Un homme armé affronte un homme nu et sans défense. Il entreprend de le frapper, de le fouetter, de le lacérer et regarde la douleur qu'il provoque briser non seulement le corps de sa victime, mais son être sur cette terre en le transformant en un cri, une supplique, un simple organisme qui ne contrôle plus ses excréments. Puis il reprend ses coups de fouet, cette fois sur le sang et la chair à vif, dans l'exercice d’humiliation le plus barbare. Qu'éprouve ce bourreau juste avant l'instant où, il le sait, l'inconscience va succéder à l'insupportable ? Qu'est ce qui le pousse à faire cela ? Qu'est ce qui l'empêche d'arrêter ? Qu'est ce qui l'incite à continuer ? J'irai même plus loin : pour quelle raison l'autre, la victime qui cesse peu à peu d'être un homme, considère-t-il que s'abandonner au mal extrême peut rapporter, à lui ou à qui que ce soit ,un quelconque bénéfice ?
La rue Joaquin Costa dans le quartier du Raval à Barcelone est un territoire de Philippins, de Pakistanais, de quelques Marocains et d’une horde de pouilleux qui tiennent à peine debout. Deux ou trois bars à cocktails égarés attirent à la tombée du jour quelques jeunes modernes et une poignée d’aspirants à la condition d’intellectuel tatoué, sans changer d’un iota la nature de l’étroit passage sale. Si on y prête attention, on peut observer sur les petits balcons des fillettes en culotte en train d’attendre que leur mère obtienne du client une éjaculation rapide. S’il y avait des assassinats en ville, ils pourraient facilement se produire dans cette rue et ses environs. Mais il n’y a pas d’assassinats, et sur les trottoirs s’entassent des ordures, des ivrognes, des vendeurs ambulants, de jeunes dealers de méthamphétamine orientale, de la graisse de kebab, quelques tomates écrasées en décomposition, et des étudiants.
La calle del Leon, la rue du Lion, est sa parallèle, plus sombre, moins évidente et peu plus propre que Joaquin Costa. Elles sont reliées par deux autres rues, Paloma, la Colombe, et Tigre : un zoo pour lequel la détective Victoria Gonzales ressentait la même fascination que quand, dix ans plus tôt, elle avait décidé d’ouvrir à cet endroit un cabinet de détective privée, façon de s’inventer un personnage qui tempère ses addictions.