La guerrière fait la moue, mi-sourire, mi-grimace, elle a parié ma vie plutôt que celle de ses hommes. Je le sais. Elle sait que je le sais. Elle s'en fout.
Un soldat, en contrebas, commence à dire les noms
des hommes,
et puis des femmes,
qui sont morts cette nuit.
[...]
La brume s'espace, je vois mieux.
Les corps
entourés d'un linge blanc,
reliés à une baudruche
sont poussés dans le vide,
et doucement
s'élèvent.
C'est comme ça que l'on fait, sur les îles d'où je viens.
Ces gens-là ne pillent pas,
n'enlèvent pas,
ne trucident jamais.
Ils prélèvent l'impôt.
Requisitionnent les hommes.
Défendent le peuple.
A se demander quel mot ils emploient quand ils vont chier.
Depuis que la pupille brûlante de la dragonne a visé ma rétine, je suis comme marqué. Un fer de braise rouge s’est posé sur ma peau. Mon cœur en est à vif. À croire qu’on me l’arrache.
À brigander, de-ci de-là.
Louant leurs lames au plus offrant.
Offrant la mort aux moins chanceux.
Cherchant la guerre, car ça paie mieux.
Moi et un œuf. Chef et Tanneur.
Fuir. Se battre.
Rody,
Et j'attend que mon cœur
mon souffle
mon cerveau
cessent de chavirer.
La victoire me fait battre le cœur, me monte le sang aux joues. Je vois déjà
le sourire de Chef
le respect de Tanneur.
Et Rody qui ne dit rien, mais qui pense que je suis un bon apprenti
qui sait trouver du bois,
du bois sec sous la pluie.
Le drôle.
Ce n'est pas un nom, mais je n'en ai pas d'autre. Le drôle pour dire "gamin".
J'ai eu un nom un jour, peut-être, il y a longtemps.
Je vois le visage de ma mère, sa bouche qui le prononce.
Mais je ne l'entends plus. C'était avant la guerre, avant qu'on nous emporte.
La guerre l'a avalé, ce nom. Comme la voix de ma mère.
Que dois-je faire, maintenant que je suis là ?
Là
où les pas m'ont porté
sans mon accord,
ou presque.
Je ne sais pas. Cela m'effraie.
Mais quelque part au fond,
loin,
dans mon ventre,
je sais que c'est
là
qu'est ma place.