Après la guerre, quand fuir Cernăuți était considéré comme une attitude fasciste, antisoviétique – c’était à moitié vrai d’ailleurs, il avait fui les Soviétiques, ce qui ne voulait pas dire qu’il était fasciste (il avait également fui ceux-ci) –, il n’y avait plus que deux moyens de continuer à vivre. Le premier : accepter d’être un ennemi de l’ordre nouveau, et par conséquent se livrer à ses tenants, se faire emprisonner, mais être nourri, le deuxième : essayer de faire perdre sa trace, dans la pagaille des personnes déplacées, et s’efforcer de ne pas mourir trop vite de faim.
(p. 119)
" Celui qui désire se rend esclave du désir ."
"Voilà , il ne faut pas opposer de "résistance". Ce qui ne signifie pas, tout de même, accepter ".
Les souvenirs sont comme les rêves, ils ont leur logique, leur vérité, leur raison d'être, si ce n'est que tout y est caché sous une apparence convaincante et pourtant fallacieuse.
Il s’évadait, mais non comme bien d’autres en se plongeant dans son passé, en revivant une vie déjà triste, avec des détails, des sensations, conservés dans la mémoire de façon parfois fragmentaire ou déformée. Ce n’était pas une bonne voie, elle était même très dangereuse, car elle induisait, par comparaison, le désir de changement. C’était une chose normale, simple, primitive, que souffrir de n’être plus dans sa maison, ou dans la maison de son enfance, mais dans une cellule, au milieu de quarante individus crasseux, avec la tinette sous le nez, la fenêtre obstruée par un volet de bois enduit de goudron et trois ampoules au plafond, allumées jour et nuit.
Le vrombissement du moteur l'assourdit, il fut noyé dans les gaz d'échappement bleuâtres et suffocants. L'automobile s'éloigna dans la seule rue déneigée de Bucarest, et ce uniquement parce qu'elle servait de chemin à la promenade quotidienne du général Mackensen et de sa suite, qui adoraient entendre le martèlement des sabots sur les pavés.
L'attente nous fait souffrir plus que le coup, finalement le coup ne compte plus, la douleur, l'épuisement nerveux et la souffrance intérieure sont plus forts que la douleur du coup en soi.