Gaylord Carew fit la connaissance de sa malade au moment du dîner. Une jolie petite fille, mince et fragile, avec les boucles noires de sa mère et sa peau blanche, mais avec des yeux bleus comme la turquoise. Des yeux au regard malheureux, soupçonneux d'une enfant qui a été battue en brèche et critiquée au point que tous les étrangers lui paraissent des ennemis probables.
Elle était bien humaine maintenant. Silhouette élancée comme un jeune bouleau, vivante et pure dans son costume de flanelle blanche. Ses chevilles étaient nues au-dessus des mules en cuir blanc ivoire. Sa jeunesse et sa beauté étaient à la fois visibles et audibles comme une note de musique jouée dans l'ombre.
Carew qui les observait ne put s'empêcher de penser que ces deux hommes ressemblaient bien à un chien et un chat en présence : Quincy était le roquet rageur et Joseph le chat souple et intelligent. Ce dernier suscitait une admiration mêlée de répulsion. Il avait l'attitude égoïste d'un félin qui joue avec une souris. Il était sans chaleur.
Car le mal se trouvait dans cette maison à l'état presque tangible, il en était certain. Ses facultés de voyance lui avaient permis d'en déceler une grande partie dans les formes invisibles qui encerclaient Barret. Il y avait des foyers d'infection pour l'âme comme pour le corps et cette vieille maison sinistre en était un depuis sa fondation.
Les jours passèrent; les grains de cristal des jours succédèrent aux perles d'ébonite des nuits. Le printemps s'approcha lentement, comme une belle femme pâle qui sort d'une chambre de malade encore remplie d'odeur de mort. La petite île dans la mer grise attendait. Elle seule aurait pu dire ce qu'elle attendait.