Vous pensez savoir ce qu'est une biographie, et bien oubliez tout ce que vous savez sur une biographie car...
Il fut un temps pas si lointain d'ailleurs, ou quand on se lançait dans la lecture d'une biographie il était nécessaire d'avoir :
Un bon vernis historique sur la période pendant laquelle évoluait le personnage en question ;
Une bone dose d'abnégation pour ingurgité les 50 voire les 100 premières pages qui déroulaient l'arbre généalogique du personnage sur plusieurs générations ;
Un soupçon de persévérance, voire plus, car pour se repérer dans tous les personnages principaux, secondaires et autres, c'est plus qu'un soupçon qu'il était nécessaire d'avoir ;
Une sacrée bonne mémoire pour retenir les dates et histoire de bien enfoncer le clou de temps à autre l'auteur faisait des petits allers et retours, histoire de nous semer ;
Et enfin une fois arrivé au bout des centaines de pages, venaient s'ajouter des interminables pages de notes, notices bibliographiques, et j'en passe car au cas où il vous restez du courage pour approfondir le sujet, vous n'aviez que l'embarras du choix.
Et au final, une fois le livre terminé. Direction bon vieux dictionnaire ou Wikipedia, histoire de lire en quelques lignes (pas toujours véridiques pour Wikipedia) un résumé de la vie du dit personnage. Ce qui aura prit environ 10 minutes versus les heures de lectures fastidieuses qu'ont nécessitées la lecture du pavé, dont finalement vous n'aurez retenu que la naissance plus ou moins heureuse du personnage, son ou ses mariages, ses frasques personnelles, et la manière dont il a quitté ce monde.
Et bien avec cette biographie d'
Henri VIII de Cedric Pichon, nous sommes aux antipodes de tout cela.
C'est magnifiquement écrit, c'est sublimement rythmé, ce n'est jamais ennuyeux, c'est parfois drôle, c'est souvent triste, parfois effrayant. Bref ça a tout du roman sauf que ce n'est pas un roman, c'est bien une biographie, et quelle biographie.
Il faut dire aussi que le personnage s'y prête bien, mais c'est bien connu vous avez beau avoir de bons personnages, une belle histoire, si c'est mal raconté ou mal écrit....
Car avec
Henri VIII, il y a de la matière, jugez plutôt :
L'époque de Charles Quint et François 1er ;
Un Prince, qui deviendra Roi et finira Tyran et seul ;
Une confrontation directe avec la papauté ;
Les 6 femmes qu'il a épousé légitimement dont 2 finiront sous la hache du bourreau ;
La création d'un religion ;
Un cardinal, un connétable, un chancelier, un secrétaire, un duc, un marquis, deux comtes, une comtesse, un vicomte et une vicomtesse, quatre barons et de nombreux moines et chevaliers font le seul point commun est d'avoir été décapités.
L'auteur de se poser la question : "Qui est cet homme, peut-être le plus célèbre des monarques anglais ? Dès lors qu'il s'agit d'évoquer sa psychologie, l'erreur consisterait sans doute à se contenter d'évoquer sa brutalité, son inconséquence et son instabilité qu'il est tentant – mais injuste – de résumer par la folie ou la bêtise. La cause de tout est plus vraisemblablement une incroyable immaturité psychologique et un narcissisme pathologique. le cocktail devient explosif lorsque ces éléments se combinent à une énergie hors du commun et au goût du pouvoir."
Tout chez lui et est dans la démesure :
Physiquement, c'est un colosse de près de 1,90 mètre qui domine de la tête et des épaules la plupart de ses courtisans.
Psychologiquement, c'est un personnage exubérant à la force vitale exceptionnelle, au profil psychologique complexe, mélange de détermination et d'inconstance, de réflexion et d'inconséquence, de paranoïa et de générosité, de courage et d'hypocondrie.
Politiquement, c'est le souverain de la rupture avec Rome, à l'origine de la mise en place d'une Église.
C'est aussi l'homme qui soumet son clergé, dissout ses monastères, humilie ses magnats et écrase les révoltés des marges du royaume.
C'est enfin l'un des plus grands collectionneurs de l'histoire anglaise, dont l'inventaire après décès compte 20 000 entrées, parmi lesquelles plus de 2 500 tapisseries, 2 028 pièces d'orfèvrerie ou de vaisselle d'or et d'argent, 1 779 livres, des milliers de mètres de drap précieux attendant d'être transformés en costumes royaux, 200 chemises, 175 paires de chaussures, 134 pourpoints, 150 peintures, 99 épées, des dizaines de bijoux en or massif sertis des pierres les plus précieuses.
Démesurément orgueilleux : "La scène est à Greenwich, ce 1er mai 1515. Cela fait quelques mois que François Ier est roi de France. Sebastiano Giustiniano, ambassadeur de Venise, se tient sous une tonnelle lorsque Henri VIII s'approche, et, s'adressant à lui en français, lui demande :
« Dites-moi un peu. le roi de France est-il aussi grand que moi par la taille ? » Je lui répondis qu'il y avait peu de différence. Il poursuivit : « Est-il aussi large ? » Je lui dis que non. Alors il me demanda : « Comment sont ses jambes ? » « Maigres », lui répondis-je. Alors, il ouvrit le haut de son justaucorps et, plaçant ma main sur sa cuisse, il me dit : « Regardez un peu ! Et encore, vous n'avez pas vu mon mollet ! »
Ce témoignage enrichit le portrait psychologique du jeune Henri VIII. Son orgueil est considérable. Il entend être le premier, le plus beau, le plus fort. L'histoire raconte d'ailleurs que, quelques années plus tard, lors de la rencontre du camp du Drap d'Or, Henri VIII aurait proposé à François Ier une lutte à mains nues au terme de laquelle le roi de France l'aurait emporté en projetant au sol son adversaire : « Se retirèrent en un pavillon le roi de France et le roi d'Angleterre, où ils burent ensemble. Cela fait, le roi d'Angleterre prit le roi de France par le collet, et lui dit : “Mon frère, je veux lutter avec vous”, et lui donna une attrape ou deux, et le roi de France, qui est un fort bon lutteur, lui donna un tour et le jeta par terre, et lui donna un merveilleux saut. Et voulait encore le roi d'Angleterre relutter, mais tout cela fut rompu et fallut aller souper. » "
L'auteur se penche également sur les représentations qui sont faites du roi, qui en disent long sur lui :
" Ce portrait d'Henri VIII à près de 40 ans efface les images précédentes. de ce point de vue, le roi a peut-être moins bien réussi que François Ier. Tandis que le Valois a 30 ans pour l'éternité, le Tudor, dans le portrait qu'il nous a laissé de lui, est un homme puissant certes, mais déjà sur la pente descendante. Il n'est plus un jeune premier. Il est un homme mûr. Il est temps pour lui de s'affirmer, une fois encore, supérieur à son père. Il le fait par une inscription en latin sur le monument sur lequel Henri VII appuie son bras gauche :
S'il vous plaît de savoir à quoi ressemblent les héros glorieux, regardez ceux-ci, car jamais une peinture n'en représenta aucun plus digne d'éloges. Féroce est le combat, passionné le débat. La question est : qui, du père ou du fils, est le plus grand ? Chacun d'entre eux a triomphé ; le premier l'emporta sur ses ennemis, redressa son pays ruiné et donna une paix durable à ses peuples. le fils, né pour accomplir des choses encore plus sublimes, renversa les autels des hommes indignes et s'entoura de personnes intègres. La présomption des papes s'est inclinée devant la vertu infaillible ; Henri VIII, le sceptre dans une main, a restauré la religion, et grâce à sa présence sur le trône, les vérités divines sont à nouveau pleinement honorées.
Le message est clair : Henri VIII est le plus grand roi que le trône d'Angleterre n'ait jamais porté. Il est celui qui a fait ce que l'on attendait de lui : il a rempli sa mission divine, de restauration de l'Église et de l'État. Ses réalisations sont supérieures à celles de son père, qui s'est contenté de créer une nouvelle dynastie."
Cette biographie sous-titrée "la démesure au pouvoir" à pour elle dans son écriture le pouvoir de la démesure, un gros coup de coeur