Citations de Bianca Joubert (32)
On parle d’arbre généalogique, de branches sur lesquelles on s’inscrit en ramifications. Moi, j’y vois plutôt des cercles concentriques qui mènent jusqu’à mon coeur. Des anneaux comme ceux à l’intérieur des troncs d’arbres, qui se forment année après année, ou des couches de peau qui cicatrisent en ronds successifs sur une blessure.
Et aujourd’hui, certains habitants de cette province, les descendants des colons d’hier, disent non aux migrants sous prétexte qu’il n’y a pas l’espace pour les accueillir. On veut faire une Amérique blanche alors qu’elle ne l’a jamais été, sauf en hiver.
Migrants. Un terme qu'on a trouvé pour parler de ceux qui bougent. Ceux qui se déplacent à cause de la guerre, du climat, des catastrophes. De l'économie. Un terme qu'on utilise pour ne pas dire réfugiés. Parce que les réfugiés, on est obligés de les accueillir. Ceux qui vendent des armes d'une main stoppent ceux qui fuient les tirs de l'autre.
C’est ce qui m’a pris : l’envie de laisser cet amour sous verre, pour qu’il respire de lui-même, pour ne jamais le perdre dans la lassitude.
Elle comprenait d’instinct que l’écriture était un pouvoir, et qu’il fallait connaître les armes de ses ennemis, surtout si les ennemis pouvaient décider de notre sort en nous faisant entrer dans les cahiers des archives, écrivant à notre place notre histoire et façonnant notre identité en lettres attachées.
La grande traversée qui m'attendait, cette fois, c'était le passage non seulement d'une rive à une autre, mais d'une vie à une autre.
Ce qui est inachevé reste pour toujours merveilleux. Inépuisable. C'est ce qui m'a pris : l'envie de laisser cet amour sous verre, pour qu'il respire de lui-même, pour ne jamais le perdre dans la lassitude.
Dans le dénuement, j'ai trouvé l'abondance. A la différence que je peux, moi, repartir quand je le veux.
Je me demande en pédalant si ceux qui n'ont pas de transistor, ne savent pas lire les journaux et côtoient rarement la télévision sont plus à l'abri des catastrophes du monde.
L'élégance des gens d'ici, malgré le rude travail, la rareté de l'eau, la terre rouge qui vole sous les roues des mobylettes et envahit tout, me fascine.
L'époque où j'ai appris que les battements du coeur sont la seule vraie mesure du temps.
Dans cette maison, à chacune de mes respirations entraient les brises du passé, chargées de l'espoir naïf d'autrefois : tout ira bien, la vie sera merveilleuse, il suffit de partir et de se diriger vers un ailleurs lointain pour trouver ... autre chose.
Je suis partie depuis un siècle. Mes ancêtres ne faisaient que ça, partir. Notre monde existait bien avant les cartes. Les cartes géographiques ne comportent plus de terre incognita, l'homme a marché partout, même sur la Lune. L'expression "là où finissent les cartes" n'a plus de sens.
Mais si on laisse les araignées tisser leurs toiles, après, c'est nous qui risquons d'être pris dedans.
Au paradis, il n'y a pas d'hommes. Sinon ce serait l'enfer.
L'ennui c'est la mort. Le rêve, c'est ce qui nous sauve.
L'homme est notre plus grand prédateur parce que lui seul pense à exterminer. Chez lui, c'est toujours la faute des autres. Les étrangers ont toujours tort. Ceux qui ne sont pas comme eux.
Les hommes ne pensent qu'à ça, leur plaisir. La liberté des autres leur importe peu, quand ils sont du bon côté de la cage.
Ce n'était pas une histoire d'amour. C'était une histoire de guerre. Il me racontait, parce que mes oreilles n'étaient pas fermées à l'horreur. Si elle était présente depuis le début de l'humanité, il y avait bien une raison ? C'était fou de penser ça, mais j'en venais à croire que l'homme ne dompterait pas le monstre en lui avant une sorte d'apocalypse.
On n'est prisonnier que de la routine. De ce que l'on s'impose. On est prisonnier de la fuite aussi, d'une certaine manière. On se condamne à toujours recommencer.