Elena May

Voir les visages tristes de ma sœur et de ma mère depuis que mon père ne vit plus ici me fait souffrir. Et une réalité me frappe de plein fouet à chaque visite que je leur rends. Celle d’être impuissant face à cette situation. Cette situation merdique qui m’échappe totalement et qui me ronge de l’intérieur.

La culpabilité me ronge déjà, mais c’était le mieux à faire. Si ma discussion avec Raph m’a amusé tout à l’heure – même si ça m’a saoulé qu’elle en fasse tout un plat – là, le fait de la croiser dans sa petite robe à volants craquante, avec ses grands yeux verts brillants et sa bouche en cœur, ça m’a fait le coup d’une gifle.

Pourquoi s’est-elle pointée chez moi ? Quand je l’ai trouvée, penaude, sur le pas de ma porte à triturer les manches de son pull en regardant partout sauf dans ma direction, j’étais persuadé qu’elle était là pour reparler de notre baiser. Sinon, pourquoi était-elle si… à cran ? Mais ça n’est jamais arrivé, à aucun moment ce n’est venu sur le tapis. Alors j’ai pensé qu’elle avait décidé d’oublier… Putain, quand j’y repense, ce même soir, rien que sa présence m’avait empêché de trouver le sommeil.

C’est officiel, je hais ce mec. Ce salaud prend un plaisir malsain à me mettre mal à l’aise. Je suis rouge comme une tomate et pas seulement parce qu’il vient de mettre sous mon nez une photo à caractère carrément pornographique, juste avant de m’inviter à lui en envoyer à mon tour, mais aussi parce que son comportement de sale petit con commence vraiment à me rendre dingue. Il est… imprévisible, indocile, et ça me désarme totalement. Et puis cette manière très libérée qu’il a d’exhiber son harem m’exaspère.

Camilla essaye de faire comme si de rien n’était, comme si elle n’était pas à deux doigts de me sauter au visage il y a quelques secondes à peine, mais ça s’avère être un échec. On lit en cette nana comme dans un livre ouvert. Et là, vu son expression, il est évident qu’elle meurt d’envie de m’enfoncer la tête dans le plat de lasagnes fumant.

– Axel.

Allez comprendre pourquoi, mais entendre mon prénom dans sa bouche avec ce ton suppliant me provoque un début d’érection. Je me laisse tenter un court instant à l’imaginer me supplier dans d’autres circonstances, et je bande totalement.

Elle est tellement orgueilleuse que ça me pousse à me comporter comme un connard avec elle. Ça faisait longtemps que je ne m’étais plus autant amusé avec une fille, et le comble, c’est que je ne la baise même pas.

Il faut dire que j’ai déjà su me montrer plus aimable avec la gent féminine. Pour ma défense, l’opportunité était trop tentante. Je l’ai reconnue directement : la jolie brune présente sur les photos de vacances de Raphaëlle. De longs cheveux châtain, de grands yeux verts lumineux qui regardaient partout autour d’eux comme s’ils découvraient un tout nouveau monde.

S’il y a bien une chose qui m’agace par-dessus tout, c’est bien de me sentir observée. Je déteste ça.

Et comme si mon karma avait décidé de se jouer de moi aujourd’hui, je repère le grand brun de ce matin appuyé contre une moto, qui je présume, doit être la sienne, et il me regarde. Je sais de quoi j’ai l’air et je le lis dans son regard. La petite princesse et son chauffeur privé.

Mon anglais étant impeccable, je n’ai aucune difficulté à comprendre ce qu’il raconte, là où ça coince, c’est que je suis pratiquement certaine que le programme qu’il est en train d’énoncer pour ce premier semestre n’est pas celui normalement prévu. Je me tourne à ma gauche. Une rousse avec de grandes lunettes est en train de taper sur le clavier de son ordinateur portable à la vitesse de l’éclair, l’air de trouver ce charabia compréhensible.

On dirait un acteur américain. Vous savez, le bad boy ténébreux charismatique dans les films pour ados. Et puis il dégage un truc assez indescriptible. D’ailleurs c’est l’une des premières choses qui m’a marquée, après ses yeux incroyablement foncés, presque noirs. Je l’observe, sa manière de bouger, sa peau plus mate que la mienne. Ce mec dégage un truc… sexuel. C’est à la fois excitant et effrayant.

Je suis venue en Amérique pour démarrer ma nouvelle vie de femme indépendante, et non pour subir ces préjugés qui semblent me coller à la peau, où que j’aille. Pourquoi les gens agissent-ils toujours ainsi avec moi ? Raphaëlle et Naomi sont, elles aussi, issues de familles très riches et pourtant on ne les couve pas autant.

Je ne suis pas quelqu’un de susceptible, en règle générale, mais là, juste avant mon grand saut dans une université qui fait quasiment la taille de Monaco j’ai tout à fait le droit de ne pas me sentir d’humeur à supporter les piques de Raphaëlle. Surtout sans avoir bu mon café au préalable !

J’adore l’idée d’aller suivre des cours dans une filière qui n’est pas financée par mes parents, et sur laquelle ils n’ont aucune emprise. C’est comme si je pouvais enfin respirer. Et pour de bon.

En grandissant, je m’étais rendu compte que je désirais vraiment devenir avocate, mais ma soif d’indépendance me poussait à prendre le large. Et je devais bien avouer que partir faire mes études à New York était l’excuse parfaite pour m’échapper de ma cage dorée.

J’avais enfin trouvé un but à ma vie. Je regardais ces séries criminelles américaines qui passaient tard le soir à la télé et je rêvais d’être cette avocate. Vous savez, celle qui est belle, incroyablement forte, à l’aise dans ses escarpins, qui n’a pas peur de s’exprimer, qui sauve des innocents et rend le monde meilleur ? Elle. Ouais, j’avais trouvé une issue, du moins c’est ce que je pensais, avant que la réalité ne me rattrape.

Les années de lycée touchaient doucement à leur fin, et il n’arrêtait pas de répéter sans cesse que je deviendrais certainement aussi douée que lui dans un futur proche, « une très grande avocate » pour le citer. Plus il me le répétait, plus j’avais envie de tout plaquer pour m’en aller loin. Très loin d’ici. Mais la sage et raisonnable adolescente que j’étais préférait se voiler la face. Et se convaincre que certains rêves devaient rester des rêves.

Son corps quasiment nu près du mien me rend nerveuse. J’aimerais pouvoir dire que je ne suis pas le genre de fille à flancher devant des tablettes de chocolat, mais ce serait mentir. Il est très bien bâti et ça réveille plus que jamais ma curiosité mal placée. Nos épaules se frôlent lorsqu’il avance le bras pour éteindre la plaque de cuisson. Ma peau s’électrise soudainement. Merde, je dois être en manque ! Pourtant mon dernier rapport date d’il y a trois semaines à peine, je m’en souviens, c’était avec Ethan – le coloc d’une amie – enfin, si mes souvenirs sont bons.

Herrera est le genre de gars qui s’est fait tout seul, un self-made-man, inutile de préciser pourquoi il a du mal à me tolérer, moi, la fille à papa à l’ego surdimensionné. Je réprime un rire sans humour en y repensant. Si je suis dans ce jet privé c’est parce que je suis la fille de Paul Clark Walton mais si Carter, lui, est dans ce jet, c’est parce qu’il le doit à son intelligence et sa soif de réussite. Et cette distinction semble vraiment lui tenir à cœur.