AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations de Cédric Michon (20)


C’est comme si le pays ne cessait de rejouer le synopsis du règne d’Henri VIII. L’Angleterre est toujours dedans et dehors à la fois. Si depuis le Brexit, elle a inversé l’ordre des deux mots et essaie d’être dehors et dedans à la fois, historiquement, cette dimension est largement incarnée par la religion anglaise, une religion qui n’est ni catholique ni protestante, une religion qui, en dépit des évolutions postérieures au règne d’Henri, correspond à cette double identité voulue par celui-ci, une religion protestante dans le dogme, catholique dans la hiérarchie et les cérémonies.
Commenter  J’apprécie          80
La nuit est tombée sur le palais de Whitehall.
Dehors, il fait froid ; les lourds rideaux de tapisserie sont tirés pour empêcher l’humidité du fleuve de pénétrer dans la chambre ; de temps à autre, on entend le crépitement des bûches et le souffle d’une respiration difficile. L’huile de rose et l’ambre gris brûlent doucement pour combattre l’odeur de la maladie. Dans la pénombre, au milieu d’un gigantesque lit, un vieillard énorme agonise. Il est seul. À la cour, tout le monde a peur de ce colosse monstrueux, qui depuis des années n’est pourtant même plus capable de tenir debout sur ses jambes. Il n’y a pas dix jours, il a encore fait décapiter le comte de Surrey, issu d’une des plus puissantes familles du royaume, et naguère compagnon fidèle de son fils bâtard. Jusqu’au bout, il aura montré que personne n’est à l’abri de ses angoisses paranoïaques. Bientôt, tous seront libérés de sa tyrannie. Mais, pour l’instant, pas un seul ne bouge. Dans son dos, à voix basses, tractations, complots et manigances vont bon train, pour déterminer qui dirigera le royaume lors de la minorité de son petit garçon de 9 ans qui sera roi demain matin.
(INCIPIT)
Commenter  J’apprécie          80
Ce qui est certain aussi, c’est qu’en cinq ans, le roi va affirmer son contrôle sur l’Église d’Angleterre par la proclamation de sa Suprématie et va basculer dans une dérive autoritaire qui, par l’exécution de ses opposants les plus déterminés, impose une nouvelle manière de gouverner. Ce à quoi nous assistons pendant ces quelques années, c’est à une tragédie classique en cinq actes et en trois moments. Il y a d’abord « l’exposition » qui, selon Corneille, contient « les semences de tout ce qui doit arriver » ; puis le « nœud » qui précise la nature du conflit à résoudre ; enfin le dénouement qui résout les problèmes exposés dans le nœud

L’acte 1 est celui de l’exposition et du nœud. C’est la mise en place des personnages et du conflit. On s’aperçoit alors que celui-ci glisse progressivement de la question du mariage (l’exposition) à celle du rapport de suprématie entre le roi et le pape (le nœud). Dans l’acte 2, l’action commence : le roi se déclare chef suprême de son Église. Dans l’acte 3, il exerce son autorité nouvelle, contre son Église ; dans l’acte 4, il l’exerce contre le pape cette fois ; dans l’acte 5, il conclut : c’est la validation de la chute de tous ses adversaires (actes de succession, de Suprématie et de trahison). Il a alors résolu son problème
Commenter  J’apprécie          50
La position d’Henri VIII est on ne peut plus paradoxale : il souhaite promouvoir l’accès aux Écritures saintes pour tout le monde, tout en interdisant à qui que ce soit d’arriver à ses propres conclusions en le faisant. En somme, il veut à la fois un retour à l’enthousiasme de la lecture des Évangiles et une stricte obéissance à la parole officielle. Celle-ci s’engage en parallèle dans une attaque contre la religion traditionnelle.
Commenter  J’apprécie          40
Dans cette histoire, Français et Anglais rivalisent d’esprit et opèrent une distanciation humoristique qui est une manière d’évoquer leur histoire partagée et de s’agacer mutuellement sur leur valeur commune : la vaillance guerrière. On a presque le sentiment que la complexité des relations franco-anglaises que l’on peut observer aujourd’hui est déjà là, tout entière, il y a cinq cents ans.
Commenter  J’apprécie          40
Mais ce qui est le plus frappant peut-être c’est une forme de décalage entre les rêves médiévaux et impériaux des princes de la Renaissance, d’une part, et l’attitude pragmatique et réaliste de leurs conseillers, qui les invitent à ne pas caresser de chimères inutiles d’autre part.
Commenter  J’apprécie          40
Il doit donc assister à des joutes savamment mises en scène et qui voient l’affrontement d’une équipe portant ses armes et représentant Pallas (la sagesse) et d’une autre équipe, qui représente Cupidon (l’amour), puis d’une autre encore représentant Diane (la chasse). Le programme est symbolique : Henri VIII sera-t-il un bon roi adepte de la sagesse ? Ou bien se laissera-t-il dominer par ses plaisirs, qu’il s’agisse de ceux de l’amour ou de la chasse ?
Commenter  J’apprécie          40
Thomas More ne dit pas autre chose dans son ode pour le couronnement d’Henri VIII :

Ce jour est la fin de notre esclavage et le début de notre liberté
La fin de la tristesse et la source de notre joie.
Car aujourd’hui est la consécration d’un jeune homme
Qui est la gloire éternelle de notre temps et dont il fait notre roi.
Un roi qui mérite non seulement de gouverner son peuple,
Mais également de gouverner le monde entier.
Un roi qui séchera les larmes de tous les yeux,
Et qui mettra de la joie en lieu et place de notre longue misère.
Commenter  J’apprécie          40
S’il peut sembler ridicule aujourd’hui de nommer chef de guerre un enfant de 3 ans, la situation est fort différente dans l’Europe de la fin du XVe siècle. En effet, la symbolique royale s’articule autour d’une double dimension : la dimension matérielle (couronne, sceptre, orbe, etc.) d’une part, la personne royale d’autre part.
Commenter  J’apprécie          40
Lorsqu’il naît dans le palais de son père à Greenwich, le 28 juin 1491, Henri (le futur Henri VIII) n’est donc pas l’héritier de la Couronne. Et tandis que la naissance des deux aînés est célébrée avec tout le faste que l’on est en droit d’attendre d’une des grandes et plus anciennes monarchies d’Occident, sa modeste troisième position dans l’ordre des naissances passe relativement inaperçue et donne lieu à des festivités plus modestes.
Commenter  J’apprécie          40
Au-delà de la paix dans l’honneur, il propose à Henri VIII la paix dans la gloire. Car la paix est l’une des valeurs clés de la pensée humaniste. L’année précédant le traité de Londres, Érasme a publié son Querela Pacis (La Complainte de la paix). Par ailleurs, parmi les plus de 4 000 adages qu’il a publiés, le plus célèbre est peut-être le no 3001 : Dulce bellum inexpertis (« La guerre est douce à ceux qui ne la connaissent pas »). Par le traité de Londres, Henri VIII assied son image de roi humaniste. Un peu plus d’un an plus tard, au moment de la rencontre du camp du Drap d’Or, il entend asseoir son image de prince de la Renaissance.
Commenter  J’apprécie          30
On bascule alors dans le vaudeville. Mais un vaudeville prévisible. Il y a quelque chose de surprenant, de pitoyable ou d’émouvant, dans la capacité des hommes mûrs, ventripotents et mal portants, à être convaincus qu’une belle jeune fille dont ils pourraient être le père est attirée par eux pour ce qu’ils ne sont plus depuis longtemps. Henri VIII a été un jeune homme athlétique et séduisant au début de son règne. Trente ans plus tard, c’est un homme malade, usé, et même répugnant.
Deux vestiges nous permettent d’imaginer sa transformation physique. Son armure de 1514 nous permet de savoir qu’il était alors un colosse de près de 1,90 mètre, avec un tour de taille de 89 centimètres et un tour de poitrine de 107 centimètres. Lors de son mariage avec Catherine Howard, ses tours de taille et de poitrine sont passés à 137 et 147 centimètres.
Commenter  J’apprécie          20
C’est dans la Bible qu’Henri VIII va chercher des modèles auxquels s’identifier. D’une certaine manière, il ne pouvait mieux tomber car les figures bibliques, tout comme lui, sont souvent ambivalentes. Ainsi du roi Salomon, fils de David et constructeur du temple de Jérusalem, un roi à la sagesse proverbiale. [...]
C’est pourquoi, progressivement, Henri VIII glisse vers la figure moins polémique de David, le père de Salomon. David a pour lui le succès des armes, le courage physique et le panache – la tradition oublie ses fautes nombreuses,[...]
La lecture de son psautier n’est pas pour lui l’occasion de méditer sur ses faiblesses d’homme ou de prince, mais plutôt de se féliciter pour ses actions et de s’identifier au roi David. Ses ennemis sont des pécheurs et des hérétiques, tout comme le sont les ennemis de Dieu. Comme David, Henri a libéré l’Angleterre de ce Goliath qu’était la tyrannie pontificale : comme David, puni par Dieu par la perte de son premier fils, Henri est puni pour avoir épousé la femme de son frère. Et comme David, il considère qu’il a corrigé ses erreurs pour retrouver la protection divine.
Commenter  J’apprécie          20
Dans The Obedience of a Christian, William Tyndale affirme que la volonté de Dieu est que soit observée dans chaque royaume la règle suivante « un roi, une loi », ce à quoi Henri VIII se serait exclamé « ce livre est fait pour moi et chaque roi devrait le lire ! ». Le livre a tout pour plaire à Henri VIII. William Tyndale, en s’appuyant sur la pensée de Luther, affirme en effet que les rois et les princes doivent être obéis parce que Dieu a choisi de gouverner le monde à travers eux, et que leur résister revient à résister à Dieu. Selon lui, tous les hommes sans exception doivent obéir au glaive temporel. Cette remise en cause de l’idée selon laquelle le pape, les prélats ou le clergé posséderaient un pouvoir séparé est contraire aux Écritures. On comprend l’intérêt du livre qui offre soudain à Henri VIII une solution nouvelle pour résoudre le problème de l’annulation de son mariage avec Catherine.
Si l’on pousse jusqu’au bout la pensée de Tyndale, une solution simple se profile : il suffit de remettre en cause l’autorité du pape en Angleterre et de pousser en avant le pouvoir du roi. C’est ce que fait Henri VIII. Les digues de son pouvoir se fissurent alors. La tyrannie apparaît à l’horizon.
Commenter  J’apprécie          20
C’est l’histoire d’un poète amoureux. Sir Thomas Wyatt, homme de cour et diplomate, ayant longuement séjourné en Italie où il a découvert la poésie de la Renaissance, est amoureux. Il se souvient qu’une biche est apparue à Pétrarque un matin de printemps, avant de disparaître. Composant quelques vers sur son état d’esprit, il reprend cette image, et installe au centre de son poème la métaphore de la chasse comme une poursuite amoureuse dont il choisit, in fine, de se retirer, la victoire étant impossible :

Pour qui voudrait chasser, je sais où est la biche ;
Mais quant à moi, hélas ! je ne puis faire plus […]
En lettres évidentes incrustées de diamants,
Il est écrit autour de son col ravissant,
« Noli me tangere » [Ne me touche pas], car je suis à César,
Et, paraissant domptée, pour tout autre indocile.

Le narrateur est connu : c’est Thomas Wyatt. César est facile à identifier : c’est Henri VIII. La biche, c’est Anne Boleyn, cousine du poète.
Commenter  J’apprécie          20
Les canons de Calais tonnent pour accueillir le roi d’Angleterre. Sous cette voûte sonore, pompeux, Henri VIII débarque sur le continent. Il n’est pas seul. Des centaines de serviteurs, de courtisans, de guerriers et de prêtres l’accompagnent. Près de 30 000 soldats le suivent, qui sont encore sur l’eau. En ce début d’été 1513, Henri VIII est en train de relancer la guerre de Cent Ans.
Commenter  J’apprécie          20
Si l’on s’arrête un instant sur la personne d’Henri au moment où il devient roi, force est de reconnaître que rarement un roi d’Angleterre aura à ce point incarné la royauté. L’homme est un colosse de près d’un mètre quatre-vingt-dix. Il est jeune – il n’a pas encore 18 ans –, en bonne santé, beau et cultivé, riche et athlétique. Sur la scène européenne, il propose une cure de jeunesse par rapport à Louis XII, Maximilien Ier et Ferdinand d’Aragon, âgés respectivement de 47, 50 et 57 ans. On peut comprendre qu’il verra d’un mauvais œil quelques années plus tard l’arrivée d’un autre jeune premier, encore plus jeune, encore plus grand et à la tête d’un royaume encore plus puissant : François Ier.
Commenter  J’apprécie          20
Quelques mots d’ailleurs sur l’écriture d’Henri VIII, qui évolue assez peu au cours de sa vie. Elle est carrée, assez brutale et très différente de celles des humanistes. Si l’on hasarde une comparaison contemporaine, il y a autant de différence entre son écriture et celle d’un humaniste comme Thomas More, qu’aujourd’hui entre celles d’un Américain et d’un Français. Depuis les années 1930 aux États-Unis, l’enseignement de l’écriture cursive a reculé avant de quasiment disparaître, au profit de l’écriture en script, notamment dans le contexte du développement de l’informatique. L’Américain moyen est donc de moins en moins confronté à l’écriture cursive.
Eh bien, c’est un peu la même chose pour Henri VIII. Il semble écrire avec peine et avec réticence, mais est malgré tout contraint de le faire régulièrement. Comme il devait l’avouer dans une lettre à Thomas Wolsey une vingtaine d’années plus tard, « écrire est pour moi quelque chose de pénible et de douloureux ».
Commenter  J’apprécie          10
Extrait de l'introduction

OMBRES ET LUMIÈRES

Bien sûr, il y a le portrait en buste de Clouet, la charge de Marignan et le désastre de Pavie. Il y a aussi Léonard de Vinci et puis il y a Chambord. Pour autant, François Ier est un souverain méconnu ; c'est-à-dire qu'on le connaît peu et qu'on le connaît mal. Il n'a pas d'image forte : ce n'est pas un roi de fer - ou de marbre - à la manière d'un Philippe de Bel, un saint comme Louis IX, ou un soleil comme Louis XIV. Il n'est pas non plus de ces princes invisibles comme l'histoire de France en compte tant. Pourtant, son image est floue et se dérobe dès que l'on essaie d'ajuster son regard au-delà des images d'Épinal. Ainsi Apollinaire qui, dans l'un de ses Poèmes à Lou, se lamente : «Je perds tout sauf l'honneur ainsi qu'à Marignan», fusionnant le plus glorieux épisode du règne avec sa page la plus noire telle qu'elle est résumée traditionnellement par la formule apocryphe «Tout est perdu fors l'honneur.» Cette confusion d'Apollinaire, volontaire ou non, est symbolique des brouillards qui entourent le règne et le personnage de François Ier. Comme le poète, il semble que personne ne parvienne à s'y retrouver et ne sache quel parti adopter lorsqu'il évoque François Ier. Cela s'explique en partie sans doute par l'existence, aux côtés des panégyriques du roi mécène et chevalier, d'une légende noire qui s'articule autour de quelques épisodes et de quelques grandes accusations. L'un de ses principaux artisans en est Jules Michelet, que l'on panache à l'occasion avec d'autres contempteurs du monarque comme Voltaire et même, à sa manière, Victor Hugo. La charge la plus violente est celle du philosophe :

Je n'aime guère François Ier [...] Je ne vois guère [en lui] que des actions ou injustes, ou honteuses, ou folles.

L'attaque de Michelet, développée dans Renaissance et Réforme. Histoire de France au XVIe siècle, peut être résumée en une phrase : «Les femmes, la guerre - la guerre pour plaire aux femmes.» Un peu dans la même veine, si Hugo reconnaît en passant la valeur du guerrier («un gagneur de bataille/Dont le pas ébranlait les bases des murailles»), il propose l'image d'un souverain avant tout débauché. C'est encore, en plus mesuré, ce que l'on retrouve chez l'historien Lucien Febvre qui voit en lui un «monarque fertile en caprices».
Si l'on développe l'ensemble de l'argumentaire, la légende noire peut se résumer de la façon suivante : François Ier n'a pas gagné la bataille de Marignan, mais il a perdu celle de Pavie, les deux affrontements étant le symptôme d'une obsession italienne et guerrière dénuée de bon sens. De plus, le roi a été dans toute la première moitié de son règne un automate entre les mains de sa mère Louise de Savoie, une intrigante violente et rusée, avant d'être un amant soumis à une ambitieuse et inconséquente maîtresse, la duchesse d'Étampes. Une fois n'est pas coutume, une femme bénéficie, dans cette légende noire, d'une image positive : la soeur du roi, Marguerite de Navarre, incarnation de l'esprit nouveau. Cette place lui revient peut-être parce qu'elle permet, par ricochet, d'attaquer François Ier qui n'aurait pas son envergure et qui aurait été de surcroît, un mauvais frère. Avant de céder à la réaction, il aurait ainsi, sous son influence, hésité entre le catholicisme (incarnation de la tradition pour Michelet) et la Réforme luthérienne (comprise comme une tentative avortée d'émancipation de l'esprit humain). Cette trinité féminine (mère, soeur, maîtresse), par quelque bout qu'on la prenne, ternit l'image du roi. Et la charge ne s'arrête pas là. François Ier aurait également raté le Canada ; il aurait allumé les bûchers d'hérétiques qui feraient de lui le grand-père de la Saint-Barthélemy. Le seul secteur dans lequel il semble trouver grâce aux yeux de tous est celui des châteaux : Chambord et Fontainebleau compensent bien quelques zones d'ombre pour les plus indulgents.
Commenter  J’apprécie          10
Tel est Henri VIII, énaurme, plein de vie et de ridicule à la fois, destructeur et bâtisseur.
Commenter  J’apprécie          00

Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Cédric Michon (30)Voir plus

Quiz Voir plus

Pluriel de quelques mots composés (2e)

Les carottes sont crues

des épluche-légume
des épluches-légume
des épluche-légumes
des épluches-légumes

12 questions
73 lecteurs ont répondu
Thèmes : vocabulaire , orthographe , Accords , pluriel , noms , motsCréer un quiz sur cet auteur

{* *}