Poétique
Pourquoi ne traînerait-elle pas
tout près du champ
Comme une oiselle
qui veut faire dériver le danger
pour si soudain s’envoler ?
Et pourquoi ne serait-elle pas
un bouquet de marguerites
jeté dans une brouette goudronnée ?
Ou de la neige qui fond
dans la main rose d’une enfant ?
Une hirondelle
qui laisse une éraillure sur le pignon
Une fleur
qui fait pousser un bloc de pierre
Deux lézardes qui se croisent
l’une l’autre dans la vitre ?
Poésie :
une candide démoniaque
Un agneau en flammes
au milieu d’une prairie
Un lévrier qui s’entortillait
dans un drap
Un miroir
devant lequel un héron est mort
Comme un parapluie accidenté par la tempête
Du sable éblouissant
comme un ventre de femme au milieu de l’océan
Une fleur-étoile blanche
dans la gueule d’un bouledogue
Une épine
qui fait une tête de lion putréfiée
Un plongeur
qui dans les profondeurs de la mer
ouvre un coffre avec une épingle
Une punaise
qui fixe un avion dans l’atmosphère
Un bateau de contrebande
qui saigne dans les flots
comme un animal blessé
Poésie :
Une corde à linge tendue
entre un phare et un cerisier
Une rose des vents pour l’Islande
6.
Et le vent
comme une longue peau qui passe,
sans fin, pressant, accablant,
secousses inquiètes, clignement des gifles,
coups de fouets des ailes invisibles, roides comme des voiles,
le vent,
qui dresse ses blanches crinières au-dessus des montagnes,
le vent et ses plumes de neige,
ses blanches taies d’oreiller, ses secrets tambours
ses pipeaux en roseau, brisés,
le vent
qui dérobe son miel à la bruyère
(non pas abeille ou guêpe striée de feu),
le vent sans saveur, sans une goutte de
vinaigre,
le vent qui crève sur pied
la verte peau de la source sulfureuse,
et qui écrit avec une plume de corbeau
le même mot, le même mot.
(Rose des vents, Contre-feu, 1955)
/Traduit du suédois par Jean-Clarence Lambert
Une rose des vents pour l’Islande
5.
L’aile de la pluie planant sur le jour,
le fluide plumage de la pluie,
ses doigts blancs et froids, qui rampent
sa main plein d’un sombre déluge.
Des gorges qui se gargarisent dans le sol
(les vers écoutent au fond de leur trou),
les pierres qui tournoient dans une odeur
de peau roussie, de paille carbonisée...
Seule, l’herbe que lèche l’eau
ne se laisse pas dominer : elle ressuscite
comme la faim, agitant toutes ses langues.
Les chevaux sucent le froid de leurs dents
et fument d’humidité, comme près d’un feu :
chevaux qu’une main effarouche
autant que le tonnerre, et qui se cabrent
droits comme une chute d’eau ; chevaux
qui galopent par les pentes escarpées
pareils à des oiseaux ;
chevaux qui boivent dans le courant
sans craindre le bruit de l’eau :
chevaux inutiles, ensauvagés comme l’herbe,
l(herbe qu’ils paissent, hors de l’atteinte
de la faux, de la main, colorant les versants
de la montagne à larges tracés vert-clair,
sillons pâles de l’eau tarie.
/Traduit du suédois par Jean-Clarence Lambert
Une rose des vents pour l’Islande
4.
Pays nu. Sans lèvres.
Pays qui montre les dents.
Le feu et la glace sont voisins,
ils ont un mur mitoyen.
Un feu dompté rougeoie dans la tourbe,
écoute attentif l’eau qui tombe du toit ;
les souvenirs dans la bourrasque le tourmentent ;
Et l’herbe est un feu vert,
vagabond, très bas, un feu vert
que la pluie n’éteindra jamais.
L’homme monte un cheval à poils longs
dans un nuage de moutons.
Il passe à gué la rivière,
un couteau craquant dans la bouche.
Le taureau écorché traîne encore
sa peau ensanglantée par la campagne.
Les fermes ouvrent leurs yeux avec confiance
sous leurs sourcils de neige.
La peau d’agneau blanc flotte
comme un drapeau sur le mât de glace.
Et le dernier des prêtres-scaldes
chevauche au loin avec des sacs.
/Traduit du suédois par Jean-Clarence Lambert
Une rose des vents pour l’Islande
3.
L’eau blanche comme la salive,
pétrie par la lumière du jour
se plisse lentement.
Une fumée se tient debout dans le verre du vent
comme un buisson de suie.
Petites églises, couvertes d’herbe,
au pignon de toit goudronné,
gibets pour des cloches de fer :
églises comme de vielles femmes
à genoux
devant les immenses vallées.
Sources, clairs abîmes
emplis jusqu’au bord
de jours enfouis.
Et des femmes noyées montent à la surface
malgré leur ceinture d’or,
fendues comme toutes les femmes,
mais aucune n’est chauve.
Blancs fleuves des montagnes
qui noircissent en allant à la mer :
finalement même les corbeaux
peuvent y boire sans être vus.
Et la blanche petite fleur
tremble sans bruit
dans le vent.
/Traduit du suédois par Jean-Clarence Lambert
Une rose des vents pour l’Islande
1.
Buanderie des vents et des pluies
Nuages défaits, vapeur
que transpercent des averses de mouettes
sous un pâle ciel
de nénuphar.
Les vents nouent des nids sombres,
des nids volants pour les aigles,
tissés d’algues, renforcés avec de longues
aiguilles de lumière.
Lancement du drakkar dans l’espace,
noirci au feu, chargé de neige.
Au bord du tonnerre.
/Traduit du suédois par Jean-Clarence Lambert
Une rose des vents pour l’Islande
2.
Voici l’époque du soleil vagabond
qui erre autour du ciel
sans nulle part trouver de paix.
Il brille toute la nuit,
par la fenêtre (fenêtre nue,
surprise comme dans la mort).
Les enfants dorment inquiets
sous leurs paupières de neige pâle.
Ou peut-être se sont-ils attardés dehors,
dans l’herbe haute,
à jouer en criant comme dans un rêve.
/Traduit du suédois par Jean-Clarence Lambert