On pleure sur moi ; dans un instant, on va me mettre au cercueil ; dans deux jours on m’ensevelira ; mon corps, qui, tant d’années, m’a obéi, n’est plus mien ; sûrement je suis mort ; et cependant je continue à voir, à entendre, à comprendre. La vie persiste peut-être quelque temps dans le cerveau ; mais, en somme, le cerveau lui aussi, fait partie du corps. Ce corps est un logement que j’ai habité bien des années et que j’ai enfin résolu de quitter : portes et fenêtres sont larges ouvertes, tous les meubles ont déjà été emportés, tous ses hôtes l’ont quitté, sauf le maître qui, au moment de sortir, s’arrête et jette un dernier regard sur les chambres où bruissait sa vie et dont le vide et le silence maintenant l’étonnent.
Mon frère sortit : ma femme s'approcha de moi, s'assit sur une chaise près du lit, et me regarda longtemps d'un regard suppliant, interrogateur. Dans ce regard, je lus beaucoup plus d'amour et de douleur que dans ses lamentations. Elle se rappelait toute notre vie commune qu'avaient traversée tant d'orages.
dans toute manifestation extérieure de douleur, il y a presque toujours une certaine dose d’effet théâtral : l’homme même le plus sincèrement attristé ne peut oublier que les autres le regardent
L’homme ne sait rien des choses essentielles : il ignore pourquoi il naît, pourquoi il vit, pourquoi il meurt ; il oublie ses existences passées et ne pressent pas les futures. Et veut-il sortir des ténèbres, s’efforcer de comprendre, essayer d’améliorer son existence, ses efforts sont vains, ses inventions, même géniales, ne résolvent pas une seule des questions qui le troublent.
On ne peut admettre que la vie soit faite pour la seule souffrance ; elle doit avoir quelque autre but ; mais le connaîtrai-je jamais ?
Si la matière est immortelle, pourquoi faudrait-il que la conscience se dissipât sans traces, et, si elle disparaît, d’où venait-elle et quel est le but de cette apparition éphémère ? Il y avait là des contradictions que je ne pouvais admettre.
Le grand problème qui m’avait tourmenté toute ma vie était résolu : la mort n’existe pas, la vie est infinie.
Ma femme était sans doute très attristée de ma mort ; mais, dans toute manifestation extérieure de douleur, il y a presque toujours une certaine dose d’effet théâtral : l’homme même le plus sincèrement attristé ne peut oublier que les autres le regardent.
Le pressentiment a son rôle dans la vie de chacun de nous, et il ne déçoit pas. Le poète parle avec une admirable justesse quand il dit : « Les événements futurs jettent une ombre devant eux. »
On pleure sur moi ; dans un instant, on va me mettre au cercueil ; dans deux jours on m’ensevelira ; mon corps, qui, tant d’années, m’a obéi, n’est plus mien ; sûrement je suis mort ; et cependant je continue à voir, à entendre, à comprendre. La vie persiste peut-être quelque temps dans le cerveau ; mais, en somme, le cerveau lui aussi, fait partie du corps. Ce corps est un logement que j’ai habité bien des années et que j’ai enfin résolu de quitter : portes et fenêtres sont larges ouvertes, tous les meubles ont déjà été emportés, tous ses hôtes l’ont quitté, sauf le maître qui, au moment de sortir, s’arrête et jette un dernier regard sur les chambres où bruissait sa vie et dont le vide et le silence maintenant l’étonnent.