Les lourdes portes métalliques de l’ascenseur s’ouvrirent dans un murmure feutré sur le palier du dix-septième étage. On le laissa sortir en premier. Privilège hiérarchique. Henri Wagner n’était pas n’importe qui. Directeur général du groupe Orion depuis plus de vingt ans, il était un capitaine d’industrie respecté dans le monde des affaires. Fils d’un entrepreneur alsacien, il avait intégré le géant de l’énergie en tant qu’ingénieur au milieu des années soixante-dix, juste après la crise pétrolière. Sa compétence, son entregent et son goût très modéré pour toute forme de scrupule l’avaient rapidement propulsé vers les hautes sphères. Jusqu’à sa nomination à la tête du groupe, en 1996. Wagner était un grand patron à l’ancienne : paternaliste et convivial avec ses collaborateurs, jovial et attentionné avec ses amis politiques, il était aussi capable d’accès de colère homériques. Mais pas ce soir.
Trois drones en formation serrée, volant à une dizaine de mètres au-dessus du sol. Cent paires d’yeux se levèrent vers le ciel avec appréhension, ne sachant à quoi s’attendre. En un clin d’œil, les trois engins vinrent se placer en vol stationnaire, à la verticale du bâtiment réacteur. Au sol, les équipes de sécurité attendaient les consignes, les gardes du corps du président s’agitaient en tous sens, aboyant dans des talkies-walkies. Incrédules, les journalistes assistaient au mouvement de panique générale, les cadreurs continuaient à filmer, ne sachant s’ils devaient se concentrer sur le président ou sur les trois intrus à hélices. D’autres moins téméraires se dirigeaient d’un pas pressé vers la sortie.
Cinquante-neuf heures. Elle avait fait le calcul de tête et le total lui donnait le tournis. Avec les correspondances, elle avait mis cinquante-neuf heures via Moscou, Bangkok, Tokyo et Papeete. Assommée par un jet-lag dément, Sandrine voyait enfin le bout de ce voyage aux confins du monde. L’atoll Motu One se dévoilait enfin devant ses yeux. Une langue de sable blanc ceinte d’un collier de corail, une flopée de grands cocotiers jetant leur tronc courbé au-dessus d’une eau turquoise et en arrière-plan, une ligne de végétation touffue déclinant toutes les nuances de vert… Un décor de cinéma.
Mon seul projet, c'est d'aller mieux. Et quand ce sera le cas, je vous avoue que j'ai bien envie de faire un métier calme. Chiant, même. Finalement, je vais peut-être bien finir par devenir une vraie bibliothécaire…