Citations de Daniel Bensaïd (55)
Pas plus que la République, les victimes ne forment une entité "une et indivisible". Elles ont leurs différences, leurs contradictions et leurs conflits intimes.
Lorsque la désintégration sociale et la division du travail réduisent l'individu à cet "homme entre mille" , dont parlait Bataille, on peut être tenté de chercher le réconfort de communautés fusionnelles, et préfèrer la prière à la pensée. Les fondamentalismes ne sont que la forme exacerbée de ces refuges identitaires.
La politique… conserve une fonction d’orientation dans un jeu de possibles actualisables. Elle a pour tâche d’inventer un futur sans fin prédéterminée, '' à portée de présent''
Dans la crise révolutionnaire, plusieurs temps se mêlent et se combinent (..). L’art du mot d’ordre est un art de la conjoncture. Telle consigne, valable hier, ne l’est plus aujourd’hui, mais le redeviendra demain(…). Mais qu’en est-il au juste de la crise ? Lénine n’en donne pas une définition précise. Il énumère plutôt ses conditions algébriques générales : quand ceux d’en haut ne peuvent plus …; quand ceux d’en bas ne veulent plus… ; quand ceux du milieu hésitent et peuvent basculer.. . Les trois conditions sont indissociables et combinées. Il s’agit alors, non d’un mouvement social qui s’approfondit, mais spécifiquement d’une crise de la domination, une crise d’ensemble des rapports sociaux…
La ''révolution permanente'' rassemble en une seule formule algébrique trois registres temporels : celui du passage brusque de la révolution démocratique à la révolution sociale ; celui du passage prolongé de la révolution politique (changement du pouvoir) à la révolution culturelle (transformation des mœurs) ; celui du passage de la révolution nationale à la révolution mondiale.
…la politique n’est pas la traduction d’un récit historique écrit à l’avance, elle est un moment de décision entre différentes possibilités présentes dans une situation donnée.
Dans l’ordre de l’engagement, la seule question qui vaille d’être posée est de savoir si l’ordre établi est humainement tolérable ou s’il est nécessaire de le changer. ''Même si tu n’es pas sûr d’y parvenir, agis en sorte que le nécessaire devienne possible'', telle pourrait être la maxime laïque de la politique révolutionnaire.
On pourrait dire analogiquement qu'il n'y a pas d'anormalité en histoire, tout au plus des anomalies. Traiter le nazisme ou le stalinisme comme des formes pathologiques, au lieu d'y voir des phénomènes historiques originaux à part entière, aboutit à la fois à valoriser les sociétés normales par rapport auxquelles elles font écart, et à minimiser la portée spécifique de leurs "déviances" passagères. Le stalinisme ou le nazisme ne sont ni des monstres ni des exceptions. Ils révèlent "d'autres formes de vie possible". Ils doivent être combattus non au titre d'une norme historique introuvable, mais au titre d'un projet qui revendique ses propres critères de jugement
l’héritage d’une œuvre, surtout lorsqu’elle tournée vers l’action pratique, est irréductible à sa lettre » et qu’il est nécessaire d’établir à partir du programme de recherche du bon vieux Karl « un rapport étroit avec la pratique renouvelée des mouvements sociaux et avec les résistances à la mondialisation impériale
…les faits ne parlent jamais d’eux-mêmes. Que cela dépend du regard, de la lumière qui les éclaire, du contexte, du point de vue de la totalité. Que les apparences ne sont pas le fidèle reflet de l’essence, mais qu’elles n’en sont pas non plus le simple voile, puisqu’elles sont la paraître de l’être. Qu’il n’y pas le hasard d’un coté et la nécessité de l’autre, sagement séparés, mais que la nécessité a ses hasards et le hasard sa nécessité. Que le producteur est aussi un consommateur, que le salaire qui apparaît au capitaliste individuel comme un coût de production est aussi, pour le capital en général, une demande solvable. Qu’il n’y a pas une opposition irréductible entre le gréviste et l’usager, car l’usager d’aujourd’hui est le gréviste de demain et vice versa.
Le présent n’est pas un simple maillon dans l’enchaînement mécanique du temps. Il est par excellence, le temps rythmé et brisé de la politique, le temps de l’action et de la décision.
Dans une histoire ouverte, la politique tranche entre plusieurs possibles. Il n’y a plus de développement normal, opposable à des anomalies, à des déviances ou des malformations historiques
Les révolutions nouent en gerbe un ensemble disparate de déterminations. Elles combinent des temps désaccordés. S’y chevauche les tâches d’hier et de demain. C’est pourquoi elles ont inconstantes, propices aux transfigurations et aux métamorphoses, irréductibles à une définition simple, bourgeoise ou prolétarienne, sociale ou nationale.
Avec la forclusion spectaculaire de l’historicité, c’est la possibilité même de la politique comme pensée stratégique qui se trouve anéantie
Consentir à la politique c’est au contraire consentir à l’affrontement sans tentative de neutralisation