François Dupont

Il y a trois sortes d’hommes : les vivants, les morts, et ceux qui vont sur la mer.

Tous les bateaux du monde savent que la mer et le vent peuvent les écraser et qu’il appartient à l’homme de les guider là où le vent et la mer les toléreront.

Écouter, savoir écouter : peut être la plus grande vertu de sous-marinier. Et accepter l’incertitude, une philosophie.

Tous ceux qui ont navigué savent qu’un bateau ne s’arrête jamais, que la nuit ne sonne pas l’arrêt des activités, qu’elle n’est pas un temps mort. Même la nuit, le bateau continue de filer vers son cap, d’escalader les vagues d’une mer qui, comme lui, ne connaît jamais de repos. En mer, un bateau ne dort jamais ; c’est à l’homme de s’adapter s’il veut survivre

Jamais un haussement de voix, jamais un geste brusque, aucune bousculade et encore moins de cavalcade : nul n’est moins agressif, moins violent qu’un sous-marinier

Revenir sur les fondamentaux, conserver intacte la soif d’apprendre : ainsi est-on assuré non seulement de s’améliorer sans cesse, mais aussi de tordre le cou à la routine

Les hommes du Triomphant se savent tous indispensables. Et cette mission explique sans doute en partie l’harmonie qui règne entre tous.

Et des pépins, Dieu sait qu’il peut y en avoir, dans ce concentré de haute technologie où des millions de tuyaux voisinent avec des millions de câbles électriques, l’eau douce avec l’eau salée, l’hydrogène avec l’oxygène, l’huile avec le courant, le bouillant avec le glacé, l’inerte avec le vivant – savant entremêlement de matières incompatibles dans un espace confiné soumis par l’océan à une pression formidable.

Il découvre, et je m’en réjouis, l’impuissance des règles de la logique à résoudre à elles seules les problèmes des hommes. Cette complexité fait justement tout l’intérêt d’un métier comme le mien

Frères, le mot est juste. En vérité, nous sommes tous les enfants d’une même histoire

Les hommes du terrain, ceux qui sont au plus proche de la cause, et donc aussi de la solution, doivent pouvoir prendre les affaires en mains avec toute la latitude que leur accorde cette responsabilité

S’ils [à propos de voiliers] souffrent trop, ils savent le lui dire, par le grincement de leur coque, le hurlement de leurs voiles. Alors, on réduira la toile, d’un commun accord, sans penser que c’est lâcheté – en attendant des jours meilleurs.

À nous tous, combien d’heures de plongée avons-nous effectuées, à bord de sous-marins classiques ou nucléaires – SNA et SNLE ? Des dizaines de milliers. Elles nous ont façonnés, et nous leur devons ce que nous sommes : des amoureux du risque, passionnés de technique, conjuguant sens de l’écoute et esprit d’équipe. À y bien réfléchir, est-ce si singulier ?

À bord d’un SNLE, où chaque cerveau doit être parfaitement affûté vingt-quatre heures sur vingt-quatre, une épidémie de grippe est à peu près aussi anodine que la peste noire.

Au revoir, frères humains. Jusqu’au 5 février de l’an prochain, tout doit vous laisser croire que nous n’existons pas.