The Baskerville Affair: Series Book Trailer
Bancroft se leva pour contempler par la fenêtre le jardin circulaire au centre de Beaulieu Square. Le jardin était ordonné, bien taillé, et la peinture des grilles immaculée. Bancroft fut saisi d'une soudaine envie de sortir en courant pour aller plonger les mains dans la boue froide de ce début de printemps et saccager cette perfection. Quelque chose de primitif en lui réclamait que le monde extérieur soit plongé dans le même chaos que son esprit.
La soirée ne s'améliora pas immédiatement. La première entrée était une soupe glacée verte de la couleur d'un étang laissé à l'abandon. Jamais elle ne pourrait avaler ça. Elle devrait donc afficher un air affairé ou se laisser prendre au piège d'une conversation avec le docteur. Elle tenta d'adresser la parole à l'homme assis à sa gauche, mais c'était un banquier qui n'avait aucune idée de la manière de converser avec une lady.
Saisie d'ennui, elle parcourut la table du regard. Lord Bancroft avait le teint rougi d'un homme ayant déjà vidé plusieurs verres. Le roi Doré se trouvait à sa droite. Malgré leur sourire, la tension entre eux faisait des étincelles. S'il n'avait pas eu les mains liées, Bancroft aurait clairement fait mettre son invité dehors.
Ils étaient tous les deux d'âge mûr, fiers et habillés de manière impeccable, mais la ressemblance s'arrêtait là. Alors que Keating paraissait aussi dur, net et tranchant que l'acier, Bancroft était comme de la pierre ancienne, poreuse et prompte à s'effriter, ses traits s'affaissant sous l'effet du temps et de la boisson. Son tempérament colérique, en revanche, n'était en rien altéré. Ce qu'on lisait dans les regards qu'il dardait sur Magnus ressemblait beaucoup à de la haine.
La façon dont Keating observait Tobias rappelait à Evelina un scientifique examinant une nouvelle forme d'algue. Tobias semblait faire de son mieux pour divertir la fille de Keating, mais Evelina voyait bien qu'il agissait par politesse. Il était préoccupé et tentait de le cacher tandis que la pauvre Alice déployait tous ses efforts pour le charmer. Eveline ressentit un pincement d'antipathie qui n'avait rien à voir avec Alice elle-même et tout avec sa proximité avec Tobias. Voyant Evelina désœuvrée, Magnus s'engouffra dans la brèche tel un requin aux onctueuses manières.
Une minute plus tard, le dénommé Striker se tenait au centre de la pièce verte et jaune, avec son atmosphère ensoleillée et ses fleurs dans le joli vase chinois. A première vue, il ressemblait à un croisement entre un pugiliste et un tatou cherchant à se faire passer pour une chaudière rouillée. Il sentait le lubrifiant, la poudre à canon et le gin, avec un parfum sous-jacent de sang séché. Un homme à la vie rude.
- Vous dansez de fort gracieuse manière, miss Cooper, dit-il.
Il devait avoir conscience de la banalité de son propos car il parut légèrement embarrassé. De son côté, Evelina chercha désespérément une réponse appropriée. Lui retourner le compliment était hors de question : grand et efflanqué, Edgerton se mouvait avec l'élégance d'une girafe chaussée de patins à glace.
Elle tâcha de se remémorer quelque chose à son sujet. Les hommes étaient censés aimer parler d'eux-mêmes, après tout.
- Vous intéressez-vous toujours aux utilisations domestiques potentielles d'une alimentation électrique à courant alternatif ? demanda-t-elle.
Edgerton se trompa dans les pas et évita de peu la collision.
Trouver le bon mari, c’est un peu comme choisir un chien de chasse. Tous aboient plus qu’ils ne mordent, ma fille. Un jour tu contempleras l’homme assis en face de toi à la table du petit déjeuner et tu comprendras que le dressage est la seule option restante.
— J’imagine qu’il est temps de me remettre en quête d’un mari qui plaira à mon père.
— Un qui vous plaira, la reprit fermement Evelina. C’est vous qui aurez à vivre avec lui, après tout.
Alice rit de nouveau mais cette fois son rire était aigu et nerveux.
— Très juste, mais lui devra accepter la vie auprès de mon père. Une difficulté que seul un homme doté d’une grande force oserait affronter.
Evelina n’avait pas de mal à le croire.
— Quand un tel homme se présentera, vous aurez intérêt à lui sauter dessus.
— Voilà qui fait très carnivore.
Ce fut au tour d’Evelina de rire.
— Ma mère-grand m’a toujours dit que le grand marché du mariage était déconseillé aux âmes fragiles.
— Dans ce cas, répondit Alice, sortons les couverts et bon appétit !
Elle pivota vers la porte. Tobias Roth, le frère d'Imogen, était appuyé contre le chambranle dans son habituelle pose indolente. Il était beau, blond, avec une mise froissée comme s'il s'était rhabillé après avoir sauté par la fenêtre d'une de ses maîtresses. Même là ou Evelina se trouvait, elle percevait des effluves de tabac, de brandy et de transpiration. Il avait de nouveau passé la soirée dans des clubs et était sans doute à moitié ivre. Il avait également participé à une rixe, à en juger par le coquard qui se formait autour de son œil et des déchirures à son gilet et son pantalon. Sa veste avait disparu.
Quoi qu'il en soit, Tobias ressemblait toujours à l'archange Gabriel. Et même dans cette situation, sa simple vue avait fait chanceler le cœur d'Evelina, trahissant une faiblesse à laquelle elle refusait de céder. Les anges n'étaient pas toujours tels qu'on le disait. Et Tobias comptait indéniablement parmi les plus déchus d'entre eux.
Le thé chaud déborda dans la soucoupe.
- Je n'avais pas demandé de citron.
- Ces machins ne font jamais ce que tu attends mais sont incroyablement efficaces dès qu'il s'agit de faire ce que tu ne veux pas. On appelle ça le progrès.
Tout homme a besoin d’un antidote à l’ennui. Tout homme a besoin d’ambition.
- Trouver une bon mari, c'est un peu comme choisir un chien de chasse. Tous aboient plus qu'ils ne mordent, ma fille. Un jour tu contempleras l'homme assis en face de toi à la table du petit déjeuner et tu comprendras que le dressage est la seule option restante.
(Grand-mère Holmes à Evelina).