Souvent, l’histoire de ma vie me semble fragmentée, à l’image de perles sans cordon. Lorsque je fais appel à mes souvenirs, ils me paraissent chaque fois légèrement différents, et j’ai peur de me sentir définitivement perdue. Mais ce jour-là, je me suis précipitée sur le plateau tout sourire. L’une des compétences les plus précieuses que j’avais acquises en essayant de survivre en tant que réfugiée, c’était de deviner ce que les gens attendaient de moi.
Dans ma rédaction, j’avais expliqué que si les Rwandais avaient lu La Nuit, ils n’auraient peut-être pas pris la décision de s’entre-tuer.
Claire, en revanche, était restée elle-même : une jeune femme inébranlable, une vraie dure à cuire. Contrairement à moi, elle n’était pas une enfant lorsque nous avions débarqué aux États-Unis. Personne ne l’avait envoyée à l’école ou accueillie chez soi, personne ne lui avait payé des leçons de piano, des séances chez l’orthophoniste ni ne lui avait offert de séjours en camp de majorettes. Claire avait continué à se battre.