Citations de Béatrice Libert (38)
NEIGER
C’est un murmure par un matin de février un chuchotis une
confidence c’est un souffle un regret de la nuit un pleur
tombé d’une étoile grain à grain et qui n’emplirait pas une
coquille Saint-Jacques c’est une neige qui ne dit pas son nom
et qui feint de neiger c’est une pensée blanche un souvenir
en pointillé sur le cahier du chemin un grésillement de
flamme sèche ou de papier à cigarette consumée dans le noir
c’est un fantôme de neige chute de pixels gymnopédie au
bord de l’évanouissement soie d’un rire perlé
Dans le dedans
Tout le dehors désarmé incertain
Les pas sans lendemain
Les blessures sans cicatrice
Et malgré l'encombrement des heures
Ce vide qui appelle une métamorphose
Comme unne barque qui hèle son rivage
Et sur la rive son arbre
Où le ciel inversé envisage de vivre
TRÈS SOUVENT
Très souvent, je suis sans personne.
Celle qui écrit n’est pas là.
Celle qui pense est ailleurs.
Celle qui respire est à la mer.
L’encrier seul jette l’ancre
à la racine de mes doigts.
"A ceux qui ne la connaissent pas
Et ne la connaîtront jamais
La poésie tend le miroir de la jeunesse
Elle leur dit je suis là
Prends ma voix et mets-la
Dans la gorge enrouée de ton amour."
Saisons en quête d’éternité
Automne
Automne ! L’entendez-vous sonner les biches
et les charrois ? L’entendez-vous galoper là, sur les
talus et les faux-plats ? Le voyez-vous repeindre en
vif, les bois usés, les champs fautifs ? Plus d’hiron-
delles ! Qu’avons-nous fait ? Chaque soir, dans les
parcs, sous la brise noctambule, l’eau pleure de
n’avoir pu lui résister. On se croirait en pays de
conquêtes où les couleurs auraient germé. Et ces
parfums qui chargent l’âme, ont-ils flambé seu-
lement pour nous ? Et nous voici un peu moins
neufs au mitan des chemins où rien ne tonne. La
vie est simple comme un bouchon de liège ou de
cristal, comme une histoire à tisser dans la pai-
sible ardeur des laines emplumées, quelque fruit
savoureux à la main.
OUVRIR
Ouvrir les volets Éclore avec l’ondée l’azur le champ de colza
avec la lettre d’un ami la question d’un enfant la caresse d’un
chat Être neuve comme une noix tombée de l’automne
Ouverte les parfums s’en libèrent dépliant l’été roulé à
l’intérieur S’ouvrir afin de donner ce qu’il importe de serrer
sous le vécu vivace afin de naître à la splendeur des premières
fois Chacun va… Chacun s’en va… Quelqu’un en nous
demeure ouvrant les portes de l’invisible
PEUT-ÊTRE EST-CE DANS L’ARBRE ?...
Peut-être est-ce dans l’arbre
Que naissent les silences
Et les automnes lisses de fruits ?
Peut-être est-ce à ses pieds
Que le temps prend vie
Auprès des chiens esseulés
Ou de la vigne légère ?
Qui nous dira alors
À quel feuillage confier
Le présent et notre soif
Quand le vent tourne
Autour des lampes mortes ?
Saisons en quête d’éternité
Été
Été et avoir été. Être été. Être étang et été. Tout
un programme, une déréliction, la quadrature
d’un cercle unilatéralement fou, la transhumance
fiévreuse d’un infiniment petit dans un infini-
ment vaste, le repeuplement de nos gaules et de
nos mémoires, la quête non élucidée d’un amour
cosmique pulsé par un désir organique et pro-
fond, l’acmé de vivre au sommet de la volupté, se
fondre dans le Grand Tout, se nimber du sperme
des planètes et du miel des étoiles, être Eté sous
toutes les coutures et, surtout, nue, très nue,
quand le moindre ourlet fait violence à la peau,
quand la moindre sangle est bretelle de soie sur
l’épaule du monde.
CHANSONNIER : ARBRE LYRIQUE
Extrait 2
Le chansonnier possède une mémoire d’éléphant. Son répertoire est des plus vastes, allant de Tombe la neige ou La Bohème à C’est extra en passant par Boum ! Il peut, moyennant une piécette glissée dans la fente de son tronc, interpréter n’importe quel succès d’hier ou d’aujourd’hui.
On le dit passé de mode. Ineptie ! Les fruits du chansonnier n’ont pas d’âge ou, plus exactement, ils ont celui de leurs interprètes et de leur public. Certains les adaptent au goût du jour ; d’autres les conservent tels quels : pur fruit, pur sucre.
C’est sous le couvert d’un chansonnier qu’eurent lieu les premiers concerts publics qui ont donné naissances aux kiosques à musique, puis aux festivals…
Le chansonnier demeure donc, de génération en génération, un arbre maître chanteur et enchanteur !
IL Y A DANS LE VENT QUI PASSE…
Extrait 1
Il y a dans le vent qui passe
Une odeur d’automne enseveli
Sous les linges humides
D’un premier amour
La voie est au voyage
Ce que la voix est à l’amour
Un appel de tout le corps
NOUS TRAVERSONS L’ABÎME…
Nous traversons l’abîme
sans pouvoir ni nager ni voler
Nous sommes lourds
comme est lourd le silence
que nous traversons
Et nous n’avons ni havre ni rêve
à portée de main
pour haler l’impossible
Doublure
extrait 4
Chaque matin, j’oublie qui m’habite.
Suis-je ancolie ou myosotis ?
Je réinvente mon histoire dans le vol vibrant d’une mouche, l’articulation souple d’une chatte grise.
Me plaît ce pouvoir de m’abstraire pour attenter à mes propres conjugaisons.
J’en ressors parfois anéantie, mais libre de bondir de travers.
/Arpa, 133-134, Octobre 2021
Doublure
extrait 3
Chaque matin, le ciel comme arche de bienfaits.
Je souris aux muscaris. Je m’appelle pluie. Je m’épelle vent, me nomme embellie, me surnomme feu-follet, m’invente aérolithe, me sacre parhélie.
Et si s’embrume l’éclaircie, le temps qu’il fait en moi rassure le climat.
/Arpa, 133-134, Octobre 2021
Doublure
extrait 2
Chaque matin m’exalte.
J’ouvre les yeux et me recharge en mystère.
Celle qui embarque en moi, dans le blanc souvenir des asphodèles, cœur battant, rire large, coupe l’herbe sous le pied de la morte-saison.
/Arpa, 133-134, Octobre 2021
CHANSONNIER : ARBRE LYRIQUE
Extrait 1
Dès la fin du Moyen Âge, c’est le bois du chansonnier qui a fourni la pâte à papier dont on fit les premières pièces lyriques.
Le chansonnier est donc un arbre doux, mélodieux, sans fausse note ni chagrin, à anches, claviers et pédales, dissimulant, dans ses branchages, des instruments aussi insolites qu’un julophone, un souchophone, un brellophone, un grécophone. En cherchant bien, on peut même trouver un cymbalier, parasite fort bien supporté par la plante mère, qui forme, çà et là dans la ramure, de jolis bouquets sonores très convoités.
Les branches du chansonnier ont l’air de portées musicales. Ses fleurs blanches et ses baies noires figurent les notes d’une partition invisible, chantée par les oiseaux choristes, avec alouettes en solo.
…
IL Y A DANS LE VENT QUI PASSE…
Extrait 2
Maintiens-moi comme un jardin
Libre sous toi de retourner la terre
De boire à sa semence et de laver
Nos vies à la pluie du silence
La danse du poème
Dans le pas-de-deux
De la pluie
Je fus ta Maison…
Je fus ta Maison, mon fils. Je demeure ton chemin. Clarté où tu viens boire, où la nuit est sans âge et le jour sans regret. Je suis la porte et la fenêtre que ta joie ouvre à deux battants. Il n'entre en moi nul éclair. Cependant, il m'arrive encore d'héberger, en mon ventre, le souvenir de tes frissons et de tes fièvres.
À ton tour, maintenant, de me porter en toi, dans tes yeux, par ta voix, sous tes traits où se devine ton ascendance.
Elle ne sera jamais bien loin, cette maison qui fut la tienne. Inaccessible désormais, île rêvée, caverne ensevelie que je porte, triomphante, comme un berceau parfait jusqu'à la tombe.
LES PIERRES ET LES MOTS
Les pierres et les mots remplissent notre vie
Les unes pour la fermer les autres pour l’ouvrir
Nous les semons devant nous
Sans pouvoir contre le chagrin et la nuit
Parfois certains d’entre eux
Soulèvent notre montagne intérieure
Remuent notre pauvre syllabaire
Où les mots défaits se recomposent
Où les pierres affligées se changent en sable
Où le vent malgré sa surdité
Ranime quelquefois un semblant de poésie