Poésie - Il a neigé la veille et tout le jour - François COPPÉE
A tes yeux
Telle, sur une mer houleuse, la frégate
Emporte vers le Nord les marins soucieux,
Telle mon âme nage, abîmée en tes yeux,
Parmi leur azur pâle aux tristesses d’agate.
Car j’ai revu dans leur nuance délicate
Le mirage lointain des Édens et des cieux
Plus doux, que ferme à nos désirs audacieux
La figure voilée et sombre d’une Hécate.
Hélas! courbons le front sous le poids des exils!
C’est en vain qu’aux genoux attiédis des amantes
Nous cherchons l’infini sous l’ombre de leurs cils.
Jamais rayon d’amour sur ces ondes dormantes
Ne vibrera, sincère et pur, et les maudits
Ne retrouveront pas les anciens paradis.
Etoiles filantes
Dans les nuits d’automne, errant par la ville,
Je regarde au ciel avec mon désir,
Car si, dans le temps qu’une étoile file,
On forme un souhait, il doit s’accomplir.
Enfant, mes souhaits sont toujours les mêmes :
Quand un astre tombe, alors, plein d’émoi,
Je fais de grands voeux afin que tu m’aimes
Et qu’en ton exil tu penses à moi.
A cette chimère, hélas ! je veux croire,
N’ayant que cela pour me consoler.
Mais voici l’hiver, la nuit devient noire,
Et je ne vois plus d’étoiles filer.
L’Exilée (1877)
Aubade
L'aube est bien tardive à naître,
Il a gelé cette nuit;
Et déjà sous ta fenêtre
Mon fol amour m'a conduit.
Je tremble, mais moins encore
Du froid que de ma langueur;
Le frisson du luth sonore
Se communique à mon cœur
Ému comme un petit page,
J'attends le moment plus sûr
Où j'entendrai le tapage
De tes volets sur le mur;
Et la minute me dure
Où m'apparaîtra soudain,
Dans son cadre de verdure,
Ton sourire du matin.
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BRUNE
Sur le terrain de foire, au grand soleil brûlé,
Le cirque des chevaux de bois s’est ébranlé
Et l’orgue attaque l’air connu : « Tant mieux pour elle ! »
Mais la brune grisette a fermé son ombrelle,
Et, bien en selle, avec un petit air vainqueur,
Elle va se payer deux sous de mal de coeur.
Elle rit, car déjà le mouvement rapide
Colle ses frisons noirs sur son front intrépide,
Et le vent fait flotter sa jupe et laisse voir
Un gai petit mollet, en bas rouge à coin noir.
François Coppée, Contes en vers et poésies diverses
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Décembre
Le hibou ; parmi les décombres ;
Hurle, et Décembre va finir ;
Et le douloureux souvenir
Sur ton coeur jette encor ses ombres.
Le vol de ces jours que tu nombres
L'aurais-tu voulu retenir ?
Combien seront dans l'avenir
Brillants et purs ; et combien, sombres ?
Laisse donc les ans s'épuiser
Que de larmes pour un baiser,
Que d'épines pour une rose !
Le temps qui s'écoule fait bien ;
Et mourir ne doit être rien,
Puisque vivre est si peu de chose.
Mois d'avril
Lorsqu'un homme n'a pas d'amour,
Rien du printemps ne l'intéresse ;
Il voit même sans allégresse,
Hirondelles, votre retour ;
Et, devant vos troupes légères
Qui traversent le ciel du soir,
Il songe que d'aucun espoir
Vous n'êtes pour lui messagères.
Chez moi ce spleen a trop duré,
Et quand je voyais dans les nues
Les hirondelles revenues,
Chaque printemps, j'ai bien pleuré.
Mais depuis que toute ma vie
A subi ton charme subtil,
Mignonne, aux promesses d'Avril
Je m'abandonne et me confie.
Depuis qu'un regard bien-aimé
A fait refleurir tout mon être,
Je vous attends à ma fenêtre,
Chères voyageuses de Mai.
Venez, venez vite, hirondelles,
Repeupler l'azur calme et doux,
Car mon désir qui va vers vous
S'accuse de n'avoir pas d'ailes.
François Coppée, Les mois (1878).
Mois de mars
Parfois un caprice te prend,
Méchante amie, et tu me boudes,
Et sur le balcon tu t'accoudes
Malgré l'eau qui tombe à torrent.
Mais, vois-tu ! Mars, avec ses grêles
A qui succède un gai soleil,
Chère boudeuse, est tout pareil
A nos fugitives querelles.
Tels ces oiseaux, pauvres petits,
Sous ce fronton, pendant l'averse,
Et telle ta bouche perverse
Où des sourires sont blottis.
Vienne un rayon, et, la première,
Tu tourneras vers moi les yeux,
Et les oiselets tout joyeux
S'envoleront dans la lumière.
Minute sentimentale
Amour plus que beauté me touche,
O ma mignonne, et j’aime mieux,
Bien mieux, ton regard que tes yeux,
Et ton sourire que ta bouche !
Pour tout le monde, c’est certain,
Ta bouche est enfantine et ronde,
Et tes yeux sont pour tout le monde
Bleus comme le ciel du matin.
Mais pour moi seul, tu me le jures,
Brilla ce regard attendri ;
Pour moi, pour moi seul, ont souri
Si doucement ces lèvres pures !
Avant de m’avoir pour amant,
A d’autres tu semblais jolie ;
Mais par moi tu fus embellie
De la beauté d’un sentiment.
Attention, là !
Je vais, je me lance, je parle en bon terme d'un vicaire, d'un ensoutané, et peut-être serai-je lu par des francs-maçons, des mangeurs de prêtres, qui vont encore me traiter de calotin.
Faisons-leur vite une concession et accordons-leur que l'abbé Moulin n'était qu'un faible d'esprit, puisqu'il croyait, dur comme fer, à l'Immaculée Conception et à l'infaillibilité du pape.
Ce qui est immaculé et ce qui es infaillible, c'est le suffrage universel.
Voilà qui est convenu ...
La plus lente caresse, amie, est la meilleure,
N’est-ce pas? Et tu hais l’instant funeste où l’heure
Rappelle avec son chant métallique et glacé
Qu’il se fait tard, très-tard, et qu’il est dépassé
Déjà le temps moral d’un bain ou d’une messe.
Car ce sont les adieux alors et la promesse
De revenir. — Et puis nous oublions encor.
Mais le timbre implacable à la claire voix d’or
Recommence. Tu veux te sauver ; tu te troubles.
Hélas! et nous devons mettre les baisers doubles.