Mois d'avril
Lorsqu'un homme n'a pas d'amour,
Rien du printemps ne l'intéresse ;
Il voit même sans allégresse,
Hirondelles, votre retour ;
Et, devant vos troupes légères
Qui traversent le ciel du soir,
Il songe que d'aucun espoir
Vous n'êtes pour lui messagères.
Chez moi ce spleen a trop duré,
Et quand je voyais dans les nues
Les hirondelles revenues,
Chaque printemps, j'ai bien pleuré.
Mais depuis que toute ma vie
A subi ton charme subtil,
Mignonne, aux promesses d'Avril
Je m'abandonne et me confie.
Depuis qu'un regard bien-aimé
A fait refleurir tout mon être,
Je vous attends à ma fenêtre,
Chères voyageuses de Mai.
Venez, venez vite, hirondelles,
Repeupler l'azur calme et doux,
Car mon désir qui va vers vous
S'accuse de n'avoir pas d'ailes.
François Coppée, Les mois (1878).
Le crépuscule est triste et doux comme un adieu.
A l’Orient, déjà dans le ciel sombre et bleu,
Où lentement la nuit, qui monte, étend ses voiles,
De timides clartés, vagues espoirs d’étoiles,
Contemplent l’Occident clair encore, y cherchant
Le rose souvenir d’un beau soleil couchant.
Le vent du soir se tait. Nulle feuille ne tremble
Même dans le frisson harmonieux du tremble;
Et l’immobilité se fait dans les roseaux
Que l’étang réfléchit au miroir de ses eaux.
En un parfum ému chaque fleur s’évapore
Pure, et les rossignols ne chantent pas encore.
Pour échanger tout bas nos éternels aveux,
Chère, nous choisirons cette heure, si tu veux.
Nous prendrons le chemin tournant de la colline.
Mon front se penchera vers ton front qui s’incline;
Et nos baisers feront des concerts infinis
Si doux que les oiseaux, réveillés dans leurs nids,
Trouveront la musique, à cette heure, indiscrète,
Et se demanderont quelle bergeronnette
Ou quel chardonneret est assez débauché
Pour faire l’amour quand le soleil s’est couché.
Décembre
Le hibou ; parmi les décombres ;
Hurle, et Décembre va finir ;
Et le douloureux souvenir
Sur ton coeur jette encor ses ombres.
Le vol de ces jours que tu nombres
L'aurais-tu voulu retenir ?
Combien seront dans l'avenir
Brillants et purs ; et combien, sombres ?
Laisse donc les ans s'épuiser
Que de larmes pour un baiser,
Que d'épines pour une rose !
Le temps qui s'écoule fait bien ;
Et mourir ne doit être rien,
Puisque vivre est si peu de chose.
Vitrail
à Paul Verlaine
Sur un fond d'or pâli, les saints rouges et bleus
Qu'un plomb noir délimite en dessins anguleux,
Croisant les bras, levant au ciel un œil étrange :
Marc, brun, près du lion ; Mathieu, roux, près de l'ange;
Et Jean, tout rose, avec l'oiseau des empereurs;
Luc, et son bœuf, qui fait songer aux laboureurs
Dont le Messie aux Juifs parle en ses paraboles ;
Tous désignant d'un doigt rigide les symboles
Écrits sur un feuillet à demi déroulé;
Notre Darne la Vierge, au front immaculé,
Présentant sur ses bras Jésus, le divin Maître,
Qui lève ses deux doigts pour bénir, comme un prêtre ;
Le bon Dieu, blanc vieillard qu'entourent les élus
Inclinés sous le vol des chérubins joufflus;
Et le Christ, abreuvé de fiel et de vinaigre,
Cambrant sur le bois noir son torse jaune et maigre.
Poésie - Il a neigé la veille et tout le jour - François COPPÉE