Les plus "âgés" [des lauréats], si l'on ose dire, ont vingt-six ans : Baptiste Gourden vit à Paris, il habite rue des Goncourt (un signe ?), et Johan Boeckmans est résident Belge - il aime Albert Camus et Tolkien. Sa nouvelle "Une pièce pour le passeur" n'aurait pas déplu à Kafka - elle tout simplement hilarante et géniale d'inventivité et d'absurdité : on vit dans un monde où l'on connaît d'avance sa date de décès, sauf que le narrateur est victime d'un bug informatique qui avance le jour de sa mort ... (Préface de M.Aïssaoui).
La petite Nadiejda s'était rendormie. Ksusha les a regardées sen aller dans le couloir désert. Alors, elle a senti la paume de sa main s'ouvrir, accueillir la douceur, la chaleur, le chez-soi si bien connus, tellement nécessaires, abrités dans l'arrondi de la hanche de Lounia, dans la courbe ascendante de son flanc, et sa main a caressé cette résurgence puissante, précieuse, elle a retrouvé le trésor patiemment protégé du meilleur endroit du monde, et c'est ici qu'elle a su que sa décision avait été prise...
Le premier prix a été décerné à Anna-Livia Marchionni pour sa nouvelle "Le Domaine des oiseaux - Comme on dit l'avant-jour". Cette histoire d'un vieil homme attendant chaque jour son fils handicapé qui s'échappe régulièrement du foyer où il est soigné est d'une bouleversante poésie. Certains passages sont touchés par la grâce. Comme Del Amo, Astier, Darrieusecq, il y a fort à parier que l'on devrait entendre parler de cette jeune femme dans les années à venir. (Préface de M.Aïssaoui).
Les questions (certes larges) que je me suis posées au départ sur l'autisme ont finalement débouché sur des questions sur la société, et plus précisément sur le monde moderne. Si l'autisme peut être qualifié, de l'extérieur, de catégorie sociale et politique, c'est en miroir à une controverse politique sur la société et la modernité que nous avons affaire lorsque les personnes autistes prennent la parole.
A l'aune des témoignages que j'ai recueillis, nous verrons alors comment, finalement, cette parole concerne davantage la société que l'autisme, et remet en question les concepts culturellement ancrés dans le dualisme de nos sociétés occidentales de la norme, du pathologique et du handicap, de la nature et des animaux, entraînant marginalisation des variations humaines et exploitation de la planète. Ce que cette parole apporte, c'est un autre point de vue sur la société et sur la manière de catégoriser les êtres. Elle pose des questions politiques dans la mesure où elle exprime une demande de changement dans la prise en charge et le statut social des individus porteurs de différences ; politiques aussi dans la mesure où cette parole, en déstabilisant les normes validistes et la logique spéciste qu'elle entraîne, remet en question l'économie capitaliste des sociétés occidentales tenues pour responsables de la destruction de la planète, amenant à la question bien plus large d'une possible transition ontologique en cours dans nos sociétés pour faire face à la crise écologique.
Rencontrer des personnes autistes, recueillir leurs paroles, s'intéresser à leur version de l'histoire, amène à défaire les catégories, à déconstruire les évidences culturelles, perceptives, sociales et relationnelles instaurées par notre monde moderne.
Parmi les douze lauréats 2016, la plus jeune a seize ans - Elise Leroy, qui vient de Vendée, a écrit "L'Homme étranger". C'est la nouvelle la plus longue, quinze pages, d'une étonnante maturité et d'une tenue de récit extrêmement rare. Elle narre, avec maestria et non sans tension dramatique, l'histoire d'un inconnu, un pianiste qui surgit lors d'un bal populaire. (Préface de M.Aïssaoui)
Tu vois, eux, ils ne se sont jamais demandé s'ils étaient capables d'élever des enfants ; ils n'ont jamais pensé à aller réclamer une dérogation a des psychologues ; il ne leur est jamais venu à l'esprit qu'ils privaient leurs enfants d'une vie heureuse. Et il ne viendrait jamais à l'idée de personne de les empêcher de se reproduire. Eux, ils sont plus acceptables que nous.