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Citations de Dominique Drouin (49)


La grand-maman sourit en posant un bol de soupe chaude devant Ava, qui l'engouffre goulûment avec un morceau de pain français imbibé de beurre à l'ail. Elle observe la jeune femme tremper son croûton et se dit que la vie se charge des rendez-vous importants beaucoup mieux qu'eux-mêmes. La fille d'Anaïs a quelque chose qui l'interpelle. Dès qu'elle l'a vue au salon funéraire. Ariane a tout de suite compris qui elle était et s'est immédiatement sentie une proximité avec cette jeune âme.
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Elle s'était engagée droit devant, se perdant dans la ville, comme pour épuiser ce corps avide d'amour et de tendresse. Honteuse d'avoir exposé la partie vulnérable de son âme, d'avoir révélé son attirance, elle s'en voulait à mort. L'envie de sangloter ne manquait pas, mais sans la bienveillance de autres, pleurer ne sert à rien. Perdue au milieu de cette foule d'étrangers, elle ne voyait pas à qui s'accrocher. Elle regrettait intensément sœur Monique, Eugène, ses amis des Beaux-Arts, ses collègues du magasin, la famille réunie, la maison chaude, les chiens, les chats, les poules. Elle revoyait la petite cour intérieure, partagée avec les voisins, où les comptines des filles se répercutaient, joyeuses, naïves, sans inquiétude. Montréal lui manquait douloureusement : le centre de la ville avec ses magasins, la rue Sherbrooke, qu'elle se plaisait à parcourir, le parc La Fontaine, le soir, tout près de l'appartement de la rue Saint-Hubert, l'épicerie du coin. Elle aurait tout donné pour apercevoir Claudio, là, au détour de la rue, pour entendre sa belle voix, calme, posée et grave lui murmurer quelques mots. 'Ne te décourage pas' se serait-il contenté de lui souffler, 'un jour, tu trouveras celui qu'il te faut pour emplir ta vie', aurait-il ajouté, tout en passant affectueusement la main dans ses cheveux.
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Pendant ce temps, à Paris, deux hommes attablés de part et d’autre d’un magnifique bureau d’acajou, devisent à propos du téléphone, cet appareil magique désormais disponible dans la capitale et qui facilite tellement leur travail. Le service a d’ailleurs été étendu à d’autres villes, dont Lyon, Rouen, Marseille et même Bruxelles ! Les hommes cherchent à éviter le sujet de la grossesse plus que gênante de celle qui est la fille de l’un et la belle-sœur de l’autre, et qui constitue pourtant le motif de leur rencontre. Dans leurs rêves les plus fous, l’enfant ne parviendrait jamais à son terme ou, mieux, il n’aurait jamais existé. Au milieu de cette pièce, qui pourrait loger facilement une quinzaine de familles pauvres comme on en croise tant dans la ville ces derniers temps, Maurice Achard et Jean-Jacques Martin, son beau-père, bavardent de tout autre chose pour tromper la réelle raison de leur réunion, cet enfant à naître, pour lequel il faudra bien prendre des dispositions.

Ils discutent longuement de la chute du prix des denrées alimentaires aussi inexplicable qu’imprévisible, de ces tissus qui se vendent au rabais, non sans aborder ensuite la qualité de plusieurs caisses d’un cru exceptionnel qui s’est avérée décevante. Ils maudissent les socialistes, s’attardent enfin sur la chaleur des derniers jours et du temps qu’il fera cet été pour les vacances. À l’évocation de la mer, un malaise interrompt la conversation. Dans l’esprit des deux banquiers, un visage se dessine avec une netteté que ni l’un ni l’autre ne veut admettre. Exilée en Provence, Jeanne implore la faveur de garder son enfant. Pourtant, cela rendrait la vie impossible à Maurice, et il l’a maintes fois répété. Jean-Jacques Martin propose une solution :

– Je crois que le mieux, ce serait encore d’envoyer le nouveau-né en Italie. Car les Italiennes sont de bonnes nourrices et ne sont pas voraces sur leurs gages.

Pour toute réponse, Maurice Achard se racle la gorge ; concentré sur cette gêne qui le force à avaler sa salive, il n’ajoute rien, ce qui constitue une sorte d’acquiescement. Jean-Jacques respire mieux et pousse un soupir de contentement. L’atmosphère dans la pièce devient soudain plus légère : voilà un problème bien résolu ! L’Italie, c’est un joli pays ! Les gens qui en viennent sont à jamais empreints d’une énergie joyeuse. Et puis, cela donnera une belle occasion de fournir à une personne en grand besoin de quoi gagner son pain aisément ! Car ces nourrices, on le sait, sont faites pour allaiter, élever, chérir les enfants. Les Italiennes, encore plus que les autres, ont cette vocation et ne manquent jamais de lait. Ainsi, la décision s’apparente à une bonne action !

Un fiacre passe dans la rue, juste sous la fenêtre. Jean-Jacques se lève aussitôt pour se consacrer à son incontrôlable manie, celle de parier sur la couleur du cheval. Un jour de chance s’annonce, la bête est blanche… Maurice Achard, fatigué et soulagé d’en avoir terminé avec cette rencontre mille fois reportée, ferme les yeux et pense au jour où toute cette histoire ne constituera plus qu’un mauvais souvenir. Il déteste éprouver cette tension physique, l’ombre de cette culpabilité, comme une brûlure qui remonte à sa gorge. Il déglutit de nouveau, espérant vainement éteindre le feu du remords qui noircit sa vie depuis qu’il s’est épris de la sœur de son épouse légitime. Mentalement, il demande pardon pour ce faux pas qui met beaucoup de gens dans l’embarras. Heureusement, sa femme ignore tout de « l’accident ».

À quatre cents kilomètres de là, Marianne Achard, assise à son secrétaire, déplie une feuille de papier blanc et odorant, dans un geste qui la réconforte : écrire à ceux qu’elle aime lui procure en effet une satisfaction profonde. S’échappant de la feuille parfumée au lilas, un effluve de printemps se répand quelques instants autour de l’encrier. La brume des petits matins de Londres ne s’est pas encore dissipée même si midi approche. Marianne s’installe confortablement, prend le temps de se remémorer le visage de son époux, qui lui manque. Elle se demande pourquoi elle habite cette ville de brouillard et de bruine, alors que son mari passe de plus en plus de temps en France. Combien de fois a-t-elle posé la question à son conjoint sans obtenir de réponse cohérente ? Ne pourrait-elle pas, à tout le moins, accompagner Maurice quand il voyage à Paris pour affaires ? Cela lui donnerait l’occasion de rendre visite à sa famille, à son père, Jean-Jacques Martin, à sa mère, Élise, et surtout à Jeanne, sa sœur chérie, de seize ans sa cadette, presque sa fille, qu’elle n’a pas vue depuis bien trop longtemps, près d’une année. Quels motifs expliquent les refus de Maurice et son entêtement à la maintenir ici, dans cet appartement immense, aux sols de marbre toujours glacés, dont les fenêtres donnent sur un ciel trop souvent nuageux ? Perdue dans ses questionnements, elle caresse du bout des doigts les plumes colorées et tente de dominer le sentiment de frustration qui l’étreint. Marianne Achard doit se l’avouer : aucun palace, fût-il le plus somptueux, ne lui fera oublier celle qu’elle a pour ainsi dire élevée, et le terrible manque que son absence lui cause. Le vide de son existence lui semble d’autant plus grand qu’elle doit faire face, mois après mois, année après année, à son incapacité à mettre une descendance au monde. Marianne a l’impression de tourner en rond dans une cage, à tel point qu’elle crie parfois pour éloigner la folie de se sentir toujours si seule. Les larmes lui picotent les yeux, mais elle se ressaisit, se redresse, inspire longuement. Comment ose-t-elle se plaindre ? Elle qui vit dans un luxe presque écœurant, bien à l’abri du besoin, au milieu de soieries brodées d’or, de piqués aux motifs les plus complexes et de dentelles importées. Elle qui se nourrit des aliments les plus coûteux et les plus rares, qui a accès au meilleur, à ce qui est hors de prix, et qui parfois s’en lasse.

Marianne s’assied bien droite sur la chaise, saisit une plume bleue, sa couleur favorite, pose le poignet sur le coin de la feuille et se met à écrire : Mon irremplaçable et tendre sœur…

Après quelques mots, la jeune femme s’interrompt d’écrire. Incertaine, elle se demande s’il est judicieux d’aborder avec sa benjamine un sujet aussi douloureux mais obsédant que celui de ses grossesses difficiles. De tant d’années sa cadette, Jeanne ignore probablement tout des soucis qui préoccupent sa sœur aînée. Ne risque-t-elle pas, en lui parlant d’une situation aussi délicate, de bouleverser sa sœur en l’éveillant à des réalités qui l’effrayeront, ou pire, la dégoûteront du mariage et des hommes ? Toutefois, Marianne ne peut, sur la question, s’ouvrir à personne d’autre, pas même à son mari, de peur de le décevoir une fois de trop. Je rentre tout juste d’une visite chez le médecin, vous savez, le Dr Borden que je vous ai tant vanté. Il m’a annoncé une nouvelle à laquelle je ne crois pas encore, mais qui me transporte d’une joie si grande qu’il me faut la partager. Je tremble fort à la simple idée de vous l’écrire et de l’officialiser sur un bout de papier… Tandis qu’elle aligne les mots et sent grandir son bonheur, elle perçoit, au loin, la voix d’un chanteur qui fait ses vocalises ; ce sont les premières notes d’une répétition pour le spectacle qui aura lieu au Royal Albert Hall, tout à côté de chez elle. Le chant des hommes est certainement, d’entre tous les arts, celui qui lui apporte le réconfort le plus intense et qui lui donne la force de voir le côté positif des choses. Le Dr Borden m’a appris que, cette fois, la grossesse a passé le cap fatidique, celui qu’habituellement je ne franchis pas. En d’autres mots, ma chère sœur et amie, si tout se déroule normalement, je devrais enfin devenir mère d’ici quelques mois. Je n’ose encore y croire et vous demande de ne dévoiler à personne cette nouvelle pourtant si réjouissante. Ni à notre mère ni à notre père, et surtout pas à Maurice si, par hasard, vous le croisiez à Paris. Laissez-moi le privilège de me charger moi-même de lui faire cette annonce qui lui procurera certainement le plus grand des plaisirs ! Car existe-t-il sur la terre fonction plus essentielle que celle de devenir parent ? Dire mon exaltation d’y accéder enfin m’est impossible, après tant de tentatives déçues, tant d’années à entretenir l’espoir, à craindre que la vieillesse ne me ravisse à jamais mon rêve, voilà que mes prières seront exaucées, si tout se poursuit comme cela adébuté.

Marianne relève la tête. Les vocalises se sont tues pour céder la place aux éclats de voix des instrumentistes venus s’installer. Marianne regarde autour d’elle, presque étonnée de ne pas trouver Jeanne penchée au-dessus de son épaule, lisant sa lettre et se réjouissant avec elle de cette annonce tant espérée. Dans un geste brusque et sec, elle attrape la feuille noircie de toutes ces paroles d’allégresse, la chiffonne en boule et la lance au panier. Son intermède est terminé : seule et revenue dans la réalité, elle entame une nouvelle missive, sur un ton beaucoup plus posé cette fois et conforme aux propos que doit tenir une aînée de bonne famille à sa sœur de seize ans sa cadette. Ma sœur chérie, que je n’ai pas vue depuis beaucoup trop longtemps… l’écriture, mécanique, se poursuit sur le papier, effaçant la Marianne joyeuse.
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Elle a une pensée pour sa descendance, ceux qui lui survivront.
Elle espère qu'ils vivront égaux, hommes et femmes, parce que l'amour ne naît pas dans la soumission, dans la peur et dans l'iniquité.
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C'est peut-être à ça que servent les gens âgés auprès des enfants :
leur faire croire qu'ils sont les êtres les plus merveilleux sur terre
afin de leur donner la confiance nécessaire
en prévision des combats à venir
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Ava se jure de donner à sa fille ce qu'elle-même n'a pas eu :
l'accès aux livres et à la culture.
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Lorsqu'elles seront grandes, les filles pourront choisir autre chose que le silence et la soumission, car elles auront des modèles pour les inspirer
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Rires et échanges d'un naturel peu courants lui laissent un souvenir mémorable des dernières heures de Maurice Achard sur terre.
En effet, le lendemain, à l'aube, Alice trouve le riche banquier étendu, raide et bleu, sur le plancher froid du couloir. Maurice a été foudroyé pendant la nuit par un infarctus. Alice mettra bien des années à comprendre pourquoi son père avait dormi chez sa tante...
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Sais-tu que tu peux être fier de l'héritage que tu nous as laissé, mon cher papa ?
Car si aucune n'est riche, toutes, nous vivons libres d'aimer nos maris, d'élever nos enfants, de réaliser nos rêves.
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La radio a permis aux grévistes de s'informer sur l'état des négociations et de rester mobilisées. Grâce à leur solidarité et leur courage, les midinettes ont eu gain de cause : la semaine de travail a été abaissée à cinquante heures, les salaires de misère sont passés de onze à seize dollars par semaine et les machines s'arrêtent désormais à l'heure des repas.

Non sans fierté, Ariane constate à quel point le travail d'information effectué par la radio constitue la voix et les yeux du peuple.
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Ce qui la frappe aussi, c'est le courage de ces femmes, cousant, rapiéçant, cuisinant, budgétant et s'ingéniant pour parvenir à joindre les deux bouts.
Un certain nombre d'entre elles travaillent en plus à l'extérieur, doublant leurs heures d'ouvrage afin de compléter le salaire de leur mari. Et comme elles accueillent un enfant de plus chaque année, elles font preuve d'une force héroïque.

Pour ces mères, ces épouses et ces filles, Ariane se sent un devoir de se joindre à celles qui réclament les mêmes conditions de travail entre les sexes et revendiquent de parler en leur nom.
Car bien qu'elles touchent des salaires moindres que ceux des hommes dans les usines, ce sont les femmes que l'on remercie quand vient le temps de couper des postes. Après s'être éloignée si longtemps, Ariane sent que son attachement à son pays et à son peuple lui revient, plus vif que jamais.
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A la CBS, elle a ajouté la retransmission d'opérettes à son actif en remplaçant au pied levé un assistant. Ses connaissances de la musique et de la scène ont joué en sa faveur et mis les artistes à l'aise. Ses expériences s'accumulent et se diversifient. En studio, elle se sent de plus en plus à sa place et gagne l'estime de tous par son professionnalisme irréprochable.

Un peu partout sur le territoire américain, on inaugure de nouvelles stations, les vedettes les plus prestigieuses s'y présentent. Le nombre d'enregistrements s'accroît. Autour de la diffusion des ondes radio se bâtit une industrie dynamique et vigoureuse. Les projets, comme les idées, se bousculent tandis que la population se procure fébrilement ces postes, donnant accès à un divertissement aussi peu coûteux que varié et efficace.

Ariane aime participer à ce mouvement d'effervescence sociale. Elle ne ménage pas ses efforts (...) Dans ses temps libres, elle voit tout ce qu'elle peut de films, de comédies musicales et de concerts.
Elle court sans cesse. (...) Elle qui ne veut ni mari ni enfants n'alimente pas les flirts (...) Plus elle persiste dans le célibat, plus elle apprécie cette liberté.
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Son nouvel emploi répond enfin à ses objectifs. (...)
- Je n'ai pas le luxe d'être jeune, a-t-elle laissé échapper un jour, en croisant un couple enlacé. Je n'ai de temps que pour gagner ma vie et tenter de la réussir. (...)

Passionnée par son nouveau job, Ariane ne compte pas les heures, s'enracinant dans les studios pour pouvoir assimiler leur fonctionnement. Le fait de gagner un salaire régulier et assuré lui procure un sentiment de sécurité immense. Plus jamais elle ne s'en privera, elle s'en fait la promesse.

Le poste qu'elle occupe fait appel à son intelligence et à ses connaissances. Comme elle relaie les décisions du réalisateur, la découverte du pouvoir qu'elle a sur bien des gens la grise.
Elle doit coordonner les horaires, planifier les répétitions, puis les enregistrements. Rien ne doit lui échapper.
Et elle y parvient avec brio.
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- Quand je reviendrai à Montréal, c'est que j'aurai de quoi être fière et que j'aurai réussi quelque chose en mon nom, avait-elle précisé, comme lisant dans ses pensées.

Le fantôme d'Agathe, pianiste reconnue jusqu'en Amérique du Sud, où elle a signé de nouveaux engagements, plane toujours.
Plus que tout, Ariane veut faire ses preuves, montrer qu'elle peut réussir et se bâtir, elle aussi, une carrière.
Son nouvel emploi répond enfin à ses objectifs.
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Ces émissions [radiophoniques] cartonnent.
Auditrice avertie, grâce à ses solides bases en art dramatique, Ariane analyse ces soap operas légers et accessibles. Le jeu des comédiens à la radio n'est pas le même que pour le théâtre. Sur une scène, il faut projeter la voix, alors qu'avec un micro pour l'amplifier on doit plutôt jouer de nuances. Elle remarque l'importance des bruitages pour soutenir le récit et suggérer le contexte.
Ariane s'imagine déjà contribuer à cette aventure moderne et tellement prometteuse.
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Une seule vie leur est donnée, une seule
au cours de laquelle ils ne veulent rien regretter.
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Été 1890. À quelques kilomètres du village de Gassin, au milieu des mas et de leurs vignobles, se cache une villa somptueuse. Le soleil tout juste levé chauffe déjà tout ce qui se trouve sur son passage, et ce inlassablement jusqu'à la nuit, qui survient tard... Les stridulations des grillons fendent le ciel. L'opulente demeure semble endormie dans la torpeur ambiante. Ici, sous la chaleur et la luminosité accablantes, tout aspire au repos, au relâchement. Rien ne presse, personne n'exige quoi que ce soit. Jeanne Martin, alanguie, somnole dans la salle de séjour ouverte sur le plan d'eau décoré d'angelots à jamais immobiles, et se demande combien de temps encore elle pourra préserver cet état de plénitude dans lequel elle se complaît. Elle tend la main vers le plateau en argent, posé sur l'élégante table de fer forgé garnie en permanence de pêches, de prunes et de figues gorgées de soleil, cueillies à même les arbres du jardin. Elle saisit un fruit juteux, le savoure lentement. De sa main libre, elle agite en un mouvement régulier un éventail d'ivoire finement ciselé qui envoie vers son visage un souffle d'air frais. Si tout pouvait rester ainsi, figé dans la chaleur et la beauté.
Par habitude, elle porte une main caressante sur son ventre et réconforte le petit être lové en elle, l'enfant qui l'accompagne partout où elle va, cette vie qui l'habite et à qui elle s'adresse, constamment, pour un oui ou pour un non... ¥e jardinier est encore soûl, ce matin... Il vient de tomber, les quatre fers en l'air, au beau milieu des roses... La jeune femme commente tout ce qui fait son quotidien, comme si elle se confiait à quelque ami imaginaire. Depuis plusieurs mois, aucun de ses camarades d'autrefois n'est venu ni la saluer, ni prendre de ses nouvelles. Elle s'est exilée. Elle n'a d'échanges qu'avec les employés de la maison, gentils, polis, mais distants. Quelle importance, se répète-t-elle pour se convaincre, tous ces gens qui se disaient mes amis m'ennuyaient, de toute façon ! Je n'ai que ce que mérite une femme adultère, une maîtresse qui s'est offerte à un homme interdit, son propre beau-frère, l'époux de sa soeur unique et adorée !
Jeanne ne peut réprimer un soupir que Mariette, la femme de ménage assignée à l'entretien de la villa, remarque :
- Si vous avez envie de quelque chose, Madame...
- Avez-vous des enfants, Mariette ?
- Bien sûr, Madame, j'en ai trois déjà, des garçons bien costauds.
- Puisque vous avez l'expérience des enfants, vous devriez pouvoir m'aider. Je voudrais empêcher que le mien vienne au monde.
- Au point où vous en êtes, il est beaucoup trop tard... D'ici un mois, deux tout au plus, vous serez libérée; et je me trompe rarement là-dessus.
- Vous ne saisissez pas. Je veux garder ce bébé en moi, qu'il vive en moi, toujours... implore-t-elle tandis qu'une larme roule sur sa joue rosie par le soleil de Provence.
- S'il existe un moyen, je ne le connais pas, Madame, et vous m'en voyez bien désolée. Je vous jure que si je savais... rétorque la pauvre Mariette, gênée par les lubies de plus en plus étranges de sa patronne.
- Faites qu'il ne naisse pas, Mariette, et j'assurerai votre avenir...
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Certains écarts se creusent lentement, comme lorsque les vagues, dans un va-et-vient incessant, parviennent à modifier les paysages, alors que d’autres, telles les brèches s’ouvrant d’un seul trait au milieu du sol, ne mettent que quelques instants à tout transfigurer.
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Les bienveillances sexuelles ne suffisent pas toujours, elle l’apprendra à ses dépens. Il lui faudra beaucoup de patience et d’intelligence pour berner un compagnon aguerri par les affaires aux feintes en tous genres, aux stratégies subtiles et aux objectifs dissimulés.
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Toute vérité n’est pas bonne à dire. D’autant plus que, dans la famille Martin, on supporte très mal le moindre écart de conduite.
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