VLEEL 258 Rencontre littéraire avec Charline Effah, Les femmes de Bidibidi, Emmanuelle Collas
Comment décliner une seconde invitation? Jean-Pierre, bras et yeux grandement ouverts, me gratifiait d'un large sourire marron. Ce n'est pas lui qui allait augmenter le chiffre d'affaires de Colgate.
A trop vouloir le meilleur pour nous, nos parents tissent nos vies sur une toile d'ambivalences qui peuvent perdre des enfants aux personnalités inconstantes.
Le malheur des femmes est un non évènement. Tu vois leurs souffrances et, dans leurs souffrances, une affirmation du pouvoir du bourreau. Et tu comprends pourquoi ça ne change pas.
Certains pensent que la femme de leur vie serait une jeune et jolie pieuse potelée, élevée chez les bonnes soeurs, portant des robes en dentelle, des dessous en coton, fleurant l'eau de Cologne et qui, s'ils la rencontrent, saura tenir leur maison propre, remplacer les boutons de chemise d'un brave époux, élever avec le sentiment de remplir sa mission sur terre, les nombreux enfants dont elle aura fièrement porté les grossesses. D'autres espèrent que c'est une histoire de karma, une chance à saisir au moment où elle passe si l'on ouvre bien les yeux. Sauf que parfois, pour rencontrer la femme de sa vie, il faut enjamber ses abîmes à elle, se prendre les pieds dans son passé, se heurter dans la cavalcade de railleries, quolibets, ont-dit, lazzis, images d'hommes, rêves hantés.
Devant tant de silence, je choisis de partir et de rejoindre le chauffeur qui m’attend à quelques mètres de là. Le ciel et les êtres et la nature semblent rire de ma fuite. Je crois entendre le mot « lâcheté » résonner parmi les feuilles mortes qui craquent et gémissent sous mes pieds. Autour de moi, sur le chemin que nous empruntons, entre les tentes et les huttes et même dans les yeux des gens que nous croisons, tout me crie : Lâcheté !
L'oubli, parce qu'il est le frère du déni, était la pire offense pour toute femme battue.
"On ne peut réinventer l'amour. On prend celui qu'on nous donne, comme on nous le donne et quand on nous le donne". N'être, P 25
"Mes très chères Janes et Veronika,
Les hommes tuent les femmes en Iran parce qu’elles découvrent leurs cheveux. Ailleurs, ils les violent alors qu’elles essaient d’échapper à la guerre. D’autres encore, les maris de ces femmes violées, les méprisent parce qu’elles sont souillées à vie par la violence des hommes.
Je pense à vous.
Une femme ne se lève pas un matin avec l’intention de se livrer aux mains de ses bourreaux. Non. Elle subit. Elle en est la malheureuse victime.
Je crois que le courage a un sexe. Il est une femme.
Une femme qui se tient debout malgré ses batailles intimes et les guerres, qui ont brisé son monde, redessiné sa trajectoire personnelle, lui ont fait enjamber ses morts et bifurquer sur des chemins nouveaux. Une femme, parmi ces hordes de déplacés sans patrie, écume humaine d’une nation en lambeaux.
Je ne suis pas aussi courageuse que Rose ou que vous deux. Mais j’essaie d’écrire sur l’urgence de dire les choses pour s’en défaire, pour être libre. Vous êtes des survivantes, des témoins de notre tragédie commune, où nos rêves, nos droits, comme nos corps, sont un espace continuellement attaqué.
Restez debout et fières ! Vous êtes si belles !"
« Que diras-tu, Medza? Que diras-tu à ta maisonnée à notre sujet?Trouveras-tu des mots assez justes, assez forts, assez puissants, des mots sans t’écorcher les lèvres, des mots pour conter l’histoire de la femme debout devant la porte entrouverte? Cette femme est ta fille. Cette femme est leur soeur. Cette femme aurait pu être la fille de leur père. Cette femme, c’est moi. Je m’appelle Lucinda Bidzo » P.26
Elle avait compris depuis longtemps qu’en se cramponnant à sa vie d’avant, elle aurait toujours l’impression de revenir en arrière. Elle voulait aller de l’avant, voir ses fils grandir, espérer qu’il y aurait enfin une lueur d'espoir dans leurs vies. Et elle avait définitivement fermé ses pensées aux remords de aux regrets, s’était armée de renoncement, parée de déni, s’inventait une autre histoire qui commençait ici, à Bidibidi.
Ici la loi des hommes est dure certes, mais il reste l'amour. L'amour que les faibles et les lâches ne connaîtront jamais et ne sauront pas qu'il est le lieu où les femmes brisent les barreaux de toutes les prisons du monde et qu'avec cet amour, elles savent, l'espoir dans le coeur, telle une flamme qu'elles entretiennent, attendre le retour de l'être cher.