Chloé Savoie-Bernard

Des femmes fuckées, des portraits crus de conditions féminines bien peu réjouissantes…



Des femmes qui n’existent que sous le regard de l’autre. Elles sont suicidaires, trompées, masochistes. Et elles ne peuvent sortir sans maquillage…



Des nouvelles variées, parlant de femmes qui utilisent le sexe comme seul lien avec l’autre, de celles qui envisagent de se faire avorter encore une fois, de celles qui peuvent être impitoyables pour leurs consœurs ou avoir du mal à envisager l’indépendance de leur propre sœur.



De ce recueil de dures nouvelles pourtant d’une bien belle écriture, on pourrait ajouter que ce ne sont pas de très bonnes nouvelles des femmes du vingt et unième siècle qui semblent bien loin du bonheur…

Au royaume scotch tape, les petits cochons n'ont plus peur des loups et les princesses se font sorcières. C'est un recueil sur le passage à l'âge adulte et la difficulté d'ériger son propre royaume sur les vestiges de celui qu'on hérite de ses parents. Il y est question d'amitié entre filles, de sexualité et d'avortement, par lequel se prolonge le problème de la filiation.



Les thèmes, le ton, l'imagerie très parlante et les nombreuses références aux contes classiques et à la musique populaire m'ont vraiment rejointe. J'ai adoré ce recueil, qui m'a donné envie de découvrir d'autres livres de l'autrice.

De la force qu'il faut pour être une femme. Pour que la fillette se fasse sorcière et que nous survivions toutes ensemble. Il y a tant de douceur dans l'évocation de ces autres, de ces soeurs-amies qui portent les mêmes deuils et les mêmes défis... Comme une communauté rassurante, pouvoir enfin se blottir dans la colère et la force en équilibre pour souffler un peu.

Je parlais de chaire et de corps, justement !

Ici, sous la direction de @chloesavoiebernard, nous parcourons ces vies de corps abruptes.

Souvent dans la violence, dans la quête d’une harmonie qui ne se fait pas. Ce sont des « efforts de guerre » et des « douleurs ». J’ai particulièrement aimé la multiplicité des voix, des fragments d’expériences. Il y a quelque chose de multiple qui dit merveilleusement nos expériences intimes.



Emmanuelle Riendeau le résume bien : « looking for trouble looking for sex »



Ce sont des viscères chevillés à la vie, qu’on essaie de faire en quelque chose de plus qui soit nous, qui soit quelque part un être plus important que sa mécanique.

Avec un style magnifique, poétique mais cru, troublant, incisif, Chloé Savoie-Bernard signe ici un recueil original et piquant.



Toutefois, les propos et personnages redondants et interchangeables ne réussissent pas à faire garder au lecteur une bonne impression finale de ce recueil. Toutes assez sombres, les nouvelles ne donnent qu’un constat très partiel de la réalité féminine. En effet, les femmes dépeintes par Savoie-Bernard sont toutes aux prises avec une faible estime de soi. Le regard des hommes sur elles semble primordial. Grâce à eux, elles peuvent oublier leur malheur, par eux, elles peuvent avoir le vague sentiment d'exister. Une représentation de la sexualité également assez négative et rabaissante, lorsque 10 des quatorzes nouvelles que composent ce recueil abordent ce thème.



Il faut tout de même accorder un point à l'auteure. Elle donne une voix à ce que certaines ont un jour pensé tout bas et aborde des sujets sensibles comme le multiculturalisme ou l'avortement, en passant par le suicide et les dépendances affectives.



Par contre, cela amène une généralisation peu représentative de la majorité. On peut être tenter de penser que l'image qui ressort du livre n'est pas pas celle de femmes brillantes et savantes, qui bousculent nos certitudes, mais qui au contraire les reconduisent par leur silence et leurs actions. Il aurait été apprécié d’avoir un peu de lumière dans ce recueil, ou du moins des solutions face aux malheurs de ces femmes.



Chloé Savoie-Bernard reste néanmoins une écrivaine talentueuse et brillante. Avec ce recueil, elle montre qu’il est plus courant qu’on ne le pense d’être conscientes de nos mauvaises actions tout en les faisant quand-même. Comme le dit son quatrième de couverture, «certaines arriveront à faire le grand écart, d’autres non».