Cet essoufflement se traduit par un délitement profond du lien entre représentants et représentés, dont les conséquences en démocratie pourraient être catastrophiques. C’est pourquoi la notion de « crise de régime » ne me semble pas exagérée pour caractériser la situation. Elle invite à tirer un fil rouge historique permettant d’identifier les équilibres rompus, les grands desseins mis en échec, les occasions manquées, les déceptions accumulées… et de s’interroger sur les voies alternatives à l’impasse actuelle.
Pour un nouveau régime
Comment sortir par le haut de la confusion, de l'inquiétude et des colères suscitées par la crise rampante de légitimation qui affecte le régime ?
Ma première conviction est que toute quête d'une restauration de la construction originale relève du fantasme. On n'inverse pas la roue de l'Histoire. Les bouleversements de l'ordre international sont définitifs, de même que l'épuisement de la configuration fordiste du capitalisme, typique des décennies 1950-1960, qui permettait de concilier les intérêts contradictoires des classes sociales. La société elle même a évolué. Plus instruite, elle manifeste régulièrement des spirations à davantage de contre-pouvoirs, et à être associée à la prise de décision. Son pluralisme interne, en terme de styles de vie, ainsi que des héritages mémoriels et culturels, ne pourra être reconnu ou réprimé avec force, mais pas ignoré comme auparavant.
Surtout, l'architecture de la Vè République m'apparaît anachronique, au regard de la catastrophe écologique en cours. La sortie nécessaire du productivisme ainsi que l'anticipation de nos vulnérabilités au dérèglement climatique ne peuvent se régler ni par une poignée de dirigeants en circuit fermé, ni en conservant la primauté du marché, ni en campant sur des conceptions traditionnelles de la sécurité. En particulier, la culture civique et les nouvelles solidarités dont nous aurions besoin sont en contradiction radicale avec la gestion paternaliste et la passivité populaire supposée par notre Constitution.
De fait, en quarante ans, le pays est devenu plus inégalitaire, qu’on pense à la répartition des pouvoirs de décision économique ou à celle des richesses. Le spectre du déclassement hante les classes moyennes.