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Citations de Annick Le Scoëzec Masson (45)


Aboiements furieux au point du jour : / j’ai fait pendre un esclave.
J’avais surpris / les reflets d’un embrasement
sur la cheville nue / de Chântra.
Il n’a rien dit, / signant ainsi son crime.
Chântra a jeté, entre elle et moi,
le long pan de son voile ;
avec la fixité d’une statue,
elle a raidi son corps, l’a tendu
comme un arc.
Je me suis précipité, face contre terre,
j’ai embrassé ses genoux,
le regard perdu, ma langue avide sur ses
pieds.
Elle n’a rien dit.
J’ai fermé la porte de sa chambre, / donné la clef
à la vieille édentée / qui en garde le seuil
couchée de tout son corps.
Je suis parti sept jours dans la montagne.
Veillant dans un abri de chasseur,
je voyais l’aurore / enflammer le vallon,
le soleil se pendre dans les arbres,
descendre l’essaim des ombres,
les étoiles fuser.
Des chiens hurlaient au point du jour :
j’avais fait pendre un esclave / et Chântra...
J’ai fumé trois jours encore / et trois nuits dans ma tanière.
Je ne voyais plus rien, / la noire Kâlî s’enroulait dans les flammes,
excitant les grelots de ses chevilles.
Au petit matin elle se dissipait / dans le brouillard vert
d’un lointain Udaipur.
J’ai fumé encore / et j’ai cru deviner, dans la vallée,
la luxuriance d’une battue :
brocarts et satins, / pashmînâ d’Amritsar,
tarpans de soie / sur l’herbe éclatante
et la bave des chiens.
J’ai senti la fourrure sous mes doigts,
l’odeur aigre du fauve, / son sang coagulé.
Je me suis déguisé, me suis coulé
en feulant dans les fourrés.
La Noire a crevé mon sommeil
de son masque hideux et sanglant.
Toute la nuit j’ai senti / la mort labourer mes veines.
La gueule en feu, habité d’un tonnerre / à faire rugir les montagnes,
je me suis désaltéré / à une flaque de boue
dans les relents de vieux cuir d’un / troupeau d’éléphants.
Haletant, je me suis affaissé, / j’ai laissé passer dans mes yeux
un vol de babouins qui ne reviennent / jamais.
Repu de nuit, la sueur glaçait mon front.
Maintenant,
une femme est à mes côtés,
pieds maquillés de henné.
Elle m’enveloppe de sa voix berçante,
me cajole
de ses mélodies.
Elle a défait ses cheveux, me dit que,
si je veux, elle est prête :
que le bûcher soit allumé.
Mais voilà qu’elle hurle que je suis fou;
dans l’orage de mes rugissements,
je ne l’écoute pas.
Pourquoi vouloir retenir mon âme ?
La Noire seule le sait, / mais qu’y puis-je ?
Je ne m’habite plus,
cette maison n’est plus la mienne.
("Le tigre" p.68).
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La République triomphante, c’était selon l’allégorie d’un affichiste en vue chez ces Messieurs de la Chambre, une femme blonde vêtue de gaze, portant dans ses bras écartés des palmes et des couronnes de laurier en or. Elle était dressée sur un socle au pied duquel se trouvaient des représentants féminins de l’Empire, venus des lointaines colonies de la Cochinchine et du Tonkin, l’une assise, l’autre penchée, munie d’un éventail au bout d’un manche qu’elle tenait à l’épaule. En contre-plongée de cette apothéose, la Seine et ses ponts, puis au loin la tour Eiffel et, esquissés, les fameux pavillons qui s’échelonnaient jusqu’aux confins. Ce qui se détachait de cette perspective, c’était la Porte monumentale de l’Exposition, à la structure élancée et surchargée de fresques et de sculptures comme si on avait voulu prendre pour référence un palais des Mille et Une Nuits. Pour ces travaux d’Egypte, on avait d’ailleurs fait venir plus de quatre mille ouvriers, dont certains Russes originaires d’Irkoutsk, près du lac Baïkal, mais aussi autant de manœuvres de cet Extrême-Orient reculé qui faisait rêver les opiomanes. C’étaient des Laotiens et des Annamites que les Parisiens voyaient déambuler les jours d’intempérie comme autant de “chinois” dans les rues de la capitale, donnant ainsi un avant-goût exotique du spectacle promis. On avait dit beaucoup de bien de la Porte de la Manufacture de Sèvres, un monument de céramique émaillée, mais aussi du Pavillon du Creusot et, au-delà de l’avenue de Suffren, on racontait que se bâtissaient les non moins curieux Pavillons de la Chasse, de la Pêche et des Forêts, offrant ainsi au regard l’étalage le plus divers de ces techniques millénaires, ce qui n’aurait pas déplu au regretté Ferdinand, amateur de nature, de botanique et de cette science nouvelle de la vie qu’on appelle, je crois, l’écologie. Mais le plus extraordinaire, - on était dans une telle surenchère que rien, d’ailleurs, ne pouvait plus étonner -, c’était une grande roue qu'on allait placer à l’angle de la Motte-Picquet. Enfin, comment les masses ne seraient-elles pas éblouies à la vue de l’allure que prendraient le Palais de la Fée Electricité et sa colossale fontaine lumineuse, qui répandrait des flots multicolores sur les faces médusées, d’une manière plus époustouflante que ses devancières, ignorantes de cet artifice révolutionnaire ou, encore, comme dans une machine à remonter le temps, le “Vieux Paris” qui se proposait de reconstituer sur les bords de la Seine, les quartiers populaires de la capitale au Moyen Age, avec leurs échoppes, leurs tavernes, le dédale de leurs coupe-gorges ? Est-ce que 1900, se dit la Duchesse, ne s’ouvrira pas, au bout du compte, comme un rideau de théâtre sur un décor tragique ? Est-ce que ce ne sera pas une nouvelle galerie des glaces déformantes, un énième cabinet des curiosités ? Voyagera-t-on vraiment dans une illusion féérique tel Gulliver dans un univers rapetissé, où tout serait à portée de la main, ou n’assistera-t-on pas, plutôt, à un dangereux simulacre de puissance ?
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- Tu te trompes sur mon compte, à propos de Joseph.

La voix de Béatrice, subissant une inhabituelle loi de la gravité, allait s’échouer sur les pavés ; elle y glissait, s’immobilisait dans une anfractuosité avant de s’infiltrer comme une eau de pluie. Rues du vieux Rochefort. L’arc de triomphe qui donnait sur l’ancien Arsenal. Au couchant, placé dans un certain axe de l’artère tracée en face, on pouvait voir l’astre se cadrer dans la porte. C’était une affaire de géométrie, de galaxies et de calculs mis au point par les astronomes et les architectes d’un grand Louis. L’orgueil des Rochefortais, l’objet de leurs récits les plus admiratifs, l’évocation d’une réalité qui, pour eux, ne devait plus rien à l’histoire. Béatrice connaissait le prodige. Elle l’avait vu avant même que d’apprendre à marcher. Un phénomène extraordinaire qu’elle ne manquait jamais de lui rappeler lorsqu’elles abandonnaient les allées verdoyantes du jardin de la Marine. La rue de l’Arsenal offrait, droit devant, l’emblème de la monarchie française sous son angle le plus symbolique. Depuis plus de deux siècles, les jours d’équinoxe, elle regardait décliner le soleil.

- Toi, bien sûr, tu te promènes toujours dans des choses idéales.

Elle l’écoutait rue Bégon, toujours pleine de relents d’après-guerre, avec les murs craquelés de ses immeubles vétustes. Dans ce quartier de l’ancien port, théâtre de ses toutes premières phrases, la tristesse s’était brutalement abattue. Cela se voyait encore sur quelques photos écornées, entassées dans la boîte à chaussures où elles avaient subsisté malgré plusieurs déménagements, et qui ravivaient le souvenir de mornes promenades dominicales, les mois d’hiver, le long du bassin encombré par les carcasses de navires envasés, les déchets d’une navigation devenue incertaine, un lointain rappel du temps des colonies, du commerce des bois d’Afrique. Un décor exténué de fin d’empire où le sourire obligé d’une fillette en chaussettes de laine, aussi haute que les fourrés de roseaux d’une nature qui reprenait ses droits, ne parvenait pas à annuler l’impression d’un récent drame obscur.

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«D’abord, elle avait tourné autour de la table avec de petits cris. Ses bras avaient esquissé les mouvements d’une danse gênée et un peu ivre. Elle s’était mordu la joue : « Quelle folie ! Vous allez encore me faire rire ! Vous vous êtes surpassé, ce soir ! Mais, aujourd’hui, pourquoi ? Vous savez en outre que, dernièrement, je mange si peu ! » « Et comment le saurais-je, il y a une éternité ! » Puis elle s’était enfin assise, avait commencé à picorer. « Ne faites pas de manières ! Il y a si longtemps !» La lumière des chandelles ravivait son teint. Des ombres bougeaient autour d’elle et sa robe, encore légère et comme libérée de tout ce qui pouvait sangler, lacer et comprimer, interdire au toucher les formes souples du corps, laissait bailler une manche le long de son bras. « J’ai tant de choses à vous dire ! avait-il murmuré. Ce soir, c’est moi qui dois vous parler ! Vraiment, une éternité ! » « Trois semaines à peine, mon ami, peut-être un mois ! » « La dernière fois que votre femme de chambre est passée me faire savoir, comme à l’habitude... » Lui annoncer que Madame serait au Bois à moins que, avait-elle ajouté, ce ne fût le jour où elle s’était rendue à Versailles. Oui, il savait qu’elle aimait son parc. Comment l’aurait-il ignoré ? Elle aimait son parc, avait-elle tenu à lui rappeler. Trianon, de plus en plus enchanteur, vous ne trouvez pas, et la saison, ces splendides soirs d’automne, la joie dont ils vous emplissaient le cœur sans jamais y instiller leur arrière-goût de mort ou, du moins, si cela venait à se produire, c’était plutôt comme une impérieuse envie que la mort vînt, foudroyante, d’une jouissance inconnue, phénoménale… Oui, peut-être Versailles, la dernière fois. Le marquis y avait une vieille amie. S’éloigner de temps à autre de l’infernal tourbillon. Mais n’était-ce pas plutôt à l’Opéra ? On jouait l’Orfeo de Monteverdi, n’est-ce pas ? L’avait-il rejointe dans sa loge ? Il faisait chaud encore, se souvenait-il. C’était à la fin de l’été, un bouillon ! Il n’avait pu rester jusqu’au bout, à moins qu’elle n’eût finalement, comme cela lui arrivait souvent, changé d’avis. Non, plutôt lui, avait-elle corrigé, qui avait décliné. Voilà pourquoi ils ne parvenaient plus à se souvenir du dernier rendez-vous. Ne disait-il pas souffrir tout récemment de petites indigestions ? Elle s’inquiétait de son état. »
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- Pour des gens comme moi, avait-il repris avec une grimace, toute déchéance dans une société déchue est bonne à priori. Mais, pour un barbare tel que vous...
Un flux de sang lui était monté aux joues, suivi d’un accès de toux qui avait couvert l’agitation pendant quelques secondes. Puis, se reprenant :
- Moi, je vous voyais plutôt dans un environnement qui permettrait à vos sens… de se régénérer. Que diriez-vous d’une escapade en forêt ?
C’est alors qu’il lui avait parlé du Harvouët, la propriété familiale en lisière de Brocéliande. Le printemps approchait. Les jours s’annonçaient plus cléments. C’était là-bas la saison des camélias. Le lilas, aussi, s’apprêtait à refleurir. « Le paysage, Marvillèse ! Vous n’y avez jamais pensé ? La futaie de Paimpont ou la lande, les tourbières et les ajoncs de l’intérieur, le tapis mauve des bruyères, c’est comme vous voudrez et, pour ne pas perdre la main, je vous offre un cadeau en prime, l’occasion d’un bien touchant portrait. Ma jeune sœur va sur ses dix-huit ans. Une femme, déjà ! »
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