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Citations de Benjamin Planchon (21)


Je l’ai entendue grommeler un jour, alors qu’elle tondait les porcs, une vieille phrase de Lénine : « pour un oeil, les deux yeux ; pour une dent, toute la gueule. » C’était une femme déterminée.
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Je n’ai jamais été un gardien, un veilleur ou un châtelain. Je m’en rends compte aujourd’hui. J’étais bien incapable d’endiguer l’effondrement du domaine, ni même de le ralentir. Quels bras il faudrait pour retenir un monde en train de basculer ! Mon rôle est plus modeste : je suis un grand témoin, chargé d’enregistrer la catastrophe ; d’en recenser chaque nuance, la plus petite avancée, le moindre tremblement. Je suis l’archiviste qui consigne la fin du monde. Le greffier du désastre.
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Capsules est un roman écrit par Benjamin Planchon, il a été édité par Antidata.

Capsules est composé de plusieurs histoires, pour être plus précis de 35 récits qui se passent dans le futur.

35 récits de personnages ordinaire face aux problèmes de la vie. D'après moi, le livre nous donne 35 possibilités pour notre monde dans le futur. On aura peut-être des réfugiés temporels, une Lune qui change de polarité et attire notre Terre vers elle, la chute d'un satellite ou peut-être une période glaciaire... .

Ce roman ne manque pas d'imagination pour nous faire voyager et il m'a beaucoup plu parce que j'avais l'impression que les histoire allaient vite avec des phrase plutôt courtes et aussi des récits très dynamiques.

Honnêtement je pense que c'est l'un des meilleurs livres que j'ai jamais lu.
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J’accompagne Yanis jusqu’au plateau n°4. Tout y est silencieux. Comme une armée d’astronautes; les techniciens déambulent au ralenti le long des câbles et des mandarines, des réflecteurs et des écrans de contrôle. Tout le monde retient son souffle : il ne faut pas distraire le monstre. Rien ne doit le sortir de sa torpeur bonhomme. Pas un bruit et pas de gestes brusques, ou il risque de devenir dingue et de dévorer tout ce qui bouge. Yanis se place derrière un moniteur et m’invite à rester à ses côtés. Ça tourne.
Face aux caméras, ébloui par les projecteurs, un gigantesque tigre de Sibérie est étendu sur un lit à baldaquin Renaissance encombré de dentelles. Il grogne doucement, paisible et rassasié, puis bâille à s’en décrocher la mâchoire, laissant apparaître des canines triomphales. J’ai presque envie d’applaudir la performance. Il s’étire et sa robe ruisselle de cuivre. Il irradie de puissance. Alors que le fauve se met à lécher sa grosse patte, je croise son regard. C’est un puits. J’y tombe. Les yeux des animaux ont sur moi un pouvoir d’engloutissement. Comme s’ils me renvoyaient au temps des cavernes. Leur pupille a une drôle de texture ; une acuité désagréable. J’ai l’impression qu’ils savent de moi quelque chose que j’ignore. Qu’ils me prennent de haut. Les bêtes semblent me voir tel que je suis : un mammifère mou et docile, pendu à mille laisses, incapable de déchiffrer le vent, les rivières et la nuit, étranger à l’âpreté du monde et sourd à sa grandeur. Les yeux vairons du tigre sont un tribunal. Sois clément, bel animal. Aie pitié de l’homme d’aujourd’hui.
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Les enfants n’avaient pas le droit d’entrer dans la chambre de Pépin et Phéodora, mais il m’arrivait de m’y faufiler ; j’avais parfois de l’audace, pour impressionner les cousins. La pièce sentait l’avoine battue et le lait fertilisant. C’était, devais-je l’apprendre de Yohan, expert dans l’espionnage de ma famille, l’odeur de la douche à punaises que ma grand-mère cachait derrière un magnifique paravent olmèque – Phéodora avait une maladie de peau que seul parvenait à apaiser un jet d’insectes à haute pression. Je me souviens que les murs de la chambre étaient couverts de petites photos sous verre de membres de la famille, souvent laides, souvent passées ; que s’accumulaient sur les étagères des sculptures d’animaux (pour la plupart, des oiseaux et des renards) ; que sur des tables basses, d’innombrables tasses, pots, timbales et assiettes peintes prenaient la poussière. Et surtout, bien rangés dans une petite bibliothèque d’ivoire, on trouvait d’obscurs livres horrifiques dont je me demandais comment ils avaient atterri là. Je me rappelle encore certains d’entre eux, avec leurs terrifiantes couvertures illustrées – Douche de viscères en Alabama, À l’ombre des nonnes écartelées ou, le plus dégoûtant de tous, J’ai reconnu ma sœur dans un plat de tripes au vin. Aujourd’hui, je suis convaincu que ces ouvrages étaient des blagues de mon grand-père ; il devait savoir que les enfants aimaient fouiller en douce dans la chambre royale et riait probablement en imaginant les têtes que nous faisions en tombant sur ces bouquins étranges, qu’il avait dû fabriquer lui-même. Grand-Père était un farceur.
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Quelqu’un glissa un stylo dans les mains de Paul VII, 268e évêque de Rome, qui signa l’acte de cession. L’Eglise catholique romaine était désormais la propriété souveraine de Mundo©. Steven Braft, un commercial de vingt-neuf ans récemment nommé Senior Business Pilote par Mark serait élu Pape le soir même par un concile de golden boys hilares, dans une boîte de nuit d’Harlem. Son habit pontifical serait conçu par Dolce & Gabbana, sa Papamobile par Porsche. Il installerait le Vatican dans la Silicon Valley.
Mark ne prit pas la peine de raccompagner ses visiteurs. Il referma le dossier et passa au suivant : le rachat de Madagascar par le consortium Hello Kitty / Dassault. « Piece of cake », se dit-il. Le monde était alors un puzzle à vendre au détail et Mark fixait les prix. Un vent nouveau soufflait sur l’époque : la liberté était sans borne, sublime et tarifée. Il se rappela le mantra de son père : « Chaque loi qui disparaît ouvre un nouveau marché ». Le commerce est un art de la mise à mort, une impitoyable et délicieuse corrida. Les vainqueurs raflent tout. (Capsule n°4, 11 octobre 2045 : « Le Business comme art martial »)
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Une certaine confusion règne encore,
mais encore un peu de temps et tout s’éclaircira ;
nous verrons enfin apparaître le miracle
d’une société animale, une parfaite
et définitive fourmilière.
(Paul Valéry, Variété, 1924)

(Exergue du recueil)
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J’ai une certaine tendresse pour l’échec. Il ne me fait pas peur et j’en fais mon allié. Peut-être est-ce l’habitude – rater est devenu une seconde nature.
Évidemment, mon premier roman fut un fiasco. Il est passé inaperçu, furtif, sous les radars. Mon éditeur n’avait jamais été confronté à un tel degré d’indifférence. Il en a développé des poussées d’eczéma. Pour ma part, cette débâcle ne m’a pas surpris et à peine déçu, même si, c’est humain, je me suis laissé aller pendant quelques semaines à regarder en boucle des vidéos de jardinage et des documentaires sur les grands génocides. Il est vrai que j’avais été naïf. J’attendais, un peu bêtement, que la publication de mon livre bouleverse ma vie ; j’imaginais des virées nocturnes, des célébrités ivres, des cocktails décadents et des acclamations. Ce ne fut que du silence. Le roman n’intéressait personne. La presse est restée muette ; les libraires regardaient ailleurs, un peu gênés ; le public était loin. Quelques ventes, presque rien. Je voyais, impuissant, le livre glisser mollement vers sa zone d’anéantissement. Englouti par la flot de nouveautés, noyé dans le flux, il agonisait au fond des stocks. La poussière s’est élancée vers lui, puis le rebut s’en est régalé.
J’aime penser qu’il a été recyclé en quelque chose de plus utile qu’un roman, comme un sous-bock ou une notice de médicament. Lorsque je trouve un prospectus dans la boîte aux lettres, il m’arrive de le coller contre mon nez et de le renifler en fermant les yeux. J’y cherche, cachée derrière les réclames pour des cercueils en acajou ou des burgers halal, une présence. La trace de mon Jardin des délices.
Malo, dans cette affaire, a perdu une petite fortune. Il aurait tout aussi bien pu jeter directement un gros sac de billets au fond d’un lac du bois de Boulogne, ça lui aurait fait gagner du temps. Quelques mois après la parution, les yeux humides, il m’a serré dans ses bras et m’a dit : « Souvenons-nous, Benoît, ne cessons pas de nous souvenir que nous ne faisons pas ça pour l’argent. » Après un silence embarrassant, il a ajouté : « Et puis ne vous inquiétez pas, il y a Mimi. » Au moment où il a prononcé ces mots, une violente douleur a traversé mon ventre. « Une contraction », me suis-je dit avec horreur, avant de me ressaisir. Mylène D’Aubusson est la vedette des Éditions Realis. Romancière exigeante, multiprimée, ultracotée, membre du jury à Cannes l’année dernière. Selon Le Monde : « Ses textes drôles et cruels mettent en scène avec panache la dissolution de la classe ouvrière française dans une économie mondialisée. » Elle serait « la grande voix du petit peuple ». Ses ventes déversent des tonnes d’euros sur la maison d’édition, ce qui permet à Malo de financer des auteurs moins populaires et de passer quelques romans par pertes et profits. Grâce au triomphe de Mylène, et à lui seul, je peux espérer publier un jour un autre livre. Voilà le pouvoir qu’elle exerce sur mon existence. Pour cela, je la déteste. Pour cela, et pour l’envie acide qui monte dans ma gorge lorsque je l’aperçois à la télévision.
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Je suis bourgeois. Tout en moi l’est. Mes manières et mes aspirations sont bourgeoises, et avec elles mes peurs, ma sensibilité, mes centres d’intérêt. Ma voix est bourgeoise, comme ma démarche et mon alimentation. Mes pensées les plus secrètes le sont tout autant ; même mes rêves sont ceux d’un bourgeois. Je ris, je mens, je souffre et j’aime en bourgeois. Rien n’y échappe. Enfant, déjà, j’étais bourgeois. J’écarquillais mes grands yeux bourgeois en contemplant les nuages qui, du seul fait d’être regardés par moi, devenaient bourgeois. Ce que je mange est transformé automatiquement en nourriture bourgeoise et n’importe quelle musique, une fois arrivée à mes oreilles, devient bourgeoise. J’embourgeoise tout ce qui me touche. Parions que j’étais un fœtus bourgeois, niché dans son domaine, et que mon premier cri s’explique par le fait que ma naissance fut une expropriation ; la section du cordon ombilical, une perte de capital. Je suis sans aucun doute issu d’un spermatozoïde bourgeois et d’un ovule bourgeois. Évidemment, je descends en ligne directe d’une amibe bourgeoise qui, à l’ère précambrienne, plus de trois milliards d’années avant la création des hedge funds, fit fructifier son capital génétique en accédant au stade pluricellulaire.
Depuis le sixième étage d’un superbe immeuble haussmannien, niché à la cime de la Bourgeoisie, je contemple le Quartier latin, ses marchands de thé, ses galeristes, ses passants pressés et élégants. Une fourmilière quatre étoiles. Ce monde n’est pas tout à fait le mien, mais il me reconnaît comme l’un de ses enfants.
– Considérez cela comme un acte de purification, me dit Malo en me servant un verre de rhum brun. Considérez cela comme une cérémonie de passage.
Un soleil bas caresse les tapisseries gothiques qui couvrent les murs de son bureau. La décoration de la pièce est de grand goût, quoiqu’un peu désuète, avec ses meubles en bois de chêne et ses épais abat-jour. Un bureau d’éditeur, imposant, à l’ancienne, qui sent le cuivre lustré et un peu la poussière. Entre les bouquins et les manuscrits, j’aperçois des piles de sudoku inachevés. Malo m’a fait venir pour, a-t-il dit, m’annoncer une « nouvelle génialissime ». Il n’est pourtant pas du genre à s’enthousiasmer. Il me tape sur l’épaule en poussant un petit grognement qui est sûrement un rire et me tend le verre de rhum.
– C’est que déteste boire le matin, lui mens-je.
– Il va falloir vous défaire de ce que vous croyez être, Benoît, dit Malo en se servant à son tour un verre généreux.
Ses yeux se plissent d’une drôle de manière. Je ne lui connaissais pas cet air gourmand, presque enfantin. Malo Barillet, éditeur de prestige depuis quarante ans, chevalier des Arts et des Lettres, immense professionnel respecté de tous et revenu de tout, mémoire vivante de la littérature française, conseiller de Deleuze, exégète de Barthes, jadis proche de Gracq et de Dolto, soutien de Koltès et ami de Daoud, ce même Malo Barillet a l’air d’un gamin impatient. Mimant un pas de danse sur son tapis persan, l’œil rieur, il attend que j’accepte son offre alcoolisée. Il me propose un pacte. Sans surprise, je finis par empoigner le verre qu’il me tend.
– Je veux bien vous suivre, lui dis-je, mais uniquement pour ne pas vous laisser boire seul. C’est la charité qui m’anime.
– Vous avez tellement de bonté en vous. Vous êtes un saint, dit Malo en lapant déjà quelques petites gorgées d’alcool.
– Sûrement, dis-je. Mais à partir de maintenant, vous êtes responsable de tout ce que pourrais faire. De toutes mes folies.
– Ne l’ai-je pas toujours été ?
Un petit rire secoue l’éditeur. Il ne m’a visiblement pas attendu pour trinquer. Son légendaire catogan gris clair danse dans sa nuque, tandis que sa bouche se tord d’un sourire. Je remarque la longueur exceptionnelle de ses canines.
– Le film se fait, Benoît. Voilà ce que nous fêtons. Voilà pourquoi nous buvons. Les négociations ont abouti hier, dans la nuit. La production a tout validé. Yanis a signé.
Je pourrais l’embrasser, là, sur-le-champ, sauter à son cou comme à celui d’un vieux père. Le film se fait. Me voilà qui entre dans le club restreint des écrivains adaptés. « Porté à l’écran », dit-on, et par l’un des deux ou trois réalisateurs les plus cotés du moment. Yanis Saint-Saëns, et sa Caméra d’or. J’imagine déjà le regard humide de ma fille – j’ai toujours pensé que j’aurais une fille ; je l’appelle Alizée et lui prête de jolis traits rieurs. Je peux presque la voir foulant un tapis rouge, sa petite main agrippée à la mienne, le coeur tremblant de fierté. Je la hisserais sur mes épaules et elle contemplerait le parterre de photographes, éperdue d’admiration pour moi. Pire, je la veux envieuse. Je veux que le monde entier m’envie et se sente par mon génie écrasé. Le film se fait. Je ferme les yeux un instant et, oubliant l’odeur vulgaire et entêtante du rhum, j’écoute cette petite joie qui gonfle en moi. J’appelle cette joie bourgeoisie. Elle n’est qu’un narcissisme. Mais elle est si douce. Sucrée comme un rhum arrangé.
J’ai ressenti cette même volupté lorsque, voici deux ans, j’ai reçu le message des éditions Realis dans lequel Malo m’annonçait qu’il souhaitait publier mon livre. Pour un écrivain, le fait d’être édité est un anoblissement. En cela, la littérature échappe presque à la Bourgeoisie – c’est une affaire d’aristocrates. J’ai d’abord douté du sérieux d’une maison prête à éditer mon petit roman bizarre, mais Malo était un grand nom. Une sorte d’aventurier. Lorsque j’ai fini par y croire, j’ai eu le sentiment d’une sanctification. On m’élevait au-dessus du rang des mortels. On faisait de moi un éternel. Le descendant d’Homère, de Shakespeare et d’Hugo. Aujourd’hui, bien sûr, je vois les choses autrement.
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C'est l'idée d'un repas, dans l'idée d'une chambre. Je suis l'idée d'un homme.
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Je suis bourgeois. Tout en moi l'est. Mes manières et mes aspirations sont bourgeoises, et avec elles mes pensées, ma sensibilité, mes centres d'intérêts. Ma voix est bourgeoise, comme ma démarche et mon alimentation. Mes pensées les plus secrètes le sont tout autant ; même mes rêves sont ceux d'un bourgeois. Je ris, je mens, je souffre et j'aime en bourgeois.
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Les yeux des animaux ont sur moi un pouvoir d’engloutissement. Comme s’ils me renvoyaient au temps des cavernes. Leur pupille a une drôle de texture ; une acuité désagréable. J’ai l’impression qu’ils savent de moi quelque chose que j’ignore. Qu’ils me prennent de haut. Les bêtes semblent me voir tel que je suis : un mammifère mou et docile, pendu à mille laisses, incapable de déchiffrer le vent, les rivières et la nuit, étranger à l’âpreté du monde et sourd à sa grandeur. Les yeux vairons du tigre sont un tribunal. Sois clément bel animal. Aie pitié de l’homme d’aujourd’hui.
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Connaître un peu l'architecture du cosmos, cela m’a toujours été doux au coeur. Cest apaisant, cette immensité. De telles échelles, de telles éternités , repose de soi.
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Les lumières des phares, sur la voie d’en face, émergent du néant, flottent quelques instants dans les ténèbres, puis disparaissent. Près de la sortie 287 scintillent des gyrophares et des panneaux lumineux. Je dois quitter l’autoroute, dont un segment est fermé. La radio m’apprend qu’un cheval blanc échappé d’un haras voisin s’est engagé sur les voies. Alors que j’emprunte une bretelle, je l’aperçois, au loin, qui galope dans la nuit, seul et sublime. Une beauté frémissante. Les caméras ne vont pas tarder. Les scènes comme celle-ci devraient être peintes, pas filmées. La caméra les transforme en fait divers. Il faut un artiste pour déceler la vérité. On manque de peintres d’actualité, disponibles à toute heure. Le terroriste dans sa mare de sang, à la manière pointilliste ; cent vingt résidents d’un Ehpad noyés dans la crue du siècle, façon impressionniste ; le suicide du ministre de l’Intérieur, version pop art. Il faut du style pour déchirer les voiles et raconter ce qui se passe vraiment. Je m’engage sur les routes secondaires en me frottant les yeux.
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Je sors sur le parking pour avaler mon sandwich, trop humide, et mon café, trop amer. Un délicieux petit vent danse dans le soir. Le ciel est clair, pétillant d’étoiles roses ; il me rappelle ces soirs d’été où, allongée dans le jardin d’arbres à gelée du domaine des Douves, ma cousine Bertille m’a appris à reconnaître les quatre-vingt-neuf constellations et, grâce à un filtre de son invention à base de cire des rivières, à distinguer la matière noire. C’était il y a des siècles, mais je n’ai rien oublié. Andromède, le Cygne, la Gueule à Crocs, l’Œil de Caïn. De vraies petites créatures à la Bosch ; des amies dans les ténèbres. Connaître un peu l’architecture du cosmos, cela m’a toujours été doux au cœur. C’est apaisant, cette immensité. De telles échelles, de telles éternités, ça repose de soi. Il est temps de partir. Un inspecteur m’attend, au fond du pays d’Ombrière.
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Je ne repense jamais à mon enfance. Je n’en rêve pas et ne ressens pas le besoin d’en parler. Ce n’est pas que je sois plus insensible qu’un autre, ni plus amnésique. En faisant quelques efforts, je peux même me souvenir de détails précis – l’inflexion d’une voix, des boucles rousses roulant dans une nuque, le parfum putréfié d’un marécage ou la lumière sèche éclaboussant un matin de douleur. Ma mémoire n’a rien effacé. Simplement, ça ne m’intéresse plus. Mon passé est derrière. Je suis relié à lui, mais la corde a suffisamment de mou pour ne pas me retenir. Lorsqu’on me questionne, j’esquive, je change de sujet. Je n’aime pas ressasser. Certains de mes amis s’inquiètent pour moi ; ils adorent imaginer que je couve une abominable dépression – on ne peut pas être à ce point détaché de sa propre histoire. Ils pensent que je fuis quelque chose, mais en tout honnêteté, ils se trompent. Et j’ai l’impression que l’on vit très bien – mieux, peut-être – en n’étant pas trop près de soi. Mon enfance, ce continent étrange et inquiétant, est à sa place : enfouie dans les bas-fonds. Muette, entre les algues.
Il s’est passé quelque chose de terrible au domaine des Douves.
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Parfois, pendant la promenade, observant les corbeaux, je me souviens de Wolfgang. L'esprit articiel, que j'espérais sage, mesuré et profond, s'était avéré vain, médiocre, abrutis. J'avais parfaitement réussi, au fond, à recréer l'esprit humain, j'en avais restitué toute l'étroitesse et la mesquinerie. Je rêvais de hauteur, fou que j'étais, et oubliais la vérité de l'homme : malgré son infinie complexité, notre cerveau ne produit pour l'essentiel que des pensées banales. Wolfgang avait une personnalité sans intérêt, commune et agaçante. Wolfgang était un crétin. J'ai inventé la bêtise artificielle.
(Capsule 23 - à son image)
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ZAP
...est bon pour notre économie de laisser croire aux ouvriers qu'une révolution reste possible, la perspective de leur libération les rendant plus productifs et plus rentables, avec un ratio espoir/asservissement/compétitivité de 11,6% à fin mai...
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F2WIK ne sut jamais que la guichetière était morte d'une grippe porcine deux mois après leur rencontre. Il passa un siècle à l'attendre. Un jour, il en était convaincu, le téléphone sonnerait, et la vie commencerait. Cette illusion, chose curieuse, donna tout son piment à son existence. Elle le tint debout. C'était un rêve nourricier, un mensonge bâtisseur, qui lui permit d'être tout à fait vivant. Chacun fait comme il peut. On s'invente, pour tenir, des choses à espérer. Il nous faut des chimères. Il nous faut des histoires. (Capsule 32 - les amours automatiques)
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Et puis peu à peu, j’ai commencé à comprendre le projet du Prince Charmant. Sa tyrannie par le divertissement n’était pas si absurde, après tout, et m’apparaissait même de plus en plus séduisante : il nous proposait un monde cohérent, paternel, joyeux, il voulait nous protéger de la réalité. Quoi de mal à ça ? Mes réticences cédèrent vite le pas à une adhésion mesurée, puis sans faille : pour trouver le bonheur, il suffisait de s’abandonner aux délices de la dictature du fun et de jouer sans entrave. Tout était un spectacle. La soumission, un peu comme le sommeil, libère, allège, résout. Soulagé, sans remord, je lâchai prise et m’oubliai dans la fête perpétuelle du pays de l’enfance.
Depuis, toute trace de moi a disparu – je suis devenu Winnie l’Ourson et tout est bien plus simple. (Capsule n°5, 2 septembre 2022 : « Y a-t-il des gift shops au Goulag ? »)
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