Passionnant bien qu aride...une réflexion sur la violence bsolue de cette guerre,le retournement des consciences qu elle a induit,son caractère de croisade...et enfin le deuil introuvable
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Précisément, l'idée d'une différence irréductible entre les odeurs corporelles des Français et des Allemands — sensible jusque sur les cadavres comme l'attestent parfois certains soldats eux-mêmes — est une des idées qui, au front comme à l'arrière, ont effectivement parcouru la société française. Son expression la plus achevée se trouve à notre connaissance dans les œuvres du Dr Bérillon qui en 1915, publia un opuscule sur la /Bromidrose fétide de la race allemande/, ouvrage qui fut présenté lors d'une des séances de l'Académie de médecine. L'auteur y défendait l'idée que la malignité fondamentale de l'adversaire expliquait chez ce dernier des pratiques de défécation anormalement abondantes, associées à l’exhalaison d'odeurs corporelles, via la sudation, dont l'économie d'ensemble était comparable à celle du putois. L'auteur en concluait que « l'Allemand, qui n'a pas développé le contrôle de ses impulsions instinctives, n'a pas cultivé davantage la maîtrise de ses réactions vasomotrices. Par là, il se rapprocherait de certaines espèces animales chez lesquelles la peur ou la colère ont pour effet de provoquer l'activité exagérée de glandes à sécrétion malodorantes ». À quoi le médecin ajoutait : « La principale particularité organique de l'Allemand actuel c'est qu'impuissant à amener par sa fonction rénale surmenée l'élimination des éléments uriques, il y ajoute la sudation plantaire. Cette conception peut s'exprimer en disant que l'Allemand urine par les pieds ».
Au plus profond, on l'a dit, la culture de guerre de 1914-1918 a ainsi nourri une véritable pulsion « exterminatrice ». On en trouve partout des traces indiscutables, mais elle n'est jamais aussi troublante que lorsqu'elle est exprimée par ceux, tel l'évêque de Londres en 1915, dont on attendrait que le message soit à l'exact opposé :
D'abord nous avons vu la Belgique poignardée dans le dos et ravagée, puis la Pologne, puis la Serbie, puis la nation arménienne liquidée (cinq cent mille Arméniens, selon une estimation modérée, ont été tués). Par voie de conséquence, pour sauver la liberté du monde, et la /Liberté/ en tant que telle, pour sauver l'honneur des femmes et l'innocence des enfants, pour sauver ce qu'il y a de plus noble en Europe, tous ceux qui vénèrent la liberté et l'honneur, tous ceux qui mettent les principes avant le bien-être, et la Vie elle-même au-dessus de la simple vie quotidienne, sont réunis dans une grande croisade, nous ne pouvons le nier, pour tuer les Allemands. Pour les tuer non pour le plaisir de les tuer, mais pour sauver le monde. Pour tuer les bons comme les mauvais, les jeunes comme les vieux. Pour tuer ceux qui ont montré de la gentillesse pour nos blessés comme ces monstres démoniaques qui ont crucifié un sergent canadien, qui ont coulé le /Lusitania/, et qui ont tourné les mitrailleuses sur les civils d'Aerschott et Louvain. Bref, les tuer de peur que la civilisation entière ne soit elle-même assassinée.
Comment de telles vérités ont-elles pu s'imposer chez des savants qui, justement, admiraient la culture allemande au point de la jalouser si peu de temps auparavant ? Comment n'ont-ils pas été envahis par les doutes et le sentiment de la contradiction ? La certitude de la supériorité de la « race » a balayé tout scrupule et autorisé le manichéisme. Il y avait désormais l'Allemand et les autres, le barbare et les civilisés.
Les conditions si particulières du combat ont en effet multiplié, dans tous les camps, le nombre des disparus et le chiffre de ceux dont les corps n'étaient pas identifiables : les uns et les autres représentent, dans le cas français, près d'un cadavre sur deux.
On estime ainsi qu'un tiers des vingt mille morts de la Somme, le 1er juillet 1916, eussent pu être sauvés si les pratiques d’assistance aux blessées encore en usage un demi-siècle plus tôt avaient été mises en œuvres.
Thomas de la librairie le Divan partage ses lectures : "Ne passez surtout pas à côté de cet ouvrage, tout aussi important et éclairant que nécessaire."
Notre mot sur , 1994 : , écrit sous la direction de Stéphane Audoin-Rouzeau, Annette Becker, Samuel Kuhn, Jean-Philippe Schreiber et publié aux éditions Gallimard : https://www.librairie-ledivan.com/livre/9782073056764
Tous nos conseils de lecture : https://www.librairie-ledivan.com/