Alain Rey :
Antoine FuretièreA la Cité Internationale Universitaire de Paris,
Olivier BARROT reçoit
Alain REY pour sa
biographie d'"
Antoine Furetière", un précurseur des Lumières et un esprit rebelle.
REQUIEM, ou Chien de mer. s. m. est un gros poisson de mer qui dévore les hommes, qui est ainsi nommé, parce que quand on en est mordu, il n'y a rien autre chose à faire qu'à chanter le requiem.
(Extrait du Dictionnaire universel)
Un beau titre est le vrai proxénète d'un livre
L’amour n’est pas opiniâtre dans une tête bourgeoise comme il l’est dans un cœur héroïque ; l’attachement et la rupture se font communément et avec une grande facilité ; l’intérêt et le dessein de se marier est ce qui règle leur passion.
Il avait la bouche bien fendue, ce qui n’est pas un petit avantage pour un homme qui gagne sa vie à clabauder, et dont une des bonnes qualités c’est d’être fort en gueule.
Aussi bien je sçais que quelque soin qu'on prenne à s'adjuster, particulierement pour les gens de la ville, on y trouvera toujours à redire : car comme la mode change tous les jours, et que ces jours ne sont pas des festes marquées dans le calendrier, il faudroit avoir des avis et des espions à la Cour, qui vous advertissent à tous moments des changements qui s'y font ; autrement on est en danger de passer pour bourgeois ou pour provincial.
On y void de piquans cheveux,
Devenus gras, forts et nerveux,
Herisser sa teste pointue,
Qui, tous melez s'entr'accordans,
Font qu'un peigne en vain s'évertue
D'y mordre avec ses grosses dents.
Que si vous êtes si désireux de voir comme on découvre sa passion, je vous en indiqueray plusieurs moyens qui sont dans l'Amadis, dans l'Astrée, dans Cirus et dans tous les autres romans, que je n'ay pas le loisir ni le dessein de coppier ny de derober, comme ont fait la plupart des auteurs, qui se sont servis des inventions de ceux qui avoient écrit auparavant d'eux. Je ne veux pas mesme prendre la peine de vous en citer les endroits et la pages ; mais vous ne pouvez manquer d'en trouver à l'ouverture de ces livres.
[L]e mariage fut proposé et conclu ; mais, hélas ! qu'il y eut auparavant de contestations ! Jamais traité de paix entre princes ennemis n'a eu des articles plus débattus ; jamais alliance de couronnes n'a été plus scrupuleusement examinée. Collantine voulut excepter nommément de la communauté de biens, qu'on a coutume de stipuler dans un tel contrat, qu'elle solliciterait ses procès à part ; qu'à cette fin son mari lui donnerait une générale autorisation, et qu'elle se réservait ses exécutoires de dépens, dommages et intérêts liquidés et à liquider, et autres émoluments de procès, qu'elle pourrait faire valoir comme un pécule particulier. (...) Mais ce qu'il y eut de plaisant, c'est que les autres personnes, quand elles font des contrats, tâchent d'y mettre des termes clairs et intelligibles, et toutes les clauses qu'elles peuvent s'imaginer pour s'exempter de procès ; mais Collantine, tout au contraire, tâchait de faire remplir le sien de termes obscurs et équivoques, même d'y mettre des clauses contradictoires, pour avoir l'occasion, et ensuite le plaisir, de plaider tout son saoul.
Il était fort en peine de savoir avec quoi on (...) faisait [des vers], et après avoir feuilleté quelques livres, le hasard le fit tomber sur un certain endroit où un poète s'étonnait de ce qu'il faisait si bien des vers, vu qu'il n'avait pas bu de l'Hippocrène. Il crut, par la ressemblance du nom, que c'était une espèce d'hypocras, et il demanda à un juré apothicaire qui eut à faire à lui environ ce même temps qu'il lui donnât quelques bouteilles d'hypocras à faire des vers. Il n'en eut qu'une risée pour réponse (...). Une autre fois, ayant lu que pour faire de bons vers il fallait se mettre en fureur, s'arracher les cheveux et ronger ses ongles, il pratiqua cela fort exactement. Il mordit ses ongles jusqu'au sang, il se rendit la tête presque chauve, et il se mit si fort en colère (il ne connaissait point d'autre fureur) que son pauvre clerc et son laquais en pâtirent, et portèrent longtemps sur les épaules des marques de sa verve poétique.
Il dit qu’il ne trouvait rien de mieux baptisé qu’un procès-verbal, car, en effet, il ne contient que des paroles.