Citations de E. L. Doctorow (53)
Un jeune homme aveugle, beau et de bonne famille était donc particulièrement appréciable dans la mesure où il ne pouvait pas, même en secret, se mal conduire. Sa vulnérabilité exerçait un grand attrait sur une femme elle-même entraînée depuis sa naissance à être vulnérable. Elle en retirait l'impression d'être forte, d'être au pouvoir, ma cécité pouvait susciter en elle un sentiment de pitié, elle pouvait faire beaucoup de choses. Une jeune femme pouvait s'exprimer, se laisser aller à ses émotions refoulées comme elle n'aurait pu le faire sans risque avec un type normal. (p. 12)
Les poèmes ont des idées, disait-il. Les idées des poèmes viennent de leurs émotions et leurs émotions sont portés par des images. Cela rend les poèmes beaucoup plus intéressants que tes romans , Homer. Lesquels ne sont que des histoires. (p.23)
Elle avait sa chambre à elle dernier étage, à côté de celle de Siobhan, et je pensais à elle en train d'y dormir , chaste et belle, et me demandais si les catholiques n'avaient pas raison de diviniser la virginité et si les parents de Mary n'avait pas fait preuve de sagesse en conférant à sa fragile beauté le prénom de protecteur de la mère de leur Dieu.
je suis photographe officiel de l'armée des Etats-Unis, dit Culp. Pourquoi cela d'après vous ? Parce que le gouvernement a compris que, pour la première fois dans l'Histoire, la guerre sera enregistrée pour la postérité. Je constitue des archives en images de ce terrible conflit, monsieur. Voilà pourquoi je suis ici. Telle est ma contribution. Je brosse le portrait de la grande marche du général Sherman pour les générations futures.
Sherman affectait l'uniforme débraillé et partageait les épreuves des conscrits. Il couchait sous la tente -quand il se couchait. Il avait un seul domestique à son service et son écurie consistait en une monture,méchante rosse qui convenait mal à un homme de son rang. Certes, ayant donné des ordres pour que l'armée fût réduite à l'essentiel, il était juste qu'il servît d'exemple.
Pearl ne parvenait pas à oublier cette nuit des soldats assassinés. Ils gisaient sur le sol dur, dans l'éclat bleuté du clair de lune. Douze, il y en avait douze, telles des statues battues. Et le lieutenant Clarke, le regard fixe, contemplant le vide, et si surpris, si surpris.
La nuit était avancée quand le travail fut fini. A l'entrée de la gare, Emily regardait les infirmiers qui, à la lueur des torches, chargeaient les amputés à bord des ambulances. A quelques mètres dans les bois, des hommes creusaient la fosse qui recevait les membres coupés. Une escouade de croque-morts arriva avec son chariot de cercueils pour emporter les morts vers un cimetière. Les cadavres étaient fouillés à la recherche d'objets personnels -lettres, bagues, journaux intimes, feuilles de route permettant de les identifier. Les commandants de compagnie étaient tenus d'adresser des condoléances officielles aux familles.
Mes souvenirs pâlissent à mesure que je fais encore et encore appel à eux.ils deviennent de plus en plus fantômatiques. Je ne crains rien tant que de les perdre complétement et de n'avoir plus pour y vivre que le désert illimité de mon esprit. Si je pouvais devenir fou, si mon propre vouloir pouvait provoquer cela,peut - être ne saurais- je pas combien je vais mal, combien est affreuse cette conscience qui est irrémédiablement consciente d'elle même.
Avec seulement le contact de la main de mon frère pour savoir que je ne suis pas seul.
Il y a eu un grand fracas, la maison entière a tremblé.Oú est Langley? Oú est mon frère ?......
Les souvenirs ne se déroulent pas en fonction du temps, ils s’en détachent.
Un désir d'être à la maison où on pourra retrouver l'illusion que la condition permanente, ce n'est pas la mort mais la vie.
Nous coulions, mon frère et moi, et lui, avec ses poumons brûlés et sa quasi-démence, le savait mieux que moi. Chacun de nos actes d'opposition et d'affirmation de notre autonomie, chaque manifestation de notre créativité et de l'expression résolue de nos principes oeuvraient au service de notre ruine. Je ne le critiquerai donc pas pour sa paranoïa de cet hiver-là, lorsqu'il commença à organiser, à partir des matériaux accumulés notre vie durant dans cette maison, les moyens de notre ultime résistance.
La famille vivait dans une pièce et tout le monde travaillait : Mameh, Tateh et la Petite Fille en tablier. Mameh et la Petite Fille cousaient des culottes courtes, qu'on leur payait soixante-dix cents la douzaine. Elles cousaient de l'instant du lever jusqu'à celui du coucher. Tateh gagnait sa vie dans la rue.
La plupart des immigrants venaient d'Italie et d'Europe orientale. Des chaloupes les emmenaient jusqu'à Ellis Island. Là, dans un entrepôt pour matériel humain, étrangement décoré, fait de brique rouge et de pierre grise, ils étaient étiquetés, douchés, parqués sur des bancs dans des boxes d'attente. Ils prenaient tout de suite conscience de l'énorme pouvoir des fonctionnaires de l'immigration. Ces fonctionnaires changeaient les noms qu'ils ne pouvaient pas prononcer et arrachaient les gens à leurs familles, renvoyant d'où ils venaient les vieillards, les mauvais sujets, les personnages louches et également ceux qu'ils jugeaient insolents.