Citations de Aurélien Molas (23)
À l’heure de vérité il entrevit sa propre vanité d’avoir cru qu’il était maître de sa destinée. Il ne comprenait pas quelle force intérieure l’avait poussé à faire ces choix. Son existence entière n’avait été qu’une fuite loin des repentirs et il avait traversé cette vie sans l’habiter, sans attache, avec le sentiment pressant de s’être hanté soi-même. Un être sans reflet. Un fantôme tout au plus. Il aurait voulu ne pas finir sur ce regret. Frôlé par la mort, il ressentit avec une lucidité effrayante tout l’amour qu’il avait encore à donner.
– Tu sais, doc' , je suis Ijaw, soupira-t-il, c'est mon ethnie, les racines de ma famille... […] Mon père était paysan dans le delta du Niger et, un jour, des hommes d'une compagnie pétrolière sont venus, et ils lui ont dit qu'il fallait qu'il parte, que les terres qu'il cultivait n'étaient plus les siennes, ces terres où il avait enterré ses parents... Le gouvernement lui a dit que les actes de propriété étaient des faux et que s'il ne partait pas il irait en prison... Pour mon père, ça a été trop dur, il est mort deux mois après. Avec ma mère et mes frères, on est partis, on a tout quitté... Ma mère a pas survécu au voyage, ni mon plus jeune frère... c'est pour ça qu'on m'a mis à l'orphelinat.
Il existe des sentiments qui échappent au langage, des émotions qu'une phrase ne peut traduire sans les vider de leur sens.
Je raconterai à mes fils votre combat. Et eux-mêmes le raconteront à leurs fils. Et à travers les fils de leurs fils vous continuerez à vivre. Nous en faisons le serment : la révolution jamais ne mourra.
Dans un état second, Blandine en fuite suivit les sirènes de police qui gémissaient dans les rues amenant leur lot de crimes crapuleux, de révolte et de sang. Elle suivit l'écho des ambulances partant livrer leur cargaison de blessés et de macchabées. Elle suivait la plaine rageuse, étirée, l'agonie tout en fureur de la Ville lumière. Et Paris la pieuvre, le monstre magnifique, Paris l'écorchée vive hurlait à s'en fendre l'âme.
Des pédophiles des quatre coins du globe se retrouvaient sur ce site pour faire tourner la planète du vice.
Il ramassa un bouquin qu’il tendit à son bras doit.
– Je viens de finir de lire Le Bréviaire du chaos. Lecture ô combien instructive ! Je te le prête si tu veux. Tu pourras le feuilleter quand nous partagerons la même cellule.
Elle étala la carte. Cochées en rouge, les missions menées par MSF, éparpillées sur l'immensité du territoire. En bleu, celles des autres associations humanitaires.
Sud Niger, Congo ouest, Soudan sud-est, Rwanda, Somalie..., la liste n'en finissait pas.
Comme des aiguilles d'acupuncteur censées soulager la douleur d'une anatomie malade, toutes ces missions étaient implantées sur le continent en des points névralgiques. Mais reporté à l'échelle de la population, huit cent millions d'individus, la jeune infirmière perçut avec une acuité inquiète l'étendue du combat à mener.
Toucher le fond ne signifiait rien. Une sérénité étrange l'habita. Il était enfin arrivé au bout de lui-même.
Un sourire de vengeance, froid et dur comme un coup de poignard.
- Chaque enquête a sa musique... Chaque enquête a sa musique..., répéta-t-il.
Le manuel de police, c'est le solfège. La scène de crime : l'instrument. Un indice équivaut à une note. Transpose ce que tu vois sur une partition.
Une façon bien à lui de supporter l'abjection. C'était aussi le seul moyen qu'il avait trouvé pour canaliser ses accès de violence.
[...]
Il se força à suivre le tempo de l'enquête, à s'ouvrir à son organisation mélodique, mais des questions fusaient déjà comme des riffs brouillant le thème central. Un morceau de jazz en impro.
Il s'attaqua à la dissection. La musique dans son crâne se fit plus secrète, comme un solo de saxophone se perdant dans les basses. Sa main trembla légèrement quand il approcha la lame pour éventrer la boîte dans la longueur.
[...]
Il enclencha le magnéto :
- Lundi, 28 novembre, 21h12, cale du porte-container le Dolly Bell. Objet : DVD pédophile.
Il sortit de sa mallette un lecteur portable, ouvrit avec précaution la jaquette et inséra le disque. La lecture débuta par un plan d'un bleu uniforme, sans nuance, qui s'estompa peu à peu. Dans son crâne, des sons se chevauchèrent. Le rythme de la batterie se cala sur les pulsations de son coeur. Un crescendo sorti de nulle part explosa. Sa voix gronda dans les profondeurs de la cale.
[...]
Chaque enquête a sa musique.
Mais il s'était bel et bien trompé. Tout ceci n'avait rien à voir avec un morceau de jazz.
Sous ses yeux, s'étalait la partition d'un requiem.
Cette enfant avait peur. Plus peur que nous ne l'aurons jamais.
La peur - sous toutes ses formes - c'était elle qui faisait bouger le monde, c'était elle qui faisait s'agiter l'humanité et la précipitait à sa perte. (p. 355)
Il existe des sentiments qui échappent au langage, des émotions qu'une phrase ne peut traduire sans les vider de leur sens. (p. 399)
"Joliba en mandingue.
Isa ber en songhaï.
Ngher en touareg.
Le Niger, le plus beau fleuve du monde, la mémoire de l'Afrique. Prenant sa source dans les monts de Loma, il sinue sur quatre mille kilomètres, emportant dans son courant les langues et les coutumes, avant de rendre l'âme et de se fondre dans les hautes eaux du golfe de Guinée. Contaminé jusqu'à la vase par l'Histoire, il a traversé les siècles, porté les espoirs de fortune des colons britanniques er français, bercé des rêves d'indépendance et de révolte. C'était en le survolant que Taiwo Akinkunmi avait eu l'idée de composer le drapeau du Nigéria.
Une bande blanche encadrée de vert.
Un symbole de paix et d'unité.
Mais cette bande aurait dû être rouge." (Albin Michel - p.115)
"Dès que la transpiration perla dans son cou et sur ses tempes, les mouches l'attaquèrent et par dizaines bourdonnèrent autour de Benjamin. Il les laissa grouiller sur sa peau. Les chasser était inutile."
"Il croisa des oiseaux nocturnes, des clodos, des putes, des toxicos, des paumés. Une étrange compassion l'étreignit, comme si chacun d'eux était la part d'un reflet qu'il refusait d'admettre sien."
De Chicago à ce grand nulle part, elle eut l'impression d'avoir parcouru plusieurs vies et de n'en avoir vécu aucune.
l'incertitude chevillée aux tripes. Au travers du voile médicamenteux, il implora d'avoir sauvé les enfants. le besoin de réponse le poussa à rassembler ses forces pour rouler sur le flanc. La dépense d'énergie le figea.
Je suis venu pour lui. Je voulais voir mon fils. Au moins une fois avant de disparaître.
Quand le cercueil descendit dans le trou, Blandine jeta une rose sur les souvenirs de son amour et eut la sensation charnelle que ses deux cœurs sous sa peau battaient à l'unisson.