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Citations de Corinna Gepner (13)


Je n'avais encore jamais eu l'occasion de faire connaissance avec un maître des échecs, et plus je m’efforçais à présent d'en examiner un spécimen en chair et en os, moins j'arrivais à m’imaginer l'activité d'un cerveau qui, une vie durant, se déploie exclusivement sur un espace de soixante-quatre cases noires et blanches. Certes, je connaissais par expérience la mystérieuse attraction exercée par ce « jeu royal », le seul de tous les jeux inventés par l'homme à se soustraire souverainement à la tyrannie du hasard et à n’attribuer les palmes de la victoire qu'à l'esprit, ou plutôt à une certaine forme de talent intellectuel. Mais qualifier les échecs de jeu, n'est-ce pas déjà les réduire et commettre une justice ? Ne sont-ils pas aussi une science, un art, quelque chose qui plane entre ces deux pôles comme le cercueil de Mahomet entre le ciel et la terre, une incomparable association de tous les contraires ? Très anciens et pourtant toujours neufs, mécaniques par leur dispositif, mais n'agissant qu'avec le ressort de l’imagination ; à la fois limités à un espace géométrique et figé, et illimités par leurs combinaisons, se développant sans cesse et pourtant stériles ; une réflexion qui ne mène à rien, une mathématique qui ne calcule rien, un art qui ne crée pas d'œuvres, une architecture sans matière, mais dont l’être et l'existence sont incontestablement plus durables que tous les livres et toutes les œuvres ; le seul jeu qui appartienne à tous les peuples et à toutes les époques, et dont nul ne sait quel dieu l'a apporté sur terre pour tuer l'ennui, pour aiguiser l'esprit, pour stimuler l’âme. Où commence-t-il, où finit-il ? Tout enfant peut en apprendre les premières règles, tout butor peut s’y essayer ; et pourtant, dans les limites de cet étroit et invariable carré, ce jeu est capable d'engendrer une espèce singulière de maîtres, absolument incomparable, des gens dont le talent est exclusivement focalisé sur les échecs, des génies spécifiques chez qui la vision, la patience et la technique agissent en se répartissant précisément la tâche entre elles comme chez un mathématicien, un poète, un musicien, mais en se combinant et en s'associant un peu autrement.
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Et puis n'est-ce pas bigrement facile, au fond, de se prendre pour un grand homme lorsque l'on n'a jamais entendu parler de l'existence d'un Rembrandt, d’un Beethoven, d’un Dante ou d’un Napoléon ? Dans son cerveau obtus, ce type ne sait qu'une chose : depuis des mois, il n'a pas perdu une seule partie d'échecs, et comme il ne soupçonne pas qu'il y a sur cette terre d'autres valeurs que les échecs et l'argent, il a toutes les raisons de se trouver formidable.
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Vouloir jouer aux échecs contre soi-même, cela équivaut à vouloir marcher sur son ombre.
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Ce Mister McConnor était l’un de ces parvenus grisés par leur réussite et qui, jusque dans un jeu sans aucune conséquence, ressentent une défaite comme une atteinte à la haute idée qu’ils se font d’eux-mêmes. Habitué à s’imposer toujours et partout dans la vie, gâté par le succès matériel, ce self-made-man épais était si radicalement pénétré de sa supériorité que la moindre résistance le contrariait comme une indécente rébellion et presque comme une offense.
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Plus je traduis, moins je sais. Plus j'ai d'habileté, plus le sol se dérobe sous moi, plus les mots, les phrases révèlent leur double, leur triple fond et bien plus encore. Je ne cesse de composer avec le vertige. Le texte foncièrement, m'échappe, et pour travailler je dois faire comme si je savais, juste comme si.
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Le traducteur souffre d’un désavantage inné : il vient toujours après, il n’est jamais le premier, mais toujours le second. Viendrait-il d’abord qu’il serait au-dessus de tout soupçon. Si talentueux soit-il, il n’est jamais qu’un mime.

Voire. Si cela était, il n’y aurait pas grand-chose à en dire.

Cela supposerait que le texte premier soit univoque, sans mystère. Or lorsqu’on traduit, on fait œuvre de création presque à son corps défendant. Le texte premier ne dit pas, il propose, et moi, traductrice, je développe certaines de ses potentialités par les choix que j’opère et la cohérence que j’essaie de tenir d’un bout à l’autre. Parfois, la marge de choix est telle que j’ai moins le sentiment de travailler à une traduction qu’à une interprétation de l’oeuvre. Je ne peux qu’être confrontée à l’ambiguïté foncière de la langue, à sa capacité de se dérober dès qu’on la regarde d’un peu trop près.
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En travaillant l’écriture de quelqu’un, on s’approche de lui comme on le fait rarement d’un inconnu.
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La traduction est pour moi une lente et systématique destruction de ce que je croyais savoir. Car il y avait la croyance en un savoir possible et le désir de bâtir sur du solide. Cette croyance-là s’effrite de jour en jour.
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En six mois, Mirko apprit tous les secrets de la technique du jeu d’échecs : ses connaissances étaient étroitement limitées, il est vrai, et l’on devait en rire souvent dans les cercles qu’il fréquenta par la suite. Car Czentovic ne parvint jamais à jouer une seule partie dans l’abstrait, ou, comme on dit, à l’aveugle. Il était absolument incapable de se représenter l’échiquier en imagination dans l’espace.
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Perdre pied en effet, mais peut-on apprendre à nager si l’on veut constamment avoir pied ?
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Cette expérience lors d’une de mes premières traductions : une phrase difficile, retorse à toute compréhension. Aucun des germanophones que j’avais sollicités n’avait pu m’éclairer. J’ai lu, relu, je ne sais combien de fois. Et puis l’étincelle a jailli. J’ai compris, mais intuitivement, je n’étais pas plus capable qu’avant de déchiffrer cette phrase. J’ai compris en quelque sorte du coin de l’œil. Compris aussi que j’étais la seule à pouvoir comprendre, parce qu’à fréquenter ce texte j’en avais assimilé la pensée, et qu’à cet endroit, c’était ce qu’il fallait saisir : la façon dont l’auteur avait pensé.
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Plus je traduis, moins je sais. Plus j’ai d’habileté, plus le sol se dérobe sous moi, plus les mots, les phrases révèlent leur double, leur triple fond et bien plus encore. Je ne cesse de composer avec le vertige. Le texte, foncièrement, m’échappe, et pour travailler je dois faire comme si je savais, juste comme si.
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