Citations de E. L. Doctorow (53)
Sa fille avec ses cheveux noirs, son beau-fils, aux cheveux d'étoupe, et l'enfant schwartze , dont il avait la responsabilité légale. Il eut brusquement l'idée d'un film. Une bande d'enfants, tous copains, blancs, noirs, gros, maigres, riches, pauvres, de toute espèce, petits garnements malicieux dont se multiplieraient les aventures drôlatiques dans leur quartier, une société de gamins des rues, comme nous tous, une bande, s'attirant des ennuis par leurs sottises mais s'en tirant toujours. En fait, cette vision donna naissance non pas à un film, mais à plusieurs. Ainsi s'acheva l'ère du Ragtime, dans un souffle puissant de la machine, comme si l'histoire n'était rien de plus qu'un air égrené sur un piano.
(Coïncidence, Emma Goldman, l'intellectuelle et anarchiste russe née en 1869 à Kowno est morte un 14 mai (1940 à Toronto).
L'orateur prévu n'était autre qu'Emma Goldman. Tateth expliqua avec soin que, en dépit de son opposition totale à Goldman - elle était anarchiste et lui socialiste- il éprouvait le plus grand respect pour son courage et sa sincérité personnels; il avait donc admis l'opportunité d'un accord provisoire entre socialistes et anarchistes, ne fût-ce que pour la soirée, car les fonds recueillis à cette occasion serviraient à aider les ouvriers d'une fabrique de chemisiers, alors en grève, et ceux d'une scierie de McKeesport, en Pennsylvanie, également en grève, et l'anarchiste Francisco Ferrer, qui allait être condamné à mort et exécuté par le gouvernement espagnol pour avoir fomenté une grève générale en Espagne. En seulement cinq minutes, Evelyn fut submergée par la tonifiante terminologie de l'idéalisme révolutionnaire. Elle n'osa pas avouer à Tateh qu'elle avait toujours ignoré qu'il y eût une différence entre le socialisme et l'anarchisme ou que l'idée de rencontrer la scandaleusement célèbre Emma Goldman la terrifiait.
Il m’a vu. La surprise momentanée sur son visage, le brusque haussement de sourcils quand il s’est figé au milieu d’un pas tandis que son cerveau interprétait l’information. Son gyrus fusiforme.
Son quoi ?
La circonvolution du lobe temporal qui reconnaît les visages.
Vous voulez dire que le président savait qui vous étiez ?
Pourquoi ne l’aurait-il pas su ? Nous avons partagé la même chambre à Yale.
Camarades de chambre à l’université ?
Eh bien oui, Yale est une université, Doc.
Un mot de trop, trop court ou trop long, c'est comme une fausse note.
Si je pouvais devenir fou ce serait sûrement mieux que l'équilibre de cette solitude méditative.
C'est vraiment malheureux d'avoir consacré une si grande partie de notre vie à gaspiller tout ce temps, d'avoir vécu sans courage, mal à l'aise sur la planète des délices, des vêlages d'icebergs tonitruants, des tsunamis balayant les côtes, des champs de maïs décimés par la sécheresse, à l'aise nulle part, ni au sommet des montagnes ni sur la mer mais seulement dans les villes, assis dans une voiture de métro au milieu d'une foule de passagers ou courant sous un parapluie jusqu'à un taxi disponible, allant au théâtre, écoutant Mahler, lisant les nouvelles sans rien faire pour changer le monde... des événements qui semblaient toujours se produire ailleurs, dans la vie d'autres gens.
Bien écrire suppose de fournir des sensations au lecteur- non pas lui apprendre qu’il pleut, mais lui donner l’impression de se mouiller pendant l’averse.
Quand la classe dirigeante inflige la mort aux hommes qu’elle redoute, elle s'aperçoit que la mort elle-même peut vivre.
Socrate a été jugé et déclaré coupable. On l’a condamné à la ciguë. Ce faisant, ses persécuteurs lui ont octroyé la vie éternelle et se sont infligés à eux-mêmes la mort absolue et la complète obscurité de tous les persécuteurs du monde.
Mon père et ma mère sont allés à la mort pour des crimes qu’ils n’ont pas commis.
A moins qu’ils ne les aient commis, qui sait ?
Bien écrire suppose de fournir des sensations au lecteur - non pas lui apprendre qu’il pleut, mais lui donner l’impression de se mouiller pendant l’averse.
Coalhouse Walker Junior se tourna de nouveau vers le piano et dit : "The Maple Leaf". Composé par le grand Scott Joplin. Le plus célèbre de tous les "rags" retentit à travers les airs. Le pianiste était assis derrière le clavier, le buste raide, et ses longues mains noires aux ongles roses faisaient, apparemment sans effort, jaillir des grappes d'accords syncopés et d'octaves bien frappées. C'était une composition des plus robustes, une musique vigoureuse qui éveillait les sens et dont la vitalité ne se démentait jamais. Le petit garçon la percevait comme une lumière effleurant différents points de l'espace, s'accumulant en dessins complexes jusqu'à ce que toute la pièce fût illuminée de sa présence. La musique emplissait la cage de l'escalier et montait jusqu'au deuxième étage où Sarah la muette, Sarah qui ne pardonnait pas, était assise, les mains croisées, et écoutait par la porte ouverte.
Les morceaux classiques ont des rythmes multiples. (Homer)
Il y a de l'art aussi dans les paroles, dit Langley. Les paroles sont presque plus intéressantes que la musique. Elles réduisent les émotions humaines à l'essentiel. Et elles touchent à des choses profondes.
Et puis il y avait ce sentiment que l'on éprouve quand on se rend au cimetière en remorquant un corps dans un cercueil: une impatience envers le mort, un désir d'être de retour
à la maison où on pourra retrouver l'illusion que la condition permanente, ce n'est pas la mort mais la vie. (p.79)
Ce sont les sciences cognitives ?
Pas vraiment. Ça ressemble plus à de la souffrance.
Ainsi passent les gens dans notre vie, et tout ce qu'on peut conserver d'eux c'est le souvenir de leur humanité, pauvre chose capricieuse privée d'empire, comme la nôtre.
Nous étions d'humeur sombre. Avec en tête l'image de Siobhan et le souvenir de mes trajets vers le cimetière de Woodlawn pour enterrer mes parents, je ne pouvais penser qu'à la facilité avec laquelle on meurt. Et puis il y avait ce sentiment que l'on éprouve quand on se rend au cimetière en remorquant un corps dans un cercueil : une impatience envers le mort, un désir d'être de retour à la maison où on pourra retrouver l'illusion que la condition permanente, ce n'est pas la mort, mais la vie.
Langley est mon frère aîné. C'est un ancien combattant qui a participé avec bravoure à la Grande Guerre et dont les efforts lui ont coûté sa santé. Quand nous étions jeunes, ce qu'il collectionnait, ce qu'il ramenait à la maison, c'étaient ces minces volumes de poésie qu'il lisait à son frère aveugle. En voici un vers : "Le destin est obscur et plus profond que tout gouffre marin...."
J'ai senti battre son coeur. Je me rappelle ses larmes sous nos baisers. Je me rappelle que je la tenais dans mes bras et que j'ai absous Dieu de sa non-signifiance.
Voir un film est un pur acte d’inférence. Au sens le plus profond, les films sont illettrés par nature. C’est peut-être pourquoi une part de la prose la plus recherchée qui s’écrit aujourd’hui est l’œuvre de critiques de cinéma qui traitent assidûment de films indignes de la moindre attention. Pourquoi? Ca peut être les films les plus exécrables, les plus stupides – peu importe. On aura droit à l’intégralité de la réaction du critique, puissamment argumentée.
Paris la crasseuse, Paris la surfaite et la trop maquillée