En pleine période de folie fasciste et d'engouement militariste et ultranationaliste, Yoshino a eu l'audace d'écrire, à l'intention des jeunes Japonais, un livre qui prônait l'usage critique de la raison et défendait la supériorité éthique de l'amitié des égaux par rapport à la soumission rampante et aveugle à l'égard des aînés et des dominants. Je crois que mon père voulait faire de moi un jeune homme capable de garder sa lucidité en toute situation, de ne pas succomber à la folie collective et de s'insurger contre les aberrations...
Son père lui avait-il précisé, ce jour-là, que son violon était de Nicolas François Vuillaume, originaire de Mirecourt ? Rei voltigeait d'une question à une autre, d'une conjecture à une autre, d'une supposition à une autre. Se débattant ainsi dans les incertitudes, il finissait par se désoler. Il se rendait trop bien compte que tous les cœurs du monde, retirés dans leur solitude intranquille, étaient semblables à des monades impénétrables, repliées sur elles mêmes ; qu'ils étaient finalement comme tous les corps du monde séparés les uns des autres, si douloureusement étrangers les uns aux autres.
Où aller ? Quel chemin prendre ? Il interroge l'horizon et fait un tour complet sur lui-même. C'est alors qu'il trouve une longue branche d'arbre par terre. Il la ramasse et la lance en l'air. Elle tombe. On dirait, que posée en diagonale, [...] elle indique une direction. Sur fond de musique d'une innocence et d'une nonchalance enfantines, le samouraï enjambe la branche et se résout à prendre la direction indiquée par le hasard.
Ainsi Kurosawa introduit-il, d'emblée, la figure emblématique d'un individu solitaire et errant dans son chef d'oeuvre de 1961. (Yojimbo)
À chaque visite, je me glisse vers mon enfance à la fois insouciante et tourmentée. Et je me demande chaque fois pourquoi je me suis tournée vers les études européennes, pourquoi je me suis passionnée pour le français à tel point qu'à un moment donné, je n’ai pas résisté à la tentation d'aller vivre en France. Je voulais m'immerger dans cette langue. C'est sans doute grâce à la bibliothèque que mes parents avaient installée dans leur cabinet médical de Shinano-Oïwake à l’intention de tous leurs patients et des villageois. J’ai dévoré les livres de cette bibliothèque singulière.
Le but de mes parents consistait, à n'en pas douter, à proposer des lectures éclairantes et émancipatrices qui allaient dans le sens opposé à celui du chemin des sujets bruyamment prôné par les autorités militaires et impériales. C'était là mon école. C'était là mon monde séparé de celui qui m'encerclait.
En transportant partout cette école avec moi, en moi, en poursuivant la voie qui était celle de mes parents, j'ai fini par me trouver vers l'âge de vingt ans dans l'immense forêt des livres en français. Et c'est là que j’ai bâti ma demeure. C'est là que j’ai construit ma forteresse.
Pour que la musique parvienne jusqu'à nous, il faut des compositeurs qui créent la musique. Il faut des interprètes, des instrumentistes, par exemple des violonistes qui la réalisent, mais il faut aussi des gens qui fabriquent leurs instruments, leurs violons et leurs archets. Il faut le concours de ces trois catégories... euh... trois groupes de personnes... Sinon, pas de musique, tu vois. N'est-ce pas merveilleux ?
Il posa son regard sur le violon mutilé. Il s'accroupit. Il le prit délicatement dans ses mains, ce corps souffrant avec les quatre cordes distendues dessinant des courbes tourmentées comme celles des tuyaux et des fils de raccordement électrique couvrant le visage d'un accidenté grave ou d'une victime d'un bombardement aveugle.
En fait, la folie est une forme de résistance, je crois… ou plutôt, comment dirais-je, la forme excessive et extraordinaire que prend l’acte de résistance. C’est le lieu d’inscription de la violence innommable…
- Tu as une boîte à couture pour apprendre à coudre. Ce n'est pas pour la montrer aux autres, ni pour la comparer avec celles des autres. La seule chose importante, c'est que tu as tout ce qu'il faut dans cette boîte pour bien apprendre à coudre, pour pouvoir mettre en pratique les instructions de la maîtresse...
C'était le dernier mot de la conversation familiale, décisif, définitif, sans appel, avec tout le poids de l'autorité paternelle, imperceptible mais réelle.
1. BLESSURES -.Ou les origines du désir d'errance.-p.40-
Vous dites que l'homme dont vous brossez le portrait est votre grand-père paternel que vous n'avez pas connu...
— Oui, c'est exact.
— Eh bien, je me demande si votre grand-père n'est pas également le mien... le père de ma mère...
Frappé de stupeur, le jeune homme, écarquillant les yeux, restait immobile et muet.
En se plaçant à l'endroit exact où elle avait joué deux heures auparavant la "Gavotte en rondeau" , elle interpréta de nouveau la pièce de Bach.
Les aigus sonnaient comme une enfilade de gouttes d'eau pure versées par un ciel bas et tourmenté, étincelant aux premiers rayons du soleil pénétrant obliquement les feuillages verdoyants d'une forêt boréale luxuriante, tandis que les médiums et les graves étaient comme ouatés, glissant sur une étendue de velours, suscitant une impression de chaleur intime émanant d'une cheminée de marbre restée allumée toute la nuit.
Il y avait là, en plus, une saisissante égalité de timbres.
La musique avançait, revenait, montait, descendait avec une liberté euphorique; elle faisait penser à une danse joyeuse et sautillante qui semblait exprimer le bonheur de marcher dans un paysage enchanté...