du titre en lisant deux autres citations, celle de Marie Howe et celle de Nick Cave. La première indique que le mal ne va pas envahir vos maisons en portant des grosses bottes noires, le Mal commence avec le langage. Nick Cave chante dans Fifteen feet of pure white snow que son voisin est son ennemi. Le titre évoque la haine comme dynamique de la vie d'un individu. Le jeu des couleurs montre que la haine a pris le dessus comme moteur émotionnel de Peter Freeman : la haine du non-conformisme par rapport à des lois plus ou moins explicites, en fait la haine de l'autre, et au fond la peur de la différence. En se rattachant au jeu des couleurs, le lecteur voit qu'elles illuminent les souvenirs communs d'Amanda Parker et de Huian Xing. Il est difficile de le concilier avec leurs actes, jusqu'à l'épisode 11 où Huian Xing indique à son interlocuteur que c'est l'empathie qu'elle éprouve qui l'a contrainte à se rebeller contre une société fonctionnant sur la haine, contre un système répressif, qui l'a amenée à utiliser elle aussi la haine pour répondre. Dans l'épisode 7, Peter Freeman discute avec un technicien chargé d'assurer la surveillance de Huian Xing. La scène dure 7 pages : le lecteur en déduit qu'elle est importante. Il se rend compte qu'il voit comment le mode de raisonnement de Peter Freeman finit par s'imposer à l'agent Kozlowski, comment ce dernier se retrouve pris dans une double contrainte entre les exigences de son supérieur et le fait de s'occuper de sa mère handicapée, un conflit entre la haine de l'un et la solidarité de l'autre. Le dernier épisode offre un soupçon d'espoir, contrastant avec le destin des individus focalisés sur leur haine.



Au sortir de ces deux actes / tomes, le lecteur est encore en immersion dans ce récit psychologique, dans cette histoire d'amour, dans ce thriller politique, dans cet élan vital. Danijel Žeželj a réalisé des planches à la fois dures et à la fois très animées par les émotions, superbement rehaussées par la mise en couleurs qui participe formidablement à la narration visuelle, sans écraser les dessins. Aleš Kot a fait connaître au lecteur quatre individus impliqués, tiraillés par les conséquences de leurs actes et de leurs responsabilités, certains intimement conscient de n'être qu'un seul individu qui ne changera pas grand-chose, tout en montrant la responsabilité individuelle de chaque être soumis à un système qu'il n'a pas à accepter comme inéluctable ou éternel. Chef d'œuvre.
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Generation Gone

La nouvelle publication de Hi Comics se veut innovante en proposant une revisitation du thème des jeunes gens aux pouvoirs brutalement déclenchés via une conspiration gouvernementale associée à un génie à moitié fou... Le thème d'Akira et Harmony en somme, avec la difficulté de se comparer à ces deux glorieux aînés. J'ai été fort attiré par le pitch, le traitement radical et violent (qui peut rappeler par moments un Jupiter's Legacy) mais suis resté un peu sur ma faim avec l'impression d'un potentiel réel (notamment l'utilisation des mathématiques pour déclencher la mutation) butant sur quelques difficultés techniques à la fois scénaristiques et graphiques. Ainsi le dessin est plutôt chouette quand aux visages mais subit de réelles lacunes anatomiques et dans l'animation des corps. On sent pourtant une influence de Quitely et des dessins hyper-dynamiques chez Araujo et le découpage et mise en scènes sont très efficaces. Mais souvent on coince sur une image ou un saut temporel. De petites choses qui empêchent de profiter pleinement d'une intrigue résolument moderne et SF. Je gage que le projet tienne à cœur aux auteurs et que l'expérience effacera ces petits problèmes, Generation Gone (et sa conclusion) reste une plutôt bonne surprise dans l'univers du comic Indé.
Lien : https://etagereimaginaire.wo..
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The Surface

Il s'agit d'une histoire complète et indépendante de toute autre. Elle a bénéficié d'une sérialisation en 4 numéros en 2015, publiés par Image Comics. Le scénario est d'Ales Kot, les dessins et l'encrage de Langdon Foss, la mise en couleurs de Jordie Bellaire, et l'habillage graphique de Tom Muller.



L'histoire s'ouvre sur une page comprenant 2 cases, celle du haut représentent un rocher sculpté en forme de vagin parcouru de lignes bleues électriques, celle du dessous une sculpture en forme de phallus avec les mêmes lignes bleues. Un singe bonobo est en train d'observer une femme (Nasia) en train de pleurer, alors qu'une voix désincarnée commente sur les apparences, la surface des choses.



Suit une page de texte étudiant la possibilité que notre réalité ne soit qu'un hologramme dont les individus ne percevraient que la surface. La narration reprend en bandes dessinée, avec le président Jefrey Loki évoquant l'arrestation de hackers terroristes, alors qu'une voix désincarnée commente sur les lifelogs (des enregistrements informatiques en continu de la vie de chaque individu) et sur la possibilité de partager ces enregistrements (donc ses expériences de vie) avec d'autres personnes. Dans une pièce encombrée d'un appartement, Mark Loki (le fils du président), Gomez et Nasia terminent leur dernier préparatif pour se rendre à Dar es Salaam en Tanzanie, afin de localiser l'artefact qu'ils qualifient de grand projecteur.



Dès la couverture, le lecteur a pressenti qu'il s'agit d'une histoire qui sort de l'ordinaire. Il en a la certitude s'il connaît déjà l'auteur, un scénariste d'origine tchèque, âgé de 28 ans en 2015. Le début du récit confirme la forme ambitieuse du récit, ainsi que sa densité narrative. À la bande dessinée, se superpose une voix désincarnée, parfois une deuxième (avec un fond de cellule blanc ou noir, pour les distinguer). En début de chaque épisode, il y a une liste de titres d'informations avec une accroche en 1 phrase. Il y a également des pages de textes, soit un bref article, soit un plus long, sur des éléments mêlant fiction et réalité. Les couvertures sont placées en fin de volume et comprenaient chacune une citation de Philip K. Dick, Stanislas Lem ou Virginia Woolf. Arrivé à la page 12, le lecteur contemple le président devant une quinzaine d'écrans holographiques, dont un qui dit : Source 17 – Référence obligatoire à un comics, pour prouver la compréhension de l'auteur de l'histoire de cette forme d'art. Dans la même case, un autre encadré d'information mentionne un graffiti "Spider Jerusalem was here" qui apparaît à plusieurs reprises dans la série Transmetropolitan de Warren Ellis (obligation respectée).



Le lecteur est ainsi tout de suite plongé dans le bain : la narration est protéiforme afin de servir le fond du propos qui évoque donc le concept de surface. L'auteur décortique le concept de réalité, au travers d'un récit à mi-chemin entre anticipation et science-fiction. En conséquence, l'expérience de lecture ne livre toute sa saveur que si le lecteur se prête au jeu, essaye d'anticiper, de mettre en relations les différents éléments entre eux, de passer d'une forme de narration à une autre. Rapidement, il a le plaisir de constater que le rythme du récit est rapide, et que l'auteur dispose d'une verve enjouée pour les pages de texte (pas si nombreuses que ça, une douzaine).



Dans cette époque (non précisée), chaque individu enregistre tous ses actes, sensations et pensées dans un journal personnel dématérialisé Lifelog. Il s'agit d'une forme poussée jusqu'au bout de sa logique des différents outils informatiques déjà à disposition de tout à chacun. Au cours du récit, un personnage évoque la possibilité de permettre l'accession à ces données personnelles, à l'ensemble des êtres humains, pour un niveau de partage d'expérience sans équivalent. Ales Kot parle bien de la société d'aujourd'hui avec les réseaux sociaux permettant d'archiver et de partager une grande partie de notre vie, sous forme de messages brefs, de photographies, de vidéos, rehaussés d'émoticons pour exprimer nos émotions, même par message. L'idée d'une réalité qui ne serait que surface est expliquée rapidement et de manière convaincante. L'auteur joue également avec la notion de page cache sur internet, accentuant le concept d'archivage des données de vie.



Le lecteur accepte donc facilement de plonger dans cette narration à plusieurs voix. Il joue le jeu de relever les incongruités semblant briser le quatrième mur sans le dire (un astérisque qui renvoie à une note en bas de page indiquant que la phrase correspondante constitue un indice quant à ce qui se passe réellement, ou encore une phrase en bas de page, sous la rangée de cases inférieures, s'adressant à l'un des personnages). Certaines cases sont fortement chargées en informations, mais là encore la diversité des intervenants introduit une variété qui permet au lecteur de conserver un rythme de lecture agréable. Langdon Foss se retrouve donc à mettre en image un récit hautement conceptuel, dans un univers de science-fiction.



Langdon Foss dessine de manière réaliste, avec un bon niveau de détails, et un trait fin de largeur uniforme, assez mince, pour détourer les formes. Il n'utilisa pas d'aplats de noir. Jordie Bellaire effectue un impressionnant travail de mise en couleurs, essentiellement à base de teintes uniformes pour chaque surface. Il n'y a que quand la source de lumière est fluctuante (par exemple un feu de bois) qu'elle ajoute un peu de variations de nuance d'une même teinte, pour renforcer discrètement les volumes. Elle réussit à combiner les exigences nées de l'objectif de mieux faire ressortir les surfaces les unes par rapport aux autres, et celle de concevoir une composition chromatique avec une teinte dominante pour chaque séquence. La mise en couleurs améliore donc la lisibilité des dessins de manière déterminante.



Il n'est pas toujours facile de déterminer à la lecture ce qui dans une case provient du script du scénariste, et ce a été apporté par le dessinateur. En lisant ce tome, on imagine sans peine en voyant des cases bourrées à craquer de détails que Langdon Foss a dû participer pour une bonne part à la construction visuelle de ce récit. Cela va de l'aménagement de la piaule de Mark Loki (avec les innombrables accessoires que le lecteur peut y voir en 1 case), au dessin pleine page lorsque les 3 amoureux (Nasia, Gomez et Mark) pénètrent dans le monde du projecteur. Le degré d'inventivité doit beaucoup à l'artiste. La page suivante celle de l'arrivée dans cette nouvelle réalité est une page de texte qui mentionne le feu tricolore présent dans le dessin pleine page. Avec ce détail (parmi d'autres), le lecteur dispose de la preuve manifeste du haut degré de collaboration dans lequel scénariste et dessinateur ont participé.



Ales Kot déroule un récit à l'ambition folle, sur la base d'une aventure d'un trio d'amoureux cherchant la nature de la réalité, avec de l'action, une diversité dans les formes de narration et des questions dérangeantes sous une forme ludique. Ainsi dans les pages de texte, le lecteur découvre que les relations polyamoureuses (plus de 2 adultes fondant une famille) sont devenues légales, mais aussi qu'un fils souhaite porter plainte contre des parents engagés dans une procédure de divorce parce qu'en agissant ainsi ils l'obligent à avoir une vie qu'il n'a pas choisie. Le lecteur ressent l'honnêteté de la démarche du scénariste qui adopte une démarche philosophique postmoderne en poussant à l'extrême le fait que tous les points de vue se valent. En mélangeant des revendications légitimes, avec les mêmes revendications appliquées à des points de vue moralement inacceptables, il montre comment la mécanique de la tolérance devient celle de la permissivité. Loin d'être moqueur, il s'interroge sur le fond : comment vivre dans un monde sans valeur morale absolue ? Il montre également comment la volonté de transparence expose l'individu à voir sa vie piratée.



En s'impliquant dans la narration, le lecteur s'interroge comme l'auteur sur les questions posées, tout en cherchant et relevant les indices du récit, formant comme des pièces du puzzle pour comprendre le concept de Surface, qui manipule qui, les règles de vie de ce monde, et le sens de l'enjeu. Parmi ces indices, il note que le scénariste indique qu'il souhaite s'éloigner d'une histoire du type "Nous contre eux", alors même que ce trio de hackers lutte contre une autorité établie, ce qui est difficile à concilier. Déconcerté, il se rappelle également des phrases en bas de page, la première (adressée au lecteur) disant que le fait qu'un personnage se gratte le derrière est un indice, la suivante adressée à Nasia indiquant qu'elle est prisonnière d'une boucle. L'intrigue comprend donc également une forme de jeu avec le lecteur pour l'inciter à anticiper les révélations et assembler les pièces du puzzle, en titillant sa comprenette pour lui faire prendre conscience de la diversité des interprétations.



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- Attention : les paragraphes suivants révèlent un point clé de l'intrigue.

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Arrivé au quatrième épisode, le lecteur attend donc une révélation donnant un sens à cet enchevêtrement sophistiqué et cultivé de fils narratifs. La dernière page du troisième épisode montre un personnage interpellant le scénariste. En fonction des attentes du lecteur, ce dispositif peut soit le rebuter comme étant un artifice invalidant les 3 premiers épisodes, soit un aboutissement logique du questionnement sur la réalité dans une histoire racontée. D'autres scénaristes ont déjà fait de même : Grant Morrison dans la série Animal Man, ou Dave Sim dans la série Cerebus. Ales Kot fournit bien les explications relatives aux mystères dans lesquels baigne l'intrigue, avec une logique narrative réelle. Il évoque également son précédent comics de même nature : Change (2013) dessiné par Morgan Jeske. L'explication est satisfaisante et bien étayée, mais d'une nature qui peut ne pas plaire à tout le monde. Elle comprend en particulier le pourquoi du symbole du phallus et du vagin en ouverture de récit.



Ce récit est donc à réserver à des lecteurs consentants ayant un goût pour le questionnement sur la notion de réalité. L'auteur insiste au cours du récit sur le fait que tout commence par une conviction (ou une croyance, mais sans connotation religieuse). Il met en scène un écrivain (Robert Doublehead) dans lequel le lecteur identifie immédiatement un double fictif, mais dont la nature s'avère plus complexe que ça. Il évoque le principe de Verhoeven-Delany, renvoyant le lecteur à d'autres auteurs de science-fiction, sans pour autant que le récit ne devienne abscons s'il ne les connaît pas. Le lecteur venu pour une aventure en bonne et due forme sera enchanté par le début, et se sentira peut-être trahi par la fin. Le lecteur venu pour un récit d'auteur sera comblé au-delà de ses espérances.
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Secret Avengers, tome 2 : The Labyrinth

Ce tome fait suite à Let's have a problem (épisodes 1 à 5) qu'il faut avoir lu avant. Il contient les épisodes 6 à 10, initialement parus en 2014, écrits par Ales Kot, dessinés et encrés par Michael Walsh, avec une mise en couleurs de Matthew Wilson.



La situation est rappelée au travers d'une page récapitulative en début de tome. Dans la première séquence, Maria Hill envoie Black Widow (Natalia Romanova) intervenir au Japon, à bord d'un train dans lequel se trouve Lady Bullseye qui menace de le faire exploser. Spider Woman (Jessica Drew) lui sert de renfort. Hill assigne à Hawkeye (Clint Barton) la mission de suivre la trace de Phil Coulson pour le ramener au SHIELD.



Maria Hill va ensuite faire le point avec MODOK, concernant le corps de The Fury qui semble avoir accouché (mais de quoi ?). Puis elle va interroger Artaud Derrida pour savoir pour qui il travaillait. Au cours de sa mission, Hawkeye a la mauvaise surprise de tomber sur Deadpool (Wade Wilson).



Le premier tome de cette série mariait avec bonheur une aventure à 100 à l'heure, avec une forme de dérision qui ne minait pas l'intrigue, mais apportait une touche loufoque irrésistible. Le lecteur retrouve ces 2 dimensions dans ce deuxième tome, encore plus efficaces et affinées. D'un côté, Ales Kot a imaginé une intrigue haletante, menée à un train d'enfer, avec des personnages Marvel, tous plus savoureux les uns que les autres.



Ales Kot utilise avec habileté les conventions des récits d'action, comme la poursuite dans un train piégé, ou l'expérience génétique dans une cité perdue. Il inclut avec aisance la personnalité de chaque superhéros et supercriminels, rendant ainsi chaque séquence particulière. Au fil des pages, le lecteur se rend compte que le scénario lui réserve des situations ahurissantes, tout en étant parfaitement intégrées dans la narration.



Pourtant difficile de croire qu'une histoire cohérente et logique puisse contenir un gros plan sur les chairs déchirées de The Fury (la plaie de sortie de son enfant), une séance de tir à la Guillaume Tell avec Deadpool, ou encore MODOK et Snapper admirant un soleil couchant sur une plage, Phil Coulson descendant du gros qui tâche dans les rues de Buenos Aires avec d'autres clodos, un groupe de télépathes saisis de convulsions, etc. Dans chaque épisode plusieurs scènes marquent les esprits par leur incongruité, et pourtant leur logique.



Michael Walsh dessine l'ensemble des épisodes avec un encrage un peu désagréable. Certains traits présentent des discontinuités (par exemple sourcil en 2 morceaux), trait en théorie rectiligne, en pratique légèrement de guingois ou à l'épaisseur variable, aplats de noir fait à la va-vite (comme s'ils étaient mal coloriés), etc. Certes cela confère une impression de spontanéité, mais également une impression de manque de netteté. Une fois dépassée cette impression, le lecteur apprécie un découpage fluide, rendant bien compte des faits, des actions, et des environnements dans toute leur variété.



Le travail de Matthew Wilson est en phase avec les dessins, c’est-à-dire des couleurs posées un peu à la truelle (pas de jolis dégradés progressifs et bien lissés), mais un choix de palette assez original, faisant bien ressortir chaque séquence, l'une par rapport à l'autre. Walsh choisit avec soin chaque posture pour qu'elle soit le plus parlant possible, soit du mouvement, soit de l'état d'esprit du personnage. Le parti pris graphique ne se veut pas séduisant, mais il est d'une grande efficacité, et assez personnel. Walsh et Wilson donnent à voir le récit dans toutes ses composantes, en transmettant le côté adulte des personnages, la diversité des environnements, et les scènes d'action aussi bien que celles de dialogue.



Le dessinateur et le metteur en couleurs réalisent des planches consistantes et capables de donner une apparence plausible à tous les rebondissements. Ils montrent moins d'inventivité et d'épure que David Aja sur la série "Hawkeye" de Matt Fraction (à commencer par My life as a weapon). Par contre, Ales Kot apporte plus de substance dans son intrigue que Matt Fraction. La comparaison s'avère pertinente dans la mesure où le lecteur découvre que les 2 scénaristes ont des lectures communes, à commencer par Fictions de José Luis Borges.



De séquence en séquence, le lecteur prend conscience qu'Ales Kot vise même plus haut que la série "Hawkeye", c’est-à-dire il vise le niveau de la série "Casanova" du même Matt Fraction (voir Gula). Sans oublier son intrigue premier degré, il utilise avec habileté l'art du second degré. En particulier, le nom du vendeur d'armes Artaud Derrida évoque le philosophe Jacques Derrida (L'écriture et la différence). Dans cette optique, les pitreries de Deadpool prennent tout leur sens. Dans l'épisode 7, il indique ce qui va se passer dans l'épisode 8 (mais ses phylactères sont censurés à coup de marqueur sur les mots qu'il prononce). Ainsi Kot indique qu'il joue avec les conventions des comics, les contourne et les neutralise, par le biais de ce personnage capable de s'adresser directement au lecteur (en brisant le quatrième mur).



Le savoir-faire d'Ales Kot lui permet de jouer avec le lecteur en lui adressant un clin sur le fait que même un personnage a conscience d'être dans un comics, sans nuire au suspense de l'intrigue. Cette capacité lui permet également de continuer à mettre en scène Vladimir, une bombe dotée de conscience, ou le grotesque MODOK sans qu'ils ne soient ridicules (alors qu'ils ressemblent furieusement à des idées de comics des années 1950/1960 à destination d'un public plus jeune).



Ce deuxième tome des Secret Avengers (version 2014/2015) prouve que parfois on peut avoir le beurre et l'argent du beurre : on peut avoir une histoire palpitante de superhéros, et un récit recelant des métacommentaires intelligents sur la nature même d'un récit de superhéros, tournant en dérision une partie de ses conventions.
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Days of hate, tome 1

Ce tome est le premier d'un diptyque constituant une histoire complète indépendante de tout autre. Il contient les épisodes 1 à 6, initialement parus en 2018, écrits par Aleš Kot, dessinés et encrés par Danijel Žeželj, et mis en couleurs par Jordie Bellaire. Žeželj a réalisé les couvertures et le design des numéros a été réalisé par Tom Muller.



En 2022, dans un entrepôt désaffecté de Downtown à los Angeles, Arvid Nafisi et Amanda Parker examinent les restes d'un attentat : une soirée entre queers qui a été choisie comme cible par des néo-nazis (les crois gammées sur les murs en attestent) qui ont lancé des cocktails Molotov. Amanda est écœurée que personne n'ait exprimé sa haine d'un tel acte, alors que les réseaux sociaux ne servaient qu'à ça dans la fin des années 2010. Arvid repère même la trace incrustée dans le mur, d'une victime incinérée. Amanda a l'esprit ailleurs, en ayant vu un oiseau dans le ciel. Dans un parc non loin de New York, Huian Xing est train de faire voler un faucon entraîné. Il revient sur son bras et elle lui remet son capuchon. Deux agents des services de police arrivent à sa hauteur et lui demandent de les suivre. Le soir, à Tarzana, un quartier de Los Angeles, Arvid Nafisi arrête sa voiture devant un grand diner. Il demande à Amanda Parker si elle est sûre de vouloir continuer. Celle-ci ajuste sa perruque brune, passe un pendentif autour du cou, sort de la voiture bien décidée, et se présente à l'entrée du diner.



Amanda Parker s'arrête devant le videur qui la reconnaît et l'appelle Shelly : il la laisse rentrer. À l'intérieur, c'est une soirée privée entre amis avec des valeurs réactionnaires. L'ambiance est détendue : il y a des familles avec enfants. L'Amérique d'abord. Pendant ce temps-là, Huian Xing a été conduite dans une grande salle d'interrogatoire, très fonctionnelle : elle y est reçue par Peter Freeman, un trentenaire blanc, en costume, avec un franc sourire. Il se présente comme pourchassant les ennemis de l'état, et les envoyant à la place qui leur convient. Xing demande si cette place est un euphémisme pour les camps de travail. Freeman répond avec le sourire qu'il s'agit d'une légende urbaine, et qu'elle n'est pas japonaise mais chinoise. Il continue à expliquer qu'il fait en sorte de mettre à l'écart les éléments nuisibles de la société, tout en œuvrant pour qu'ils bénéficient des meilleures conditions possibles. Il s'étonne de la réponse de Xing, car il pensait que c'était son épouse Amanda Parker qui était radicalisée. Huian Xing le reprend : son ex-femme. À Los Angeles dans le diner, la soirée se termine : il est temps pour les femmes et les enfants de rentrer chez eux, pendant que les hommes vont discuter affaires. Amanda Parker laisse son sac sous une table et se rend aux toilettes Elle commence à en ouvrir la fenêtre pour s'éclipser, mas Robbie y pénètre à son tour pour savoir quand elle acceptera ses avances. Amanda lui fait observer qu'il est un nazi : il préfère le terme de Alt-Right. Elle l'abat d'une balle en pleine tête.



En découvrant cette collaboration entre Aleš Kot & Danijel Žeželj, le lecteur se prépare à un récit ambitieux, en espérant que le scénariste ait adopté une narration accessible. Aleš Kot est un auteur, réalisateur et producteur dans les domaines du cinéma, des comics, de la télé et des jeux vidéo. Il est l'auteur de plusieurs comics ambitieux et réussis comme The Surface (2015, 4 épisodes, avec Langdon Foss), Zero (2015/2016, 20 épisodes), Wolf (2015/2016, 9 épisodes avec Matt Tayor & Ricardo López Ortiz), Material (2016) avec Will Tempest. Il a également réalisé quelques séries pour Marvel. L'intrigue s'avère très accessible et facile à suivre, focalisée sur 4 personnages principaux : Amanda Parker et Huian Xing sont deux femmes qui ont vécu maritalement, Peter Freeman est un cadre haut placé dans la lutte contre le terrorisme, et Arvid Nafisi est le coéquipier d'Amanda Parker dans ses actions terroristes. L'action se déroule dans un futur très proche (au moment de la parution de l'histoire) : 2022 pour 2018. Il est fait référence à l'élection du cinquantième président en 2016. Le pays a poursuivi sa trajectoire dans une politique et un climat de plus en plus réactionnaire : le racisme s'exprime à haute voix, la haine de l'étranger ne se cache pas, les services de l'ordre bénéficient de plus de facilité pour arrêter qui bon leur semble, les détenir, les interroger, sans trop avoir à se préoccuper des droits civils. Amanda Parker et Arvid Nafisi forment une cellule terroriste à eux deux, commettant des attentats ciblant des activistes d'extrême droite, mais aussi de simples sympathisants, leurs familles. Huian Xing se retrouve impliquée dans la traque pilotée par Peter Freeman pour capturer Amanda Parker, parce qu'elle fut sa femme.



Le lecteur plonge direct dans l'engrenage de ce thriller politique et psychologique. La situation de départ est claire : la traque des terroristes est en place. Le lecteur découvre petit à petit les objectifs de Parker, de Nafisi, ainsi que l'histoire personnelle commune d'Amanda & Huian. Qu'est-ce qui a poussé la première à commettre des actes aussi sanglants ? Qu'est-ce qui a conduit à la rupture entre les deux femmes ? Jusqu'où ira Peter Freeman pour atteindre ses objectifs ? Y a-t-il des méthodes qui sont proscrites dans sa guerre contre le terrorisme, ou est-ce que tous les moyens sont bons ? Il apparaît très vite que Freeman est en mesure de faire subir ce qu'il souhaite à Huian Xing pour la faire collaborer. S'il ne le connaît pas, le lecteur fait vite l'expérience de l'intensité des dessins de Danijel Žeželj. Il réalise des dessins dans un registre descriptif et réaliste, en les poussant régulièrement vers la frontière de l'expressionnisme. Cela commence dès la première page avec les ombres et les traces noires dans l'entrepôt, sur les murs et sur le sol. Il ne s'agit pas de représenter les traces laissées par le feu, avec une exactitude photographique, mais de montrer comment les 2 personnages peuvent le ressentir : les grandes fenêtres avec la lumière atténuée et assombrie comme s'il restait des particules en suspension, les croix gammées à la peinture rouge avec les traces de coulure comme si elles avaient été tracées par un individu les percevant comme une évidence, peu habitué à peindre à la bombe, ces traces noires par terre comme si le revêtement de sol était imprégné de la noirceur du crime, plus encore que des corps calcinés. Cette façon de représenter les décors leur apporte une présence incroyable et ils semblent comme habités par le regard que porte le personnage qui y évolue, ou par un état d'esprit invitant à la métaphore. Vu de l'extérieur l'éclairage du Diner ressemble déjà à un flash intense, alors qu'Amanda est déjà happée par les ténèbres en périphérie. Le dessin en double page des autoroutes urbaines et de leurs échangeurs à Los Angeles de nuit devient un entrelac de noirceur, troué par la lumière des véhicules et l'éclairage urbain, comme si chaque vie humaine est isolée ou fondue dans des trajectoires, l'explosion au loin n'étant qu'une lumière de plus. La pièce d'interrogatoire prend des proportions écrasantes comme si elle n'avait plus de plafond, rabaissant d'autant la relative importance des deux êtres humains, de leur jeu psychologique.



Danijel Žeželj semble sculpter les contours de ses personnages, comme si les traits encrés étaient la marque laissée par le burin. Ce mode de représentation leur confère une forte présence dans la case, ainsi qu'un poids, comme s'ils portaient aussi un poids, une charge qui laisse une empreinte permanente sur leurs traits. Le lecteur peut y voir la conscience de l'injustice, de l'oppression, de la contrainte d'un système aliénant. Presque paradoxalement, ce mode représentation insuffle vitalité et personnalité dans chaque individu. Le lecteur voit la détermination grave d'Amanda, l'implication importante mais moins accablante d'Arvid, le recul que Huian prend sur les événements, avant de répondre. Il est fasciné par Peter Freeman : le décalage entre ses propos et ses expressions de visage. Il ressent pleinement qu'il s'agit d'un individu manipulateur, aux manières affables, mais toujours en train de contraindre par des menaces voilées. La mise en couleurs de Jordie Bellaire, fortement inspirée par Dave Stewart pour cette série, renforce la pesanteur de l'ambiance délétère. Danijel Žeželj envoute son lecteur avec une narration visuelle insidieusement vénéneuse, et par des pages à couper le souffle : la double page des échangeurs, le vol du faucon dans un ciel vide, la manière dont Huian laisse tomber son mégot au sol lors de l'interrogatoire, la discussion sur un banc entre Peter Freeman et son épouse, le nœud coulant accroché au plafond chez Huian et le regard qu'elle lui jette, la tension et l'angoisse à couper au couteau lorsque Peter Freeman est assis sur le canapé dans le salon des parents de Huian Xing… Le lecteur se rend compte que Danijel Žeželj cisèle chaque séquence en fonction de sa nature, s'adaptant aussi bien à un long monologue, qu'à des séquences sans dialogue. Il admire la clarté de la narration de l'épisode 5, chaque page comprenant 3 cases de la largeur de la page, celle du dessus consacrée à Amanda, celle du milieu à Peter, et celle du dessous à Huian, un dispositif pour montrer la simultanéité et faire ressortir des états d'esprit différents.



Le lecteur peut très bien se satisfaire de ce premier niveau de lecture : un thriller pour arrêter une terroriste. Il peut aussi prêter attention aux citations en début de chaque épisode : Steve Bannon (sur le féminisme), Stanley Milgram (la disparition du sens de la responsabilité), Kathryn Bigelow (sur le fascisme), Reinhard Heydrich (sur le rôle de la Gestapo), Nelson Mandela (sur la représentation / image d'un mouvement révolutionnaire), Jean-Pierre Melville (extraite du film L'armée des Ombres, 1969), William Shakespeare (Macbeth). Aleš Kot ne prêche pas : il laisse le lecteur libre de son degré d'investissement, de son envie de prendre du recul, de réfléchir. Dans une interview, il a indiqué que le récit est à la fois une mise en scène de la dérive populiste, et de la nature de la résistance, la représentation de cette dernière étant très influencé par le film L'armée des ombres de Jean-Pierre Melville. Sur un plan émotionnel, le lecteur garde également à l'esprit le titre de la série : il voit l'émotion qui motive les quatre personnages principaux. Il voit comment la haine peut devenir le moteur principal, avant d'autres émotions plus constructives. Avec cette idée en tête, il voit les actions engendrées par cette haine, cette peur de l'autre, ainsi que le poids que porte l'individu ainsi motivé.



Cette première moitié du récit est extraordinaire à tout point de vue : la narration visuelle envoûtante et vénéneuse, descriptive et chargée de sensation, l'intrigue à la mécanique de précision, le thème de la haine civilisée, institutionnalisée, permettant au citoyen de ne pas s'en sentir responsable d'aucune manière.
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Generation Gone

Generation Gone est un comics puissant, violent, tragique. Il est le cri de rage de la génération Millenials entre Chronicle et Misfits. La rage d'une jeunesse bafouée se reflète dans l'usage qu'ils feront de leurs supers pouvoirs. Le scénario d'Ales Kot est vif, le dessin d'André Lima Araujo plutôt spectaculaire. Un ouvrage qui ne laisse pas indifférent !
Lien : https://www.scifi-universe.c..
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Bucky Barnes - The Winter Soldier, Vol. 2

Ce tome fait suite à The man on the Wall (épisodes 1 à 5) qu'il faut avoir lu avant. Il contient les épisodes 6 à 11, initialement parus en 2015, écrits par Ales Kot, dessinés et encrés par Marco Rudy, aidé par Langdon Foss qui dessine l'épisode 7 et quelques pages de l'épisode 6, et 10 pages de l'épisode 11. Ces 11 épisodes forment une saison complète.



Sur la planète Mer-Z-Bow, la reine Ventolin Xtal emmène Daisy Johnson et Bucky Barnes (celui de 200 ans dans le futur) voir comment Bucky Barnes (Le Man on the Wall du présent) guérit, plongé dans des fluides réparateurs. Chemin faisant, la reine explique qu'elle a bien compris qu'elle doit se défendre contre Crossbones (Brock Rumlow) qui ne semble pas être celui du présent. Le Bucky du futur explique son histoire et qui est ce Crossbones.



De son côté, Crossobones prépare son action suivante, dans son vaisseau spatial dont la forme est très particulière et en dit long sur ses intentions. Avec la connaissance du futur, Bucky Barnes met en évidence pour le Bucky du présent à quel point la guerre et l'amour sont entremêlés dans son histoire personnelle. Mais où est passé Loki ?



Le lecteur découvre donc la deuxième partie de ce récit complet réalisé par un scénariste inventif et un artiste tout feu flamme (Marco Rudy). La première partie était un peu frustrante dans la mesure où la composition des pages était magnifique d'innovation et d'ambition, mais la narration pas toujours en cohérence de phase entre l'intrigue et les images, et avec de nombreux non-dits ce qui ne facilitait pas la compréhension, et obérait quelque peu le plaisir de lecture, en tout cas le diminuait d'un cran.



Fort heureusement l'épisode 6 apporte une clé de compréhension majeure : la provenance de ce Bucky Barnes plus âgé. À partir de ce moment, le lecteur reprend pied dans l'intrigue et il est en mesure d'en apprécier les différents enjeux. Lors de la réapparition de Loki, Ales Kot fait également le nécessaire éclaircir les raison de son implication, et ce qu'il a à y gagner. Le scénariste avait donc bien bâti une intrigue rigoureuse, mais la forme de la narration retenue pour la première moitié du récit la rendait un peu trop nébuleuse.



Grâce à ce retour à un niveau de compréhension satisfaisant, le lecteur comprend mieux les choix graphiques. Comme dans la première partie, le contraste entre Marco Rudy et Langdon Foss est énorme. Ce dernier dessine de manière détaillée, avec des lignes de contour assez fines, dans une approche concrète. Il s'inscrit dans un registre figuratif, avec une volonté de donner de la substance aux scènes qu'il doit illustrer. Le lecteur voit donc un monde de science-fiction à la technologie futuriste, au service de l'être humain. Foss a une petite tendance à arrondir les contours, ce qui dédramatise ce qu'il représente, en particulier les scènes de combat. Par contre, il se plie aux exigences du scénarise, que ce soit pour le nombre de cases par page (jusqu'à 16, en 4 par 4) afin de respecter le rythme souhaité pour la narration, ou que ce soit pour ce qui est représenté (par exemple une vingtaine d'images juxtaposées en page 14 de l'épisode 6 pour figurer une remontée de souvenirs dans l'esprit de Bucky).



Une page bonus en fin de tome montre d'ailleurs que Kot n'avait pas donné beaucoup d'indications à Foss sur ce qu'il devait représenter et que ce dernier a dû accomplir un véritable travail d'écriture pour aboutir à cette composition. Avec cette indication, le lecteur se rend compte que derrière l'apparence simple et détaillée des dessins de Foss, il y a un travail de conception de ce qui doit figurer dans les images dont une partie significative incombe à l'artiste.



Les pages réalisées par Marco Rudy en imposent immédiatement plus au lecteur. Dès les couvertures de chaque épisode, le lecteur peut apprécier sa volonté de réaliser une composition dépassant la dimension figurative. Ainsi sur 3 des 6 couvertures, le lecteur peut détecter le motif de la tête, simplifié pour ne conserver que 2 ronds (un pour chaque œil), et un troisième pour l'ouverture buccale. Ainsi sur la couverture de l'épisode 7, les nuages forment une vague tête de mort, rendue identifiable par la corde du cerf-volant, ces 2 composantes s'amalgamant pour représenter le masque de Crossbones (sans oublier le premier niveau de l'image, un enfant jouant au cerf-volant). Sur la couverture de l'épisode 8, ce sont 3 trous laissés par des balles sur une cible qui évoque la forme d'une tête, avec là aussi une autre image au premier degré. Les pages bonus contiennent pas moins de 16 autres sketchs en couleurs réalisés pour autant d'études préparatoires de couverture, tous des dessins différents.



Rudy emploie une technique s'apparentant à la peinture (infographique ou non, difficile à dire), souvent sans trait de contour pour délimiter les surfaces. Comme dans le premier tome, cet artiste modifie son découpage, à chaque planche. Il conçoit la structure de la narration visuelle, à l'échelle de la page ou de la double page. Il n'y a pas de cases sagement alignées sur un gaufrier, il y a soit une image centrale autour de laquelle les autres cases se rattachent selon un motif en spirale ou en branches, soit un motif géométrique de base qui impose la forme des bordures (traits, arabesques, cercles concentriques) et qui guide l'œil dans l'ordre de lecture des cases.



Le lecteur apprécie d'autant plus ces élégantes compositions qu'elles sont en phase avec l'intrigue qui est plus accessible à l'entendement. Du coup l'osmose entre ces 2 composantes narratives (composition des pages et intrigue) permet aux 2 de se compléter. L'approche conceptuelle des dessins rend la narration adulte. Marco Rudy varie le degré de figuration et d'expressionisme en fonction de la nature de chaque scène pour lui donner plus de force. Il effectue lui-même la mise en couleurs (puisqu'elle ne sert pas qu'à remplir les contours), adoptant des teintes parfois un peu claires dans des tons, jaune, rose, violet, rouge, parfois un peu surprenantes (sûrement dû à la nature différente du soleil de la planète Mer-Z-Bow).



Dans cette deuxième partie, le scénariste fat la part belle à son intrigue, plus qu'aux personnages. Il s'agit donc plus d'une sorte de thriller à suspense, que d'une étude de mœurs. Les principaux protagonistes ne sont pas interchangeables, mais leur personnalité ne s'exprime qu'au travers de leurs propos, après que les éléments indispensables à l'intrigue aient été formulés. Ales Kot a su profiter de la nouvelle position de Bucky Barnes (défenseur de la Terre contre des menaces extraterrestres insidieuses, c'est-à-dire pas des invasions en bonne et due forme) pour l'extraire de son milieu habituel (bras droit de Captain America) et profiter ainsi de l'espace de liberté.



Le scénariste utilise donc l'environnement d'une planète inconnue et habitée, ainsi que le voyage dans le passé d'un Bucky Barnes venant de 200 ans dans le futur. Il évite le schéma habituel de Cable (Nathan Summers) tous flingues dehors, pour mêler un conflit ayant atteint un nouveau niveau (ce qui justifie l'irruption dans le présent), et un trafic d'un genre assez original. Il se montre très habile en mettant en scène ses protagonistes dans des endroits variés, aussi bien sur la planète Mer-Z-Bow que dans l'espace, ou encore dans le futur. Son intrigue emprunte au genre science-fiction avec une race extraterrestre et des créatures exotiques, au genre opéra de l'espace, ou encore aux voyages dans le temps, avec un pot aux roses original, et un dénouement satisfaisant dans le cadre d'une aventure pour un héros récurrent. Il n'y a que le rôle du Grand Reznor qui laisse le lecteur perplexe, cet animal ayant été déclaré essentiel dans le premier épisode, ne servant au final pas à grand-chose.



Dès le début de cette série, ses auteurs savaient que leur temps était compté. L'omni crossover Secret Wars 2015 se profilait à l'horizon, leur laissant une dizaine d'épisodes au maximum, pour exister. Ils savaient également que leur travail serait comparé à celui d'Ed Brubaker et Steve Epting, les créateurs sur Winter Soldier. La fonction de Man on the wall permettait d'extraire le personnage de son rôle d'espion englué dans ses crimes passés (situation finalement assez proche de celle de Black Widow), pour le projeter dans l'espace.



Ales Kot a donc conçu un récit fini, indépendant de la continuité, avec une intrigue bien ficelée. Il a bénéficié des pages immédiatement envoutantes de Marco Rudy, et du travail plus discret mais tout aussi conceptuel de Langdon Foss (avec qui il a réalisé l'incroyable The Surface). Toutefois, son choix de construction narrative a déstabilisé le lecteur au point qu'il se sente perdu dans la première partie, et qu'il éprouve des difficultés à s'impliquer dans des personnages devenus un peu superficiels dans la deuxième partie. 4 étoiles. Ales Kot a réalisé une bien meilleure saison sur la série Secret Avengers, avec Michael Walsh en 3 tomes : (1) Let's have a problem, (2) The labyrinth, et (3) God level.
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Bucky Barnes - The Winter Soldier, Vol. 1: ..

Ce tome fait suite à Original Sin. Dans cette histoire, Bucky Barnes s'est vu attribuer une nouvelle position dans l'univers partagé Marvel : Man on the wall (une sentinelle clandestine chargée d'empêcher les opérations secrètes de mainmise sur la Terre, fomentées par des extraterrestres). Il contient les épisodes 1 à 5, initialement parus en 2014/2015, tous écrits par Ales Kot. Marco Rudy a dessiné, encré et mis en couleurs les épisodes 1 et 2, en entier. Il a réalisé 16 pages de l'épisode 3, 4 pages de l'épisode 4, et 16 pages de l'épisode 5. Michael Walsh a réalisé les pages 13 à 16 de l'épisode 3. Langdon Foss a réalisé les 16 autres pages de l'épisode 4, et les 4 autres de l'épisode 5.



Bucky Barnes (toujours avec son bras cyborg, toujours sous sa forme de Soldat de l'Hiver) est prisonnier sur la planète Syro, il écoute la sentence du chef, le plus grand. Grâce à l'intervention de Daisy Johnson (ex-chef du SHIELD), il réussit à se tirer d'affaires, et à retourner dans la station spatiale secrète qui a appartenu à Nick Fury.



Sur la planète Mer-Z-Bow, Ventolin Xtal a décidé de refuser de prendre la tête de son peuple, et de sortir de la forme de gouvernance en vigueur. La mission suivante de Bucky Barnes l'oblige à se rendre en Asgard, et à s'infiltrer dans la demeure de Loki.



En 2014, Ales Kot est encore un nouveau venu dans le monde des comics, mais déjà avec une écriture très personnelle (il suffit de lire sa série "Zero", à commencer par An emergency). Marvel l'a embauché pour succéder à Rick Remender sur la série "Secret Avengers " (à commencer par Let's have a problem, où il mélange action, anticipation et un humour à froid décapant. Il hérite donc également de la lourde tâche de développer le concept de Man on the wall, introduit par Jason Aaron dans "Original Sin", et de succéder à Ed Brubaker pour l'écriture du Winter Soldier. Seul Rick Remender avait réalisé une minisérie The bitter march sur ce personnage, avant que les responsables éditoriaux ne changent leur fusil d'épaule et décide de séparer Bucky Barnes de la tutelle de la série "Captain America" (alors écrite par Remender, à commencer par Castaway in dimension Z - Book 1).



Ales Kot ne perd pas de temps puisque le récit débute en plein milieu d'une mission devant un extraterrestre qui s'apprête à faire exécuter Bucky Barnes. Pourtant ce qui marque le plus le lecteur, ce n'est pas le scénario ou l'intrigue, mais bel et bien les dessins. Marco Rudy en avait déjà mis plein la vue dans une histoire de Spider-Man (Fight night) incompréhensible mais avec des pages hallucinantes, et dans une histoire de Doctor Strange (voir Avengers: Revelations) épatante et enchanteresse sur le plan visuel.



Marco Rudy réalise des planches peintes (peinture traditionnelle ou infographique ? difficile à dire avec certitude) qui en mettent plein la vue. Chaque page est découpée suivant une structure différente, très souvent dictée par la nature de la séquence. Par exemple, les bordures de cases sont composées de chaînes lorsque Bucky est entravé par des chaînes. Il peut également s'agir de décharges d'énergie qui séparent les cases les unes des autres, ou encore de la forme d'un dispositif technologique (du tableau de bord d'un vaisseau spatial), dont la forme est répétée comme séparateur.



Cet artiste se sert donc des bordures de case comme des éléments conceptuels qui deviennent significatifs, qui dépassent leur simple rôle de séparateur entre images. Il utilise également la couleur à la manière des impressionnistes avec des traits de pinceau visibles, des compositions ouvertes, des angles de vue inhabituels, et une tendance à noter les impressions fugitives, la mobilité des phénomènes astronomiques et lumineux. Cette approche picturale est très ambitieuse. Elle sied parfaitement à ce récit à base de mondes extraterrestres, dans la mesure où cette représentation ne repose pas que sur le concret. Ainsi Rudy peut focaliser l'attention du lecteur sur le ressenti de Bucky Barnes (et Daisy Johnson).



Ce mode de représentation s'attache à la perception des personnages et aux sensations afférentes, sous-entendant que les sens humains ne peuvent pas interpréter les particularités d'une civilisation trop étrangère à l'entendement humain. Sous le pinceau habile de Rudy, il ne s'agit pas d'un faux-fuyant pour ne pas avoir à concevoir ces technologies extraterrestres, mais bien d'une expérience sensorielle. Ce mode de représentation trouve sa limite dans quelques cases (une demi-douzaine) pas facile à interpréter, et un risque de fatigue chez le lecteur qui doit à chaque page faire un nouvel effort pour identifier les bordures de cases.



Par comparaison les pages réalisées par Michael Walsh, puis Langdon Foss apparaissent bien conventionnelles, avec une représentation plus classique. Néanmoins Walsh (le dessinateur des Secret Avengers d'Ales Kot) choisit un mode graphique proche de l'amateurisme, avec un découpage impeccable qui rend bien compte de la confusion des extraterrestres devant la découverte d'un vaisseau spatial inconnu. Les dessins de Foss charrient une forme de dérision sous-jacente, transcrivant l'état du personnage principal concerné par cette séquence.



La mise en images de Marco Rudy fait donc beaucoup plus que de simplement représenter l'histoire bâtie par le scénariste. Cet artiste donne à voir le côté déstabilisant des missions de l'Homme sur le Mur. Même si les extraterrestres conservent une morphologie essentiellement anthropomorphe, ils ressortent comme étrangers à l'humanité, difficilement compréhensibles ou impossibles à cerner dans leur intégralité. Grâce à cette qualité graphique, la narration dépasse déjà les clichés propres au space-opéra.



De son côté, Ales Kot accomplit beaucoup de choses en seulement 5 épisodes. Bucky Barnes accomplit 3 missions dont 2 très liées. Le scénariste expose la nature de la fonction de l'Homme sur le Mur (pour ceux qui n'ont pas lu "Original Sin"), il présente Bucky Barnes et Daisy Johnson (très succinctement) pour les lecteurs qui découvrent ces personnages. La combinaison de Kot & Rudy fait que le lecteur se sent parfois un peu perdu. Ainsi il n'identifie pas immédiatement le personnage apparaissant dans un dessin pleine page à la fin de l'épisode 1. Il lui faudra un peu de temps pour comprendre qui il est, d'où il sort, et même comment il s'insère dans le temps présent du récit.



De la même manière, un dessin montre 3 vaisseaux spatiaux se dirigeant vers la planète Mer-Z-Bow dans l'épisode 3 ; il faudra également un peu de temps pour savoir à qui ils appartiennent avec certitude. Cet effet déstabilisant est aussi bien imputable aux dessins, qu'à la construction du récit (cela devait être très agaçant lors de la parution mensuelle). Comme Jonathan Hickman et Rick Remender, Ales Kot est un scénariste qui raconte son histoire sur la base d'une structure qui demande de l'attention de la part du lecteur. Il connaît bien sa mythologie Marvel (des loups de Niffleheim, à Brock Rumlow, en passant par le destin de Nick Fury). Il établit des dilemmes moraux délicats (assassiner Ventolin Xtal, une reine, pour que la paix soit stable à l'échelle d'une galaxie).



Kot intègre quelques pointes d'humour (2 ou 3, beaucoup moins que dans Secret Avengers), avec un bonheur très relatif. Il est difficile de comprendre ce qu'apporte la gamelle que se prend Bucky Barnes sur un sol glissant. Il reste aussi à voir ce qu'apportera vraiment la présence du Grand Reznor, une petite bestiole poilue. Il intègre dans ses dialogues des métacommentaires bien placés, comme Loki s'exclamant "Tu tombes de la page", à l'adresse de Bucky Barnes qui effectivement tombe de la page que lit le lecteur. Il joue également avec le lecteur avec une ou deux phrases sibyllines, dont la plus stupéfiante est prononcée par Loki : le gant perdu est content (j'en cherche encore le sens).



Avec ce premier tome, Ales Kot et Marco Rudy permettent à Bucky Barnes de s'émanciper de la figure tutélaire de Captain America, en prenant la succession de Nick Fury. Ils proposent une narration sophistiquée, stimulante, qui peut parfois dérouter et s'avérer difficile à comprendre dans une poignée de cases.
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