En me renseignant pour un travail consacré au vieux George Bush (celui des années 90, qui a gagné la guerre du Golfe, lui), j'étais arrivé au constat (en très abrégé) que ce Bush-là avait manqué sa réélection en grosse partie à cause de la mauvaise santé économique du pays. C'est-à-dire que les électeurs n'ont pas tenu compte du succès des troupes américaines en Irak (au début des années 90 donc, il y a si longtemps) et de l'effondrement total du bloc communiste sous le mandat de Bush quand ils ont élu Clinton à sa place en 1992. Ils se sont focalisés sur autre chose : le chômage, l'économie. C'est intéressant, en matière politique, de s'intéresser non seulement à « pour qui » les gens votent, mais aussi « sur quoi ». L'économie ou les affaires extérieures ? Les belges : pour ou contre la scission de BHV ou pour ou contre telle ou telle mesure économique ? Le résultat final peut s'avérer très différent, un parti, ou un candidat, pouvant se montrer bien plus convaincant sur un sujet que sur un autre, par conséquent il tentera par tous les moyens d'orienter le débat vers le domaine dans lequel il excelle.
Les Chroniques de la guerre du sexe en Amérique se focalisent sur un facteur explicatif jugé décisif de la réélection de Bush en 2004 : le sexe, les affaires de viol, le sein de Janet Jackson dévoilé en plein Superbowl, le procès ultra-médiatique de son frère (avant qu'il ne redevienne un héros), le mariage gay, ou encore l'avortement. Les morts en Irak ? Quels morts en Irak ? A l'époque, la télé américaine n'en parle pas, ou peu. Pourquoi Bush s'en ferait pour l'opinion des américains sur la guerre en Irak alors que les grands médias sont focalisés sur de joyeuses embrassades gay à San Francisco ?
Pour en revenir au livre, je dirais tout d'abord qu'il est drôle. Il est également engagé : ce n'est rien de dire qu'il serait loin de faire l'unanimité aux Etats-Unis, les conservateurs en prennent en effet pour leur grade et sont quasi systématiquement raillés (ce qui n'est pas très subtil, mais a au moins le mérite de faire rire). De plus, il est intéressant, ne serait-ce que parce qu'il se focalise sur un domaine pas si souvent abordé et montre de manière assez claire l'importance prise par les « valeurs morales » dans l'opinion publique américaine (sans commune mesure avec leur poids en Europe) et comment ce sujet peut être instrumentalisé par un parti ou un autre, et ce à des fins purement électorales.
Enfin, ce livre a aussi le grand avantage de pouvoir prêter à débat : les sujets tels que l'avortement et le mariage homosexuel ne sont pas l'apanage des Etats-Unis et font l'actualité en Europe aussi. Si ces Chroniques se situent clairement du côté libéral sur le plan éthique, elles veulent avant tout montrer comment le sexe a pris une importance telle dans l'Amérique de Bush en 2004 qu'il a complètement occulté tout le reste. Libre à chacun maintenant de décider s'il est légitime de considérer les questions éthiques et sexuelles comme plus ou moins dignes d'intérêt que l'économie ou la guerre. Finalement, le plus délectable dans ces Chroniques reste comment Annette Lévy-Willard prend un malin plaisir à afficher le paradoxe de chrétiens conservateurs complètement obsédés par les questions sexuelles.
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