Khao San Road se réveillait tôt. A cinq heures, des klaxons assourdis commencèrent à se faire entendre dans la rue ; c'était la version, propre à Bangkok, du concert matinal des oiseaux.
Le plus marrant, c'est que je me souviens pas vraiment de quoi nous avons parlé. Peut-être parce qu'on a parlé de tout, peut-être parce qu'on a parlé de rien.
J'aurais eu besoin de hurler très fort. Pas un cri salvateur, plutôt le genre de cri qu'on fait quand on court comme un fou pour attraper un bus et qu'on se cogne à toute force le genou contre un bloc de béton. Un cri volontaire, fait exprès, fait sur mesure, aussi fort que possible. Ce n'est pas un cri de douleur parce qu'on ne ressent aucune douleur en cet instant. C'est le hurlement du cerveau en surcharge qui refuse de reconnaître ce qui vient juste d'arriver et ne veut même pas essayer.
Je me suis réveillé aux premières lueurs de l'aube. Le soleil était encore au-dessous de l'horizon et la plage était éclairée d'une étrange lumière bleue, sombre et brillante en même temps. C'était très beau et calme. Même les vagues semblaient, en se brisant, faire moins de bruit qu'à l'ordinaire.
Lors de ce voyage, j'ai appris quelque chose de très important. Voyager, comme évasion, ça marche. Dès le moment où je montai dans l'avion, ma vie en Angleterre perdit toute signification. Les signaux de bouclage de ceinture s'allumèrent, les problèmes s'évanouirent. Les problèmes d'accoudoirs devinrent soudain plus importants que les problèmes de coeurs. Quand, enfin, l'avis décolla, j'avais oublié jusqu'à l'existence de l'Angleterre.