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Material tome 1 sur 1

William Tempest (Illustrateur)
EAN : 9781632154743
128 pages
Image Comics (13/10/2015)
5/5   1 notes
Résumé :
The first book of the sweeping literary graphic novel series crosses from Boston to Los Angeles and from Oklahoma to Guantanamo, through the hidden, unfamiliar and forbidden spaces of the American psyche. Compared to the works of Don DeLillo, Daniel Clowes and Joan Didion, Material is the beginning of a journey into the heart of the newly born century.
Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Ce tome raconte une histoire complète et indépendante de toute autre. Il comprend les 4 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2015, écrits par Ales Kot, dessinés, encrés et mis en couleurs par Will Tempest, avec une présentation graphique désignée par Tom Muller. Il commence par une introduction de 3 pages rédigée par Spencer Ackerman, un journaliste qui recommande de bien lire les notes en bas de page, et qui évoque la mort de Tamir Rice, un afro-américain de 12 ans abattu par un policier de 26 ans à Cleveland. le tome se termine avec 4 textes, chacun paru au début d'un numéro. Fiona Duncan parle du théoricien marxiste Franco Berardi (philosophe et militant politique italien, surnommé Bifo). Jarett Kobek évoque comment la CIA en est venu à considérer que la torture est efficace comme moyen d'interrogation. Sarah Nicole Prickett évoque les frasques de Lindsay Lohan. Bijan Stephen évoque la haine raciale bien vivace aux États-Unis.

À l'institut de Technologie du Massachussetts (à Cambridge), Julius Shore est en train de donner un cours de philosophie dans un amphithéâtre. Il commence son intervention sur la notion d'Ici, sur le fait que les individus vivent dans une époque accélérée que l'hyper-capitalisme impose la consommation du temps comme premier moyen de production. L'investissement premier n'est plus le travail en lui-même, mais le temps qu'on lui consacre. L'individu passe de plus en plus de temps avec les machines et devient froid comme elles. Un étudiant exprime son désaccord : le dualisme numérique ne résout rien, les machines font partie de la nature également. L'étudiant invoque Georg Wilhelm Friedrich Hegel (1770-1831) et Arthur Schopenhauer (1788-1860), Shore répond avec Henry David Thoreau (1817-1862). L'étudiant indique que les machines seront bientôt en mesure de ressusciter Thoreau grâce aux ordinateurs quantiques et aux intelligences artificielles. le professeur reprend son exposé en pointant du doigt que l'oeil humain ne perçoit que trois pourcents du spectre électromagnétique, et qu'il n'est pas possible de se construire une vision du monde ainsi, avec une perception aussi réduite. Pendant ce temps-là, l'étudiant prend ses affaires et sort de l'amphithéâtre. Tout ce dont vous avez besoin pour faire un film, c'est d'une femme et d'un flingue, citation de Jean-Luc Godard. Nylon Dahlias est une jeune actrice, mais déjà assez âgée pour que sa valeur commence à diminuer. Elle vient de se faire un rail, quand son téléphone sonne. Son agent Reuben Wasserman lui indique que le réalisateur Sailor Rosenfield veut faire un film sur elle et qu'elle a rendez-vous dans ses bureaux.

À Chicago dans l'Illinois, une manifestation pour les droits des afro-américains se déroule dans la rue. La police est en place. Un gradé indique que les journalistes viennent de partir avec leurs caméras et que les policiers en tenue anti-émeute peuvent charger la foule. Franklin reçoit plusieurs coups. Adib fait partie des prisonniers qui ont été détenus à Guantánamo. Il a été torturé et il a subi le supplice de l'eau qu'on l'oblige à boire jusqu'à distendre son ventre. Actuellement, il est en train de bénéficier de l'attention professionnelle d'une dominatrice dans son donjon : elle lui fait également ingurgiter beaucoup de liquide. Julius discute avec sa fille par internet, lui disant qu'il se sent fini, qu'il n'avance à rien dans l'écriture de ses livres. Sa fille répond qu'elle ne veut pas le recevoir en consultation et qu'elle est enceinte. Une fois la conversation terminée, ça le fait réfléchir. Il reçoit un message de quelqu'un souhaitant être son ami, et pouvant voir l'original de la toile de Jackson Pollock dont Shore a une reproduction dans son bureau. Sailor Rosenfield et Nylon Dahlias se trouvent devant deux producteurs que Rosenfield essaye de convaincre de financer son projet de film sur Dahlias.

Dans son introduction, Spencer Ackerman prévient le lecteur que cette lecture exige un peu de temps de cerveau disponible, une réelle implication, et qu'il ne faut pas oublier de lire les notes en bas de page. Celles-ci sont finalement peu nombreuses et très courtes. Elles constituent autant de liens vers des événements réels, une sorte d'extension naturelle vers la source utilisée par Ales Kot, ou un prolongement de la thématique abordée dans la page concernée. Ayant lu l'introduction, le lecteur a bien compris qu'il faut qu'il accepte la narration comme elle vient : quatre fils directeurs suivant chacun un individu clairement identifié, à savoir le professeur Julius Shore, l'actrice Nylon Dahlias, le jeune afro-américain Franklin et l'ex-détenu de Guantánamo Adib. Chacun de ses fils narratifs s'avère très simple à suivre. le professeur fait face à une crise existentielle, son inutilité, ou en tout cas la futilité de ses actions à ses yeux. L'actrice a obtenu un rôle en or : être la muse d'un réalisateur qui souhaite faire un film tout entier dévoué à la personnalité de son actrice. Un jeune homme est en bute au harcèlement policier. Un individu brisé par la torture est incapable de retrouver une vie normale.

Will Tempest avait déjà collaboré avec Ales Kot pour l'épisode 5 de la série Zero, contenu dans Zero Volume 1: An Emergency. Il dessine dans un registre réaliste et descriptif, sans exagération des morphologies, sans dramatisation appuyée. Il détoure les contours d'un trait fin, légèrement irrégulier, ce qui donne une impression un peu spontanée, avec une forme ponctuelle d'imprécision, ou de fragilité, en fonction des séquences. Par exemple, Julius Shore semble croqué sur le vif avec une belle expressivité de son visage, et des postures très naturelles pour un intervenant en amphithéâtre. Par contre seul un des étudiants est représenté autrement que par une vague silhouette, soit en train d'écouter, soit écroulé sur sa table. le dessinateur rend bien compte du volume de l'amphithéâtre, tout en détourant légèrement les contours de la pièce, le tableau, le bureau la séquence d'après est consacrée à Nylon Dahlias et est tout aussi impressionnante de naturel. le lecteur sait qu'il reconnaîtra facilement cette dame, grâce à sa morphologie, son visage et sa coiffure. Il la regarde se faire un rail, avec un gros bruit d'aspiration. Il sourit en voyant son visage de défoncée, la bouche entrouverte avec un filet de bave, et plus loin le regard complètement dans le vague, avec un sourire idiot aux lèvres. le récit repose pour plus de la moitié sur des dialogues, et Will Tempest sait rendre les personnages vivants alors même qu'il utilise souvent un cadrage en plan taille de face. le lecteur éprouve la sensation d'être assis en face de son interlocuteur lui-même assis à bureau face à son ordinateur, assis à une table de réunion. Parfois l'artiste varie avec une alternance de gros plans le temps de 2 ou 3 cases : le naturel des personnages est confondant et donne à nouveau l'impression qu'ils s'adressent directement au lecteur.

Alors même qu'il peut avoir l'impression d'une simple succession de dialogues, le lecteur prend conscience que l'histoire apporte une forte variété de situations. Ainsi Will Tempest sait conférer de la plausibilité à des scènes banales : cours en amphithéâtre, inquiétude d'un homme face à son chien, promenade au bord d'un étang, bande de quatre jeunes en train de papoter sur un toit plat d'immeuble, couple dans le lit conjugal, courses dans un supermarché au rayon des glaces, maman en train de préparer à manger, et tout ça juste dans les deux premiers numéros. La simplicité apparente des dessins, leur douceur rendent font de ces moments des évidences naturelles, exhalent un parfum d'humanité universelle. Will Tempest sait tout aussi bien rendre compte de moments plus animés. le lecteur est saisi par un sentiment de crainte et d'étouffement lors de la manifestation, la couleur devenant sombre alourdissant l'atmosphère, augmentant son caractère sinistre et violent. La séance avec la dominatrice est tout aussi surprenante et dérangeante. le lecteur a l'impression de suffoquer avec Adib, alors que des images en alternance évoquent une gravure sur bois reprise dans un ouvrage de 1556. Dans le même temps, la narration visuelle reste très pragmatique, ordinaire, permettant de croire à la situation, impliquant le lecteur.

Le lecteur se sent gagné par la familiarité des personnages qu'il observe, en même temps que par leur singularité. Il prend plaisir à suivre le questionnement de Julius Shore peut-être contacté par une intelligence artificielle évoluée, se demandant, avec lui, s'il doit y croire ou pas. Il suit avec curiosité Nylon Dahlias dont le projet de film de Sailor Rosenfield semble être une ode à sa personne, en même temps qu'un projet incroyablement narcissique pour elle. Il suit Adib et son impossibilité à dépasser son traumatisme, ainsi que les réactions de sa femme ce qui évite que ce fil narratif ne soit trop noir, entre constat de ses problèmes et incapacité à trouver un réconfort. Il voit Franklin se heurter à un racisme profondément enraciné dans la société, un racisme systémique. Chaque histoire est intéressante prise pour elle-même, sans lien avec les trois autres. Chaque histoire apparaît comme très différente : un professeur d'une soixantaine d'années, une actrice d'une trentaine d'années, une victime traumatisée d'une trentaine d'années, un jeune homme de 16 ou 18 ans. Arrivé à la fin du tome, le lecteur constate que ces histoires sont restées indépendantes sans intersection, sans connexion. Il s'interroge alors sur une telle construction de récit. le titre lui donne un premier indice : ces quatre vies sont des sujets, par exemple des sujets d'articles. Ensuite il repense au cours de Julius Shore en introduction, à la finitude du regard de l'être humain, ce qui lui fait penser à la diversité de ces 4 existences. Enfin, il remarque que chacun des quatre personnages traverse une phase de changement, différent à chaque fois, avec une évolution différente. Enfin, il note un bref échange entre le professeur d'université et un de ses lecteurs. L'étudiant estime que les personnages de son dernier livre n'étaient pas connectés entre eux, qu'ils dérivaient juste, ce que n'est pas loin de penser le lecteur de ceux de cette histoire. Il demande s'il en sera différemment dans le prochain, si Shore a fit plus d'effort. Ce dernier répond que les attentes de son interlocuteur n'ont pas de sens pour lui, et qu'il doit accepter le mystère. Cela semble être Alex Kot s'adressant directement à son propre lecteur, lui donnant la clé de son intention.

Ce tome constitue une expérience de lecture très différente : quatre tranches de vie différentes rassemblées en feuilleton dans un unique ouvrage. Les dessins de Will Tempest ne sont pas très impressionnants en surface mais ils créent une proximité des personnages incroyable, sans être voyeuriste ou malsaine. Chaque personnage devient un être vivant pour le lecteur qui se retrouve impliqué dans la vie d'un professeur d'université âgé, d'une actrice en perte de vitesse, d'un individu torturé à tort à Guantánamo et d'un jeune homme afro-américain. Au-delà de leurs interrogations, les auteurs donnent à voir la diversité de l'expérience humaine.
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