Deesha Philyaw

Comme une sidération qui m'a accrochée dès le premier paragraphe, j'ai parcouru d'une traite ce recueil et ne me suis levée de ma chaise qu'après avoir lu la dernière page et même... les remerciements de l'autrice !



Avant même les personnages, il y a la langue de Deesha Philyaw (bravo à la traductrice) et le mode de narration qui nous met tout de suite dans l'organique, la vérité sur sa propre vie, celle qu'on s'avoue seulement à soi-même. Cette impression d'intimité est très puissante car elle dit la gêne, les aspirations, leurs déceptions et celles héritées des ancêtres via des parents dépassés : la mère le plus souvent ("potomitan" ou poteau du foyer) et le père inconnu ou absent : "On ne pouvait compter sur lui que pour rompre ses promesses..." P. 27



Et c'est sur un ton faussement badin et un humour féroce que les racines du mal (mâle) sont explorées, la nouvelle "Consignes aux maris chrétiens" est un pur concentré.



Les motifs et références appartiennent à la Pop culture et à l'univers culturel afro américain mais font sens pour tous car il s'agit d'abord de parler d'êtres humains et de leurs destins contraires. Du carcan religieux, du rapport à la féminité de filles qui tentent d'échapper à la double fatalité :

- être méprisées en général par le contexte machiste et raciste

- être méprisées en particulier par les hommes hommes noirs qui ont intériorisé la hiérarchie raciale.

"...Noir comme il est, c'est normal qu'il préfère une femme à la peau brun très clair" P. 59



En neuf nouvelles et moins de deux cents pages, l'autrice brosse un tableau percutant, lucide et pourtant très humain des défaillances de ses héroïnes mais aussi de de leur volonté d'être libres dans leur tête et dans leur corps en se projetant vers le haut quelque soit le prix à payer.



Enfin ce tour de force et la beauté de l'écriture ont été justement récompensés en 2021 par de nombreux prix : "Pen/Faulkner Award" ; "Story Prize" ; "Los Angeles Times Book Prize" et "Art Seidenbaum Award".





Ps : on retrouvera dans la nouvelle "Tourte aux pêches" une exaltation de ce fruit qui devient définitivement un motif littéraire, les fans de "Call me by your name" comprendront..

Dans son premier recueil de nouvelles, le sens du contraste et des dialogues de l'Américaine Deesha Philyaw crée une empathie avec ses héroïnes, des paroissiennes noires américaines.
Lien : https://www.lemonde.fr/livre..