Elena May

« Bon sang, ça crève les yeux qu’on a des choses à se dire mais elle, comme moi, est bien trop fière pour faire le premier pas »

Dieu est toujours plus conciliant avec les pécheurs qui ont conscience de pécher.

On a presque déjà dépassé le long couloir pour gagner la sortie, mais le visage amoché de l’étudiant me hante encore. C’est certain, c’est Axel qui l’a rousté. Quand je tourne la tête pour regarder discrètement par-dessus mon épaule et que le type me dévisage, l’air mauvais, j’en suis même persuadée.

Le jean est aussi moulant qu’un legging et le top souligne ma taille fine tout en mettant en valeur mon cou et la naissance de mes seins. J’abandonne les baskets à lacets près de la baignoire. Je sais exactement quelles pompes iraient avec ma nouvelle tenue : mes bottines Prada à plateformes et talons hauts.

Ce sont les derniers mots que nous nous adressons avant qu’Andrea ne sorte, emportant avec elle mon putain de cœur brisé comme du verre. Une partie de moi espère qu’elle va se couper avec les débris, et une autre, toute aussi amère, n’arrive même plus à espérer quoi que ce soit.

C'est exactement comme lorsqu'il me touche. Je suis le combustible et lui, il est tout le reste.

"-Sans toi, je suis détruit. Je crois que j'ai toujours voulu te détruire pour qu'on puisse se guérir ensemble. Mais je suis égoïste et je ne suis surtout pas digne de toi."

Ce regard angélique, troublant. Cette peau claire, parfaite, lisse et sans aspérités. Ce teint de porcelaine. Ce côté fragile et si fort à la fois. Je la fixe intensément, longtemps. Trop longtemps. Elle est toujours la même. Toujours aussi belle. Avec cette beauté sage, tentatrice, qui pousse à la perversion. Cette perfection irréelle qui provoque ce besoin irrépressible, violent chez moi, comme à une époque, de briser tout ça.

Asia Williencourt hoche la tête et je lui confie ma captive bleue aux sept taches jaunâtres tout en priant que ce présent la dissuade d'aller moucharder. Et aussi parce que, entre ses mains, je sais que la coccinelle retrouvera la liberté dont je l'ai privée.

Parler de son père semble être un sujet délicat. Ou alors, ce sont juste mes questions qui l’ennuient. Peu importe ce qu’il en est, j’en ai assez de prendre des gants avec lui. Je m’arrête à mon tour alors qu’il vient de se remettre en marche.

Il me devance en frôlant ma peau et déclenchant une nouvelle montée de frissons au passage. Il progresse dans le petit chemin, sans même vérifier si je le suis ou pas. Il porte un sweat noir à capuche qui met en valeur sa carrure et un jean tout aussi foncé. Sa tenue reflète son humeur.

Je meurs d’envie de presser les paupières pour fuir ses prunelles qui me font ressentir tellement de choses que je ne veux pas, mais ma volonté me fait défaut. Je reste figée, interdite. Et une minute plus tard, je le suis jusqu’à sa moto.

Ensuite, ils communiquent entre eux par les gestes et je suis presque sûre qu’Axel vient de s’excuser en langage des signes, car la petite vient de poser un doigt sur sa bouche, pensive. J’ai du mal à réprimer un sourire face à la scène. C’est mignon. Puis, quelque chose me dit, à sa manière de lui sourire, lui ébouriffer les cheveux et lui pincer les joues, qu’il joue au dur, mais qu’au fond il déborde d’amour pour elle.

J’adore les enfants. Et puis ils ont le pouvoir de détendre l’atmosphère si naturellement. Et Dieu sait à quel point j’en ai besoin en ce moment même.

J’ai beau me creuser les méninges, je ne comprends pas. Axel semble lire les questions qui fusent dans ma tête, car il se met à lever les yeux au ciel en soupirant une fois de plus.

Les mots ont du mal à sortir intelligiblement de ma bouche tellement la situation me décontenance. Ce connard a un sérieux problème avec moi et je ne vais certainement pas battre en retraite et me laisser traiter comme ça. Contrairement à ce qu’il pense, je ne suis pas une petite bourge coincée qu’il peut malmener pour son plaisir malsain.

Ses lèvres sont à quelques centimètres à peine des miennes et son souffle frappe ma peau d’une manière qui m’électrise. Je devrais lui gueuler dessus à mon tour pour m’avoir sauté dessus et presque provoqué une crise cardiaque, mais non, je me contente de le fixer comme une conne, en silence, en me remémorant ce fameux soir dans sa chambre pendant que la fête battait son plein. Notre baiser enflammé, torride, auquel je repense sans cesse.

En temps normal, l’idée de faire souffrir une fille m’importe peu. Pas du tout même, pour être honnête. Mais avec Camilla, c’est encore différent. Quand je suis avec elle, j’ai cette sensation inconfortable… ce sentiment de ne pas contrôler la situation.

Quand mon père a été envoyé en taule pour un crime qu’il n’avait pas commis, ma vie s’est effondrée. Je voulais lâcher la fac de droit pour épauler ma mère et ma petite sœur, mais ma mère était contre. Elle disait que ça la rendrait heureuse de me voir réussir et comme ce que je désirais le plus c’était la combler, j’ai accepté. Du coup, j’essayais d’aider comme je pouvais, de me rendre utile à ma façon lorsque je venais. Pour me déculpabiliser.

Voir les visages tristes de ma sœur et de ma mère depuis que mon père ne vit plus ici me fait souffrir. Et une réalité me frappe de plein fouet à chaque visite que je leur rends. Celle d’être impuissant face à cette situation. Cette situation merdique qui m’échappe totalement et qui me ronge de l’intérieur.