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Citations de Anthony Passeron (182)


Nos familles, elles ont morflé, c’est sûr. Tes grands-parents, c’était comme mes parents. Ils s’étaient cassé le dos toute leur vie pour que leurs gosses manquent de rien, et d’un coup, ils étaient dépassés. Ils ont pris tout ça dans la gueule. Sûr que ça a pas dû être facile pour eux, comme pour ton père. Il a fallu s’occuper de Désiré, de Brigitte, et puis de la petite, la pauvre, elle non plus elle avait rien demandé.
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Pour déchirer le mutisme dans lequel nous avions sombré, j'interrogeais mon père sur la fonction d'un voyant sur le tableau de bord ou sur le nom d'un village qui scintillait au loin. Ses phrases s'allongeaient au fur et à mesure des questions. Il nous expliquait le fonctionnement d'une voiture et finissait par raconter ses souvenirs de jeunesse lorsqu'il accompagnait son père dans ses tournées en camion. Ses mots nous réchauffaient. Nous l'écoutions, le visage appuyé contre la vitre. Ce genre de discussion était notre manière de reprendre le contact, de regagner l'ordinaire de la vie après nous être confrontés à quelque chose qui ressemblait terriblement à la mort.
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Pour leur montrer que la vie de Désiré s'était inscrite dans le chaos du monde, un chaos de faits historiques, géographiques et sociaux. Et pour les aider à se défaire de la peine, à sortir de la solitude dans laquelle le chagrin et la honte les avaient plongés.
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Dans la famille, tous ont fait pareil à propos de Désiré. Mon père et mon grand-père n'en parlaient pas. Ma mère interrompait toujours ses explications trop tôt, avec la même formule : « C'est quand même bien malheureux tout ça. » Ma grand-mère, enfin, éludait tout avec des euphémismes à la con, des histoires de cadavres montés au ciel pour observer les vivants depuis là-haut. Chacun à sa manière a confisqué la vérité. Il ne reste aujourd'hui presque plus rien de cette histoire. Mon père a quitté le village, mes grands-parents sont morts. Même le décor s'effondre.
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Rarement des scientifiques ont côtoyé la mort d'aussi près et se sont confrontés si violemment à leurs propres échecs. C'était d'ordinaire le lot des médecins. L'épidémie de sida bouleverse tout, notamment la relation du chercheur au malade. Elle rend la communication entre eux indispensable, fait tomber des cloisons qui les ont longtemps tenus à distance. Soudain, les échecs de la recherche ne se traduisent plus uniquement par des chiffres inscrits dans des comptes rendus, sur des écrans d'ordinateur, mais aussi sur des visages désespérés.
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Jeune fille, elle avait passé des années à dormir par terre et à ne se nourrir que de polenta. Les plats neutres la dégoûtaient, elle conjurait son passé en cuisinant des plats généreux. C'était sa revanche.
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Personne ne s'est dérobé. Tous se sont montrés héroïques. Pas au sens où les films américains aiment à l'entendre. Chacun a joué jusqu'à la fin son rôle de personnage modeste, impuissant, dans une intrigue absurde, sans enjeu. Un monde où il n'y avait plus rien à sauver.
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Un soir, alors qu'elle veille un patient en soins palliatifs, Françoise Barré-Sinoussi perçoit le faible son d'une voix qui passe au travers d'un masque et tente de percer le vacarme de la machine respiratoire : "Merci". La jeune femme est déconcertée : "Mais pourquoi ? On n'a pas réussi à vous sauver." Les yeux mis-clos, entre deux mondes, le moribond trouve encore la force de répondre : "Pas pour moi. Pour les autres."
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Le 3 octobre 2014, un article collectif est publié dans la revue Science. Une équipe internationale, dirigée par Nuno Faria de l’université d’Oxford, affirme être parvenue à retracer l’origine historique et géographique de l’épidémie de sida.
On savait depuis plusieurs années que le VIH était une forme de virus ayant migré des grands singes vers l’espèce humaine, probablement au cours d’un accident de chasse ou directement lors d’une consommation de viande, quelque part au sud-est du Cameroun. C’est à partir de cette région que les chercheurs ont commencé à suivre son trajet.
Ils ont séquencé les virus contenus dans des centaines de prélèvements effectués dans cette grande région d’Afrique au cours du XXe siècle, et conservés dans un laboratoire du Nouveau-Mexique. Ainsi, ils ont pu suivre à la fois l’évolution génétique du VIH et ses déplacements géographiques. Dans les années 1920, un premier sujet contaminé se serait rendu du Cameroun à Kinshasa, au Congo. La maladie se serait ensuite progressivement diffusée dans les grandes villes voisines, comme Brazzaville, Bwamanda et Kisangani, aidée en cela par le développement de l’urbanisation, l’essor des transports et les campagnes de vaccination coloniales. La forte présence de travailleurs haïtiens dans cette région de l’Afrique au cours des années 1960 explique probablement comment le virus a traversé l’Atlantique et permet enfin de comprendre pourquoi cette population était particulièrement représentée parmi les premiers cas observés au début des années 1980.
Au jour de la publication de ce travail gigantesque, le sida avait déjà fait plus de 36 millions de victimes à travers le monde.
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Cette fois, Désiré était hospitalisé dans une aile pluridisciplinaire spécialement dédiée aux patients atteints du sida. Les brimades qu’il avait connues dans d’autres services se faisaient plus rares. Cependant, des distinctions entre les malades pouvaient être opérées par certains. Quand ils ruinaient leurs efforts pour les remettre sur pied, les toxicomanes suscitaient moins de compassion. Les femmes séropositives, qui avaient réalisé leur désir de grossesse malgré les risques connus, laissaient aussi une grande partie du personnel perplexe. Au sein même de services consacrés aux malades qui en étaient atteints, le sida demeurait une maladie tout à fait singulière. Emprisonnée dans la vision morale qu’on avait d’elle, cernée par les notions de bien et de mal, accolée à l’idée de péché. Le péché intime d’avoir voulu vivre une sexualité libre, eu des relations homosexuelles, de s’être injecté de l’héroïne en intraveineuse, d’avoir caché sa séropositivité à ses partenaires, à ses camarades de seringue, d’avoir voulu satisfaire son désir d’enfant quand on se savait pourtant condamnée. Des malades étaient plus coupables que d’autres.
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En quelques heures, l’hôpital américain et sa maternité se vident entièrement dans un élan de psychose. La direction de cet établissement réputé invite le malade à quitter les lieux dans les plus brefs délais. Face à la tornade médiatique qui s’abat sur lui, Rock Hudson décide de rentrer aux États-Unis. Aucune compagnie aérienne n’accepte de le prendre à bord d’un de ses avions. L’acteur doit affréter un 747 pour lui seul afin de regagner la Californie. Dès son arrivée, les médias américains se mettent à relayer en boucle la nouvelle de sa maladie. Les commentateurs se demandent notamment s’il n’a pas contaminé d’autres stars de l’époque lors de baisers de cinéma.
Rock Hudson est l’un des premiers artistes populaires à avoir rendu publique sa maladie. Aux yeux du monde, le sida trouve enfin un visage, celui d’une star déchue.
L’acteur décédera quelques semaines plus tard dans sa villa de Beverly Hills.
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Un soir, alors qu’elle veille un patient en soins palliatifs, Françoise Barré-Sinoussi perçoit le faible son d’une voix qui passe au travers d’un masque et tente de percer le vacarme de la machine respiratoire : « Merci. » La jeune femme est déconcertée : « Mais pourquoi ? On n’a pas réussi à vous sauver. » Les yeux mi-clos, entre deux mondes, le moribond trouve encore la force de répondre : « Pas pour moi. Pour les autres. »
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Rarement des scientifiques ont côtoyé la mort d’aussi près et se sont confrontés si violemment à leurs propres échecs. C’était d’ordinaire le lot des médecins. L’épidémie de sida bouleverse tout, notamment la relation du chercheur au malade. Elle rend la communication entre eux indispensable, fait tomber des cloisons qui les ont longtemps tenus à distance. Soudain, les échecs de la recherche ne se traduisent plus uniquement par des chiffres inscrits dans des comptes rendus, sur des écrans d’ordinateur, mais aussi sur des visages désespérés.
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C’est dans cette aile du service de pneumologie dédiée aux premiers malades du sida que Louise a enfin pris conscience du mal qui rongeait son fils. Le docteur Dellamonica l’avait prévenue. Après la tuberculose, d’autres affections risquaient de le frapper, dans les semaines ou les mois à venir. Au milieu de ses compagnons d’infortune, pour la plupart homosexuels ou drogués, elle ne pouvait plus nier l’évidence. Le virus la ramenait à tout ce dont elle avait tâché de s’extraire. Il était parvenu à contrarier la trajectoire qu’elle s’était efforcée de suivre depuis l’Italie. Un micro-organisme, surgi d’on ne sait où, réussissait à enrayer une longue histoire d’ascension sociale, une lutte pour devenir quelqu’un de respecté. Il suscitait des sentiments de honte, d’exclusion et d’humiliation qu’elle s’était juré, il y a longtemps, de ne plus jamais revivre.
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Pendant les derniers temps de sa convalescence, Désiré a partagé sa chambre avec un garçon qui ne recevait presque aucune visite. Hormis celles d’un autre homme qui restait des heures à lui tenir la main et à l’embrasser. C’était la première fois que Louise assistait à ce genre de scène. D’abord un peu gênée, elle avait fini par en sourire, après les clins d’œil complices que lui adressait Désiré, et se sentir émue par ce qu’elle découvrait être de l’amour. Un amour aussi sincère que celui qu’elle venait témoigner à son fils.
La seule image qu’elle avait de l’homosexualité remontait à son enfance dans le Piémont italien. Des souvenirs de cris, de coups et de crachats. On avait tabassé sous ses yeux deux hommes qui avaient été surpris ensemble dans une grange. Des gars du village les avaient traînés jusqu’à la place avec fierté, en hurlant pour rameuter tout le monde. Attirée par cette agitation inhabituelle, Louise s’était précipitée dehors avec ses frères et sœurs. Quand la violence s’était abattue sur leurs proies, la petite fille s’était réfugiée, terrorisée, sous les jupes de sa mère. C’était l’un de ses derniers souvenirs d’avant la guerre.
Une fois seule dans le couloir de l’hôpital avec Désiré, ma grand-mère s’interrogeait : « Mais quand même, à part son ami, y aura personne pour venir le voir, ce pauvre jeune ? »
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Brigitte tâchait de s’occuper d’Émilie, c’est donc Louise qui se rendait au chevet de son fils. Elle reconnaissait sa chambre dans le dédale de l’hôpital grâce à une pastille rouge collée sur sa porte. Ce qu’elle avait pris d’abord pour une considération particulière n’était que le début d’une salve d’humiliations qui ne cesseraient plus. Elle arrivait souvent en début d’après-midi et trouvait le plateau-repas de son fils abandonné devant la porte. Il était toujours le dernier à recevoir des soins, quand on n’oubliait tout simplement pas de s’occuper de lui. Un jour, elle a retrouvé Désiré couvert de sang séché. Aucun aide-soignant n’était venu le nettoyer à la suite d’une hémorragie. Ma grand-mère s’apprêtait à hurler, lorsque mon oncle l’en a empêchée. « Arrête, maman, ça va. On va se débrouiller. » Louise commençait à comprendre. Elle a nettoyé le sang de son fils elle-même. Ce sang qui collait une frousse terrible à tout le personnel de l’hôpital, ce sang qu’elle lui avait pourtant légué et qui n’en finissait plus de le tuer.
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J’ai souvent essayé d’imaginer la confusion des sentiments que l’arrivée d’Émilie a dû susciter au sein de la famille, le mélange d’une joie sincère et d’une inquiétude immense. Serait-elle porteuse du virus de ses parents ? La maladie allait-elle la toucher ? Que pouvaient-ils bien en savoir, alors que les médecins eux-mêmes étaient incapables de répondre de manière certaine à ces questions ?
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Entre le 10 octobre et le 12 décembre 1984, à l’hôpital de Garches, le procédé de dépistage de Jacques Leibowitch et Dominique Mathez progresse. Dans leurs premiers essais qui portent sur 10 000 prélèvements sanguins, on n’en compte qu’un ou deux déclarés à tort comme positifs. Les deux médecins expérimentent leur outil en analysant des échantillons qui proviennent des poches de sang d’Île-de-France. Ils cherchent à estimer la proportion de lots contaminés dans les banques de sang de cette région. Les résultats qu’ils obtiennent sont effrayants. Sur 2 000 poches de sang, ils constatent la présence de 20 unités contaminées. Les travaux des pasteuriens montrent, au même moment, que les receveurs de sang de donneurs contaminés deviennent positifs à leur tour. Les hémophiles, qui reçoivent régulièrement des produits sanguins concentrés provenant d’une multitude de donneurs, sont tout particulièrement exposés. Leibowitch cherche à alerter les autorités, sans beaucoup de succès, cette forte tête ayant tendance à irriter ses interlocuteurs.
Dans le même temps, à Pasteur, une technique de chauffage des produits sanguins est élaborée, qui permet de neutraliser le virus dans les poches de sang sans en altérer la qualité. Pourtant, tout comme leur fougueux collègue de l’hôpital de Garches, les chercheurs de l’Institut ne trouvent personne au ministère pour prendre leurs avertissements au sérieux.
Il semble qu’on parie sur l’hypothèse selon laquelle tous les séropositifs ne développeront pas la maladie. Un pari morbide. Par négligence, par souci d’économie, ce pari causera la contamination de milliers de personnes.
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Lors de la première cure de Désiré, ce dernier [psychologue] avait tracé une sorte de schéma représentant un cercle. La toxicomanie répondait à une frustration, un manque de confiance en soi, une faille personnelle que la drogue venait atténuer. C’était un cercle vicieux. L’héroïne s’engouffrait dans cette faille, qui ensuite n’appelait plus rien d’autre si ce n’est davantage de doses. Le praticien avait expliqué à Désiré qu’il ne pourrait se débarrasser de l’héroïne qu’une fois qu’il aurait identifié et comblé cette faille.
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Leur existence s’était redéfinie, réévaluée à la lumière d’une valeur unique. Cent balles. C’était plus ou moins le prix d’une dose de mauvaise came à Nice, un billet dans la caisse de la boucherie, un bobard raconté à un ami, deux autoradios volés, quelques vinyles de la collection de Désiré… L’appartement de mon oncle s’était agrandi du vide que la drogue faisait autour de lui. Les disques, les meubles, les vêtements, la décoration… tout ce qui pouvait l’être avait été vendu.
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