Béatrice Galvan

Elle respire profondément, s’astreint au calme. Il faut absolument réfléchir, classer ses idées. Elle se souvient d’une route, des phares de voiture qui la croisent. Elle est presque sûre d’être au volant. Puis il y a eu l’accident. Un véhicule a percuté le sien de plein fouet. Ensuite, l’impression de naviguer entre deux mondes, des voix autour d’elle, mais impossible de se souvenir de ce qu’elles disaient. Puis le néant, comme une petite mort. Actuellement, elle est sortie d’affaire. Ses parents semblent l’aimer mais ils sont mal à l’aise avec elle. Les médecins ont un comportement étrange à son égard, ils s’intéressent à son cas avec une sorte d’avidité qui lui fait peur. Seule L’infirmière Cécile se montre spontanée avec elle.

Elle se penche vers lui et goûte à ses lèvres charnues, à cette langue qui accueille la sienne avec gourmandise. Ce qui se passe alors dans son corps n’a rien à voir avec la timide émotion que Florence avait ressenti en faisant l’amour avec Serge pour la première fois, ni même aux tendres ébats s’étant déroulés aux premiers temps de leur mariage. Il s’agit là d’une explosion de désir qui lui noue le bas ventre au point de lui donner envie de crier, qui lui fait oser des gestes que Florence n’aurait jamais imaginé faire à un homme inconnu. Le corps du brésilien est sec et musclé, irradie de virilité. Ressentant un plus grand besoin d’espace pour laisser parler leurs corps, ils quittent l’habitacle exigu de la voiture. Tony conduit la jeune fille vers une table de pique-nique en bois sur laquelle il l’allonge. Il la débarrasse rapidement de ses baskets et de son jean. Elle fixe le ciel étoilé sans le voir, la totalité de ses sens étant réunis au centre de son ventre bouillant et contracté. Quand Tony ouvre ses jambes afin de plonger sa bouche au fond de son intimité, elle pousse un râle d’extase qui la remplirait de honte si elle n’était pas dans un état second. Elle pose ses mains sur la tête de son compagnon afin d’enfoncer davantage cette présence avide en elle. Elle jouit en un sursaut puissant qui lui fait sécréter un fluide abondant. Son souffle est court et saccadé mais son jeune corps en veut encore. Quand Tony la pénètre de son membre long et dur, elle s’ouvre au maximum en haletant de façon animale.

Une femme entre deux âges, peu soucieuse de son physique, mais pas si mal que cela, finalement.

Ses yeux picotent et les murs se mettent à vaciller autour d’elle. Cette histoire peut encore s’expliquer. Lisa croit être Florence Duprés, pour une raison psychologique qu’il suffit de décoder. Les drogues ingurgitées avant son accident l’ont peut-être rendue schizophrène. Il est possible aussi qu’elle ait passé un moment dans ce village cévenol et côtoyé les Duprés. Ou encore, Sandra Antonelli l’a hypnotisée pendant son coma, pour lui mettre en tête des souvenirs qui ne sont pas les siens. Sic’était cela, l’expérience ? Implanter chez les cobayes une mémoire inventée de toutes pièces, afin de gommer leur identité. Dans tous les cas, qui dit que les Duprés ne sont pas complices de cette manipulation ?

Les médicaments qu’elle absorbe chaque matin induisent chez elle de sérieux effets secondaires, comme cette façon de s’endormir sans s’en rendre compte. Si elle ne craignait pas les affreuses migraines qu’ils combattent, elle cesserait d’absorber ces gélules.

Lisa lève la tête vers lui, ses yeux immenses plongent dans les siens comme pour lui lancer une muette prière, et soudain elle approche ses lèvres des siennes. Il reçoit ce baiser sans réagir d’abord, puis son instinct de mâle se réveille comme un ours que l’on tire d’hibernation. Il n’a pas touché de femme depuis des semaines, et voici cette gamine adorable qui se love contre lui, qui presse ses seins petits et durs contre son torse.

Ils échangent un baiser au goût de larmes et il se sent gémir quand elle presse sa main sur son bas-ventre. L’étoffe de son pantalon est tendue par son érection, et c’est la gêne soudaine qu’il en ressent qui le fait se ressaisir.

Elle est heureuse, inspire profondément l’air parfumé de cette fin d’été. Elle marche un peu, apprécie la douceur de l’herbe moelleuse sous ses pieds nus. Soudain le ciel s’assombrit et il se met à faire froid. Loin devant, le soleil décline et disparaît au bout du champ. Les coquelicots deviennent noirs puis s’effritent comme des fleurs séchées depuis trop longtemps. Des murmures s’élèvent dans son dos mais elle ne veut pas se retourner. Le vent se transforme en violentes rafales et son voile de mariée s’envole. Elle essaie de le rattraper mais il est happé par la colère du ciel. Les chuchotements derrière se font plus pressants. Elle a peur mais fait volte-face.

C’est comme si un autre esprit l’habitait… quelqu’un de différent de Lisa, plus mûr, plus responsable. Je ne vois pas pourquoi une amnésie changerait complètement le caractère d’une personne. Elle est capable de faire des mots croisés que je ne termine pas moi-même, et suit les informations à la télé comme si elle comprenait la situation politique de la France et même les conflits à l’étranger ! Christian, tu es bien placé pour savoir qu’elle ne s’intéressait à rien de tout cela, avant. Je déplorais ses fautes d’orthographe et son vocabulaire, tu t’énervais qu’elle ne sache même pas où se trouvent le Koweït ou l’Iran !

Comme son père, elle possède une curiosité insatiable et une patience illimitée quand un sujet l’intéresse. En outre, son intuition ne lui a pas souvent fait défaut. La famille Duprés -ou Dupré- a dû faire partie de l’existence de Lisa, avant son accident. Sinon, comment leurs noms auraient pu s’imposer à son esprit, lorsqu’elle a repris conscience à la clinique ? A sa connaissance, Sandra Antonelli n’a pas jugé utile de creuser ce souvenir, préférant aider l’adolescente à se rapprocher de ses parents.

Elle se tourne vers son mari et le fixe en souriant. Serge remarque aussitôt que les yeux de sa femme ne sont pas normaux. Ils sont noirs d’encre et luisent d’un éclat mauvais dans la pénombre. Ce sont des prunelles sans vie, dénuées d’amour. Paniqué, il recule et regarde la toile éclairée par la lune.

Il reconnaît Florence et son doux visage. Florence dont le corps mutilé baigne dans le sang, éventré à coups de pinceau rageur. Sa bouche démesurément ouverte évoque la terreur la plus pure.

En comprimant certaines zones du cerveau, les tumeurs entraînent de nombreux troubles, épileptiques, problèmes de langage, de synchronisation des gestes, voire de visions hallucinogènes. Cependant, Lisa a confié à l’infirmière les noms de Florence Duprés et sa famille alors qu’elle venait juste de se faire opérer. Même si une tumeur s’est formée depuis, elle ne peut pas être responsable des allégations de la jeune fille à sa sortie du coma.