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Critiques de Darko Macan (165)
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Marshal Bass, tome 4 : Yuma

C'est avec plaisir que j'ai retrouvé, le Marshal River Bass, premier noir a occupé ce poste aux Etats-Unis (1876).



Ici il est infiltré dans le pénitencier de Yuma pour mettre fin aux activités de Boss Powell, un politicien accusé de détournement de fonds qui règne en maître sur ce pénitencier.

Un scénario bien maîtrisé, des personnages hauts en couleurs et, malgré des dessins qui m'ont laissé de marbre, du moins qui avait du mal à coller au scénario noir, ce tome 4 m'a fait passer un excellent moment j'attends donc la suite avec impatience...
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Marshal Bass, tome 5 : L'ange de Lombard St..

Revoici River Bass, cette fois il est confronté à la jungle de la ville, finit les grands espaces, mais la ville est parfois bien pire que les grands espaces...



Les auteurs de cet excellent Western ont une propension à mettre notre marshal dans les situations les plus sordides qui soient, reflet d'une société américaine naissante et reflet de la partie la plus sombre de la nôtre sans doute.



Un superbe Western, un scénario atypique et des dessins magnifiques vivement la suite.

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Marshal Bass, tome 3 : Son nom est Personne

Dessins superbes, à noter une somptueuse double page (Soleil levant dans un sous-bois hivernal),une qualité de «lumière» dans la mise en couleur rarement vue.



Un scénario d'une grande noirceur mais magnifiquement mis en pages.



Ce troisième tome nous en dit plus sur River Bass, qui est ce Marshall?

Il est de plus en plus charismatique car il n'est pas lisse ce qui le rend profondément humain et attachant.



Une série qui petit à petit prend de l'ampleur et rentre dans une autre dimension par son originalité de ton, par sa violence voir par son inventivité.

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Marshal Bass, tome 1 : Black & White

Une nouvelle BD Western, encore!!!



Celle ci est original, comme quoi le thème du Western est innépuisable, un esclave afffranchi, se retrouve être le premier marshal noir des états-Unis.



Les doutes de notre héros quant aux motivations de son embauche et la conditions des noirs (même affranchi) ainsi que la violence sont bien retranscrites.

Darko Marcan le scénariste et dessinateur à évidemment beaucoup de talents, mais je dois dire que le coloriste m'a épaté, Desko, il suffit de regarder la première page pour être admiratif.

Au final une idée originale et une série à découvrir...



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Marshal Bass, tome 1 : Black & White

Tudieu, la belle BD que voilà !



1875, Arizona, peut pas dire que le Black Power soit à la mode.

Alors si, peut-être en tant que douteux agrément décoratif de moult arbres aux pendus mais c'est bien là sa seule et triste prérogative.

C'est dans cette position plutôt inconfortable que nous découvrons River Bass, le seul gars susceptible de passer de statut de macchabée imminent à celui de néo marshal.

Et c'est ce qu'il fit, le bougre, missionné en tant qu'infiltré à la solde de l'État pour démonter un gang d'esclaves affranchis qui fait rien que foutre le boxon partout où il passe.

Bonne chance, l'ami, tu en auras grandement besoin.



Posé, réfléchi, charismatique, ce marshal atypique possède pas mal d'atouts qui le rendent immédiatement attachant et sympathique.

Pour contrebalancer, il nous faut un vrai salopard que l'on se plaira à haïr, le mal nommé Milord et ses manières aux antipodes de son titre honteusement usurpé.



Le trait s'avère séduisant contrairement à la colorisation que j'ai trouvé un brin agressive pour mes yeux de myope visiblement devenus trop délicats.



Basée sur l'histoire de Bass Reeves qui fut le premier shérif adjoint noir à l'ouest du Mississippi, cette série possède tous les ingrédients d'une belle et grande série en devenir, tant par son caractère original que sa propension à construire des scénarios qui tiennent la route.



To be continued...
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Marshal Bass, tome 2 : Meurtres en famille

Ce second tome fait froid dans le dos...., âmes sensibles s'abstenir, notre marshal est à la poursuite d'un tueur en série, et ça décoiffe!!!



Un scénario bien ficelé avec une pointe d'humour qui fait du bien dans ce contexte. Les dessins sont remarquables (ne pas manquer la double page) bref, j'ai beaucoup aimé?

To be continued....

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Marshal Bass, tome 1 : Black & White

La vérité a fait tomber davantage d’hommes que les balles de revolver.

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Ce tome est le premier d’une série à suivre. Sa première publication date de 2017. Il a été réalisé par Darko Macan pour le scénario, Igor Kordey pour le dessin et la supervision des couleurs, et par Desko pour la mise en couleur. La traduction et le lettrage ont été assurés par Fanny Thuillier. Le personnage principal est inspiré de Bass Reeves (1838-1910), premier shérif adjoint noir de l’United States Marshals Service à l’ouest du Mississippi, qui a essentiellement officié en Arkansas et en Oklahoma. Il comprend cinquante-quatre pages de bandes dessinées.



Arizona, 1875. Alors que le ciel se pare de magnifiques tons pour le coucher de soleil, River Bass, un afro-américain, se trouve dans une situation intenable : au pied d’un très gros arbre, une corde autour du cou, les mains liées dans le dos, sur un cheval dont la longe est attachée à une des racines, mais qui résiste de plus en plus mal à la tentation d’aller manger les feuilles d’un buisson à deux ou trois pas de distance. Bass tente de le calmer avec des paroles douces, mais la corde se resserre inexorablement. Soudain un cavalier arrive au grand galop et prend les rênes de la monture de Bass pour l’empêcher de l’avancer. Le colonel Terrence B. Helena présente ses excuses au pendu, tout en coupant la corde et en desserrant le nœud. Il lui explique la situation : la bonne nouvelle est que Bass n’est effectivement pas la personne qu’il cherche. La mauvaise nouvelle est que l’homme en question, un dénommé Bill Derby, s’est révélé véritablement pénible. Il a fichu la frousse à ses adjoints et Helena a dû régler ça tout seul. Du coup, il a une proposition pour Bass. Il a entendu beaucoup de bien de lui, du mal aussi mais moins qu’il ne l’aurait cru. Il en est venu à se dire qu’il serait peut-être l’homme de la situation pour appréhender le gang que Bill Derby prévoyait de rejoindre. Il lui demande de réfléchir à sa proposition et il lui offre le chapeau de Derby, avec le trou là où la balle qui l’a tué a pénétré.



Le lendemain, par une belle journée, la famille Bass, monsieur & madame, ainsi que leurs six enfants, ont fini de manger. Bathsheba indique à son mari River qu’elle n’aime pas ce nouveau chapeau, car le trou en fait un mauvais présage. Elle n’aime pas l’idée qu’il pourrait être pendu à un arbre à cet instant précis, que les enfants et elle pourraient atteindre en vain son retour sans savoir qu’il est pendu quelque part. et elle n’aime pas le travail qu’on lui a proposé. River décide de la convaincre par la douceur, et leur plus grande fille fait sortir ses sœurs et frères pour assurer l’intimité nécessaire à ses parents. Après leurs ébats, Sheba livre le fond de sa pensée à son mari : la seule et unique raison pour laquelle ce colonel blanc veut qu’il soit son adjoint, c’est parce que River est un homme noir et qu’il doit arrêter un gang de noirs. C’est comme envoyer un chien chasser des loups, voilà ce que c’est. Elle défie River de lui dire le contraire. Quelques jours plus tard, le gang de Milord attaque la ville d’Olive Grove. Ils ont pillé la banque et s’enfuient à cheval, mais plusieurs habitants sont armés et leur tirent dessus.



Ce n’est pas la première fois que ce scénariste et ce dessinateur collaborent ensemble, et tout en menant à bien cette série, ils ont également réalisé un superbe diptyque : Colt & Pepper, Colt et pepper, tome 1 : Pandemonium à Paragusa (2020), Colt et Pepper, tome 2 : Et in Arcadia ego (2021). Un western de plus : certes la bande dessinée franco-belge ne manque pas d’excellentes séries dans ce genre, ce qui incitent les auteurs à se montrer originaux. Ces derniers ont choisi de mettre en scène un marshal adjoint afro-américain, ce qui en fait un personnage original et ce qui rend sa mission plus difficile du fait du racisme qui est bien présent dans ces pages. Le lecteur peut se dire que les auteurs en font un peu de trop, ce qui nécessite de sa part un surcroît de suspension d’incrédulité consentie, mais il s’avère qu’un tel individu a bel et bien existé. Cet état de fait ramène l’histoire dans un domaine plausible, même si le lecteur sait bien qu’il s’agit d’un récit de type aventure, avec actes de courage et conventions de genre, comme les chevauchées dans des paysages naturels, des individus patibulaires sans foi ni loi, des échanges de coups de feu, tout ce qui fait un western classique. Le lecteur plonge dans cette ambiance western dès la première page, avec ce bel arbre et ce ciel presque enflammé par le coucher de soleil.



L’artiste impressionne par le degré de détails de ses dessins et sa capacité à reconstituer l’époque et les environnements pour une véracité historique saisissante. En page six, le lecteur découvre la ferme modeste des Bass : une vue en extérieur du bâtiment construit à l’ombre de deux grands arbres magnifiques, les murs en pierre, l’enclos à cochon, les poules et le coq, le chien à l’ombre de l’avancée du toit, les deux chevaux dans leur enclos, le puits artésien, le tonneau en bois à demi enterré pour servir d’abreuvoir, le soc de charrue. L’aménagement intérieur a bénéficié de la même implication de l’artiste : la grande pièce principale, la table en bois et les bancs tout simples, la cuisinière à bois, les quelques casseroles et pots sur l’unique étagère, le baquet en bois, le lit des parents uniquement séparé de la pièce principale par une tenture et le crucifix accroché au-dessus du lit. Dans un dessin en double page, dix & onze, spectaculaire, le lecteur se retrouve dans la grand-rue, l’unique rue, d’Olive Grove. Par a suite, il se retrouve aux côtés de divers personnages dans des environnements comme un zone désertique rocailleuse pour un feu de camp et une nuit à la belle à étoile, un long chemin de terre, entre deux vastes prairies, menant à une ferme, avec son portique en bois pour marquer le début de la propriété, l’intérieur de cette ferme avec également sa grande pièce principale, le crâne d’un buffalo avec ses deux cornes suspendu à un autre portique, une haute éolienne avec sa girouette, une superbe chevauchée dans une zone désertique avec ses cactus et ses formations rocheuses en arrière-plan, l’approche de la petite ville de Dardanelle avec un début de végétation rase et éparse, et les bâtiments de cette ville une fois le gang en pleine action pour le pillage.



Il s’agit bel et bien d’un récit d’aventure, avec ses scènes spectaculaires. Le lecteur admire les paysages naturels et leur belle mise en valeur grâce à la mise en couleurs qui vient rehausser les reliefs, installer une ambiance lumineuse, que ce soit la nuit tombée ou la belle luminosité d’une espace grand ouvert à perte de vue, qui vient ajouter des éléments descriptifs en couleur directe. Le dessinateur emporte d’entrée de jeu le lecteur dans ces lieux, et rend plausible chaque situation, avec un dosage sophistiqué du spectaculaire en fonction des besoins. Le lecteur en prend plein la vue avec le dessin en double page dix & onze : la demi-douzaine de membres du gang de Milord en train de s’enfuir à tout allure d’Olive Grove après avoir dévalisé la banque, et un groupe d’une vingtaine d’habitants en train de se défendre et de les attaquer, soit avec des armes à feu, soit avec n’importe quel outil contondant ou tranchant qui leur est tombé sous la main. Une scène d’une sauvagerie peu commune, à l’opposé d’une violence esthétique, attestant d’un affrontement fruste, désordonné, avec des individus qui ne sont pas des combattants de métier. C’est brutal, violent, barbare, primal, sans même parler de Myra abattu par un coup de feu à bout portant dans le visage. Par la suite, le lecteur se rend compte qu’il est totalement investi et impliqué dans des scènes comme des dialogues avec une tension à couper au couteau, les pauvres propriétaires de la ferme battus et attachés en plein soleil par le gang de Milord, leur fille qui risque de se faire abattre de sang froid pour éviter de laisser des témoins, la chevauchée dans les rues de Dardanelle.



Le scénariste maîtrise donc pleinement son dosage, et conçoit un récit qui fait la part belle à la narration visuelle, avec des moments où les dessins portent largement plus de la moitié des informations. L’intrigue s’inscrit dans un fil directeur très classique du western : un groupe de bandits mené par un chef autoritaire et qui écume la région pour s’approprier les richesses des patelins (piller les banques), et investir des fermes pour y séjourner en massacrant les propriétaires et leur famille, voire leur serviteur ou leur esclave, et consommer leurs ressources. Le lecteur apprécie que le récit soit porté par l’intrigue comme une vraie aventure. Il ressent que le scénariste la raconte comme un adulte, avec des touches d’acceptation de l’état du monde (la réalité du racisme), d’indignation (le colonel demandant à son adjoint Steff s’il trouve normal qu’il y ait toujours eu des antis et des pauvres), de résignation (obligation de faire usage de la force et de la violence, de subir pour partie la loi du plus fort), de cynisme (tant pis pour les pauvres bougres qui connaissent une fin brutale, c’était inéluctable), d’acceptation (Sheba sait qu’elle ne pourra pas faire changer d’avis son mari), d’arbitraire (Milord peut décider d’abattre la fillette comme il peut très bien la laisser en vie, sans autre raison que l’impulsion du moment), d’injustice (Pourquoi River Bass se retrouve-t-il pendu une deuxième fois ?), et de pulsion de vie, de continuer à se battre malgré tout parce que l’alternative est pire. Il s’agit donc d’un récit profondément adulte sous ses atours de western et d’aventures.



Pour un western de plus, avec toutes les conventions bien établies du genre ? Oui, sans aucune hésitation. Igor Kordey est un conteur formidable, à la fois pour la vitalité et la justesse de ses personnages, pour ses mises en scène spécifiques à chaque situation, pour la qualité de sa reconstitution historique, pour le souffle et la lumière de ses grands espaces, pour le dosage parfait du spectaculaire quand nécessaire, pour son implication exemplaire dans les séquences visuelles complexes. En plus, le scénario fonctionne sur une dynamique simple et efficace, avec une soif de justice inextinguible, et des individus qui se comportent en adulte conscient du caractère imparfait et injuste de la vie et de la société, ce qui ne les empêche pas de faire leur possible pour l’améliorer en fonction de leurs moyens, avec un courage admirable.
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Marshal Bass, tome 6 : Los Lobos

Pourquoi faut-il que vous maltraitiez tous vos enfants, vous, les hommes ?!

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Ce tome fait suite à Marshal Bass, tome 5 : L'ange de Lombard Street (2019) qu’il faut avoir lu avant, ainsi que le tome trois. Sa première publication date de 2021. Il a été réalisé par Darko Macan pour le scénario, Igor Kordey pour le dessin et la supervision des couleurs, et par Nikola Vitković pour la mise en couleur. La traduction et le lettrage ont été assurés par Fanny Thuillier. Le personnage principal est inspiré de Bass Reeves (1838-1910), premier shérif adjoint noir de l’United States Marshals Service à l’ouest du Mississippi, qui a essentiellement officié en Arkansas et en Oklahoma. Il comprend cinquante-quatre pages de bandes dessinées.



Arizona, janvier 1877, en plein désert de sable avec des hautes formations rocheuses de ci de là, un homme avance à pied, les mains liées par une corde tenue par le cavalier derrière lui : Turtle a ainsi capturé El Professor. Il lui a cassé ses lunettes ce qui fait que le prisonnier a un peu de mal à voir la route. L’autre lui rétorque qu’il aurait peut-être dû y penser avant de choisir de mener une vie de criminel. El Professor le reprend : la révolution ! Pas une vie de criminel, la révolution ! Turtle maintient son jugement El Professor et ses amis ne sont rien d’autres que de vulgaires bandits. Son prisonnier lui demande ingénument combien lui rapportera la prime. Turtle déclare fièrement : vingt-cinq dollars ! El Professor se rebiffe : C’est tout ce que ça coûte à un honnête travailleur de tourner le dos aux siens. Il continue en expliquant que Turtle est exploité par la bourgeoisie. Il est l’esclave de l’argent. Il faut qu’il se réveille et qu’il se débarrasse de ses chaînes avant qu’il ne soit trop tard. Son interlocuteur lui intime de se taire avant qu’il ne répande sa cervelle dans le désert, d’un coup de carabine. Turtle en a ras-le-bol que le monde lui donne des conseils et pense pouvoir mener sa vie mieux lui. C’est lui qui tient le flingue, c’est lui qui décide.



Joaquin Vega est arrivé derrière Turtle, avec ses hommes, sans qu’il ne s’en rende compte, et il lui arrache sa carabine des mains. Ils libèrent Norman et lui passent une paire de lunettes. Roberto tient Turtle en joue avec un revolver et demande à Vega ce qu’il doit en faire. La réponse : on va le faire creuser. Turtle descend de son cheval, prend la pelle qui lui est tendue et creuse. Leandro, un homme tronc accroché dans un panier à la selle de Vega lui fait remarquer qu’on peut tuer ses ennemis, mais on ne joue pas avec eux. Joaquin Vega n’en a cure, et Turtle continue à creuser. Dans la banlieue de Dryheave en Arizona, un afro-américain se fait éjecter manu militari de son échoppe de magasin général, terminant cul par-dessus tête dans la rue en terre. River Bass s’apprête à le tabasser car Jeremiah vit avec sa fille Delilah. Alors qu’il avance vers l’homme à terre : il reçoit un coup de poêle à frire par derrière : sa fille qui lui intime de laisser son mari tranquille. Elle se sent en sécurité avec lui et il a promis de ne pas la toucher avant ses quinze ans.



La dernière page du tome précédent annonçait clairement l’intention de River Bass, mais il y a parfois loin de la coupe aux lèvres. Le lecteur commence par découvrir la couverture qui promet un sort bien horrible au personnage principal. Or il sait que les auteurs tiennent leur promesse : cette couverture n’est effectivement pas mensongère. Le lecteur retrouve toute la cruauté de la série : la torture que subit River Bass, le pauvre Turtle enterré de la même manière après avoir lui-même creusé le trou. Les dessins réalistes donnent la sensation d’assécher la bouche du lecteur avec la poussière soulevée par les sabots des chevaux. Le regard fou de Bass voyant les chevaux s’élancer vers lui glace le lecteur. Lorsqu’il s’impose, avec sa troupe, dans l’hacienda de son frère Heraclio, un homme de Joaquin Vega abat un homme à coup de revolver. Il y a de la matière cervicale qui est projetée hors de la boîte crânienne, mais le pire est le regard des enfants spectateurs de la scène par la force des choses. Plus loin, un adulte soucieux de pouvoir participer au banquet, confie son revolver à un enfant d’une dizaine d’années, pour que celui-ci monte la garde et tire sur le prisonnier s’il tente de s’échapper : à nouveau une narration visuelle naturaliste qui montre toute l’horreur d’un enfant mis dans une situation intenable avec des conséquences sur toute sa vie.



C’est devenu un point de passage obligé : le lecteur se délecte par avance du dessin en double page : il s’agit d’une vue de l’extérieur de l’hacienda et des activités qui s’y déroulent. Il prend son temps pour tout détailler : les chevaux et leur harnais, leur robe, la tenue des ranchers, la présence des enfants, la forme torturée des arbres, le puits et l’enfant qui s’en retourne avec son seau, la façade de l’hacienda avec murs blanchis à la chaux et les motifs de décoration, sans oublier la formation nuageuse dans le ciel. Cette illustration nourrit plusieurs séquences suivantes qui se déroulent au même endroit, le lecteur ayant bien saisi la disposition des lieux. Il déguste également les éléments visuels Western : les différentes paires de bottes, les tenues des blancs, les différences avec celles des afro-américains, ou celles des Mexicains. Il reste toujours aussi admiratif du niveau de détails de chaque vêtement et de leur cohérence visuelle d’une case à l’autre, un bel investissement de l’artiste. Il prend également le temps d’observer les différents paysages : un désert d’Arizona, la banlieue de Dryheave avec sa rue en terre et ses constructions en bois, différentes vues de l’extérieur de l’hacienda, l’intérieur de plusieurs pièces de la demeure. Là encore, l’artiste ne ménage pas sa peine pour donner à voir chaque lieu avec une qualité impressionnante de la reconstitution historique.



Évidemment, le lecteur un peu familier des westerns sait qu’il va retrouver des images très classiques, cent fois vues. Dans le cadre de la narration visuelle, il n’éprouve pour autant jamais une sensation de redite ou de cliché sans âme. Le dessinateur représente ces éléments avec un niveau de détails qui suffit à les rendre unique. Qui plus est, il réalise des séquences qui les placent dans un contexte, une suite où ces éléments ont du sens, à l’opposé d’un décor de fond sans incidence sur le déroulé du récit. Quand Bass fait passer Jeremiah par la porte de son magasin, ce n’est pas l’image déjà vue mille fois du type qui se fait éjecter de force du bar ou du magasin : c’est un personnage familier du lecteur qui en pousse un autre qu’il va apprendre à connaître, sur un platelage avec une pente, et pas celui habituel des saloons. Quand les hommes de Joaquin Vega font bombance dans la salle à manger de l’hacienda : celle-ci présente des dimensions qui sont crédibles, et non pas extensibles à l’infini pour les besoins de la prise de vue, avec une vaisselle cohérente avec le niveau social de la famille Vega, quand Joaquin s’introduit dans la chambre de Bathsheba, il s’agit d’une pièce avec sa propre décoration, ses propres dimensions, et pas d’une pièce générique avec quatre murs nus. La mise en couleur vient rehausser chaque surface, en accentuant ses reliefs et les ombres portées. Il n’y a que les textures qui sont parfois étrangement absentes, par exemple sur la grande table de la salle à manger.



S’il a commencé par le début de la série, le lecteur a bien intégré sa noirceur, et il sait que tout ne va pas se passer pour le mieux dans le meilleur des mondes. D’une certaine manière, River Bass est sur le chemin du retour : retrouver sa famille, ce qui peut être perçu comme une forme de retour à la normalité, de retour vers une série avec un personnage récurrent immuable. Bien sûr, il n’en est rien. Les auteurs réalisent une histoire adulte. Comme l’écrivait Héraclite, on ne se baigne jamais deux fois dans l’eau du même fleuve : il n’y a pas de retour possible à un état antérieur, pas d’âge d’or. En outre, la violence continue de sévir et River Bass en subit plus que sa part, ne serait-ce que du fait de sa couleur de peau. Le lecteur a bien vu dans les tomes précédents que ces injustices engendrées par un racisme systémique influent sur le comportement de Bass, sur sa personnalité. Il retrouve une autre conséquence de la violence de cette civilisation à cette époque : sa survenance devant les enfants, et le lecteur sait qu’ils la perpétueront en reproduisant ce dont ils ont été les témoins. En y repensant, il se dit que les adultes qui évoluent sous ses yeux y ont également été exposée dans leur propre enfance, ce explique en partie leur comportement.



Il n’y a pas de personnages heureux dans cette série. River Bass semble avoir pris conscience de l’impasse dans laquelle l’ont mené ses choix de vie, et que finalement la vie de famille avait du bon. Malgré sa qualification de marshal, le voici une fois de plus soumis à un péril mortel prenant la forme d’une torture sadique. Bien évidemment, Joaquin Vega apparaît comme le méchant : un criminel sans foi ni loi, accommodant une idéologie communiste à ses besoins égoïstes. Le déroulement du récit montre que cet homme souffre comme les autres, qu’un traumatisme passé le rend aussi misérable que tous les autres. Le lecteur ressent également de l’empathie pour Heraclio Vega rabaissé par son frère, sa maison occupée par ses hommes, et sa femme peu contente de son manque de courage. Bathsheba elle-même n’est pas exempte de défaut, en tout cas elle présente une personnalité qui n’a rien de lisse. Quant au personnage principal, malgré sa capacité à encaisser les coups, le lecteur l’a déchu du statut de héros, confirmé quand River ne se souvient pas du prénom de ses enfants, ce qui en dit long sur sa façon d’exercer sa responsabilité de père.



Quoi qu’il en soit, le lecteur veut savoir comment River Bass a pu se fourrer dans la situation montrée par l’illustration de couverture. Dans ce sixième tome, il retrouve toutes les qualités de la série : un western visuellement très consistant. Une narration visuelle semblant évidente, racontant avec évidence et conviction des situations complexes, insufflant du sens dans chaque convention de genre, montrant un monde pleinement réalisé. L’histoire continue de tresser la trame de la vie fictive de River Bass, avec le poids du racisme et de ses effets, la soif d’une forme de la liberté associée aux grands espaces, et en même temps une pulsion de stabilité pour construire durablement. Excellent.
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Marshal Bass, tome 2 : Meurtres en famille

Si l'auberge rouge, avec feu Fernandel, vous parle, alors vous pourriez bien apprécier le retour de ce Marshal en quête, ici, d'un tueur en série qui fait rien qu'éradiquer ses semblables pour les spolier à l'insu de leur plein gré.



Un coup de crayon toujours aussi efficace et flamboyant.

Ce Bass, à qui l'on dit rarement doucement, nous revient en pleine forme.

Heureux en affaires.

Presque trop en amour car aller s'amouracher de la fille du gars qu'on recherche c'est s'exposer à de futures déconvenues sévères.



Ce nouvel opus se lit tout seul et permet, pour peu qu'on ne le fit dans le premier tome, d'investiguer plus avant sur la toile sur cet homme (Bass Reeves :1838 – 1910) qui, en son temps, fit bouger les lignes en détonant dans le paysage ségrégationniste de l'époque.
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Marshal Bass, tome 1 : Black & White

Arizona 1875.

Un homme, assis sur un cheval, bras liés dans le dos, a le cou enserré dans une corde attachée à une solide branche.

Tentative de suicide ? Ah, oui ? Avec les bras attachés dans le dos ?

Disons qu’il est peut-être victime d’un malentendu. Le colonel Terrence B. Helena, qui dirige un groupe de marshals voulait s’assurer que monsieur Bass, un Noir, le presque mort, n’était pas en réalité un certain Bill Derby, malfaiteur qui effraie même les hommes du marshal. Celui-ci semble avoir réglé l’affaire, et après avoir vérifié l’identité du presque pendu s’en vient le délivrer. Il le délivre, mais n’en reste pas là ! Il lui fait une proposition… Honnête !



Critique :



Scénario violent, âmes sensibles s’abstenir ! Darko Macan met en scène un personnage inspiré de Bass Reeves, shérif adjoint qui a réellement existé et qui aurait procédé à plus de 3000 arrestations. Mais son Bass à lui mène une existence bien différente du personnage réel.



Dans ce premier tome, on assiste à l’engagement de Bass comme marshal pour contrer un gang de blacks particulièrement violent. Bass reçoit pour mission de l’infiltrer…



Le dessin de Kordey plaira certainement à beaucoup de monde. Je n’ai pas été particulièrement séduit.

L’histoire tient la route. J’ai cependant du mal lorsqu’on prend un personnage qui a réellement existé et qu’on lui fait faire autre chose que ce qu’il a accompli, alors que cet individu était extraordinaire et qu’on aurait pu narrer sa véritable existence. Manque de documentation ? Paresse du scénariste ? Envie d’originalité ?

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Marshal Bass, tome 7 : Maître Bryce

Un homme libre ne fait pas ce qu’il veut. Il fait ce qu’il peut pour s’en tirer.

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Ce tome fait suite à Marshal Bass, tome 6 : Los Lobos (2021) qu’il faut avoir lu avant, ainsi que le tome trois. Sa première publication date de 2022. Il a été réalisé par Darko Macan pour le scénario, Igor Kordey pour le dessin et la supervision des couleurs, et par Nikola Vitković pour la mise en couleur. La traduction et le lettrage ont été assurés par Fanny Thuillier. Le personnage principal est inspiré de Bass Reeves (1838-1910), premier shérif adjoint noir de l’United States Marshals Service à l’ouest du Mississippi, qui a essentiellement officié en Arkansas et en Oklahoma. Il comprend cinquante-quatre pages de bandes dessinées.



Dryheave, Arizona, fin août 1877. La famille Bass a repris l’exploitation de l’épicerie de Jeremiah dans cette petite ville. En ce beau jour du baptême de Joe, Bathsheba Bass est au comptoir en train de servir madame Williams, pendant que Judith tient le petit Joe dans ses bras, assise dans une chaise à bascule. C’est au tour de Madame Cleopatra de faire son entrée dans le magasin, et le regard de Bathsheba se durcit immédiatement, devenant même hostile. Elle lui demande ce qu’elle veut, et fait observer que les marchandises sont bien différentes de celles dans la maison close de Madame Cleopatra. Judith sort dehors avec le nourrisson dans ses bras et demande à son frère David d’aller immédiatement chercher leur mère Delilah. Il y va en courant. Derrière la maison, le banquet a commencé, et Moïse Washington, surnommé Beef répond au Révérend Dollar, tout en passant entre les tables, pendant que River Bass fait rôtir un porcelet à la broche, avec un grand tablier blanc. Delilah est entrée dans le magasin et salue très respectueusement Madame Cleopatra. Puis elle suggère fortement à sa mère Bathsheba de prendre Joe dans ses bras pour aller le nourrir. Sa mère essaye de résister en lui demandant si elle sait bien qui Madame Cleopatra est, mais sa fille lui rétorque qu’elle est avant tout une cliente, une cliente bien plus fortunée que tous les autres clients réunis.



Toujours avec bébé Joe dans les bras, Bathsheba s’approche de son époux River en lui signalant que sa Cleo est dans le magasin. Elle lui demande s’il lui a rendu visite récemment. Il répond sèchement que non, et lui retourne la question : A-t-elle épousé un Mexicain récemment ? Le révérend Dollar déclare que les patates rôties ont l’air formidable, et il interroge Beef sur le fait qu’il ait fait la guerre. Puis il continue en lui indiquant que ce qui l’a le plus marqué de ces années de guerre, c’est la faim : il avait tout le temps faim. Il enchaîne en demandant un peu de crème persillée à Judith. Deux jeunes garçons enchaînent en demandant à Beef s’il a vraiment fait la guerre, combien de gens il a tué. Il cède à leur curiosité et leur raconte : Lors de la première bataille à laquelle il a participé, il y avait là plus de gens qu’il n’en avait jamais vu de toute sa vie. Plus qu’il ne croyait que la Terre n’en abritait. Et tous était là pour s’entretuer. Tuer un homme n’est pas facile.



La tendance constatée avec le tome précédent se confirme : la série a posé de solides fondations et elle dispose maintenant d’un avenir au-delà du tome suivant. Les auteurs peuvent continuer sereinement à établir une forme de continuité. Maître Bryce ? Ce fut le propriétaire de River Bass quand il était esclave. Ce tome commence en posant les conséquences des aventures narrées dans le précédent, en particulier la nouvelle situation familiale de River Bass, Bathsheba Bass et Judith Bass. Le temps est venu du baptême du fils de Judith, le petit Joe, et c’est un moment de réjouissance, même si le père du nourrisson n'est plus là. C’est un repas de fête avec la famille, les voisins et quelques connaissances dont le révérend Dollar et Moïse Washington (Beef) que Bass a rencontré dans le tome 5 Marshal Bass, tome 5 : L'ange de Lombard Street (2019). Cette notion de famille se retrouve dans des configurations différentes par la suite : celle constituée par son propriétaire, maître Bryce, son frère Wilbur, sa cousine Anabelle dans la propriété familiale, celle réduite à Bathsheba et sa fille croisées sur une route de campagne la nuit. Les auteurs ont l’art et la manière de faire ressortir les conséquences des hasards de la naissance, qu’il s’agisse de la servitude de l’esclavage pour Bass ou Ginny, de la liberté très relative d’une mère sans mari et sans travail, d’un homme dont le frère a mal tourné, d’une femme atteinte de maladie (peut-être la poliomyélite). Tout le monde ne naît pas avec les mêmes chances, et la vie n’est pas juste.



En découvrant la jeunesse de River Bass, le lecteur se retrouve à suivre un jeune esclave dont la vie dépend essentiellement du comportement de son maître, Bryce, de la façon dont il utilise et il traite cet être humain dont il est propriétaire comme s’il agissait d’un être humain. Les auteurs consacrent trente-sept pages à cette relation. Le scénariste accomplit cet effort de la présenter en intégrant le fait que la vie de l’esclave n’a de valeur que son utilité en tant qu’outil. Il réussit à faire en sorte que River Bass soit dépersonnalisé pour son maître, un instrument auquel Bryce ne s’attache pas, pour lequel il ne développe pas d’empathie, avec qui il n’a pas l’obligation de se comporter comme un être humain, ni avec les autres afro-américains d’ailleurs. Cela commence avec l’exigence de Bryce que River retienne sa respiration le plus longtemps possible juste pour son amusement, puis une promesse qu’il ne tient pas sans se sentir le moindre du monde responsable puisque River ne dispose pas de la qualité d’être humain, puis un viol sur Ginny encore adolescente parce que là encore il ne s’agit pas d’un être humain à part entière. Bien évidemment, la narration visuelle montre des individus de chair et de sang qui souffrent de la douleur, dont les visages expriment des émotions. Donc des individus que le lecteur considère lui comme des êtres humains, pour lesquels il éprouve de l’empathie, tout en conservant à l’esprit que le fonctionnement systémique de l’époque façonne et formate chaque individu pour tenir sa place dans ces rapports de dominance et de soumission. Il ressent toute l’ignominie du viol de Ginny qui souffre tout en se disant que la société exige qu’elle s’y soumette, et que River regarde la scène tout en sachant que la société lui intime de ne pas intervenir, les deux se conformant au rôle imposé par leur position sociale.



D’ailleurs River Bass semble avoir internalisé le comportement attendu de lui au point d’avoir conscience qu’il ne lui sert à rien de parler, car sa place sociale n’accorde aucune valeur à sa parole. Voilà un personnage principal encore plus taiseux qu’à son habitude, mais il observe. Il voit comment se comporte maître Bryce, comment il se sert de lui, et il fait le nécessaire pour acquérir de la valeur, afin d’avoir une utilité pour son maître. Quant à lui, le lecteur observe également ses postures, ses attitudes, ses regards. Il constate que River Bass se détend quand il dispose d’un moment de répit et qu’il se retrouve entre afro-américains. Il voit sa détermination sans faille à survivre, et la prise de conscience qu’il lui faut tuer sans pitié pour ne pas laisser de trace. Il remarque quand le regard de River ne se fixe pas sur son interlocuteur, mais sur un autre point d’intérêt. À la lecture, tous ces mécanismes apparaissent comme évidents, la qualité de la narration visuelle allant de soi. Il suffit que le lecteur marque une pause quelques secondes pour qu’il constate à quel point le dessinateur se montre expert et élégant comme metteur en scène. Par exemple, page trente-sept, Ginny parle à River Bass pour lui exprimer son mépris et sa manière de se révolter contre le système, tout en tenant sa file de quatre ou cinq ans devant elle, et au premier plan River semble l’écouter d’une oreille distraite en attendant que ça passe, sans sembler affecté. Toutefois, quand le lecteur suit son regard, il se rend compte que River regarde autre chose, ce qui renvoie à une promesse faite par Bryce en page quatorze.



Ainsi de séquence en séquence sur la jeunesse de River Bass, le lecteur se fait une idée de la manière dont son caractère s’est forgé, dont ses aptitudes se sont développées, et dont sa philosophie de la vie s’est construite en observant le comportement de son maître pour lequel il éprouvait une forme de sympathie, même si celle-ci relève du syndrome de Stockholm par moment. Les pages cinquante-deux à cinquante-quatre sont consacrées à sa rencontre avec Bathsheba, sa future épouse. Le lecteur y voit une étape de plus dans la vie du personnage principale, mais aussi une phase de la vie de Bathsheba qui par la force des choses fut elle aussi esclave, et donc une épreuve qu’elle doit surmonter en faisant preuve d’adaptation, ce qui participe également à forger son caractère et sa personnalité. Ce qui renvoie à la condition féminine dans ce tome : celle des esclaves, condamnées à servir d’objet de plaisir au bon vouloir des propriétaires d’esclaves, et celle de la cousine Anabelle à la situation peu enviable pour d’autres raisons, ce qui fait que le lecteur comprend et compatit quand elle cède aux avances de River Bass.



Totalement immergé dans cette évocation saisissante de l’esclavage et fasciné par la construction psychologique des personnages, le lecteur en oublierait presque la qualité extraordinaire de la narration visuelle. L’artiste sait tout faire passer y compris en l’absence de phylactères : émotions, état d’esprit, rapport de force psychologique, décision intérieure irrévocable, résignation, acceptation, compréhension, etc. Une merveille. En outre, il accomplit un travail toujours aussi remarquable en termes de conception de plan de prise de vue, de mise en scène et de direction d’action. Comme pour tous les tomes précédents, le lecteur attend avec impatience le dessin en double page : une magnifique vue nocturne d’un bayou avec la demeure coloniale des propriétaires en fond. Au fur et à mesure, il savoure chaque page, avec de nombreux moments inoubliables : River retirant les poissons en train de cuire sous la cendre, la mise en scène grotesque exigée par le photographe de guerre, le bateau à aube sur le large fleuve, le regard craintif de Bass tenant le billet qui stipule qu’il est affranchi, le regard noir jeté par Ginny en voyant arriver River de retour dans la propriété, la détermination bloquant toute autre pensée de River s’apprêtant à tuer un homme, le regard échangé entre Bathsheba et Madame Cleopatra alors que cette dernière pénètre chez les Bass. Du grand art.



Le lecteur sait par avance que ce tome ne peut pas le décevoir. Il éprouve une sensation de doute fugace en comprenant qu’il sera essentiellement consacré au passé de River Bass. Une fois plongé dans sa jeunesse, il étouffe tout autant que dans les tomes précédents, immergé dans les conséquences de la noirceur de l’âme humaine, de l’esclavage, de la condition féminine, de l’usage libéral des armes à feu. La narration visuelle rend tout évident et patent, des émotions les plus fugaces, à la violence la plus sèche ou la plus barbare, prenant le lecteur aux tripes. Sans nul doute, River Bass est le produit de son époque, mais il est également plus que ça : un esclave qui n’a jamais été fouetté, un homme d’une endurance peu commune, un être humain qui est parvenu à conserver intacte une part d’humanité.
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Marshal Bass, tome 3 : Son nom est Personne

Bon débarras qu’il a dit… Elle n’était bonne à rien.

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Ce tome fait suite à Marshal Bass, tome 2 : Meurtres en famille (2017). Sa première publication date de 2018. Il a été réalisé par Darko Macan pour le scénario, Igor Kordey pour le dessin et la supervision des couleurs, et par Nikola Vitković pour la mise en couleur. La traduction et le lettrage ont été assurés par Fanny Thuillier. Le personnage principal est inspiré de Bass Reeves (1838-1910), premier shérif adjoint noir de l’United States Marshals Service à l’ouest du Mississippi, qui a essentiellement officié en Arkansas et en Oklahoma. Il comprend cinquante-quatre pages de bandes dessinées.



Arizona, hiver 1876. Dans une zone naturelle, la ferme très isolée de la famille Bass. L’un des garçons dit à Jacob, un de ses petits frères, d’aller avertir sa mère. Jacob court, mais a oublié ce qu’il devait dire en arrivant au pied de sa mère, son grand frère le dit à sa place : quelqu’un approche. C’est Don Heraclio Vega y Gomez qui vient rendre visite aux Bass, avec deux de ses hommes. Il descend de son attelage et salue Bathsheba, lui disant qu’il pense qu’elle mérite un meilleur époux, une plus belle maison, aussi. De plus beaux vêtements, une bonne éducation pour ses enfants. Bathsheba détourne la tête. Puis elle lui tend un verre d’eau en lui demandant de se contenter de le boire et de partir, car ses ennuis à elle ne le concernent pas. Il insiste légèrement et elle répond sèchement.



Bathsheba Bass dit à don Heraclio, d’éviter de commencer avec de vaines promesses. Elle lui demande de ne pas être comme les autres hommes. Avec toutes leurs belles paroles… Mais quand on a besoin d’eux pour quoi que ce soit, important ou non, alors les promesses s’envolent et eux avec. Elle continue : sa fille est partie. Sans même une pensée pour sa pauvre mère, Delilah s’est envolée avec le premier type qui lui a promis la Lune. Elle, Bathsheba, n’a même pas eu droit à un au revoir ! Et qu’a dit River ? Peut-il deviner ce que son mari a dit ? Bon débarras qu’il a dit… Elle n’était bonne à rien. Sa petite fille. Son aînée. Elle lui a demandé de la ramener, mais il a répondu qu’il avait mieux à faire. Alors il est parti. Tout le monde la quitte. Tout en parlant, cette mère se met à pleurer. Jacob lui dit qu’il ne la laissera jamais, mais elle sait qu’il ment, qu’il s’en ira quand son tour viendra. Toujours les larmes aux yeux, elle propose un peu plus d’eau à son hôte. Comme il décline, elle l’invite à s’en aller, ce qu’il fait sans ajouter un mot. Plus loin, Delilah est montée en croupe derrière un jeune Amérindien, sur son cheval. Elle se plaint du froid. Il lui répond sèchement qu’elle aurait dû mettre des vêtements plus chauds. Elle lui fait la remarque qu’il ne l’a pas embrassée une seule fois. Il répond que ça viendra. Ils arrivent à un relais de poste. Le jeune homme se fait appeler Personne, et il lui indique qu’ils vont aller acheter une couverture à ce relais. Devant la bâtisse, Hoss et Pete jouent au fer à cheval.



Étrange début : River Bass est absent et il semble avoir abandonné femme et enfants, et par là-même également le lecteur. Tout aussi surprenant, il n’apparaît qu’à partir de la page onze, pendant quatre pages, juste le temps de se faire estourbir par Doc Moon. Il faut alors attendre la page dix-neuf pour qu’il revienne sur le devant de la scène. Le début est d’autant plus étrange, que le lecteur ne peut pas supputer grand-chose à partir de la couverture ou du titre, sur la nature de l’intrigue, ou sur la dynamique du récit. La scène introductive le met immédiatement mal à l’aise. Une femme seule au milieu du zone sauvage, une ferme très isolée, un propriétaire terrien avec ses gardes armés qui vient courtiser cette femme mariée, devant ses enfants, profitant de l’absence du mari. L’artiste montre bien don Heraclio Vega faire le joli cœur, les deux hommes avec leur fusil restant sur le cheval un peu en retrait. La narration visuelle s’inscrit dans un registre réaliste très détaillé. Le lecteur voit bien que le sol du terrain est pauvre, que les vêtements des enfants sont simples, alors que ceux des Mexicains sont de meilleure facture. Il voit le rapport de force qui existe entre cette afro-américaine et ses enfants d’un côté, les Mexicains armés de l’autre. Pour autant, la séquence ne se déroule pas comme il l’anticipe, et Bathsheba fait la preuve de son caractère, sans pour autant imaginer qu’elle pourrait avoir le dessus dans un rapport de force physique. Il prend me temps de détailler les poules en train de picorer, les murs de la ferme, le harnachement des chevaux. Il ressent toute la force de l’émotion combinant mépris et frustration sur fond d’agressivité de cette femme quand elle apparaît de profil dans une case, dans un gros plan, avec son chien qui montre les crocs juste derrière, comme s’il exprimait lui aussi l’émotion de sa maîtresse.



Puis l’intrigue passe à Delilah, la fille aînée des Bass, enserrant la taille de Samson, les deux chevauchant sur la même monture. Là encore, le niveau de détails épate et la qualité des textures donne la sensation de pouvoir les toucher. Le lecteur peut juger par lui-même de la qualité des vêtements de la jeune femme, pas du tout adaptés aux conditions climatiques avec la neige qui commence à tomber. Il admire la manière dont l’artiste rend compte de la géographie du lieu : deux baraques dans une zone dégagée entre des flancs de montagne. Le lecteur se montre très attentif à l’expression des visages de Delilah et de Samson afin d’imaginer leur état d’esprit respectif, de jauger de leur relation, de voir si la fille va répéter les schémas comportementaux et relationnels qu’elle a vu chez sa mère, entre cette dernière et son père. Bass arrive et le lecteur pénètre avec lui dans l‘une des deux bâtisses, ouvrant grands les yeux pour découvrir comme elle est aménagée. Il se retrouve pris au beau milieu de l’échange de coups de poing, une violence malhabile, aussi soudaine que rapide. Puis le récit revient au couple Delilah & Samson, avec une magnifique case de la largeur de la page : les deux au bord d’un cours d’eau alors que le soleil se couche, le cheval en train d’essayer de brouter une herbe rare, les pins, les roches, et la neige qui continue de tomber mollement.



Comme dans les précédents tomes, Igor Kordey enchante le lecteur par sa capacité à représenter les paysages naturels, ici totalement sauvages. River Bass se remet en route à la fin de la nuit et il pénètre dans une forêt de bouleaux : un dessin en double page (24 & 25) magnifique, avec un timide lever de soleil, les troncs dénudés, le tapis de neige, des branchages au sol, le lecteur peut ressentir l’absence de vie humaine, un environnement qui n'a rien d’accueillant ou d’épanouissant pour l’être humain. La suite du récit se déroule dans ce bois avec ses reliefs, les rochers, un barrage de castor, la neige qui continue de tomber, un cours d’eau à la surface gelée. Ce paysage hivernal peut fonctionner comme une métaphore de la mort, tout le monde végétal étant au repos, recouvert par le linceul de neige. Les animaux sont rares également : les chevaux, les chiens de l’un des traqueurs, un castor dans la dernière case. La mise en scène, les plans de prise de vue et les représentations de différentes zones de ce bois montrent que les humains apportent avec eux leur folie, leur violence, dans un endroit au repos.



Le lecteur se retrouve fasciné par la tragédie qui se déroule devant lui, par les propos des uns et des autres, par leurs actions. Il sent bien qu’il y a des non-dits des sous-entendus, des relations conflictuelles, des individus prêts à profiter de leur position de force pour exploiter des plus faibles, des motivations peu avouables. Il ressent un profond dégoût quand un homme est abattu à bout portant pour une couverture, quand une jeune femme est soumise à une humiliation abjecte pour savoir qui sera le premier à la violer, quand un chien se fait arracher la langue par un homme qui n’a plus que cette ressource pour éviter de se faire trancher la main enserrée dans les mâchoires de l’animal. Les auteurs font tout pour mettre en scène la violence dans ses aspects les plus barbares, la pulsion de vie qui cautionne que la fin justifie les moyens pour rester en vie. Le lecteur en fait le constat de visu, sans glorification aucune de ces actes, et pourtant rien ne le prépare à l’horreur de la scène finale et du dénouement. Dans un monde où la lutte pour la survie fait éclater tout semblant de civilisation encore et encore, il ne peut pas y avoir de héros. Il peut y avoir des sentiments nobles : vouloir sauver sa fille, faire régner la justice en appliquant la loi, mais le principe de réalité reprend toujours le dessus. Le lecteur en veut personnellement au Marshal Bass qui fait passer sa fonction avant le reste, et il s’en veut à lui-même car il n’était pas possible de laisser vivre un tel chien fou, capable de tuer froidement toute personne lui tenant tête, quelle qu’en soit la raison. Il en veut à River Bass de ne pas être parfait, tout en sachant pertinemment ce que cet homme a enduré, juste à cause de sa couleur de peau. Il encaisse avec les femmes du récit, tout en se disant qu’il n’aurait pas fait mieux dans une telle société.



Un peu distrait, le lecteur commence sa lecture avec l’a priori de plonger dans un western juste un peu dur. Il retrouve cette narration visuelle très riche dans ce qu’elle montre, très rigoureuse dans sa manière de raconter. Il glisse progressivement sans s’en rendre compte dans un récit aussi noir que l’âme humaine, où les individus sont le jouet de leur histoire personnelle, de leur culture, des péchés de leurs parents. Traumatisant.
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Marshal Bass, tome 10 : Hell Paso

C’est bien beau d’être charmant, mais ça ne sert à rien si on n’a pas de jugeote, Appleby.

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Ce tome fait suite à Marshal Bass, tome 9 : Texas Rangers (2023) qu’il faut avoir lu avant car il s’agit de la seconde partie d’un diptyque. Son édition originale date de 2023. Il a été réalisé par Darko Macan pour le scénario, Igor Kordey pour le dessin et la supervision des couleurs, et par Anubis pour la mise en couleur. La traduction et le lettrage ont été assurés par Fanny Thuillier. Le personnage principal est inspiré de Bass Reeves (1838-1910), premier shérif adjoint noir de l’United States Marshals Service à l’ouest du Mississippi, qui a essentiellement officié en Arkansas et en Oklahoma. Il comprend cinquante-quatre pages de bandes dessinées.



Avril 1878, de nuit dans un camp militaire de campagne, un homme est traîné par deux soldats avec un mouchoir pour se protéger la bouche. Il se défend qu’ils n’ont pas le droit de faire, car il n’a rien fait de mal. Les soldats l’amènent jusque devant la bouche d’un canon et l’attachent de telle sorte que son tronc soit collé à ladite bouche. À l’aide d’un porte-voix, le lieutenant Appleby s’adresse aux habitants du village d’El Paso à quelques dizaines de mètres de distance. Il les informe qu’un de leurs concitoyens a été capturé alors qu’il essayait de passer outre le corridor de sûreté établi par l’armée des États-Unis. Pour cela la cour martiale l’a condamné à une exécution sommaire. L’ordre de tir sera donné par le major Philip Penn. Dans la foule au loin, un homme au visage masqué par le rebord de son chapeau serre les dents et répète le nom de famille du major. Ce dernier donne l’ordre de tirer en abaissant son sabre. Le prisonnier est coupé en deux par le boulet, les deux moitiés séparées retombant au sol. Le major lâche un rire de satisfaction.



À Dryheave en Arizona, grand-père Thomas, surnommé Tom, déambule tranquillement dans la rue. Il croise Jake et son frère Joshua, deux de ses petits-enfants, avec un air sombre et regardant jalousement un groupe de garçons en train de jouer au baseball. Il leur demande ce qui se passe. Ils expliquent que les autres ne veulent pas jouer avec des bâtards. Le grand-père leur pose une petite question sur le métier du père de Barney Ellis, celui qui les a rembarrés, puis leur suggère une répartie. Jake et son frère retournent pour demander à jouer et font comme Thomas leur a dit : Barney accepte qu’ils jouent. Thomas poursuit son chemin et passe devant Homer en lui demandant s’il a ce dont ils avaient parlé : pas encore, du coup Thomas lui met la pression. Puis il passe devant le magasin général de Delilah Bass et la salue, ainsi que Cleopatra et Bathsheba. Cette dernière regarde Bathsheba et lui demande s’il y a des soucis. Son interlocutrice répond que pas vraiment, tout le monde a l’air d’apprécier son père, et il est étonnamment bon envers les garçons. En réponse à une question, elle indique qu’il ne touche pas les filles. Et elle continue : il n’a jamais été comme ça. Tout ce qui a toujours vraiment compté pour lui, c’est l’argent. Cleopatra continue en demandant si Bathsheba a des nouvelles de River.



Le lecteur avait laissé River Bass en proie à une crise aigüe de remise en question violente sur lui-même, ses motivations morales et l’espèce d’homme qu’il est. Il avait également découvert la couverture de ce dixième tome au dos du précédent : une situation à laquelle on ne survit pas. Très malins, les auteurs commencent par une exécution sommaire avec ce déchiquetage en deux par un boulet tiré à bout portant. Impossible de s’en sortir ! Encore un peu plus taquins, ils continuent avec une séquence à Dryheave au cours de laquelle le grand-père, c’est-à-dire le beau-père de River Bass, se montre bienveillant envers les enfants, pendant cinq pages. Il faut attendre la page onze pour retrouver le personnage principal, et encore dans la dernière case. Le lecteur tourne la page et dès la treizième retour à Dryheave alors que Cleopatra demande si elle n’aurait pas un boulot pour son fils David qui a perdu un œil dans Marshal Bass, tome 6 : Los Lobos (2021). Puis retour au marshal pour onze pages, et retour à Dryheave. Le lecteur fait le compte : River Bass apparaît dans vingt-sept planches sur cinquante-quatre, la moitié. Il en déduit que l’histoire que voulait raconter les auteurs ne tenait pas dans un seul album, mais qu’elle ne suffisait pas pour en faire deux. Aussi, ils mettent à profit leur confiance dans le potentiel de leur série pour intercaler des séquences développant des personnages connexes comme le grand-père et David, afin de préparer les tomes à venir.



Comme dans tous les tomes, les auteurs consacrent deux pages à un dessin en double page, ici les pages quarante-deux et quarante-trois, et l’objet est une scène de liesse dans le saloon de Dame Cleopatra, alors que l’un des fils de Bathsheba et River Bass se donne à fond à l’harmonica sur la scène, avec un guitariste, un bassiste et un pianiste à l’accompagnement et deux danseuses. Une image de plaisir très communicatif. Ce tome comporte lui aussi son lot de scènes ou d’images marquantes : l’exécution au boulet bien sûr (quelle boucherie barbare), River Bass prenant son repas dans un restaurant mais à une table isolée et à l’extérieur (le racisme restant vivace), les six rangers faisant un massacre, une belle vue sur les tentes et l’enclos à cheval du camp militaire, Cleopatra soumettant un jeune garçon à la tentation, River Bass avançant de dos sur une route boueuse vers une ville semblant déserte, les boulets s’abattant arbitrairement dans la ville, un fleuve en crue charriant de la boue, une charge héroïque menant les cavaliers à une mort assurée, etc.



En outre, le lecteur ressent une forte empathie avec certains personnages, par l’expression de leur visage ou leur langage corporel. Il éprouve la force de la détresse de l’habitant d’El Paso qui a voulu s’échapper et qui se retrouve aux mains de deux soldats, contraint par la force physique, sans plus aucune liberté, en totale panique, l’horreur s’y mêlant quand il comprend le moyen par lequel il va inexorablement être exécuté. Il compatit avec les deux fils de Bethsheba qui ont été exclus du jeu de baseball, et même avec le fils du marchand de whisky qui impose sa volonté aux autres garçons par sa force implicite et qui doit céder au chantage sur la réputation de son père. Il fond devant les expressions qui passent sur le visage de David, le fils aîné de Bass, alors qu’il est soumis à la tentation par Dame Cleopatra, devant sacrifier ce qui lui tient le plus à cœur. Le lecteur prend également conscience qu’il scrute le visage, moins expressif, de Marshal Bass pour se faire une idée de son état d’esprit : résigné à manger dehors, amusé par la demande d’aide de Hare et la manière dont il l’exprime, blasé en anticipant les réactions des Texas Rangers dans l’histoire que lui raconte Hare, très conscient que les soldats du major Penn peuvent l’abattre d’une balle dans le dos alors qu’il s’éloigne de leur camp en marchant, etc. D’un autre côté, il éprouve immédiatement un sentiment de rejet et de dégout pour Philip Penn et son sourire de contentement à la suite de l’exécution par boulet du fuyard, un sentiment de défiance un tantinet craintif à l’encontre du grand-père manipulateur, une forme de mépris devant le regard fuyant de Hare, un sentiment de découragement en voyant les visages fermés des Texas Rangers recourant à la force dès qu’ils sont contrariés. Dans le même temps l’expressivité de ces individus génère une telle intensité dans l’empathie qu’il les comprend et sent sourdre une pointe de pitié envers eux, incapables d’avoir le dessus sur leurs émotions négatives.



D’un côté, les auteurs apportent une fin satisfaisante à leur intrigue principale, celle de River Bass, comme à leur habitude. Ils intègrent le colonel Terrence B. Helena, ce qui permet d’avoir son point de vue sur le recrutement des Texas Rangers (le capitaine Dexter Miller, Bullock & Hare, Jacinto Juarez & Woodrow Watson, Gabriel surnommé le fantôme, William Joseph Beatty surnommé Topeka Kid), et sur la valeur morale de River Bass, avec une mise à l’épreuve séance tenante. Pour une fois, la conclusion du récit semble un peu moins noire, et sa nature permet de relativiser un chouia celle d’un ou deux tomes précédents, en particulier le trois. En même temps, il ressent une forte appréhension pour la suite, que ce soit le sentiment de solitude de Bathsheba Bass, ou la possibilité que Hope, l’enfant recueillie par Doc Moon, soit toujours porteuse de maladies. Dans la seconde moitié du récit, les auteurs construisent leur narration avec une alternance rapide entre le règlement de compte à (He)El Paso et le premier concert de David Bass, une forme de contrepoint. Le lecteur comprend qu’il s’agit d’une mise en parallèle pour l’amener à comparer les deux situations entre elles. D’un côté, River Bass traversant une crise de doute sur ses valeurs et sa moralité ; de l’autre son fils David qui acquiert la certitude (absolue, à son âge) de sa vocation. D’un côté, un homme de loi qui sanctionne les criminels souvent en les tuant ; de l’autre un tout jeune adolescent qui partage sa joie de vivre aux adultes grâce à un mode d’expression artistique. Dans les deux cas, l’un et l’autre sont très conscients de ce à quoi ils ont renoncé pour leur vocation.



Hors de question de rater la seconde moitié de ce diptyque, encore moins avec une telle couverture. Les auteurs mènent à son terme la comparaison entre River Bass et les Texas Rangers, ainsi que leurs motivations, dans leurs ressemblances et leur différence. Un vrai Western toujours noir, avec des conflits armés, et des personnages complexes. Attention : ce tome contient peut-être une trace d’optimisme.
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Marshal Bass, tome 5 : L'ange de Lombard St..

Mais on ne choisit pas à la naissance. On ne choisit pas notre place, dans la vie !

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Ce tome fait suite à Marshal Bass, tome 4 : Yuma (2019) qu’il faut avoir lu avant, ainsi que le tome trois. Sa première publication date de 2019. Il a été réalisé par Darko Macan pour le scénario, Igor Kordey pour le dessin et la supervision des couleurs, et par Nikola Vitković pour la mise en couleur. La traduction et le lettrage ont été assurés par Fanny Thuillier. Le personnage principal est inspiré de Bass Reeves (1838-1910), premier shérif adjoint noir de l’United States Marshals Service à l’ouest du Mississippi, qui a essentiellement officié en Arkansas et en Oklahoma. Il comprend cinquante-quatre pages de bandes dessinées.



Washington D.C., octobre 1876. Le soir, Robert Little, afro-américain et membre du congrès, rentre chez lui. Un fiacre le dépose à sa porte et en descendant, il indique à ceux restés dans le véhicule que, maintenant que Powell est hors-jeu, ils vont pouvoir profiter de toutes les ruses qu’il a mises au point, ils vont devenir riches. Il pousse sa porte d’entrée et interpelle Pompey, voulant savoir pourquoi la porte n’était pas verrouillée. Il découvre son serviteur mort, étendu dans le salon. Il s’agenouille pour tâter le corps et se rend compte que quelqu’un se tient derrière lui. D’une main gantée, son agresseur l’envoie valdinguer en arrière. Little se met à défendre sa vie en indiquant qu’il a de l’argent. L’autre, le visage dans l’ombre du rebord de son chapeau de confédéré, lui indique qu’il a un message pour lui : Little a échoué au test. Il le strangule jusqu’à ce que mort s’en suive. Une fois sa sinistre besogne effectuée, il sort et s’en va, les réverbères éclairant une petite partie de son visage horriblement défiguré.



À Philadelphie, deux jours plus tard, le site de l’exposition universelle ne désemplit pas de visiteurs venus voir les différents pavillons, ainsi que le bras droit de la future statue de la Liberté, tenant la torche. River Bass descend une bière avec le colonel Terence B. Helena. Le premier se montre assez négatif, appréciant le fait que la statue de la Liberté soit quasiment enterrée, rabaissant le nombre de visiteurs au fait qu’il a déjà vu certaines pendaisons déplacer autant de foule, et ne voyant intérêt au téléphone de M. Bell, car personne ne voudrait parler aux gens dont il s’est éloigné. Le colonel en profite pour lui demander des nouvelle de sa famille et lui fait observer à ce propos que cela doit faire une bonne année que Bass n’est pas rentré chez lui. Helena change de sujet et propose d’offrir une banane à Baas, mais en y allant ce dernier est heurté par un bourgeois qui se met à l’invectiver en lui disant qu’il aurait dû regarder où il allait. Le colonel met fin à l’incartade, mais le temps a passé et il doit quitter son marshal. Ce dernier va s’acheter lui-même une banane. En enfournant un mouchoir dans sa poche, il y sent un papier. Il l’en sort et va interpeller un monsieur d’une cinquantaine d’années qui commence à crier à l’agression. Deux policiers, Culpepper et Coltrayne, interviennent, rouent Bass de coups et l’embarque au poste.



Après le séjour en prison du tome précédent, le lecteur présupposait que les auteurs allaient revenir au statu quo de la série : River Bass travaille dans sa petite ferme en s’échinant à cultiver un sol ingrat, en attendant qu’une nouvelle mission lui tombe dessus, par hasard, ou par un concours de coïncidences romanesques, éventuellement par une demande du colonel Terrence B. Helena. La scène d’ouverture le prend par surprise, avec une suite directe du tome précédent : une conséquence incidente de la mort de Thomas Powell, le sort du membre du congrès Robert Little. Ça continue avec la scène suivante : le colonel demande au marshal pour quelle raison il n’est pas retourné voir sa famille. Le lecteur comprend que, le succès aidant, les auteurs ont pu envisager le développement de leur série sur un terme de plusieurs albums, et ainsi continuer à brosser en creux le portrait de leur personnage principal. Comme à l’accoutumée, celui-ci se fait tabasser à plusieurs reprises, d’abord par deux policiers bien racistes, Coltrayne & Culpepper (ces noms apparaissant comme un clin d’œil au diptyque [[ASIN:2413015574 Colt et Pepper]] des mêmes auteurs), puis par l’assassin surnommé Ange. Il se heurte au racisme ordinaire des États-Unis de cette époque : la mise en pratique du treizième amendement à la Constitution des États-Unis (18/12/1865) n’ayant pas eu un effet magique, et les comportements n’évoluant que lentement. Il porte le poids de sa culpabilité, à la fois pour avoir abattu froidement le dénommé Personne, à la fois pour ne pas avoir le courage d’affronter sa famille. Le lecteur ressent les effets de ces états de fait sur le comportement de River Bass, comment celui-ci se conduit en réaction à eux.



Un assassinat et une chasse à l’homme dans une forme de course-poursuite : une dynamique imparable pour le récit. L’intrigue s’avère beaucoup plus riche que cela : un soupçon de théorie du complot avec les profits attendus en utilisant les combines du défunt Thomas Powell, une motivation originale pour l’assassin, la famille Defoe qui continue à nuire à River Bass, et peut-être un frémissement d’interrogation concernant les motivations du colonel Terrence B. Helena. Après une aventure en prison, voici une aventure urbaine pour le personnage principal, une forme de dévoiement du genre Western. D’un autre côté, le lecteur retrouve bien quelques conventions du genre : des chevaux qui tirent des carrioles, des individus armés de revolvers et qui n’hésitent pas à s’en servir, un train qui traverse de magnifiques paysages naturels, une diligence, et une courte chevauchée mais sur un âne. Dans la troisième page, le lecteur voit la silhouette du tueur, avec sa gabardine et son chapeau de sudiste. S’il est familier des comics, il effectue immédiatement le rapprochement avec Jonah Hex, personnage créé en 1972, par John Albano & Tony DeZuniga, qui est lui aussi défiguré, et tout autant aimable. Au fil du récit, le lecteur perçoit des éléments historiques comme les vétérans de la guerre de Sécession, la mise en œuvre poussive de l’abolition de l’esclavage qui n’a pas balayé le racisme.



Comme dans les tomes précédents, l’artiste participe à cette immersion dans une autre époque, d’autres lieux. Igor Kordey ne ménage pas sa peine pour donner à voir chaque lieu : la rue de Washington D.C. avec le Capitol en fond de perspective, les pavillons de l’exposition universelle, les locaux du poste de police, le débit de boisson mal famé Blue Anchor (Bass se faisant la remarque après avoir vomi que la bière a meilleur goût en sortant qu’en entrant), la cale d’un bateau amarré sur le fleuve Delaware, une demeure de grand bourgeois, et le wagon à bestiaux dans lequel Bass est obligé de voyager pour rentrer chez lui dans l’Arizona. Maintenant bien habitué, voire bien accro, le lecteur attend avec impatience le dessin en double page, en se demandant quel en sera le sujet. L’artiste l’a gâté : pages 6 & 7, une vue en légère surélévation de l’Exposition universelle avec plus d’une centaine de badauds, des stands et des pavillons au premier plan avec leurs clients (dont celui consacré au french cancan), d’autres bâtiments et des ballons ascensionnels en arrière-plan, sans oublier le bras droit de la statue de la Liberté tenant la torche. Bien évidemment, le lecteur aura l’occasion de revoir cette portion de la célèbre statue, à l’occasion d’un duel qui se termine sur la balustrade effectuant le pourtour de la flamme.



Tout du long de ces pages, le lecteur apprécie autant le sens de la mise en scène de l’artiste que le travail de mise en couleurs, celles-ci étant toujours aussi denses. Outre la qualité de lieux à représenter en respectant la véracité historique, l’artiste raconte des séquences délicates, avec une justesse qui les rend uniques et réalistes. Le lecteur se sent aussi paniqué que Robert Little, ne parvenant pas à distinguer l’agresseur complètement, mais ressentant sa force violente. Il ressent avec acuité la frustration et la colère de River Bass qui va grandissante, alors qu’il se prend de plein fouet le racisme affiché du grand bourgeois, puis celui plus systémique et pernicieux des deux policiers qui ne brillent pas par leur intelligence, une direction d’acteurs impeccable. Il découvre avec la même stupeur mêlée d’horreur les individus dans la cale du navire où Ange a emmené Bass. Il accepte bien volontiers l’art consommé avec lequel Bass se délivre de ses entraves sous l’eau, souriant à sa remarque sur l’origine de son prénom River. Il a le souffle coupé lorsque le trolley se couche sur le côté à la suite de l’emballement d’un cheval. Il se retrouve tout autant aux abois que le marshal lors du combat nocturne dans le parc de l’Exposition universelle. Il éprouve la nostalgie mêlée d’une culpabilité insupportable lors du très long (et aussi humiliant) trajet de retour avec l’Arizona.



À ce stade de la série, le lecteur sait qu’il n’acceptera pas moins qu’un tome de plus au moins aussi excellent que les précédents… Et c’est le cas. La narration visuelle donne l’impression d’aller de soi : il suffit toutefois que le lecteur prenne un peu plus de temps sur une page pour mesurer sa richesse, son élégance et sa justesse, qu’il s’agisse de la reconstitution historique, du comportement parlant des personnages, ou des plans de prise de vue. Le scénariste se montre aussi noir que dans les tomes précédents, avec une vision peu optimiste de la nature humaine. Il dispose de l’assurance nécessaire pour étoffer la vie personnelle de son personnage principal et il évoque des thèmes historiques classiques comme l’abolition de l’esclavage, et moins attendus comme le sort des vétérans de guerre estropiés ou handicapés.
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Marshal Bass, tome 2 : Meurtres en famille

Ça, c’est une façon de faire ! Un coup suffit à chaque fois.

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Ce tome fait suite à Marshal Bass, tome 1 : Black & White (2017). Sa première publication date de 2017. Il a été réalisé par Darko Macan pour le scénario, Igor Kordey pour le dessin, et par Nikola Vitković pour la mise en couleur. La traduction et le lettrage ont été assurés par Fanny Thuillier. Le personnage principal est inspiré de Bass Reeves (1838-1910), premier shérif adjoint noir de l’United States Marshals Service à l’ouest du Mississippi, qui a essentiellement officié en Arkansas et en Oklahoma. Il comprend cinquante-quatre pages de bandes dessinées.



Arizona, 1875. Un cavalier tenant un nourrisson emmailloté dans ses bras, arrive à proximité de la ferme isolée de la famille Vanderkolk. Timothy Brown espère bien trouver quelque chose à manger, et peut-être même prendre un bain. La Providence les a amenés par ici, rien de moins. Il avance tranquillement à cheval vers la clôture. Derrière un rideau de la ferme, la fille Sabien prévient son père Roeland que quelqu’un approche. Avec derrière lui son fils Janwillen et son épouse Rebekka, le père déclare : qu’il vienne, tout le monde est bienvenu dans cette maison. Le fils demande s’il peut s’occuper du visiteur, le père lui répond qu’il n’est pas encore prêt, un homme n’aurait pas demandé la permission pour faire ce qu’il veut. Brown frappe à la porte et l’ouvre. Il demande poliment s’il y aurait une chaise à leur table pour un voyageur exténué. Il se présente, et en réponse, Sabien fait les présentations. Mais Janwillen préfère sortir brusquement pour aller s’occuper du cheval du voyageur. Brown s’adresse alors à la jeune femme et déclare ingénument qu’il est heureux qu’elle ne soit pas mariée car il est à la recherche d’une nouvelle femme pour sa petite et il peut difficilement espérer trouver quelqu’un de plus doux et rayonnant qu’elle. Rebekka est en train de servir du ragout, et Timothy s’assoit à table, avec son nourrisson endormi dans les bras.



Timothy Brown lève une première cuillère de ragout, quand Roeland Vanderkolk l’estourbit par derrière, d’un puissant coup de hache. Il se félicite de son action : ça c’est une façon de faire, un coup suffit à chaque fois. Sabien se penche sur l’invité inconscient pour voir comment va le pauvre bébé. Elle fait une découverte des plus macabres. Le père se félicite d’avoir débarrassé le monde d’un tel individu capable de traiter ainsi un nourrisson. Janwillen entre en coup de vent dans la maison : Jacobsen arrive avec ses vaches, ses hommes et tout, et tout. La famille a juste le temps de faire disparaître les corps par une trappe dans le plancher, permettant d’accéder au vide entre la terre et le sol de la maison. Jacobsen entre dans la ferme et prend des nouvelles de Roeland : ce dernier offre un verre de schnaps au Danois. La famille Vanderkolk partage son repas avec les vachers. Dans vide sous la maison, Timothy Brown reprend ses esprits et commence à s’éloigner tant bien que mal. Il est repéré par Janwillen qui travaille à l’extérieur.



Une couverture peu révélatrice avec River Bass qui court pied nu dans le désert son revolver à la main et son chapeau porte-bonheur sur la tête, et un titre tout aussi énigmatique. Marshal Bass n’apparaît qu’à la page onze, c’est-à-dire la neuvième planche. Il est inconscient de la page vingt-trois à la page vingt-sept. Il n’apparaît finalement que dans trente-trois pages sur cinquante-quatre, mais il ne se réduit pas à une simple deux ex machina, ou à un catalyseur. Il prend une part active dans l’action. Le lecteur retrouve une partie des éléments établis dans le premier tome : la couleur de peau de River Bass (heureusement) et les réactions racistes qu’elles suscitent, son chapeau melon avec un trou de balle au niveau du front, son endurance, sa résistance aux coups, son adresse réaliste avec une arme à feu, et sa famille (son épouse Bathsheba, et sa grande fille Delilah, ses autres enfants). Le récit s’inscrit également dans le genre du western, comme pour le tome un, et il est fait mention de la famille Defoe, celle du type qu’il a descendu dans l’exercice de ses fonctions au cours du tome précédent. Le lecteur retrouve assez de caractéristiques pour se sentir dans une série, ressentir l’effet de familiarité. En outre ce deuxième tome est réalisé par les mêmes scénariste et dessinateur, et il est fait une part belle aux paysages naturels désertiques de l’Arizona.



Dès la deuxième page, le lecteur a la puce à l’oreille, surtout s’il a déjà entendu parler de la famille Bender qui a sévi dans le comté de Labette au Kansas en 1872 & 1873, par exemple dans la bande dessinée The Saga of the Bloody Benders: The Infamous Homicidal Family of Labette County, Kansas (2007) réalisée par Rick Geary. En revanche, il n’anticipe peut-être pas les intentions réelles de Timothy Brown. Affreux, sales et méchants ? Les auteurs font en sorte de donner un peu plus de personnalité à leurs personnages, toutefois ils ne brillent pas par leur intelligence. Le lecteur en découvre un premier aspect quand Janwillen se trahit bêtement en répondant à une question du marshal demandant si les Vanderkolk ont aperçu Timothy Brown en leur présentant un avis de recherche avec son portrait. Il ne s’attend pas à ce que Turtle, chasseur de primes, se montre tout aussi peu brillant, et se fasse avoir par surprise à deux ou trois reprises. Avec de tels individus manquant à ce point de jugeotte, le personnage principal passe aisément pour une lumière. Grâce à sa résistance, il parvient à contrecarrer les criminels, non sans conséquences. Pour autant, le scénariste n‘en fait pas un héros au cœur pur. Il indique qu’il attend Timothy Brown à Dryheave, en s’envoyant du whisky au saloon de Madame Cléopâtre et en appréciant les services des filles. Il devient la proie du désir charnel comme les autres hommes, totalement oublieux de son épouse. Il ne peut qu’acquiescer au constat de la jeune femme : La beauté est une prison. Si elle était laide, elle serait libre ; une femme n’est jamais libre, pas tant qu’il y a des hommes autour.



En effet, le manque de bon sens de certains ne se transforme jamais en une source de comique. Les auteurs racontent leur histoire au premier degré : le constat qu’il y aura toujours des êtres humains pour profiter des autres, en abuser, les plier à leur volonté par la force, y compris au sein même d’un groupe ou d’une communauté. Ce récit dégage une noirceur intense et fataliste. La justice prend la forme d’un lynchage ou d’un coup de feu qui atteint souvent sa cible par chance, voire d’un crâne frappé avec force contre une pierre à nombreuses reprises jusqu’à ce que mort s’en suive. Dans la petite ville de Dryheave, le shérif applique une justice pragmatique et préventive : River Bass est placé dans une cellule avec Turtle, tout marshal qu’il soit. La foule de Dryheave n’hésite pas à lyncher les meurtriers dans la minute, sans aucun procès. La civilisation prend plus la forme des échanges commerciaux, des villes, des habits, que de la justice ou de quelque forme de protection sociale que ce soit.



Dès la première page, le lecteur retrouve la qualité des images : un élégant entrelacs sophistiqué entre photoréalisme et discrètes exagérations. La première case occupe la largeur de la page : un homme sur sa monture qui observe une petite ferme à quelques dizaines de mètres de distance, en contrebas. Déjà vu mille fois, eh bien non : le lecteur n’éprouve pas de sensation d’ersatz. L’artiste et le coloriste ont représenté avec soin les quelques nuages dans le ciel bleu, la chaîne montagneuse dans le lointain, la végétation spécifique de cette région, les deux bâtiments de la ferme, la clôture en fil de fer tendu entre des piquets, la monture du cavalier avec la selle, les rênes et les sacoches, Timothy Brown avec sa gabardine, ses bottes et son chapeau. La mise en couleur complète les traits encrés comme s’il s’agissait l’œuvre d’un unique artiste, ajoutant des informations de texture, d’ombrage, de relief. S’il en prend le temps, le lecteur remarque même qu’il y a une petite boule d’herbes en train de rouler poussée par le vent, qu’il retrouve dans la troisième case. Les artistes se montrent toujours aussi investis pour donner à voir les paysages qu’ils soient naturels ou urbains. Le lecteur comprend ainsi comment est aménagée la grande pièce de la ferme avec son rideau (détail authentique extrait du mode opératoire des Bender), la nature du mobilier, le vide sous le plancher de la demeure, la disposition des bâtiments de la ville de Dryheave et l’importance donnée à certains commerces par rapport à d’autres. Il s’arrête pour contempler le dessin en double page trente-deux et trente-trois : la grande rue en terre, les chevaux attachés aux barres devant les commerces, les curieux et les professionnelles aux fenêtres, la voie de chemin de fer et le train avec sa locomotive à vapeur, le silo en hauteur pour la ravitailler, les maisons un peu à l’écart, les fils du télégraphe avec quelques oiseaux perchés dessus, les auvents en toile, les badauds dans la rue, une vision très impressionnante.



Igor Kordey et Nikola Vitković réalisent des planches d’une qualité incroyable. Le lecteur savoure aussi bien des cases pour leur décor, que des planches ou des bandes pour une prise de vue, une action, une direction d’acteurs, la mise en scène. Cela commence avec cette vision de la ferme, puis le coup de hache asséné par derrière. L’efficacité de la famille Vanderkolk pour cacher les cadavres impressionnent par sa rapidité. Le pauvre Brown rampe sous le plancher de la demeure dans des cases de la longueur de la page, d’une très faible hauteur pour bien marquer l’exiguïté de l’espace. Impossible de résister au calme et à la logique imparable de River Bass convainquant le shérif de le laisser sortir de sa cellule. Le lecteur se laisse avoir avec la même naïveté que Marshal Bass par la sincérité des aveux apeurés de Sabien. Il sourit franchement en voyant Turtle comprendre qu’il menace River Bass, sans pouvoir le contraindre. Il est pris de court par la réaction de Rebekka Vanderkolk alors que son mari vient d’être pendu. Il éprouve la résignation de Sabien et la force de la pulsion de River Bass autour du feu, dans la nuit, un moment qui le met mal à l’aise au possible, par sa tension intense.



Le premier tome avait convaincu le lecteur que le scénariste et l’artiste avait le talent nécessaire pour réaliser un western qui sorte de l’ordinaire et qui retienne son attention. Ce deuxième tome monte la barre encore un peu plus haut, avec une narration visuelle d’une grande richesse, et un scénario qui sait mettre en scène les ratages des personnages, sans pour autant en devenir poussif ou heurté. Implacable.
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Marshal Bass, tome 2 : Meurtres en famille

Suite des aventures du premier aide-marshall noir de l’Ouest américain.

Bass a une nouvelle mission : trouver un tueur en série. Son enquête piétine, alors il profite des joies des saloons : boissons et filles. Mais voilà qu’un indice l’envoie sur la trace d’une étonnante famille de tueurs d’origine allemande, simplets, craspouilles et sans morale. Il y a papa, qui dégomme à coup de hache tous les visiteurs, maman qui récolte le maigre butin, le petit fiston, qui se croit déjà grand et qui n’a pas une once d’intelligence, et sa grande sœur, plus finaude, mais tout aussi tarée.

Plus noir que le premier tome, voilà un festival de violence gratuite dans ce western noir, très noir..
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Colt et Pepper, tome 2 : Et in Arcadia ego

Suite et fin des aventures de Simon Cultpepper, dit Pepper et de son neveu Coltrayne, dit Colt.



Nous n'aurons donc pas à attendre des années le dénouement de cette histoire, au terme d'un longue suite d'albums comme c'est trop souvent le cas dans la BD actuelle !



Nous retrouvons les protagonistes du premier tome, dans le monde créé par Darko Macan et Igor Kordey. Un monde mêlant uchronie, fantastique et fantasy, avec une Amérique du sud du XVII siècle alternative peuplée de créatures fantastiques et où la magie la plus noire s'exerce au plus haut niveau de la société.



J'ai beaucoup apprécié ce dytique et le dessin et les couleurs de Igor kordey me rappellent les oeuvres de l'un de mes artistes préférés : Richard Corben.

Delcourt reste mon éditeur de BD favori, et le restera tant qu'il continuera de nous proposer d'aussi belles découvertes !
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Marshal Bass, tome 9 : Texas Rangers

Une bonne vieille pendaison avec un barbecue au programme ?

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Ce tome fait suite à Marshal Bass, tome 8 : La mort misérable et solitaire de Mindy Maguire (2022) qu’il faut avoir lu avant. Sa première publication date de 2023. Il a été réalisé par Darko Macan pour le scénario, Igor Kordey pour le dessin et la supervision des couleurs, et par Nikola Vitković pour la mise en couleur. La traduction et le lettrage ont été assurés par Fanny Thuillier. Le personnage principal est inspiré de Bass Reeves (1838-1910), premier shérif adjoint noir de l’United States Marshals Service à l’ouest du Mississippi, qui a essentiellement officié en Arkansas et en Oklahoma. Il comprend cinquante-quatre pages de bandes dessinées.



Janvier 1878, une ferme au milieu de nulle part. Deux hommes accueillent Doc Moon, la docteure, la femme restant en arrière avec quatre enfants dans ses jupes et un cinquième dans les bras. Ils s’assurent que c’est bien celle qu’ils attendaient, ce qu’elle confirme en indiquant que les Watterson là-bas lui ont dit qu’ils avaient besoin d’elle. C’est pour leur père qui alité sur une couche de paille dans l’étable. Elle ne peut rien faire pour lui. Ils la détrompent : ils souhaitent qu’elle fasse quelque chose pour eux. Leur père met un temps infini pour mourir : voilà deux ans qu’il est allongé ici, et ils ont besoin du lit et de nourriture pour les petits. Elle entre dans l’étable et leur demande de la laisser seule. Elle s’adresse au vieillard impotent : elle n’est pas vraiment une docteure. Elle lui demande de ne pas avoir peur : il est temps de s’en aller, il est temps de rejoindre ceux qui l’aimaient, tout en plaçant une main sur sa bouche pour l’étouffer. Il rend son dernier soupir, et elle verse une vraie larme. Son acte accompli, elle ressort, reçoit une bouteille de whisky et un peu de bacon comme paiement et s’en va, vers la ferme des Abott qui souhaitent son passage. Elle se répète pour elle-même : Des tombes… Des tombes… Des tombes avides… Les êtres humains construisent des maisons et des cathédrales. Ils construisent l’espoir mais au final, seules leurs tombes leurs survivent.



Quelque part dans l’ouest du Texas, dans une région désertique, à cheval, le marshal Bass arrive devant une petite maison isolée. Il descend de cheval et hèle l’habitant : pappy Segar. Ce dernier se met à lui tirer dessus avec son fusil, une balle à la fois, le ratant à chaque fois, de peu ou de beaucoup. Le chien du fusil finit par casser blessant son bon œil. Bass n’a pas cessé d’avancer vers la bicoque : il ouvre la porte et flanque un grand coup de pied dans la main droite de Segar, faisant sauter le revolver qu’il venait de saisir. Pappy tient des propos racistes, pendant que Bass le neutralise. Doc Moon est parvenue à la ferme des Abott et elle salue la fermière qui est en train de donner le sein à sa petite dernière, avec quatre autres enfants autour d’elle. Elle l’emmène dans la grange et lui demande ce que la Doc peut faire pour sa petite fille de deux ans. Moon lui propose : l’emmener dans les bois et l’y laisser pour qu’un animal la trouve et l’élève comme un des siens ?



Au cas où le lecteur l’aurait oublié, la première séquence lui rappelle sans concession qu’il lit un western noir : Doc Moon, une femme solitaire à la forte carrure, appelée pour abréger les souffrances de malades sans espoir. Pour être bien sûr qu’il ne s’y trompe pas, ils continuent avec un quinquagénaire tirant sur un afro-américain plus contre sa couleur de peau, que pour l’autorité qu’il représente. L’humanité est toujours aussi vile, méprisable, dégoûtante, sordide, méprisable et repoussante, et parfois un peu touchante dans l’adversité de sa misère. Bien sûr, la condition d’afro-américain du personnage principal fait s’exprimer tout le racisme des personnes qu’il rencontre ou avec qui il fait un bout de chemin. Mais de temps à autre, certains voient d’abord en lui un marshal, et parfois même un autre être humain. Apparue pour la première fois dans le traumatisant Marshal Bass, tome 3 : Son nom est Personne (2018), Doc Moon ressort comme une femme singulière. Elle reprend son antienne sur les tombes, à perte de vue, qui recouvrent chaque parcelle de terre, exprimée dans le tome trois, tombes qui survivent aux êtres humains ici. Une docteure d’un genre particulier puisque ses interventions consistent surtout à abréger les souffrances par une forme d’euthanasie d’office, soit demandée par des proches, soit faute de pouvoir sauver un individu dont l’état de santé est déjà trop dégradé. De son côté, le marshal passe d’un combat à l’autre. D’abord comme cible offerte aux tirs peu précis d’un bandit assassin et raciste pendant quatre pages, puis pris comme cible par une douzaine de bandits étant la plupart des fils de pappy Segar pendant six pages, puis par une vingtaine de bandits de grand chemin pendant quatre pages, puis par un tueur de shérif pendant une bagarre à main nue de quatre pages. La vie n’est qu’une succession de combats, souvent contre autrui.



Les dessins présentent l’âpreté voulue pour une telle tonalité du récit. La première case occupe la largeur de la page avec Doc Moon de dos s’avançant vers la pauvre ferme. Le niveau de description impressionne : les petits bouts bois pour servir de clôture de fortune aux parcelles cultivées, les pierres du puits et la potence avec le sceau, l’abri de fortune pour les toilettes, la soupente pour la soue à cochon, les flaques de boue, la maison à un seul niveau et son toit lesté de pierre, la cheminée fumante. Décor auquel il convient d’ajouter les petites silhouettes des quatre enfants, de la mère, des deux hommes en train d’attendre, et au premier plan Doc Moon avec son long manteau et tout son bardas, sac à dos, gamelle et gourde attachées sur les côtés, couverture sur le dessus, sans oublier les lanières de cuir pour faire tenir le tout. De page en page, le lecteur savoure les détails pratiques : le pot de chambre à côté de la couche de paille, le modèle du fusil utilisé par pappy Segar, le puits avec sa pompe dans la ferme des Abott, le tapis de selle de la mule de Segar, l’essence des arbres présents le long du cours d’eau, l’arche avec une cloche à l’entrée de l’hacienda, le poulailler, les fontes des différents cavaliers, etc.



Le lecteur prend tout autant le temps de savourer la tenue vestimentaire de chaque personnage : les vêtements simples et fonctionnels des fermiers et de leurs enfants, le beau manteau long et les belles bottes de River Bass, sans oublier son chapeau melon toujours troué (voir le tome 1), les tenues dépareillées de pistoleros des fils Segar, la tenue un peu plus étudiée des deux Texas rangers Gabriel (surnommé le fantôme) et Dexter Miller, les belles robes des femmes de la ferme où séjournent les rangers et Bass, et les accessoires vaguement indiens pour donner le change du gang de brigands. Il contemple les paysages naturels : les grands espaces ouverts où se trouvent les deux premières fermes, avec une terre aride et peu prometteuse. Puis viennent les formations rocheuses typiques des déserts de ces états du sud : la première sous des nuages effilés. Les suivantes le long de la rivière. Vient enfin celle de la dernière séquence, en page trente-six où campe la bande de brigands se faisant passer pour des Comanches. S’il n’y a pas prêté attention auparavant, le lecteur se dit qu’il a retrouvé les sensations qu’il associe à cette série, en particulier les textures et cette impression de volume. Il retourne à la page de titre et il en a la confirmation : après un album d’absence, Nikola Vitković, le coloriste attitré, est de retour. Et ça se voit : la terre, la roche, le ciel, les nuages, tout semble plus consistant, tout déclenche une impression plus tactile.



Tout du long de cet album, les séquences mémorables se succèdent, les auteurs sachant jouer des conventions de genre du western, tirant un peu sur la corde pour susciter un petit plus de suspension d’incrédulité consentie de la part du lecteur, pour donner plus de goût. Les scènes d’affrontement physiques s’inscrivent de manière indélébile : River Bass confiant dans le manque de précision des tirs de pappy Segar, Bass à terre se protégeant tant bien que mal derrière la carcasse de son cheval pour se défendre contre une douzaine de cavaliers (séquence rendue plausible par l’art de la narraton visuelle, par une mise en scène au cordeau), Bass infiltrant le campement des brigands endormis en commençant par égorger la sentinelle. Le dernier combat, d’homme à homme, s’avère tout aussi brutal, avec Bass entièrement nu. À chaque fois, la prise de vue met en évidence la maladresse des uns et des autres, le manque d’expérience, l’absence de planification et de coordination, et l’avantage que ça procure au combattant aguerri, autant de touches participant à montrer une facette de la personnalité des personnages.



Captivé par l’intrigue, le lecteur en oublie presque de se demander où se trouve le reste de la famille Bass, Bathsheba et ses enfants. Il apparaît que le marshal est en mission pour le colonel Terrence B. Helena, ou simplement pour arrêter un individu avec une bonne prime pour sa capture. Outre les chevauchées et les fusillades, l’histoire happe le lecteur par le comportement des deux principaux personnages, plutôt taiseux, leur obstination à vivre alors que la réalité leur prouve encore et encore la vilenie de la race humaine, l’injustice arbitraire de la loi du plus fort, l’absence de tout principe, fût-il divin, aidant la vie. Gabriel incarne ce questionnement, en se demandant ce qu’il doit faire pour que Dieu le remarque… Et rien ne vient quelles que soient ses actions. River Bass porte en lui la conviction d’être un homme de bien en étant le bras armé de la justice des hommes et il se heurte de plein fouet à la limite de sa tolérance, de sa capacité à donner une seconde chance, à accepter les ouvriers de la onzième heure, à avoir la foi en la possibilité de la rédemption. En face de lui, des individus ont viré leur cuti, espérant de toute leur âme que faire œuvre de bonté les transformera en hommes bons, plaçant leurs espoirs dans le fait que la pratique ou l’existence peut précéder l’essence. Contre toute attente, Doc Moon concrétise cette étincelle d’optimisme en versant son sang pour Hope, fillette de deux ans, en lui donnant de son sang, de sa vie.



Après avoir retrouvé sa famille dans le tome sept, fait preuve de compassion dans le tome huit, River Bass voit ses convictions, les valeurs qui donnent sens à sa vie, une nouvelle fois mises à mal, percutées de front par une réalité incompatible avec elles. La formidable narration visuelle fait exister les personnages et les lieux, les rendant organiques au lecteur, donnant corps aux drames. Un western plein de bruit et de fureur, ainsi que de convictions, de tourments et d’une imprévisible lueur d’espoir.
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Marshal Bass, tome 4 : Yuma

Il n’y a pas de bonne décision.

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Ce tome fait suite à Marshal Bass, tome 3 : Son nom est Personne (2018). Sa première publication date de 2019. Il a été réalisé par Darko Macan pour le scénario, Igor Kordey pour le dessin et la supervision des couleurs, et par Nikola Vitković pour la mise en couleur. La traduction et le lettrage ont été assurés par Fanny Thuillier. Le personnage principal est inspiré de Bass Reeves (1838-1910), premier shérif adjoint noir de l’United States Marshals Service à l’ouest du Mississippi, qui a essentiellement officié en Arkansas et en Oklahoma. Il comprend cinquante-quatre pages de bandes dessinées.



Washington D.C., 1876. Le colonel Terrence B. Helena s’est rendu au Capitol à la demande de Robert Little de la chambre des représentants des États-Unis, du parti d’Abraham Lincoln, pour le rencontrer. Little, un afro-américain lui offre un verre et lui confie un secret : il est noir. Le colonel entre dans son jeu et le représentant entame la conversation. Il affirme que pourtant n’importe lequel de ses collègues du Congrès dirait au colonel, qu’il est aussi blanc que du linge de maison. Ce ne sont que des hypocrites, car jamais ils ne votent une loi qu’il a initiée. Son parti, celui de Lincoln, ne récolte jamais assez de voix. Il enchaîne : est-ce que le colonel connaît le chef Powell ? ? Un politicien new-yorkais influent. Une vermine. Il a détourné plus de douze millions de dollars des fonds de la ville, des impôts payés par des pauvres gens. On l’a attrapé et envoyé en prison. Powell a été envoyé à la prison de Ludlow Street. C’est pour ainsi dire un hôtel où les riches criminels blancs peuvent jouer au billard et se faire livrer du homard. Little a tiré quelques ficelles et réussi à le faire transférer dans un vrai pénitencier. Mais contre toute attente, il règne en maître là-bas aussi. N’y a-t-il donc pas de punition pour les riches ? Pas d’espoir pour les pauvres ? Ce qu’il attend, c’est un coup de main de quelqu’un qui n’a que faire de secouer quelques plumes à Washington. Le colonel connaîtrait-il un homme qui pourrait infiltrer Yuma et faire tomber cette vermine une bonne fois pour toute, au nom de la justice ? Le colonel lui répond qu’il pourrait bien connaître l’homme qu’il faut au représentant.



River Bass voyage comme prisonnier dans un fourgon pénitentiaire. Il demande au gamin qui partage le fourgon surchauffé sous le soleil ce qu’il a bien pu faire pour se retrouver là. L’autre refuse de répondre, et Bass explique que lui a tué un homme, un Indien. Jupiter Johnson, pas encore adulte, a du mal à le croire : personne ne finit en prison pour avoir tué un Indien. Le fourgon passe devant un campement de fortune : trois femmes, épouses de détenus, leur demandent de saluer leur mari pour elles : respectivement Moïse Washington, Mustafa, Théodore Adams. Jupiter explique qu’il a été arrêté parce qu’il est noir, enfin principalement à cause de ça. Au sein de l’établissement pénitentiaire, le garde Morris voit le fourgon approcher et il va en avertir le major Philip Foyle, directeur de la prison. Celui-ci répond que c’est au sergent Corke de s’en occuper, qu’il se fiche des règles que ce soit à lui de s’en occuper, qu’ils n’ont pas remporté la guerre en respectant les règles et il en appelle à l’esprit d’initiative du soldat. Se lève un individu qui était assis sur une chaise sous une toile tendue entre des poteaux, à côté d’une table avec des rafraîchissements. Thomas Powell prend le directeur par l’épaule tout en faisant signe à Morris de s’éloigner. Il lui offre un verre que l’autre accepte après avoir mollement argué de l’heure matinale. Ça le détend. En réponse à une question de Powell, il lui répond que ce qui lui ferait aller mieux serait que son interlocuteur lui donne l’argent qu’il lui a promis. Powell répond qu’il l’aura dans deux jours.



Le lecteur n’est pas bien sûr si le scénariste va reprendre l’histoire juste après la fin du tome précédent, ou s’il va raconter une autre histoire sans rapport. Les rares éléments de contexte semble indiquer qu’il s’agit d’une nouvelle mission, très périlleuse, pour River Bass : infiltrer une prison sous un faux nom (il se fait appeler Marcus Miller) pour faire tomber une huile qui a fait usage de sa fortune et de son entregent pour vivre tranquillement à l’ombre, avec un régime de faveur qui donne l’impression que c’est lui qui dirige l’établissement. Ce centre d’incarcération est peuplé d’afro-américains et de quelques repris de justice Indiens, peut-être quelques blancs. Les gardes appliquent une discipline sévère, se faisant respecter par des coups distribués avec libéralité et sans besoin d’avoir une raison. Le lecteur ne sait donc pas trop sur quel pied danser quant à l’état d’esprit du personnage principal, mais le tome précédent a bien imprimé dans son esprit que la série délivre des drames d’une rare noirceur. En outre, l’infiltration d’un membre de la police comme détenu dans une prison s’inscrit dans les grands classiques, et il est assuré que le pauvre représentant de la Loi va être soumis à d’horribles traitements, et va découvrir une corruption vicieuse et sadique sans oublier qu’il aggrave encore son cas en état un afro-américain.



Dès la couverture, le lecteur ressent qu’il s’immerge dans un récit singulier et pas dans une variation préfabriquée et sans âme d’un récit de prison. Il éprouve l’impression de pouvoir palper la granulosité des pierres et la situation du River Bass est accablante, sans issue. Comme depuis le premier tome, les dessins charrient la consistance de chaque matériau, des lieux conçus à partir d’un plan clair. Ainsi chaque plan, quel que soit le point de vue de la caméra, s’avère raccord avec le plan général de la prison, donnant au lecteur d’un lieu qui existe vraiment. Cet investissement de l’artiste dans la dimension descriptive de son art fait exister cette prison qui, du coup, présente un caractère concret, sans rapport avec un décor en carton-pâte, ou une toile tendue en fond de scène ou en fond de case. Quel que soit le degré d’attention qu’il porte aux décors, le lecteur éprouve la sensation qu’il évolue dans cet établissement pénitentiaire bien réel. Le dessinateur variant également les cadrages plus ou moins à distance ou en gros plan en fonction de la nature de la scène, la narration visuelle donne à voir cet environnement : la forme particulière de l’escalier qui permet d’accéder à la tour de guet, l’horrible dispositif qui maintient un prisonnier immobile et lui fait subir le supplice de l’eau, les grilles fermant l’unique accès extérieur à la cour, le sol de terre battue, les cellules à l’exigüité renforcée par des cadrages en gros plans dans lesquels les prisonniers ne peuvent pas tenir dans une case et la surpopulation, les miradors en bois érigés au-dessus des épais murs d’enceinte en pierre, une vue globale des bâtiments à la tombée de la nuit, le réservoir d’eau, la table servant à distribuer le petit déjeuner (essentiellement ce qui passe pour du café) aux détenus dans la cour, l’étroit escalier menant à l’équivalent du chemin de ronde, les tuiles des toits, le tout culminant par ce dessin en double page, quarante-huit & quarante-neuf, à l’occasion de la mutinerie, avec un joli envol de colombes à la John Woo.



Les auteurs exposent la mission de River Bass dans les trois premières pages : efficace et un tantinet sarcastique avec ce membre afro-américain de la chambre des représentants des États-Unis. Le lecteur peut voir le colonel bien calé dans son fauteuil avec son verre d’alcool, et le représentant qui s’agite, faisant son spectacle comme s’il était en représentation devant ses confrères ou des citoyens, et en même temps sans illusion sur son rôle de pure bonne conscience pour les membres blancs de cette chambre. La mise en scène accompagne Robert Little dans ses pas et ses mouvements autour du fauteuil, rendant compte de son agitation, ou plutôt de son indignation intérieure. En bas de la page quatre, se trouve une case de la largeur de la page montrant les passants dans la rue devant la demeure du représentant, avec une voiture tirée par un cheval, des piétons, voiture qui fait écho au fourgon pénitencier qui traverse une étendue désertique en page six. Dès la page dix, River Bass se trouve dans l’enceinte de la prison, et le reste de l’histoire va s’y dérouler avec une courte escapade pour deux gardiens pour aller voir des dames de petite vertu. Les châtiments et les épreuves commencent tout de suite, avec une variante de courir la bouline, en passant entre deux haies de détenus armés de manche. Le pauvre jeune homme Jupiter Johnston se fait rouer de coups sans atteindre l’extrémité de la haie ; River Bass tombe à terre dès les premiers coups.



Il s’en suit une mise en scène du rapport de force entre les détenus et les gardiens, entre le directeur de prison et Thomas Powell. Le lecteur se souvient des tomes précédents, pleinement conscient que les auteurs savent y faire pour mettre en scène le pire dont l’âme humaine est capable. En outre, la situation de Bass s’aggrave très vite quand un détenu reconnaît en lui un marshal et en informe Powell. Le scénariste sait faire comprendre au lecteur qu’il est très conscient du rapport de force qui existe entre détenus et gardes, au sein même des détenus, entre ceux qui ne peuvent pas supporter les brimades, et ceux qui sont prêts à atténuer les brimades en collaborant, en participant à l’oppression des autres détenus. Ça ne peut pas bien se passer. Les plus costauds jouent au caïd, mettant à profit leur force physique et leur résistance aux coups pour devenir eux aussi des oppresseurs. Mais quand même… L’attitude de River Bass ne fait pas sens tout de suite. Sa mission est claire : être le bras armé de la justice, envers Thomas Powell qui se la coule douce. Le lecteur le sait, et il ne comprend pas son comportement pour autant, ses provocations intolérables vis-à-vis de Powell et du major Philip Foyle, le directeur. Son comportement doit être motivé par une stratégie particulière, mais pourquoi agit-il comme il le fait ? Le lecteur constate que les auteurs l’ont complètement happé, à la fois dans cette mission punitive, à la fois dans cette tension au sein du pénitencier, la toxicité de la relation entre Powell et le directeur, à la fois par le mystère de la stratégie de River Bass. Sans compter que plusieurs autres personnages s’avèrent attachants, que ce soit le jeune Jupiter Johnson, ou Beef le détenu qui a déjà eu maille à partir avec le marshal. Ça ne peut pas bien se terminer. La nature humaine reste toujours aussi vile, et les individus mesquins sans même qu’ils ne s’en rendent compte. Le lecteur ne peut qu’être pris de dégout et de mépris pour le sergent Cork prêt à obéir aveuglément à Powell, pour la promesse d’une paie augmentée de deux dollars. Certes cette somme devait être plus consistante à l’époque, mais même. Sans parler des pauvres femmes de détenus qui attendent à l’extérieur, elles aussi prêtes à tout pour améliorer le sort de leur homme.



Après trois tomes, après la scène finale du précédent, le lecteur est un homme averti, il en vaut deux. Pourtant son esprit a déjà atténué la réalité de la qualité de la narration visuelle, qu’il retrouve avec un appétit qu’il avait oublié, s’immergeant dans un environnement totalement concret et plausible, au milieu d’individus véritablement incarnés, esquissant même parfois un moment de recul, de peur de se prendre un coup qui ne lui était pas destiné. L’intrigue suit son cours jusqu’à la mutinerie inéluctable, sans pour autant être prévisible du fait de plusieurs seconds rôles bien développés, et du comportement décalé de River Bass, qui trouve son explication à la fin. Encore un western intense et suffocant, un récit de genre qui s’en approprie les conventions les plus noires, pour une peinture crue des penchants humains méprisables.
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Marshal Bass, tome 1 : Black & White

Le western est revenu à la mode, tant mieux pour ceux et celles qui adorent ça, dont moi…



Depuis sa sortie, je lorgnais sur cette nouvelle série et puis, je suis passée à autre chose parce que je ne peux pas tout acheter en neuf. Là, ayant pu les acheter en seconde main et je ne me suis pas privée.



Le pitch est pour le moins original puisqu’il met en scène un U.S Marshall Noir, à une époque où les Noirs n’avaient aucun droit et étaient toujours susceptibles de se faire pendre à toute branche d’arbre.



Sa mission, s’il l’accepte ? Infiltrer un gang de Noirs qui braquent les banques et tuent.



Quand on met en scène un tel personnage, il faut tout de même lui donner un peu d’épaisseur et faire en sorte que le lecteur en sache un peu plus sur ce nouveau personnage.



Là, on ne peut pas dire que les auteurs nous ait donné du grain à moudre et on termine l’album en sachant peu de choses sur River Bass, sinon qu’il est marié, a une sacrée marmaille et aime faire l’amour à sa femme. Ah oui, j’oubliais, il tire vite et bien aussi.



À mon humble avis (même si on ne me demande pas), cette histoire aurait mérité de s’étaler sur deux albums afin de lui donner plus de corps, plus de profondeur et ne pas se retrouver avec un récit qui se termine en bain de sang et de manière un peu trop simple, trop facile.



Il aurait été intéressant de suivre plus longtemps Bass dans sa mission d’infiltration afin de savoir si le chef de gang avaient d’autres motivations que celle de se faire plein de fric (il aurait pu vouloir déstabiliser une ville, un réseau de banques, le pays,…).



Les dessins sont spéciaux, j’ai eu un peu de mal au départ et ensuite, je m’y suis faite. Certaines couleurs sont très belles pour les yeux et la double planche du braquage est très réaliste et bourré de détails entre le gang qui s’enfui et les braves gens qui s’interposent pour les stopper.



Quant aux dialogues, ils ne sont pas dépourvus d’humour et d’un brin de cynisme.



Un western violent, sanglant, rempli de cadavres qui n’est pas pour les amateurs de western version Petite Maison Dans La Prairie. Si vous cherchez de la tendresse et des bonnes actions, va falloir changer de saloon.



J’aurais aimé plus de profondeurs, moins de manichéisme, plus de détails sur le passé de Bass mais comme j’ai apprécié ma lecture, je vais continuer la série. Qui sait, j’en saurais peut-être plus sur le Marshall dans les tomes suivants.



Une bande dessinée inspirée d’une histoire vraie.


Lien : https://thecanniballecteur.w..
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