Les petites choses sont des champignons, mais des champignons qui donnent des visions … Leur histoire draine dans son sillage l’évocation d’une époque de l’histoire des USA, celle du Flowers powers, et aussi le moment d’une bascule pour la culture indienne du Mexique. En se croisant, l’une videra l’autre de ses résonances magiques. Les dieux des Andes n’ont pas survécu au Disneyland de la drogue.
Tout commence par une dissonance entre Tina et Gordon Wasson, tout juste mariés. Elle est d’origine russe, les champignons font parti des odeurs et des goûts de son enfance. Lui est un WASP, la cueillette et la consommation des « mushrooms » ne lui inspirent que méfiance. De cette broutille démarre une passion pour l’étude de ces petites choses qui poussent dans les sous bois, ils commencent à écumer les bibliothèques, les collections ethnographiques pour interroger la frontière entre les cultures micophiles et les micophobes, entre les civilisations qui en font des êtres supérieurs ou des monstres. Pour cette passion, ils inventent un mot, ils deviennent ethnomycologues, tout en restant respectivement banquier et pédiatre. Ce qu’ils ne savent pas, c’est qu’ils vont déclencher la révolution psychédélique.
Pendant ce temps là, Albert Holfman fait breveter la molécule du LSD dans les laboratoires pharmaceutiques, on fabrique de la vision … L’usage psychiatrique intéresse de nouveaux adeptes, du côté d’Hollywood. Et la CIA se pence sur les techniques de la manipulation mentale.
Pendant ce temps là, Disney sort Fantasia, où des champignons roses avec des chapeaux étincelants, dansent en cercle, tout mignons, une récréation hallucinée sur l’air de « Casse noisette » déferle sur les écrans en cinémascope. Un peu plus tard, c’est Alice qui croque le champignon, pour une aventure et une métamorphose de l’autre côté du miroir de la perception …
Les Wasson s’envolent pour une région plus obscure encore, Huauta de Jimenez, village mazatèque, où des cérémonies nocturnes se dérouleraient et viendraient réveiller les dieux endormis. Car, pour les Indiens, les champignons vous amènent là où se trouvent les dieux. D’ailleurs, leur nom, ndi-xi-tjo signifie » ce qui jaillit » et il est tabou, on ne le prononce pas, on le murmure … Mais, lors de ce premier voyage, pas de chamanes à l’horizon pour donner aux Wasson le mode d’emploi. Mais c’est le début … Ils reviendront, rencontreront Maria Sabina, auront accès au monde des dieux, en des trips dont ils garderont le contrôle, et insassiables curieux, livreront au magazine Life, et au monde visible, le secret des « enfants saints » … A Huauta, viennent alors par flopées, les enfants perdus de l’Amérique qui transforment l’usage sacré en une consommation mercantile et destructrice, d’eux mêmes, mais aussi de l’usage ancestral, raisonné et sacré.
De cette histoire, anecdotique au premier abord, l’auteur fait un symbole d’une colonisation culturelle, dans un registre d’écriture jubilatoire, enlevé, ironique et distancié. Il jongle avec les pronoms personnels, le vous du lecteur se trouve interpellé, il se moque des Wasson, voleurs de feu bien intentionnés, tout en suggérant la tragédie sous jacente qui va, à leur insu provoquer un déséquilibre irréversible. Un texte qui se lit quasiment comme un roman d’aventure décalé, celui des petits champignons à l’usage perverti …
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