Lecture sérieuse, ultra sérieuse avec Annette Becker, historienne française, dont la première spécialité, si j'ose dire, est la Première Guerre Mondiale.
Point question ici d'avoir une vision globale de l'ensemble des génocides de l'Histoire, dont certains attendent encore et attendront encore longtemps la qualification de "génocide", et d'établir une synthèse des conséquences sur nos sociétés, nos politiques ou morales. Et si le génocide arménien perpétré par les turques (1915-1916) ou les massacres Tutsi au Rwanda (1994) sont évoqués dans ce livre, c'est bien le génocide juif pendant la Seconde Guerre Mondiale dont il est question, autour de deux parcours individuels, celui de Jan Karski et celui de Raphael Lemkin.
"De nouveaux concepts nécessitent de nouveaux mots." Raphaël Lemkin.
C'est à lui que l'on doit l'apparition de ce mot: génocide. Il en défendra l'existence et la définition toute sa vie en l'imposant dans des textes de Loi, devant la Société des Nations ou l'ONU.
C'est un juriste juif d'origine polonaise, aux solides connaissances philosophiques, qui s'intéresse très tôt au droit international humanitaire et notamment à l'instauration d'un droit pénal international.
Sensibilisé aux massacres arméniens, il entrevoit ce qui se profile à l'horizon de l'Europe, essaye en vain d'alerter qui de droit pour être finalement touché dans sa chair quand son propre peuple sera à son tour victime.
Il est contraint à l'exil aux États-Unis en 1941. Il ne cessera jamais de se battre pour la prévention et la répression du crime de génocide et pour ce juriste, le génocide incluait tout autant la liquidation physique que la destruction de la culture.
Si Lemkin est une figure intellectuelle, Karski, lui, est un homme de terrain. Catholique polonais, il entre très vite dans la résistance polonaise et va établir des rapports sur la situation de son pays pour le compte du gouvernement en exil.
Son intérêt pour la condition juive n'est "qu'accessoire" de prime abord mais c'est ce manque d'intérêt personnel qui donnera du poids à son témoignage grâce à l'objectivité dont il fait preuve en décrivant la situation très différente des juifs sous domination soviétique, sous le Gouvernement général polonais et sous le joug nazi. Il sera même témoin oculaire de ce qui se passe au sein du ghetto de Varsovie.
Mais comme Lemkin, il traînera une amertume certaine devant son échec à convaincre ses interlocuteurs du drame qui se joue en Pologne et dans l'Europe entière. Il ne sera pas entendu, au mieux sera-t-il ignoré.
Si le terme "génocide" est un mot du XXème siècle, il n'est pas l'apanage exclusif de ce siècle. Les massacres de masse ont existé depuis la nuit des temps et ce n'est pas les batailles entre juristes, historiens et anthropologues, sans oublier les négationnistes de tout poil, qui en ôteront l'essence atroce de ce qu'ils représentent. L'anéantissement total d'une ethnie, qu'il soit le fruit d'une puissance étatique ou pas, est un crime odieux et intolérable et mérite totalement la qualification de "crime contre l'Humanité".
Ce livre est très bien documenté, synthétise les renseignements qui ont été portés à la connaissance des masses populaires et surtout des dirigeants de ce monde, rapporte les efforts effectués pour une prise de conscience des atrocités perpétrées sur les juifs, et ici, plus précisément les juifs de Pologne. Incrédulité, déni, calcul, la position des adversaires des nazis reste incompréhensible à ces hommes de bonne volonté... et à nos yeux également!
Ce livre est écrit par une historienne donc pour la transmission d'un savoir académique, même si des considérations humaines, sociologiques et philosophiques sont abordées aux travers des "cicatrices psychologiques" des victimes et des descendants de ces victimes, et d'un héritage générationnel du traumatisme.
Par conséquent, c'est une lecture qui demande attention et concentration devant un foisonnement de citations d'événements (parfois sans rappel de dates) ou de personnages (parfois sans spécification de qualité).
Les deux personnages évoqués ici sont d'origine polonaise et par conséquent, l'ensemble du récit est ciblé exclusivement sur les juifs de Pologne mais c'est un livre historique très édifiant et intéressant sur ces messagers de l'horreur qui se sont heurtés avant, pendant et même après la Seconde Guerre Mondiale à une certaine "conspiration du silence". C'est à réserver aux passionnés d'Histoire!
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