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Critiques de David Lopez (II) (174)
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Fief

Ce livre raconte l'adolescence, la vie de jeune adulte que je n'ai pas connu. Je n'ai jamais fumé de shit ni de cigarette, je n'ai jamais participé à de grandes beuveries (je buvais quelques verres en soirée mais jamais au-delà de ce mon corps était en capacité d'absorber), j'étais un ado assez sage, assez solitaire. Je ne me place là en aucun cas dans un jugement moral mais un simple énoncé factuel ; parfois je me dis même que j'aurais mieux fait de fumer quand j'étais ado, après tout c'est une expérience comme une autre, enfin je suppose que l'on idéalise toujours ce que l'on a pas connu.



Ce livre raconte donc les tourments d'une bande de potes habitant dans une ville de taille moyenne, ni vraiment la campagne, ni vraiment la grande métropole, au travers le regard de l'un des membres de cette bande (Jonas), obsédée par le shit, l'alcool, le sexe, les filles, l'argent facile.

Ayant grandi dans une agglomération de 20 000 habitants, cet entre deux décrit dans le livre me parle, je comprends parfaitement toutes les interrogations que cela engendre dans sa construction, pour savoir qui nous sommes, où est notre véritable place. Je me demande toujours (de façon un peu binaire et simpliste) si je suis fait pour la ville ou la campagne. J'ai d'ailleurs toujours pas de réponse à cette question, je me sens aussi bien (ou aussi mal) en déambulant sur les Champs Élysées à Paris qu'en me promenant sur un sentier rural !

Jonas justement, c'est lui la force du récit, l'intérêt majeur de ce roman. J'ai trouvé ce personnage très attachant, touchant, émouvant. Il me fait penser au Anthony de Nicolas Mathieu dans Leurs enfants après eux. Jonas personnage complexe, derrière la "petite" frappe de quartier, on devine une très très grande sensibilité chez ce garçon, on sent une tendresse, une conscience chez lui (je pense à la scène dans la forêt où il aimerait pouvoir nommer tous les arbres qui l'entoure), une puissante fragilité, une gravité profonde voir même malgré son jeune âge une mélancolie (l'évocation de ses vacances d'enfance dans le chapitre Baromètre). Mais voilà tout ça, il ne peut pas vraiment l'exprimer dans sa bande de potes, il doit se cantonner au rôle que les autres attende de lui. À ce titre le récit est très pertinent, très juste, il met en lumière la difficulté de parler sérieusement dans une bande de potes masculine, pourtant Jonas il aimerait bien avoir d'autres discutions que les parties de cartes, la planification des soirées. "Je ne trouve à m'affirmer qu'en affichant mes défauts".

Au fond ce Jonas, il est pas méchant, il n'est même pas vraiment un "lascar". Si tous les ados, jeunes adultes dit "à problème" était des Jonas, ça irait pas trop mal !



Quelques scènes sympathiques comme Jonas qui vient voir jouer son père au foot le dimanche matin ou la dictée ! "La feuille, notre nom en haut à gauche, la date, le stylo dressé, ce silence juste avant que le prof commence à dicter". Retour dans nos propres souvenirs scolaires garanti !

Une scène de sexe mémorable et là je dis bravo à David Lopez - bien qu'il en a strictement rien à faire de mon bravo et je le comprends - (chapitre Éponyme and Clyde). Sa scène de sexe, il réussit à l'installer sur la durée (sur 5 - 6 pages) sans sombrer dans une très grande vulgarité, je la trouve assez authentique cette longue scène de sexe entre Jonas et Wanda. Là je trouve qu'il y a du talent littéraire.



Malgré tout, quelques défauts et notamment cette utilisation massive, systématique du terme "il y a". Il y a revient à tout bout de champ, à longueur de pages, parfois "il y a" est présent deux fois dans la même phrase, sur la plage 176 "il y a" revient 6 fois !

Les personnages secondaires (les potes de Jonas) aurait peut-être mérité d'être un peu plus étoffé, la relation Jonas et son père aussi. Parfois ce livre peut faire penser à une succession de tranches de vie, il manque un p'tit approfondissement, un p'tit supplément pour vraiment emballer définitivement le lecteur.



Auteur à suivre, je lirai son second récit (je lui souhaite en tout cas de pouvoir en publier un second).
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Fief

très bon livre
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Fief

Jonas n’a plus rien dans le ventre



Pour son premier roman, David Lopez s’est glissé dans la peau d’un jeune sans perspectives autres que la drogue, la boxe, les filles, l’alcool et les virées avec les copains. Un univers livré avec ses mots qui subliment le tragique.



Jonas retrouve ses copains Ixe, Untel, Poto, Habid et Lahuiss pour une partie de cartes. À moins que ce ne soit d’abord pour fumer joint sur joint et, aléatoirement, se saouler. Car depuis qu’il a quitté le système scolaire, tout son univers tourne autour de ces rendez-vous avec des potes tout aussi désœuvrés que lui. Dans leur petite ville, pas assez urbaine pour une banlieue et pas assez verte pour être la campagne, il ne se passe rien ou presque. Alors, ils passent le temps à se regarder le nombril, à imaginer de quoi occuper la journée qui vient. Inutile de faire des plans à long terme, si ce n’est pour imaginer un débouché à l’herbe qu’ils ont planté dans le jardin. Une ébauche de trafic que Lahuiss relativise: «on peut considérer que c’est une manière comme une autre de cultiver son jardin.» Et le voilà parti dans une exégèse du Candide de Voltaire, première belle surprise de ce roman que je ne résiste pas à vous livrer in extenso, car ce passage vous permettra aussi de vous faire une idée du style de David Lopez: «Les gars, j’vais vous la faire courte, mais Candide c’est l’histoire d’un p’tit bourge qui a grandi dans un château avec un maître qui lui apprend la philosophie et tout l’bordel t’as vu, avec comme idée principale que, en gros, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Du coup Candide t’as vu il est bien, il fait sa vie tranquillement, sauf qu’un jour il va pécho la fille du baron chez qui il vit tu vois, Cunégonde elle s’appelle. Bah ouais, on est au dix-huitième siècle ma gueule. Du coup là aussi sec il se fait tèj à coups de pompes dans l’cul et il se retrouve à la rue comme un clandé. De là le mec il va tout lui arriver : il se retrouve à faire la guerre avec des Bulgares, il va au Paraguay, carrément l’autre il découvre l’Eldorado enfin bref, le type j’te raconte même pas les galères qui lui arrivent. Ah ouais j’te jure, le gars il bute des mecs, y a un tremblement de terre, son maître il se fait pendre, il manque de crever en se faisant arnaquer par un médecin, il se fait chourave ses lovés par un prêtre, carrément, un merdier j’te jure c’est à peine croyable. J’vous dis ça en vrac, j’me rappelle pas forcément le bon ordre hein, je l’ai lu y a longtemps t’as vu. Bien plus tard donc il retrouve sa meuf, Cunégonde, sauf qu’elle a morflé vénère t’sais, parce qu’elle a eu la lèpre ou je sais plus quoi mais voilà quoi elle a une gueule toute fripée la meuf on dirait un cookie, mais t’as vu Candide c’est un bon gars alors il la renie pas. Et puis il retrouve son maître aussi, qu’est pas mort en fait, on sait pas pourquoi. Et à la fin, le mec, après avoir eu toutes les galères possibles, il se fait un potager t’as vu, et à ses yeux y a plus que ça qui compte, le reste il s’en bat les couilles. Il tire sur sa clope. Et la dernière phrase du livre c’est quand le maître en gros il arrive et il dit que la vie est bien faite parce que si Candide il avait pas vécu tout ça, alors il serait pas là aujourd’hui à faire pousser des radis, et Candide il dit c’est bien vrai tu vois, mais le plus important, c’est de cultiver son jardin.»

De la philosophie, on passe au boudoir avec la belle Wanda et la description d’une relation sexuelle comme un combat de boxe durant lequel il s’agit d’utiliser une bonne technique pour marquer des points. La boxe, la vraie, nous attend au chapitre suivant.

Construit en séquences, le roman se poursuit en effet avec le sport, cet autre point fort qui rythme la vie de Jonas et de son père. Alors que ce dernier joue au foot – et a conservé quelques beaux restes en tant qu’attaquant de pointe – son fils, comme dit, boxe. Et plutôt bien. Même si on se doute que l’alcool et la drogue ne font pas forcément bon ménage avec un physique endurant et une concentration de tous les instants. En attendant le prochain grand combat, il fait plutôt bonne figure sur le ring.

«Je prends le ring comme un terrain de jeu. C’est le meilleur moyen pour moi de conjurer ma peur. Je me sens comme un torero qui risque sa vie à la moindre passe. Prendre le parti de s’en amuser, c’est ma manière de renoncer à la peur. Sauf que le type en face n’est pas là pour jouer. Il n’est pas là pour me laisser jouer. Je ne peux jouer que contre les faibles. Pour progresser il faut se mettre en danger. Souffrir. Surmonter. Pour ça je dois me faire violence. Ça commence par oublier le jeu. Accepter la peur. Alors je me concentre. Je ne nie plus le danger. Il est là face à moi, c’est lui ou moi.»

Tour à tour drôle – la séance de dictée est un autre grand moment –sensible et sensuel – l’après-midi au bord de la piscine fait penser au film avec Delon et Romy Schneider – le roman devient dur et grave, à l’imager de ces boulettes de shit qui collent et dont on a tant de peine à se débarrasser. Bien vite le ciel bleu se couvre de nuages…


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Fief

Une bande de jeunes, certainement des « grands ados », qui se retrouvent dans une chambre, qui jouent aux cartes en exerçant leur art de rouler des oinjs parfaits. Qui pointent leur nez dehors, pour mater, pour trouver de la meuf, pour consommer à outrance des alcools forts ... Affligeant !... affligeant parce qu’il y a dans ces scènes de vie d’un groupe, beaucoup de réalité, car combien de jeunes comme eux aujourd’hui, qui ne se projettent pas dans l’avenir, se ralentissent même et se terrent par peur de la vie d’adultes ?



Le narrateur, Jonas, témoigne pour eux, il exprime le ressenti de ses pairs, montre son besoin de sécurité au sein de cette équipe, sa peur de sortir des sentiers battus, il le confirme en avouant : « dans l’eau, dès que je ne bouge plus, je coule, comme dans le ring. Alors que dans la vie, je ne vais que là où j’ai pied … » Et on sent, tout au long du roman, un énorme décalage entre la façon de parler de Jonas et ses actes. Un potentiel mais aucune confiance et une vision de soi bien négative.



Si j’ai pu me faire une idée des personnages, je dois avouer que ce roman ne m’a pas intéressée le moins du monde. Pourquoi l’ai-je poursuivi ? me demanderez-vous…Simplement par curiosité, pour essayer de percevoir une évolution des personnages et du récit. Mais il n’en fut rien. J’ai même ressenti un certain agacement. Je ne nie pas que l’auteur ait eu un objectif, au moins celui de manier les registres de langue et peut-être montrer un fait de société, mais ce genre de récit n’est pas pour moi.



Je remercie les 68 premières fois pour ce partenariat.



Challenge Multi-Défis
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Fief

Fief (sens figuré) : domaine où quelqu'un est maître.

Ils s'appellent Ixe, Poto, Untel, Virgil, Sucré, Jonas. Ils sont sortis de l'adolescence mais n'ont pas envie d'être des adultes. Entre deux âges, ils vivent là où ce n'est ni la banlieue, ni la grande ville, ni la campagne. Jouer aux cartes, fumer, s'embrouiller, s'incruster dans des fêtes où ils ne sont pas invités et fréquenter la salle de boxe où Monsieur Pierrot les entraîne. Mais la boxe, c'est comme la vie : ça fait peur. "Dans le public on est dégagé de toute responsabilité, on peut s'enthousiasmer pour un combat sans prendre en compte la détresse, la solitude du perdant. C'est confortable d'être ici. D'être spectateur." (p.228). Jonas, le narrateur, le sait bien, lui qui aurait l'étoffe d'un champion s'il s'entraînait vraiment et cessait la fumette et la bière. Mais encore faudrait-il en avoir envie ou désir. Or, prendre et donner des coups, ce n'est pas son truc, à Jonas. C'est pour cela qu'il préfère rester au bord du ring, au bord de la vie. "Dans la vie je ne vais que là où j'ai pied. La différence, c'est que dans l'eau je sais quels sont les mouvements à effectuer pour ne pas me noyer."(p.200)

Le seul domaine où ils ont l'impression d'être maîtres de leur sort, c'est le langage. Cette langue qu'ils triturent pour ne pas la subir, pour en faire leur propre code, qui exprime leur appartenance à un groupe, dresse une sorte de muraille entre eux et les autres, ceux des quartiers bourgeois, ceux de la ville, les parents, et délimite ainsi leur fief, en quelque sorte. Mais ces murs enferment autant qu'ils protègent et, à l'intérieur, le temps est différent, rythmé par les scansions du rap et la chorégraphie des gestes de reconnaissance. Le temps se répète à l'infini, comme un cercle dont on ne peut ou ne veut sortir.

Lahuiss est le seul qui parvient tant bien que mal (et pour combien de temps ?) à traverser ce rempart linguistique et à maîtriser aussi bien la langue académique que celle de ses potes. La dictée qu'il propose est, de ce point de vue, un morceau d'anthologie, un moment à la fois hilarant et désespérant. Car David Lopez se garde bien de catégoriser ses personnages. Ce serait si simple si ces jeunes hommes étaient des brutes analphabètes, barbares, violents et bornés ! C'est loin d'être le cas ! S'ils ne savent pas les exprimer dans des termes conventionnels, ils ressentent profondément les enjeux du langage dont ils s'exilent. Ils ont conscience de leur résignation et la colère de Ixe lorsque Lahuiss leur dédie une citation de L. F. Céline en témoigne : "On devient rapidement vieux, et de façon irrémédiable encore. On s'en aperçoit à la manière qu'on a prise d'aimer son malheur malgré soi." (p.95).

Je l'ai trouvé beau-déchirant, ce premier roman porté par la poésie du réel. Pour moi, l'empathie a fonctionné à plein et, le temps d'une lecture, j'ai adopté le regard que pose Jonas sur le monde, sur le sien et sur celui qu'il ne parvient pas à faire sien. "Fief" possède cette force indéfinissable, faite de toutes les fragilités assumées et de tout ce qu'on accueille pour se préserver des combats finalement dérisoires.

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Fief

Outsider!
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Fief

Le décor est banal, une petite ville de province, et des jeunes que l’on pourrait penser issus de quartiers sensibles. Pour découvrir que le lien ténu qui les y rattache, c’est la consommation de drogues. Et on traversera les chapitres dans les brumes d’une fumée psychédélique. Sauf quand il s’agit de boxe, ou de foot…

Autrement dit, ce n’est pas ma fête!



Le style ne m’a pas perturbée, car je sortais de la lecture de Grand frère, même lexique, même style. Et ce dialecte a parfois beaucoup de charme





Mais le propos général ne m’a pas séduite, en raison de la faiblesse des personnages auxquels il manque des tripes.



dommage car au coeur dur roman dont la colonne vertébrale me semble fragile, on trouve de belles épiphanies, comme celles des citations ci-dessous.


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Fief

« C’est important l’équilibre pour un boxeur. Sinon, il tombe. »

Fief c’est bref, court, concis. Et pourtant tout est dans le mot : le milieu, le clan, les codes, les repères, la zone délimitée, le trou paumé. Le mot se prononce vite, se siffle, se jette, se pulse et il suffit à regrouper ceux qui s’y reconnaissent. Il sonne comme l’univers de Jonas que nous suivons et déclenche la langue hachée, nouvelle, rituelle et slamée des personnages. Une langue ou un langage…J’ai été déroutée les premières pages, jusqu’à me braquer, sentir les défenses se lever face à l’inédit d’un parler, tout à la fois lent, mais difficile à suivre dans l’échange impoli, sans présentation, non annoncé par la syntaxe et typographie. L’absence de ponctuation dans des phrases à rallonge, très descriptives (foison de détails au premier abord futiles) et dialoguées nous plonge, immerge dans un cercle très privé, un clan aux surnoms singuliers, qui renforce le sentiment d’étrangeté et le tournis dans lequel nous sommes pris. La ronde des mots jetés, des visages qui se saluent, nous ballote à la façon du pétard qui circule et se passe de mains en mains. Le flot gouailleur et rythmé du groupe de copains qui échangent le vide qui les rassemble dans un langage bien rôdé, nous embrouille, répulse un peu et nous perd jusqu’à provoquer le malaise au début. « Fumer n’était plus l’occupation, on fumait en se demandant ce qu’on allait bien pouvoir foutre. On n’était plus dehors. On s’est enfermés. On a opté pour d’autres jeux. Des jeux auxquels on peut jouer assis. On ne se lance plus de glands. On ne se lance plus de boules de neige. On ne se balance plus des ballons de basket dans la gueule. On ne se lance plus que des insultes. »

Mais le charme opère, il opère même très vite. La langueur des phrases qui nous inclut peu à peu dans le club est tranchée par des paroles plus courtes, incisives, du narrateur Jonas quand, de nouveau seul, il parle ses journées, son décor, ses occupations. C’est net, direct, sans nul besoin de séduire ou de fausser, minimiser ou édulcorer une réalité, pourtant peu attrayante. Il énonce et on voit. On voit les moindres détails d’une mimique, d’un geste, d’une peau, d’un galbe, d’une hésitation. On entend le sourire complice, le grognement vexé, le souffle susceptible, l’inquiétude interdite, le rire hilare et compagnon. Et ce malgré le peu de paroles échangées entre eux car il n’y a plus grand-chose à dire de ce qu’ils savent déjà et de trop. Ils font jour après jour. Jonas témoigne de la façon dont il évolue et l’acuité de son regard nous immerge parfaitement dans ce fief.

Fief c’est un territoire, une topologie : celle d’un monde à la fois commun et singulier, puisqu’il est celui de Jonas et son entourage. Familier, banal, enclave entre ville et campagne, entre autoroute et départementale, fleuve et canal…deux rives, deux collines qui se font face et opposent les vielles pierres aux tours bétonnées, bourgeois et prolétaires. C’est le pavillon, le quartier, la cité, un club de boxe, un jardin abandonné, une chambre confinée. « Chez nous, il y a trop de bitume pour qu’on soit de vrais campagnards, mais aussi trop de verdure pour qu’on soit des vraies cailleras. Tout autour, ce sont villages, hameaux, bourgs, séparés par des champs et des forêts. Au regard des villages qui nous entourent, on est des citadins par ici, alors qu’au regard de la grande ville, située à un peu moins de cent kilomètres de là, on est des culs-terreux. »

Jonas partage ce domaine avec les amis de toujours. Ils se regroupent, s’agglutinent dans le peu d’espace dédié ou mansarde improvisée au cœur d’un jardin abandonné, et remplissent le vide encombrant : inventent des jeux de cartes aux principes de points inversés pour auréoler le plus grand démuni, se chambrent, chamaillent, trafiquent, un peu, et se grisent dans des volutes parfumées aux effets de moins en moins probants, mais indubitablement nécessaires pour brouiller les gris, marrons ternes de leur environnement. « …on joue à un jeu pour lequel on reconnaît entre nous qu’il nécessite une sacrée dose de chance. Celle qu’on n’a pas dans la vie, on la surine aux cartes. »

Les rapports sont instinctifs, le respect n’est pas à démontrer et ne rougit pas de l’agacement comme mode de communication ni du dialecte grommelé, parfois vulgaire, rassurant. Ces grands mômes sont attendrissants et l’on sourit avec eux devant leur sincérité désarmante, même grimée derrière des apparats de rue qui forgent une identité, ou plutôt une appartenance. « Mais j’en prends quand même un pour taper sur l’autre, ça cafouille dans tous les sens, on se chiffonne, on se mêle, on se froisse, mais quelque part on communie. En se bagarrant on s’est reconnus. On était le même genre de galériens à n’avoir que ça pour exister. »

La vie est un combat de boxe et le fief est un ring où chacun tente de trouver et préserver un équilibre pour esquiver des coups, en donner des justes, et pourquoi pas viser la coupe laquelle ouvrira d’autres horizons. La danse des corps qui combattent est admirablement retranscrite et on ne s’ennuie pas à imaginer les mouvements retenus, déliés, tout en muscles et en malice des ces garçons pour qui la boxe devient la voie des rêves

La colère est absente de ce premier roman. Pourtant la lucidité douloureuse de ce territoire sans espoir avec laquelle le narrateur Jonas nous parle pourrait glisser vers un discours plus vindicatif et revendiquer, accuser, pointer…Il n’en est rien. Jonas et son entourage sont authentiques, directs et presque empreints d’une certaine sagesse à composer avec le domaine dans lequel ils sont nés, résolus ou résignés à faire avec, fatalité d’un destin qu’il n’est pas toujours aisé à déjouer malgré les possibles. Jonas et ses amis seraient donc les maîtres de ce fief, ou des vassaux d’un nouveau genre, bien contraints d’y développer, dérouler un quotidien, régulé par la société seigneuriale, faussement acteurs de leur existence puisque pris dans les limites d’un territoire, baigné d’ennui.

Je retiendrai derrière la tristesse en filigrane dans le texte, la tendresse, celle de l’amitié, celle des anciens pour les plus jeunes, la tendresse maladroite dès lors qu’il faut composer avec le désir sexuel et la relation plus intime avec l’autre, la tendresse digne de celui qui reste pour celui qui quitte. Etonnamment, au-delà de cette écriture orale, langagière, nullement démonstrative, l’élégance est bien le mot qui me vient quand je pense à Jonas et ses acolytes. Elle se pare, pudique, se perd dans des attitudes adolescentes ennuyeuses et parfois irritantes mais l’inoffensivité des jeunes est réellement touchante car toute révélatrice de leur non-choix de vie, du fief ainsi subi, fief château de l’enfance à préserver, fief piège de l’adulte en devenir qui se cogne à la réalité. « Et bien souvent je m’imagine avoir le même destin, un destin qui me permettrait de me rencontrer moi-même, sans les autres, qui ne constituent plus qu’un miroir déformant. Seul sur une île je n’aurais personne à qui me comparer. Et je pourrais travailler à ma survie, pour ne plus avoir à me demander si je vis bien. Heureusement j’en ai trouvé qui me ressemblent. On se soutient dans cet exil. Tous solidaires, ensemble. Tous à vouloir sortir du rang pour se retrouver enfin seuls, et tenter de comprendre ce qu’on est censés faire avec ça. » Entre nostalgie et constat, il s’agit bien d’une vie et de son décor réel dans lequel on n’a pas d’autre choix que de faire, chaque jour qui passe. Chapeau bas aux seigneurs qui se méconnaissent dans ce fief et à David Lopez pour ce premier roman reçu comme un uppercut au ralenti, enrobé dans un nuage de beu, presque envoyé en caresse pour que l’impact soit accusé mais non violent, empreinte que je ne suis pas prête d’oublier ni d’effacer.

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Fief

Pas mal du tout. Livre sur la jeunesse d'une région sinistrée. On y parle des maux subis par ceux qui se sentent abandonnés : "glande organisée", fumer des joints toute la journée, boire beaucoup et, lorsque l'esprit et le corps sont bien embrumés, tenter de se mêler "à ceux des quartiers bourges", à ceux qui sont prévilégiés.

J'ai également bien aimé la demonstration du principe de causes et de conséquences : Jonas, le narrateur, a un talent pour la boxe mais une mauvaise hygiène de vie (il boit et surtout il fume cigarettes et joints). Au fil du roman, il s'éloignera alors petit à petit du haut niveau tout en continuant à boire et fumer. Tandis que Lahuiss, lui, a décidé de quitter ce milieu pour se concentrer dans ses études et dans son travail. Il revient de temps en temps voir Jonas et les autres mais il est sur la route de la réussite car il a fait des concessions.

La fragilité et la sensation d'abandon des protagonistes transpire dans ce premier roman. Décidément à suivre.







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Fief

Voilà un Fief qui ne se conquiert pas sans mal…Il faut se frayer un passage entre les lignes drues de David Lopez, se faufiler dans les conversations sans fin de Jonas et ses potes aux surnoms sans queue ni tête, se cramponner pour tenir toute une partie de cartes ou un entraînement de boxe au rythme des échanges de mots, de tours, de joints, de coups, sans mollir, comme eux, sans respirer, comme eux, sans fuir, comme eux. On croit étouffer, on croit flancher, on croit renoncer vingt fois et puis…Et puis, soudain, le rythme s’apaise, la parole se fait plus fluide, le regard prend de la hauteur, de la tendresse aussi, parmi les prénoms insensés de cette bande de potes foutraques mais fidèles, on croit halluciner de voir se glisser le nom de Voltaire ou de Céline, on finit par comprendre qu’ils y ont toute leur place. On finit par comprendre aussi, en découvrant peu à peu la beauté et la puissance du style de David Lopez dissimulées sous les oripeaux des conversations creuses d’une bande de jeunes agaçants mais ô combien attachants, pourquoi le jury du Livre Inter avait décerné son Prix à ce premier roman au charme à conquérir en 2018.
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Fief

Prix France Inter 2018.

Écriture agréable, vocabulaire choisi pour bien coller aux dialogues. Histoire sympatoche à laquelle on s'attachera le temps du livre seulement, qui aura eu le temps de se voir décerner un Prix France Inter tout de même : j'ai un faible pour ces prix là, qui ont au moins un point commun, une certaine originalité dans l'écriture, ici banlieusardes, wesh-wesh.
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Fief

J’ai mis beaucoup de temps à entrer dans ce livre… il est particulier ce livre, c’est comme un long slam, car la langue y est essentielle et seul l’auteur pouvait donner autant de puissance et de musicalité à ses mots, à ses phrases qui sont ciselés comme un long poème ou chanson… Un mélange d’argot, de verlan, une langue précise, vive et rythmée.

Ce livre raconte une banlieue d’une ville de 15000 habitants proche de la campagne, une zone périurbaine, un territoire entre-deux et la bande de Jonas (le narrateur) : Ixe, Poto, Habib, Romain, Lahuiss, Untel, Miskine, Sucré… Ils ont tous ou presque des surnoms.

Ils se retrouvent pour fumer cigarettes et/ou pétard, boire, jouer aux cartes… Ils se chambrent, tuent le temps, s’ennuient, draguent les filles… Jonas pratique la boxe mais il n’a pas assez la niaque pour espérer percer. Lahuiss est le seul, parti en ville faire des études, il aime les mots et la littérature, il fait faire, à ceux de la bande, une dictée, pour rigoler. Il a choisi un texte de Céline : « On devient rapidement vieux et de façon irrémédiable encore. On s’en aperçoit à la manière qu’on a prise d’aimer son malheur malgré soi ». Une phrase qui fait parfaitement écho à ce que vit la bande…

Dans la version audio, l’entretien bonus avec l’auteur, toujours très intéressant, m’a bien aidé à comprendre ce texte.
Lien : https://aproposdelivres.word..
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Fief

Jonas et ses amis trainent, fument des joints et boxent. Fief raconte leur quotidien, sans perspective, juste des jeunes hommes entre eux qui regardent passer le temps. Un très beau premier roman de David Lopez.



La boxe et ses potes, c’est tout ce que Jonas a dans sa vie. Son quotidien est fait d’entraînements, de joints et de soirées avec Ixe, Sucré, Lahuisse et les autres. Dans ce récit à la première personne, on s’attache rapidement à ce jeune homme, perdu, qui raconte sa vie comme s’il était en face d’une personne extérieure, avec ses souvenirs de jeux avec ses amis dans les forêts autour de leur ville, ou de soirées mémorables. Tout toune autour de ses potes. « Heureusement j’en ai trouvé qui me ressemblent. On se soutient dans cet exil. Tous solitaires, ensemble. Tous à vouloir sortir du rang pour se retrouver enfin seuls, et tenter de comprendre ce qu’on est censés faire avec ça.«



Jonas n’est pas heureux, il a plutôt l’air de survivre à cette vie qui ne lui laisse aucun choix et ne semble pas lui donner la moindre chance de s’en sortir. Son seul espoir aurait pu être la boxe – c’est du moins ce que lui dit son entraineur – mais, son style de vie ne convenant pas à celui d’un athlète, il stagne, et il a même récemment perdu un combat qui lui reste encore sur la conscience.
Lien : http://untitledmag.fr/retour..
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Fief

Voilà un roman drôlement bien écrit ! Transportée dans l’univers des quartiers, mais pas que, il semblerait que la vie des protagonistes se résume à zoner, ou presque... pourtant, au cœur de ce roman, on trouve l’amitié mais aussi l’espoir ou tout au moins l’envie... cette envie que tout change mais tout en restant identique...

Et si tout n’était qu’un éternel recommencement... ou peut-être pas...

Bref... un livre attachant et addictif... dont le style ne plaira sans doute pas à tout le monde, mais un livre qui change un peu de ce qu’on a l’habitude de lire.
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Fief

le Figaro littéraire disait : " david lopez a magnifiquement inventé une langue qui vous saute aux yeux et vous laisse KO debout "

Pour avoir entendu pendant 30 ans dans les quartiers où j'ai travaillé ce langage, je ne me suis pas extasiée !

Que c'est triste cette jeunesse désoeuvrée, démotivée, qui traîne et se cherche .

Par contre les amitiés sont là , datant de l'enfance , seul point un peu plus clair dans ce tableau .

J'ai eu du mal à finir ce livre .

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Fief

Fief, c'est quoi ?



C'est l'histoire de Jonas, jeune garçon (je dirai dans la vingtaine) aimant la boxe et les joints, et de ses amis : Poto, Ixe, Untel, Haziz, Lahuiss, Sucré et Miskine pour les principaux. Tous ont une particularité : Jonas aimé la boxe, Poto écrit des textes bourrés de fautes d'orthographe, Ixe cultive et fournit le cannabis, Untel traine dans des affaires louches, Lahuiss a étudié et est un peu l'érudit qui s'est éloigné, Sucré est en surpoids, Miskine est une petite frappe. Ils habitent pas tout à fait à la campagne mais pas tout à fait à la ville. Ils n'ont pas de travail, pas d'autres occupations que de se retrouver pour fumer, boire et jouer aux cartes.



Jonas est le narrateur de ce roman d'une quinzaine de chapitres plus ou moins courts, qui se lisent facilement une fois qu'on s'est accoutumé au langage "wesh-wesh" et à la structure du récit (les dialogues ne sont pas distingués du récit). Immersion complète dans l'univers de ces jeunes qui n'ont aucun plan d'avenir, qui n'ont aucun but et qui pourtant aspirent sans l'avouer à quelque chose de mieux. Même s'ils ne savent pas à quoi. Jonas est un personnage attachant, plein de poésie. Il a aussi de nbx doutes et interrogations qu'il décrit avec une certaine clairvoyance. C'est un garçon en mal de tout. Difficile d'y rester insensible. Peu de suspens ou de rebondissements, on suit juste le quotidien de ces jeunes comme on regarderait un reportage. Dans ce roman, à travers ces personnages, on lit le quotidien d'une génération livrée à elle-même, en marge du système et qui ne sait pas trouver sa place. Ce ne sont pas des délinquants, ce sont des gosses paumés, sans exemple à suivre. Jonas est touchant quand il parle de sa vie ou de Wanda, unique fille de ce roman, qui se sert de lui et on sent qu'il en ressent une certaine tristesse. Un sentiment d'infériorité vis à vis d'elle.



Un petit pincement au coeur à la lecture du chapitre "Virgule" dans lequel Jonas et ses amis se lancent le défi de faire une dictée pour savoir lequel d'entre eux fera le plus de fautes. Les voilà motivés avec feuilles et crayons. Et sous la dictée de Lahuiss, ils reecrivent des citations de Louis Ferdinand Céline. C'est à ce moment qu'on comprend bien que ces jeunes qui se la racontent sont en fait des enfants, pleins de naïveté. On ressent toute leur candeur pendant ce passage.



Ça a été une agréable lecture malgré le type de langage !
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Fief

FIEF raconte le quotidien flasque d'un de ces jeunes de ville moyenne, Jonas. le roman s'inscrit dans son regard qui embarque assez bien le lecteur notamment grâce à une langue verte, remuante parfois violente, toujours bien sentie. Ça fleure bon la poésie de quartier (pour ceux qui aiment.) Et pourtant le quotidien n'est pas reluisant : ennui, fumette, un peu de sport, cartes, playstation...

J'ai apprécié l'humanité du personnage. Se dégage une tendresse touchante au coeur du vide et c'est à mettre au crédit de l'auteur. Mais le propos suit paradoxalement une structure trop scolaire. Chaque chapitre aborde un thème et on finit par s'ennuyer. le long cunnilingus n'est pas sans charme. En revanche, la réception et le match de boxe manquent d'idées.

Mais c'est un premier roman et la sincérité de l'ensemble l'emporte.
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Fief

Je suis très partagée par la lecture de ce livre, certes, la vie dans cette petite ville a l'air bien documentée, on s'attache presque à ces personnages en marge de la société, ayant abandonné l'école, ils zonent, se cherchent, voudraient bien faire autre chose mais n'ont pas le courage, mais tout le livre est en "langage zonard", et cela est un peu difficile, mais je suis arrivée "au bout",
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Fief

On s’attache à Jonas et ses amis, que l’on découvre peu à peu, dans ce récit à la première personne.

La langue, les sonorités, le rythme des phrases participent à nous transporterdans leur petit monde, on quitte la place de spectateur distant et on se prend à les comprendre.

On rit aussi de leurs vannes, de leurs délires post-ado.

Certaines formes sont très belles, comme la repetition des mêmes phrases descriptives qui font l’effet d’un flash-back pour nous faire deviner que Jonas approche la maison de Wanda.

La fin n’est pas très bien trouvée, ne permet pas de faire la synthèse ni de se projeter comme le reste.
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Fief

Un très bon roman que ce "Fief" de David Lopez sorti en 2017. Un style original tellement proche de l'oral que c'en est déstabilisant au départ. Mais de très beaux morceaux de bravoure comme l'épisode de la dictée ou de la scène d'amour ou de boxe.

A lire absolument.
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