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Critiques de Frantz Fanon (60)
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Peau noire, masques blancs

BLACK LIVES MATTER!

La statue de l'impératrice Joséphine de Beauharnais déboulonnée et jetée, à terre, par des activistes anti-colonialistes, à Fort de France en Martinique. "Le Parisien.fr le 26/07/2020.

Statue déjà décapitée en 1991..



Le livre " Peau noire, masques blancs" parlait du rapport ambigu du noir Martiniquais envers le blanc de la métropole, en 1952.

Une antillaise "de la société " se refusera à épouser un noir, en prétextant son manque d'éducation ou son machisme, mais in-fine, c'est surtout à cause de sa couleur de peau...



"Dussé je encourir le ressentiment de mes frères de couleur, je dirai que le Noir n'est pas un homme." Ose Frantz Fanon, écrivain, docteur et psychiatre et... Martiniquais.

"Le Noir veut être Blanc, Le Blanc est enfermé dans sa blancheur. le Noir dans sa noirceur."



Car, les Blancs s'estiment supérieurs aux Noirs, et les Noirs veulent démontrer le contraire."

Comment s'en sortir?

(Nous sommes en 1952. Mais, les mentalités changent difficilement et lentement, voir les actualités sur les crimes racistes.)



Frantz Fanon parle simplement, clairement (pardon!) et avec humour (c'est un psy!) du rapport entre Noir Martiniquais et Blanc. Car "le Noir se comporte différemment avec un Blanc et un autre Noir."

- Dans le langage:

on interdit l'usage du créole dans certaines familles, ("il faut parler le français de France, le français du Français ")

L'indigène, celui-qui-n'est-jamais-sorti-de-son-trou étant le "Bitaco", le pauvre nègre...



Et "parler comme un livre déchiré", c'est parler comme un blanc".

"Comme un livre déchiré", en créole: c'est parler à tort et à travers :-) le Noir qui débarque, en France, ne parle que français et ne comprend plus le créole.

Mais... Et l'auteur rapporte des anecdotes "comiques" :

Un prêtre a remarqué, parmi ses pèlerins catholiques, un bronzé et lui demande, doucereux:

"Toi, quitté grande Savane, pourquoi et venir avec nous?"

On en rit, mais Frantz Fanon nous éclaire sur le quiproquo et ce parler petit-nègre condescendant, d'un curé... enfariné.



C'est une lecture amusante et instructive, qui peut faire réfléchir sur le racisme et sur les préjugés. L'auteur y convoque Cheik Anta Diop, JP Sartre et d'autres dont Aimé Césaire (député et maire de Fort de France)



"Je parle à des millions d'hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d'infériorité... le larbinisme." Aimé Cesaire, Poète, écrivain et Député Martiniquais.
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Peau noire, masques blancs

Peau noire, masques blancs" Frantz Fanon



Peau Noire, masques blancs est une analyse psychologique comme l’auteur le précise dès le début de l’ouvrage. Écrit en 1952, le livre s’inscrit dans le contexte de la négritude, « ce romantisme malheureux », comme ironise Fanon. Alors que des poètes et des romanciers, pour rendre à l’homme noir sa liberté et sa dignité, le chantaient et s’acharnaient à montrer au Blanc qu’il possède bel et bien un passé très riche, le jeune psychiatre martiniquais de 27 ans adopte un chemin tout à fait différent en se donnant pour but de comprendre l’homme noir de l’intérieur afin de le guérir de sa névrose qui est l’aliénation. Si à cette époque la plupart des pays africains luttaient pour obtenir leur indépendance, Fanon était bien conscient que celle-ci ne serait totale et complète qu’accompagnée d’une délivrance du complexe d’infériorité, corollaire de tout processus de colonisation. Cette double libération était nécessaire et indispensable pour créer des rapports sains entre Blancs et Noirs. « Notre but est de rendre possible pour le Noir et le Blanc une saine rencontre », souligne-t-il. Et pour favoriser une telle rencontre, il faudra libérer le « Blanc enfermé dans sa blancheur » et le « Noir dans sa noirceur ».



Il faudra aussi les libérer de l’histoire, du passé. « Seront désaliénés Nègres et Blancs qui auront refusé de se laisser enfermer dans la tour substantialisée du passé ». Ainsi se refuse-t-il, en tant que Noir, le droit « de souhaiter la cristallisation chez le Blanc d’une culpabilité envers le passé de ma race. » Homme, « c’est tout le passé du monde » que le Noir a à reprendre, à s’approprier. Il n’est pas seulement responsable de la guerre de Saint-Domingue qui a provoqué la naissance d’Haïti. Mais aussi de la découverte de la boussole. Alors seulement naîtra l’homme libre et désaliéné. C’est-à-dire celui qui a retrouvé toute son humanité et s’assume sans complexe.



La fougue de Fanon ou un homme en colère



Frantz Fanon est un jeune révolté, plein de fougue, qui fustige jusqu’à l’approche des grands intellectuels blancs qui soutenaient la lutte des Noirs. La préface Orphée noire rédigée par Sartre subit par exemple sa réprobation. Il refuse en effet qu’il incombe à la conscience noire de « rechercher l’universel » comme le voudrait bien le philosophe français qui qualifie la négritude de « racisme antiraciste » qui se doit de « préparer la synthèse ou réalisation de l’humain dans une société sans races ».



L’actualité de l’œuvre



Peau noire, masques blancs est tout simplement une ode à la liberté de l’homme. Prônant dans le même mouvement l’égalité entre toutes les races, le livre dépasse la cause des Noirs et embrasse l’universel.



Aujourd’hui, les luttes pour les indépendances sont presque achevées dans le monde à part quelques pays qui restent encore sous domination : la Palestine, le Sahara occidental… Mais de nouvelles négations de la liberté de l’homme ne cessent d’affleurer, comme dernièrement le mythe de l’étranger-profiteur ou le mythe du musulman-terroriste. Dans certains pays, les étrangers sont vus en effet comme les profiteurs d’un système généreux avant d’être perçus comme des hommes qui ont droit au bonheur. Dans la même foulée, depuis le 11 septembre 2001, la population musulmane est considérée comme une sous-humanité car assimilée à des terroristes ou terroristes en puissance. Un terreau fertile pour les partis extrémistes, autres fossoyeurs de la liberté.



Et tant qu’il subsistera ne fût-ce qu’une seule poche d’étouffement de la liberté de l’humain par l’humain, l’œuvre de Frantz Fanon restera d’actualité. Comme il affirme : « L’homme [est] un oui… Oui à la vie. Oui à l’amour. Oui à la générosité. »



Chez Fanon, la liberté dépasse la liberté du corps et se confond à l’amour et à la générosité. Cette liberté est aussi psychologique et ne sera effective et totale que quand il ne restera plus même dans l’inconscient collectif des peuples anciennement dominés un complexe d’infériorité. Il rêve ainsi d’un monde sain avec des rapports sains entre toutes les races. Et là son œuvre atteint l’universel de plein fouet.



On apprécie au passage la poésie et les phrases lapidaires du livre.



Extraits :



« Un jour, un bon maître blanc qui avait de l’influence a dit à ses copains :



Soyons gentils avec les nègres…



Alors les maîtres blancs, en rouspétant, car c’était quand même dur, ont décidé d’élever des hommes-machines-bêtes au rang suprême d’hommes. »







« L’homme n’est humain que dans la mesure où il veut s’imposer à un autre homme, afin de se faire reconnaître par lui. Tant qu’il n’est pas effectivement reconnu par l’autre, c’est cet autre qui demeure le thème de son action. C’est de cet autre, c’est de la reconnaissance par cet autre, que dépendent sa valeur et sa réalité humaines. C’est dans cet autre que se condense le sens de sa vie. »




Lien : http://jazzbari.wordpress.co..
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Peau noire, masques blancs

En 2007, lors de son discours à Dakar, Nicolas Sarkozy nous rappelais que : « l'homme africain n'était pas assez entré dans l'Histoire, qu'il vivait trop dans le présent et dans la nostalgie du paradis perdu et de l'enfance, dans un imaginaire où tout recommence toujours, ou il n'y a de place ni pour l'aventure humaine ni pour l'idée de progrès » . . .

A une époque ou nos chefs d’état tiennent encore ce genre de propos, la lecture de cet essai me parait indispensable pour comprendre la profondeur des cicatrices psychologiques que cause le préjugé et la domination raciale sur l’humanité entière. Avant-hier les juifs, hier les nègres ou les bolcheviques, aujourd’hui les islamistes, un bouc émissaire est toujours indispensable pour se libérer de nos frustrations, et pour que certains puissent s’engraisser librement sur le dos de la bête, car diviser pour mieux régner !

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Peau noire, masques blancs

Bonjour, aujourd’hui nous allons parler des nègres ! Vous me suivez ?



Voici un magnifique essai de Frantz FANON, édité en 1952, mais qui est toujours très instructif et toujours d’actualité pour certains sujets (malheureusement).



Alors, un nègre c’est quoi ?



Eh bien, ça dépend, car il s’agit d’une construction sociale ; un Noir ne se rend compte de sa négritude que lorsqu’il va vivre chez le Blancs ! Et oui !



Cet essai explore plus particulièrement le nègre martiniquais, mais il étend sa réflexions sur d’autres noirs également. D’ailleurs, savez-vous que pour le Martiniquais, le noir c’était l’Africain bien noir, et pas lui ?



Comment se construire quand l’éducation est donnée par des blancs, la culture aussi : imaginez un Martiniquais en classe, quand on lui parlait de ses ancêtres les Gaulois (sic) et quand tous les héros des contes étaient blancs, par contre les méchants, les sauvages étaient souvent noirs !



Parce que oui, les noirs sont des sauvages, des assassins et en plus, les hommes doivent s’en méfier, parce qu’ils sont bien membrés et font fantasmer les femmes…



Mythes et clichés qui pour certains ont encore cours aujourd’hui ; comme si la couleur devait fatalement vous mettre dans des cases.



Frantz FANON ne donne pas tous les torts aux Blancs ; il reproche aussi aux Noirs d’accepter leur sort, de vouloir se « blanchir » et de parfois rejeter ses frères, se désolidariser d’eux, pour être considéré comme Blanc et donc comme civilisé et instruit !



Il serait difficile ici de retranscrire toute la richesse de cet essai mais je vous le recommande fortement, parce qu’il est bien construit, avec des exemples et des textes à l’appui. Parce que cette construction sociale du Noir, et les clichés inventés par la société, existe encore aujourd’hui et que cette même construction de clichés est aussi employée pour d’autres (homosexuels, femmes) et les gens les intériorisent parfois sans s’en apercevoir.



Alors soyons vigilants et réfléchissons un peu avant d’avoir des idées toutes faites qui ont été véhiculées sans fondement pendant des décennies voire des siècles.



Bref, un essai sur la « négritude » à mettre en toutes les mains…



À lire quelque soit la couleur de votre peau, sous le soleil de la Martinique, ou sous une lampe à bronzer, en dégustant une glace-coco accompagnée d’un Ti-punch. Bonne lecture !



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Peau noire, masques blancs

Je lis rarement des essais, étant plutôt adepte des romans et de la fiction en général. Pourtant j'ai dévoré cet ouvrage. L'auteur Frantz Fanon était un grand psychiatre mais également un grand écrivain qui à force d'exemples et de réflexion nous fait entrer dans la problématique raciale sous un angle totalement inusité.

On comprend comment une société peut formater nos esprits sans même qu'on s'en rende compte et que la seule manière de se libérer de cette emprise invisible et d'autant plus forte est de réfléchir à chacune des vérités que l'on croit établies et de les relativiser.

Ce qui s'applique ici à la perception du noir dans une société blanche peut s'appliquer à tous les rapports sociaux, le rôle de la femme, les dominations sociales.

On voit bien le mécanisme d'aliénation qui est en cause et qui est responsable de tant d'exclusion, d'incompréhension et de souffrance.

En plus, malgré le thème et un traitement du sujet très sérieux , l'auteur arrive à être drôle.

A lire absolument pour son universalisme même si le thème ne vous intéresse pas à priori.
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Les damnés de la terre

Ayant ce livre bien longtemps et il m ' a plus par son analyse et comme critique , je vais prenfre un extrait expressif du livre lui-même :"Le colianisme et

l ' impérialisme ne sont pas quittes avec nous quand ils ont retiré de nos territoires leurs drapeaux et leurs forces de police . Pendant des siècles les capitalistes se sont comportés dans le monde sous-développé comme de véritables criminels de guerre . Les déportations

les massacres , le travail forcé , l ' esclavagisme ont été les principaux moyens utilisés par le capitalisme pour augmenter ses réserves d ' or et de diamants ,

ses richesses et pour établir sa puissance . IL a peu de temps , le nazisme a transformé la totalité de l 'Europe en véritable colonie .

Les gouvernements des différentes nations européennes ont éxigé des réparations et demandé la restitution en argent et en nature des richesses qui leur avaient été

volées . Pareillement nous disons que les états impérialistes commettraient une grave erreur et une injustice inqualifiable s ' ils se contentaient de retirer de notre sol les cohortes militaires , les services administratifs et d ' intendance dont c' était la fonction de découvrir des richesses , de les extraire et de les expédier vers les métropoles . La réparation morale de l ' indépendance nationale ne nous aveugle pas , ne nous nourrit pas . La richesse des pays impérialistes est aussi notre richesse . l'' Europe est littéralement la création du tiers monde . "

Le colonialisme n ' est pas une machine à penser , n ' est pas un corps doué de raison . IL est la violence à l ' état de nature et ne peut s' incliner que devant une plus grande violence ." Frantz FANON
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Les damnés de la terre

Le livre les Damnés de la terre paraît en octobre 1961 aux Editions François Maspero, alors que Frantz Fanon est mourant et que la violence coloniale se déchaîne avec la guerre d’Algérie. Le livre est interdit dès sa diffusion sous le chef d’inculpation d’ « atteinte à la sécurité intérieure de l’Etat ».

Ce livre fut rédigé en un an par un homme qui se savait condamné par une leucémie dont il n’ignorait pas, en tant que médecin, qu’elle était incurable.

Mort « algérien », Frantz Fanon est né « français » en 1925, à Fort de France en Martinique. Il a été un élève d’Aimé Césaire, poète et père du nationalisme antillais. Psychiatre, militant de l’indépendance algérienne au sein de FLN. Il est aussi l’auteur de Peau noire, masques blancs qui est en fait sa thèse de médecine.



Les Damnés de la terre développe deux thèmes majeurs : celui de la violence nécessaire et spontanée et les conditions de la naissance d’une nouvelle nation. Il note au passage les pièges dans lesquels celle-ci doit éviter de tomber.

Pour Alice Cherki, Fanon écrit à partir de son expérience singulière, et l’écriture même de l’ouvrage suit ce mouvement.



Le livre est divisé en cinq chapitres :



I De la violence

II Grandeur et faiblesses de la spontanéité

III Mésaventures de la conscience coloniale

IV Sur la culture nationale

V Guerre coloniale et troubles mentaux



Les cinq chapitres du livre sont disposés comme les strophes d’un poème comprenant des analyses rigoureuses. Son écriture est appuyée sur son propre vécu de médecin psychiatre au contact direct des déshérités. Il cherche à produire une compréhension qui aille au-delà d’une argumentation.



Thématique de l’ouvrage



La Violence



• Dès la première phrase du livre, « libération nationale, renaissance nationale, restitution de la Nation au Peuple, Commonwealth, quelles que soient les rubriques utilisées ou les formules nouvelles introduites, la décolonisation est toujours un phénomène violent. » La violence est la clé du succès de la décolonisation. Celle-ci est un processus de désordre absolu, la seule réalité révolutionnaire. Le titre, Les damnés de la terre est d’ailleurs tiré du chant révolutionnaire l’Internationale. « Debout les damnés de la terre, debout les forçats de la faim » Le colonisé doit redécouvrir le réel « mitraillette au poing ».



« L’homme colonisé ne se libère que dans et par la violence » (chapitre1)



• Frantz Fanon rappelle à la fin du chapitre De la violence, l’une des pages les plus violentes et les plus décisives selon lui, d’Aimé Césaire. Dans les Armes miraculeuses, le rebelle explique :



(…) c’était le maître…J’entrai. C’est toi, me dit-il, très calme…C’était moi, c’était bien moi, lui disais-je, le bon esclave, le fidèle esclave, l’esclave esclave, et soudain ses yeux furent deux ravets apeurés les jours de pluie… je frappai, le sang gicla : c’est le seul baptême dont je me souvienne aujourd’hui.



Le combat que mène Fanon est d’abord dirigé contre l’Europe : « Le bien –être et le progrès de l’Europe ont été bâtis avec la sueur et les cadavres de Nègres, des Arabes, des Indiens et des Jaunes ». Il préconise une nouvelle redistribution des richesses et demande aux impérialistes de rendre ce qu’ils ont pris. Mais cette lutte contre le colonisateur souligne également les faiblesses des partis nationalistes.





Les difficultés potentielles de l’indépendance



• Frantz Fanon perçoit un décalage entre les cadres de la révolution et les masses. Les élites nationalistes accordent une trop grande importance à l’organisation. Elles s’adressent en priorité au prolétariat des villes, aux artisans, aux petits fonctionnaires et négligent la paysannerie qu’elles laissent entre les mains des cadres féodaux. Or comme le souligne l’auteur, les masses rurales ont déjà joué un rôle moteur, notamment, lors des jacqueries de Madagascar en 1947. Les partis nationalistes ne préparent pas les masses paysannes à une action structurée. Ils font simplement confiance à leur spontanéité. Les dirigeants révolutionnaires se doivent donc de maîtriser la spontanéité du peuple sans la brider car elle est la source finale du succès.



• Les deux premiers chapitres sont empreints d’un certain optimisme. En revanche, les deux chapitres suivants sur la conscience et la culture nationales soulignent les freins les plus importants au développement d’une indépendance harmonieuse.



• La constitution d’une vraie culture nationale est essentielle. Elle est difficile à acquérir car le colonialisme a en partie détruit le passé. Les élites se sont souvent jetées « avec avidité dans la culture occidentale ».



• La lutte de libération est indissociable de la culture nationale. Les conteurs peuvent introduire dans l’actualité des guerres anti-coloniales des héros du passé ( Behanzin en Afrique noire – Abd el Kader en Algérie). Un retour pur et simple aux sources indigènes de la culture serait trop passéiste, il faut valoriser la nouvelle nation composée d’hommes nouveaux.





Critiques de l’ouvrage



• Les damnés de la terre sont préfacés par Jean-Paul Sartre dont c’est la grande époque de succès politique ». La préface est plus violente que le livre de Fanon, souvent à la limite de l’insulte. « L’Europe est un continent gras et blême ». « Abattre un européen, c’est faire d’une pierre deux coups, supprimer en même temps un oppresseur et un opprimé : restent un homme mort et un homme libre »Elle est à la fois excessive et datée.



• Le livre de Frantz Fanon est un cri. Traversé par un extraordinaire lyrisme, il est comme le dit son autre préfacier G. Challiand « un chantier de la damnation » ; celui de la colonisation qui a aliéné l’homme. Les mots sont parfois très crus. Pour Jean-Claude Bibas il est « un révolutionnaire pur, la fois utopique et réaliste ». Il se dégage de ses phrases une grande poésie, une puissance d’évocation:



« Retrouver son peuple, c’est quelquefois dans cette période vouloir être nègre, non pas un nègre comme les autres mais un véritable nègre, un chien de nègre tel que le veut le blanc. Retrouver son peuple, c’est se faire « bicot », c’est se couper les ailes qu’on avait laissé pousser » (chapitre 4)



• Le FLN dont il est membre est idéalisé. Il sacralise les campagnes en affirmant que les Harkis « collaborateurs » des Français sont exclusivement originaires des villes, ce qui n’est guère exact. Enfin, il faut convenir que rien de ce que préconise Frantz Fanon n’a été mis en œuvre par les « Révolutionnaires » du FLN. L’armée de H. Boumédienne a pris le pouvoir en éliminant le pouvoir civil, le Code de la nationalité a été fondé sur l’Islam, les femmes algériennes sont retournées à un statut traditionnel et la polygamie autorisée par le président Chadli. Pour Jean-Claude Bibas, les responsables algériens n’ont d’ailleurs guère reconnu « la grandeur réelle et la noblesse de cœur d’un homme qui leur a beaucoup apporté »



• Sa conception de la culture nationale n’est pas fermée car elle est toujours associée à l’internationalisme. Pour lui, la culture et la nation ne doivent pas se fossiliser en puisant exclusivement dans le passé. Il décrit ce qui se passe encore aujourd’hui dans beaucoup de pays en développement : coups d’Etat militaires multiples, absence de démocratie, baisse du niveau de vie, urbanisation forcenée, pillage des ressources par une minorité de privilégiés.











Portée de l’ouvrage



2. A court terme



Les damnés de la terre ont été un immense succès au moment de leur parution J.Daniel écrivait dans l’Express « Les damnés de la terre, ce sont évidemment tous les hommes du monde sous-développé, du tiers monde, tous ceux qui ont transporté à l’échelle nationale la lutte des classes de la vieille Europe. Ce livre est une œuvre implacable, parfois irritante, toujours passionnante, exceptionnellement précieuse »



Ses écrits font de Frantz Fanon l’unique théoricien de la révolution algérienne. H Boumédienne, président de la république d’Algérie s’inspirera de Frantz Fanon pour établir le socle tiers-mondiste de l’action internationale de son pays.



3. Frantz Fanon actuel



• Considéré comme un livre phare des années soixante-dix, essentiellement lié au tiers-mondisme, Les Damnés de la terre tomba ensuite dans l’oubli. Il semble que l’auteur ait sur-estimé la force des masses paysannes et sous-estimé la force du religieux. La préface de Sartre que Fanon avait souhaitée fut, semble t-il d’avantage lue au cours des années que le corps du texte.



• Pourtant Alice Cherki dans la préface de la réédition de 2002, présente Frantz Fanon comme d’une grande actualité car « il aide à comprendre ce qui se produit quand des êtres humains sont maintenus dans le registre de la privation : violences, recours aux régressions ethniques ou identitaires.

Frantz Fanon « a tenté de mettre en place une nouvelle construction du savoir introduisant le corps, la langue et l’altérité comme expérience subjective du politique »



La pensée de Frantz Fanon est révolutionnaire, tiers-mondiste mais aussi humaniste. Son combat ne visait pas seulement la libération de l’homme noir ou du colonisé. Il cherchait essentiellement à libérer l’homme. Le racisme lui est étranger « Je n’ai pas le droit, moi homme de couleur de rechercher en quoi ma race est supérieur ou inférieure à une autre race » « il n’y a pas de mission nègre, il n’y a pas de fardeau blanc : un seul devoir, celui de ne pas renier ma liberté au travers de mes choix » (Peau noire, masques blancs).



Frantz Fanon est un homme qui s’interroge, il ne cesse jamais de penser à un « vivre ensemble ». Il souhaite que le colonisé « décolonise l’être » et pas seulement les structures administratives ou politiques. Pour Frantz Fanon, l’être humain accède à l’universel à partir de sa différence et non de son particularisme. La mort du colonisé est celle du colonisateur naissent d’une seule logique, celle de la création d’un homme nouveau.





Le livre s’achève sur cette phrase :



« Pour l’Europe, pour nous-même et pour l’humanité, camarades, il faut faire peau neuve, développer une pensée neuve, tenter de mettre sur pied un homme neuf. »



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Peau noire, masques blancs

Frantz Fanon est un psychiatre français qui a passé une bonne partie de sa vie à étudier les conséquences psychologiques de la colonisation sur les peuples colonisés.

Ce livre est le fruit de longues années de recherches menées sur des populations africaines, européennes, et antillaises.

Ce livre amène le lecteur concerné à s’interroger sur son passé, son identité, et sur sa place dans une société qui n’est pas la sienne.

Comment exister lorsqu’on est le fruit d’un long et lent processus de déculturation.

On ne prend conscience de sa différence que lorsque l’on quitte son milieu d’origine.

Le contact avec l’autre (sous entendu l’homme blanc ou la culture occidentale) fait naître

en soi des questions existentielles : dois-je l’imiter à la perfection ou alors rester moi-même ?

La différence ne doit pas être synonyme de division. Elle est plutôt l’intelligence de la ressemblance.

Etre étranger ne signifie pas être étrange mais être seulement différent...

En Afrique noire il reste encore beaucoup à faire...

Le plus malheureux est que peu d’initiatives vraiment sérieuses (et durables) ont été prises depuis les indépendances pour freiner les effets néfastes de ce traumatisme psychologique dû à la colonisation. Les erreurs du passé sont répétées avec une passivité déconcertante et le résultat est là.

Lorsque l’on éduque un peuple (sur des générations) en lui enseignant que sa survie dépend de sa capacité à copier l’autre, il ne faut pas s’étonner de produire des êtres peu fiers de leurs identités et de leurs cultures.

Ils refusent d’en être les ambassadeurs, mais acceptent d’endosser le rôle de ces hannihilateurs.

« Celui qui copit aura toujours un temps de retard sur celui qu’il copit ».

Tout est dit.
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Les damnés de la terre

Sommes-nous sortis du colonialisme? A l'époque où ce livre est écrit, on est en pleine décolonisation et Frantz Fanon montre à la fois à quel point l'homme colonisé a été opprimé, nié, déshumanisé par le colonisateur et à quel point le réveil de sa conscience est un réveil - violent, certes - de son humanité, de sa liberté, de sa vie mise entre parenthèses pendant un siècle. Il montre que le colonisé, l'Africain en particulier, ne se libèrera pas en imitant le colonisateur, que quand la petite bourgeoisie locale à l'esprit européanisée prend le pouvoir, elle devient pire que le colons, que c'est au peuple des campagnes de se saisir de sa liberté et de lutter pour son indépendance. Cinquante ans plus tard, le combat semble s'être enlisé: les petits bourgeois corrompus accaparent toujours le pouvoir, les firmes européennes (et, plus discrètement, les Etats) ont pignon sur rue, les pauvres courbent l'échine, ils ont juste changé d'esclavagistes. Frantz Fanon avait compris qu'il fallait plus que remplacer l'élite ancienne par une élite nouvelle pour changer véritablement un système qui, hier comme aujourd'hui, se base sur l'exploitation des faibles par les puissants.
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Peau noire, masques blancs

Un livre que j'ai lu il y plus de 20 ans, quand j'étais à la fac. L'ouvrage qui m'a permis de penser la complexité de la colonisation et des rapports de domination qui contribuent à la formation de l'identité. Toujours d'actualité.
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Les damnés de la terre

10 … 9 … 8 … 7 … 6 … 5 … 4 …

Spécisme et Eugénisme

Racisme et Capitalisme

3 … 2 … 1 …

La guerre éclate.



C’est le comble de la damnation puisqu’on est prêt à mourir pour se libérer d’une machine infernale.



Aujourd’hui, je suis le rouage de quelle machine ? Suis-je autre chose qu’un rouage ?



Laissons le questionnement se développer. Tiens ! Nous venons de passer du Je au Nous. Ce “nous” à la fois simple et complexe. Simple, quasi-substantiel, mobilisateur par magie, polarisé comme une machine. Complexe, recouvrant des motifs d’une diversité quasi-infinie, laissant ouvertes toutes les questions, et qui donne l’impression que les choses arrivent par hazard.



1952.Franz Fanon décrit, dans « Peau noire, masques blancs », un homme noir, qui, depuis 3 générations, « s’achemine par reptation » dans un monde eugéniste, raciste, colonialiste ; un homme qui pense à liquider les déterminations du passé, à devenir imprévisible, et être seulement son propre fondement.

Il entend bien les voix des poètes de la « Negritude », ou celles des jazz men&women. Elles sont en effet entraînantes, mais pas certaines, semble-t-il, de vouloir une lutte face à face pour l’auto-détermination.



Aujourd’hui, je me souviens quand les anciens évoquaient ce monde colonial. La guerre d’Algérie était terminée. Je ne devais évidemment rien savoir des atrocités de cette guerre, mais le peu qui filtrait me laissait deviner confusément. Il m’était seulement donné d’imaginer la beauté exotique des colonies. Des paradis terrestres pour les européens, un enfer pour “les damnés de la terre”.



1961.La guerre a éclaté. Franz Fanon s’adresse exclusivement à ces « damnés de la terre ». Celles et ceux à qui le régime colonialiste ne promettait même pas le ruissellement économique. Pas même un biscuit jeté au peuple, pour faire taire un début de révolte. Il suffisait de poster un gendarme ou un policier. Au nom de la très célèbre « violence légitime ». Le colonialisme c’est « la tentation de compromis d’un monde sans hommes ».

Le livre que nous avons aujourd’hui entre les mains, n’était pas destiné aux européens, mais uniquement à celles et ceux qui étaient engagés dans les luttes pour l’indépendance et la décolonisation. Seule la préface de Sartre s’adresse aux européens, en leur révélant la pensée de Fanon.



Aujourd’hui, où en sommes nous de l’eugénisme, ou plus généralement des politiques de régulation des populations, des bio-politiques ? Un conseiller des grands patrons de l’industrie - ca pourrait être n’importe lequel - un chantre décomplexé du capitalisme, associe la sobriété d’actualité avec ses propres fantasmes purificatoires. Écoutons le attentivement : Les prisonniers deviendraient des bouches à nourrir, inutiles. Les personnes âgées de +65 ans devraient se faire interdire toute greffe médicale.



1961.Le « nous » des colonisés a pris une nouvelle allure, en particulier en Algérie. Il affirme maintenant : c’est eux ou c’est nous ! Mais ce « nous », simple en apparence, qu’on nommerait simplement instinct de survie, reste toujours complexe en réalité. «  0 mon corps, fais de moi toujours un homme qui interroge! ».

Rien ne va de soi, ni dans le moment de la lutte armée, ni dans la perspective post-coloniale. Déjà, sur une question d’échelle territoriale, le « nous » s’éparpille, il mute.

A tous les combattants pour l’indépendance, ce livre est un manuel pour éveiller « la conscience nationale », ou disons, plus précisément, pour comprendre les enjeux politiques et lutter efficacement pour la décolonisation.



Aujourd’hui, l’éditeur, dans sa préface, se trouve face à un problème de conscience assez commun. C’est qu’après avoir publié ce livre, il ne faudrait pas donner l’impression d’une “incitation à la criminalité”.

Or, ce que Fanon et Sartre font ensemble, c’est précisément mettre à nue la violence.

Il est donc dramatique de voir l’éditeur se débarrasser du problème en dressant simplement une ligne manichéenne entre Fanon et Sartre. Ce faisant, il rejoint une opinion commune déjà habituée à condamner Sartre, en tronquant ses textes tout en faisant semblant de ne pas comprendre . C’est de bonne guerre et de mauvaise foi. Mais quelle est cette opinion commune, sinon celle qu’on retrouve prompte à innocenter la “violence légitime” étatique ?

Lire Fanon puis Sartre est la seule manière de se faire sa propre opinion. Dans cet ordre, la préface après le texte, je ne vois pas l’une excédant l’autre. Ensemble, ils débordent les déterminismes.

Nous sommes condamnés à être libre, et c’est un rapport charnel. Les personnes ne seront jamais domestiquées. Les muscles bandés, elles vous sauteront à la gorge à la première occasion, dans tous les sens possibles.

Au premier temps de la révolte, le paysan qui prenait un fusil pour tuer un européen, faisait mourir la machine coloniale pour faire vivre l’homme. Cette violence irrépressible, “c’est l’homme se recombinant”. *



1961.Dans une perspective post-coloniale, le « nous », citoyens nationaux des anciens pays colonisés, devait être surpris, en voyant la bourgeoisie nationale prendre pratiquement la place des européens pour continuer l’exploitation du peuple. De même, il devait paraître étonnant de voir un parti nationaliste servir cette bourgeoisie nationale plutôt que se tourner vers le peuple. Dans les pays colonisés, Fanon observe la lâcheté des partis nationalistes au moment du combat, puis leur inévitable évolution vers le chauvinisme et le racisme envers leurs voisins africains.



Aujourd’hui, il est tout aussi choquant d’entendre les partis nationalistes qualifier de « crises épileptiques » les grands mouvements syndicaux et les manifestations populaires de ces dernières années. Lâcheté, racisme et compromissions, on retrouve le tableau décrit par Fanon.



1961.Fanon était psychiatre à l’hôpital de Blida en Algérie, avant de se déterminer à lutter politiquement pour l’auto-determination des peuples colonisés.

En lien direct avec les atrocités commises pendant la guerre, sa description des cas psychiatriques est absolument glaçante - comme une répétition de « La colonie pénitentiaire » de Kafka.

Que dire, sinon que les remèdes réellement efficaces étaient avant tout politiques?



Aujourd’hui, certains médecins ont la main leste pour prescrire des anti-psychotiques à une grande partie des résidents en Ehpad. Comment faire autrement pour calmer les résidents, demande le.la médecin?

Allons plus loin : à quand le moment où les biopolitiques néolibérales, prescriront massivement du risperdal aux manifestants, bonnets rouges, gilets jaunes, wokes, etc… sans oublier les agriculteurs ?



Sérieusement, le “nous”, pour Fanon, ne devait être que le peuple exprimant ses problèmes et ses aspirations, gouverné par le peuple proposant et expérimentant les solutions, sans intermédiaire.

Il est vrai que ce ne sont que des mots, mais qui ne se réduisent pas à prescrire ou décrire. Le style de Fanon entre l’impeccable et le sensitif, cette vibration subtile, fait que le discours produit un questionnement intense en le lisant.



* (Sartre dans la préface) Cette violence irrépressible, Fanon le montre parfaitement, n'est pas une absurde tempête ni la résurrection d'instincts sauvages ni même un effet du ressentiment: c'est l'homme lui-même se recomposant.
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Peau noire, masques blancs

Un matin calme, on aimerait se réveiller dans un monde sans race et sans classe.

Étais je un noir qui avait rêvé d’être un blanc, ou bien un blanc qui avait rêvé d’être un noir ?



Être - blanc, noir, juif, arabe, ceci ou cela - est une apparence ou un masque, ou plus généralement un phénomène qui ne va pas de soi. Et on le sait sans doute, l’enfer c’est d’être déterminé par le regard d’autrui, sous le rapport de domination d’un pur regard qui voit sans être vu.



Fanon, en tant qu’homme noir, connaît trop ce regard et les mots qui l’expriment. Et s’il prend la peine d’abord de décrire cette cruelle chosification c’est pour mieux saisir l’aliénation qui s’en suit, et trouver le début d’un chemin d’émancipation.



Répétition :

Y’a bon Banania

Y’a bon Banania



Telles sont les marques d’un langage qui marque sans être marqué. À noter que le site internet de la marque affiche encore une parfaite ingénuité. Pas un mot sur cette période peu glorieuse.



Dans la même tonalité, on rencontre un spécialiste des humanités expliquant que certains peuples étaient naturellement prédisposés à être colonisés. De même encore, certain.es expliqueront que les espèces animales domestiquées devaient être disposées à éprouver une sorte d’affection pour le maître en tant que maître.



Je fais ici le rapport entre spécisme et racisme ; l’auteur ne le fait pas. On y revient plus bas.



En tous les cas, je dois toujours me pincer pour me dire que ces thèses existent. Et pourtant, celui ou celle qui les profère ne fait que manifester sa liberté absolue. Il faut se prendre pour Dieu pour assigner à autrui des dispositions magiques, et pour finalement disposer d’elle ou de lui.



Nous parlons couramment de la domestication des espèces, l’homme y compris. Mais tandis que certain.es sont prêts à y voir de l’affection et du consentement, Fanon nous fait maintenant voir l’effraction et l’aliénation.



Les spécialistes tenteront raisonnablement de mesurer la propagation de la fracture de la colonisation ou de la domestication. Mais justement, Fanon rappellera plus tard que les anciens colons ne seront jamais quitte de ce point de vue.



Pour l’heure, il observe l’aliénation de frères et sœurs de couleur qui ont cherché, par tous les moyens, à disparaître en se confondant sur un fond blanc ; certain.es en s’unissant avec un.e partenaire blanc.he.



Finement, patiemment, Fanon rassemble quantité d’observations, et tente de repérer les déterminations psychologiques, un inconscient collectif, des névroses. Sa position de psychiatre le guide dans ce sens, mais lui rappelle en même temps le pouvoir sur-déterminant du regard qui surplombe.



L’aliénation, masquant une autre aliénation, n’a peut être pas de limite. On dirait comme Deleuze que « le masque est la vérité du nu ».



En s’intéressant de près à son propre vécu d’homme noir, il voit qu’à chaque étape de son difficile chemin d’émancipation, il est poursuivi par la rhétorique du colonial.

L’homme noir prétendait invoquer la raison, alors on lui prouve qu’il a tort. Fanon poursuit donc son chemin de fuite : il lui faut « liquider le passé », et devenir « imprévisible ».



C’est alors qu’il découvre avec les poètes de la « Négritude » une pulsation propre de l’homme noir, et une nature : « Le nègre aujour­d'hui est plus riche de dons que d'œuvres » (Senghor) etc…

Mais on lui dira encore qu’il n’ira jamais aussi loin que les élans mystiques qu’ont connus les blancs.



Il répète malgré tout :

Je suis noir

Je suis noir



Car maintenant ça veut dire : « je suis mon propre fondement ». C’est une déclaration universelle, et pas simplement un « racisme anti-raciste ». Il a commencé à liquider les déterminations du passé et pourra bientôt conclure : « Le nègre n'est pas. Pas plus que le Blanc. »



Dans ce tournant existentiel, il a croisé Sartre, à travers des textes comme « l’Etre et le néant », « Réflexions sur la question juive » etc… et le plus récent, « Orphée noir », en préface du livre de Senghor, « l’Anthologie de la poésie nègre et malgache ».



Le dialogue de Fanon avec Sartre permet d’éclairer mutuellement deux pensées qui ne se confondent pas. Ensemble, ils font vibrer les pôles immuables de la philosophie, et lui font rendre un nouveau son. Il faut lire « Orphée noir », en ouverture d’un « chant de tous et pour tous », et se réjouir d’entendre Fanon tout reprendre.



Ensemble, ils reconnaissent l’importance littéraire et politique de la « Négritude » sur le chemin de l’émancipation, mais Fanon insiste sur le moment fondateur, reprochant à Sartre de n’y voir que le « moment faible ».



La lutte pour la liberté s’annonce. Examinant, avec Hegel le couple maître-esclave, il est clair pour Fanon que l’esclave ne peut prétendre être libre en s’entendant dire sans combattre « Désormais tu es libre ». Il lui faut lutter contre le maître, face à face.



Ce qui se profile n’est pas le matin calme d’un monde sans race, mais les guerres de décolonisation. Emportant tous « les damnés de la terre », la misère économique a accéléré l’histoire. Fanon prendra une part très active au combat politique.



En conclusion, l’auteur n’essaie pas de transposer tel drame avec tel autre. La lutte pour les droits civiques aux Etats-Unis n’est pas équivalente à telle ou telle lutte de libération nationale, et n’est pas non plus notre situation actuelle.

Mais la tension qui habite Franz Fanon au présent, sa sensitivité, évoque à la fois toutes les questions existentielles, et le chemin qu’il faut à chaque fois se frayer. Son style étonnamment efficace et effectivement étonnant, évoque une course de vitesse, psychologique, politique et culturelle, entre la « désaliénation » et l’aliénation,



EPILOGUE à fleur de peau



Je suis passé très vite sur le rapport entre spécisme et racisme, juste le temps d’apercevoir leurs racines communes. Fanon connaît trop bien d’ailleurs les insultes racistes largement empruntées à la zoologie.



Or, Fanon, refusant de s’engluer dans l’être, restant à fleur de peau, étant son propre fondement, finit pourtant par se fonder sur une vaine proposition spéciste :



« Un chien se couche sur la tombe de son maître et y meurt de faim. Il revient à Janet d'avoir montré que le dit chien, contrairement à l'homme, n'était tout simplement pas capable de liquider le passé. »



Sérieusement, que savent-ils du chien ? Fanon voulait « en finir avec ce narcissisme », alors, sans attendre la réponse, il nous faut continuer à chercher notre chemin.



L’homme Ancien, aristotélicien, répète lamentablement, je ne suis pas un animal (je suis supérieur en ceci ou cela). La philosophie est nativement spéciste.



Malgré tout je répète :

Je suis un animal

Je suis un animal



Mon être c’est la différence. C’est une déclaration universelle. Voyez mes mutations infinies.

Je peux être sauvage ou domestiqué.e. Voyez la tension qui m’habite, ma sensitivité.

Je peux être mangé.e par autrui, comme je mange à mon tour d’autres êtres vivants. Je ne me nourri pas de cailloux. J’aime les chairs s’enfonçant l’une dans l’autre, le sexe, les caresses, le jeu.



Librement inspirés par Fanon, nous dirions aujourd’hui que « l’Homme nouveau » lutte pour la luxuriance de la planète.
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Peau noire, masques blancs

Après des lectures antillaises, esclavage, décolonisation . Simone Schwarz-Bart, Maryse Condé, Chamoiseau, Glissant, Césaire. Après la visite à l'exposition Senghor au Quai Branly. Avec toutes les polémiques autour du mouvement "woke"(pas "wokisme" qui est un concept d'extrême droite). Après un demi-siècle qui nous sépare de l'esprit de 68. J'ai eu envie de revenir à Fanon que j'ai lu en découvrant la Librairie Maspéro, rendez-vous des soixante-huitards. J'ai perdu le joli volume de la petite collection Maspéro. Je me souviens des Damnés de la Terre, de la Révolution Africaine. A l'époque c'était plutôt la décolonisation, la suite de l'indépendance de l'Algérie. Je tenais Fanon pour un politique.



Aujourd'hui que reste-t-il de ses écrits?



J'ai donc téléchargé Peau noire, masques blancs que je n'avais pas lu autrefois.



"C’est un fait : des Blancs s’estiment supérieurs aux Noirs.



C’est encore un fait : des Noirs veulent démontrer aux Blancs coûte que coûte la richesse de leur pensée, l’égale puissance de leur esprit."



Première surprise : je ne savais pas que Fanon était médecin, psychiatre, psychanalyste et que cet essai était son mémoire de thèse. J'ai été désarçonnée par ce vocabulaire spécifique auquel je suis bien étrangère.



"Cet ouvrage est une étude clinique. Ceux qui s’y reconnaîtront auront, je crois, avancé d’un pas. Je veux

vraiment amener mon frère. Noir ou Blanc, à secouer le plus énergiquement la lamentable livrée édifiée par des

siècles d’incompréhension."



Peau noire, masques blancs est donc un ouvrage se référant à la psychanalyse, analysant des cas cliniques, le rapport au langage, la culture



"Tout peuple colonisé - c’est-à-dire tout peuple au sein duquel a pris naissance un complexe d’infériorité, du faitde la mise au tombeau de l’originalité culturelle locale se situe vis-à-vis du langage de la nation civilisatrice, c’est-à-dire de la culture métropolitaine."



C'est un livre très sérieux bourré de références à Sartre, Hegel, Adler, Jung. 



Il fait une analyse de romans mettant en scène des couples mixtes Blanc/Noire comme Mayotte Capecia ou les travaux anthropologiques d'O. Manonni à Madagascar. Il faut s'accrocher même si certaines lignes ne manquent pas d'humour : 



"Il y a une trentaine d’années, un Noir du plus beau teint, en plein coït avec une blonde « incendiaire », au moment de l’orgasme s’écria : « Vive Schœlcher !"



Son analyse du racisme fait beaucoup appel à Sartre et à la Question Juive ainsi que son Orphée Noir. 



Effet miroir de ma lecture récente d'André Schwarz-Bart en  empathie pour les Antillais, Fanon, martiniquais, écrit à propos de l'antisémitisme:



"L’antisémitisme me touche en pleine chair, je m’émeus, une contestation effroyable m’anémie, on me refuse la possibilité d’être un homme. Je ne puis me désolidariser du sort réservé à mon frère."



J'ai soutenu l'effort, sachant que je ne comprenais pas tout, j'ai terminé cet ouvrage. Les pages que j'ai préférées cependant ne sont pas de Fanon mais de Césaire dont les poèmes illustrent ses propos. 



Difficile de répondre à la question initiale : ces écrits sont-ils encore d'actualité, après les Indépendances, Black lives matter? En tout cas les théories de Marie Bonaparte sur les phantasmes de viol et les éventrations sont illisibles après Meetoo! 



Terminons par cette affirmation  toujours actuelle : 



Chaque fois qu’un homme a fait triompher la dignité de l’esprit, chaque fois qu’un homme a dit non à une

tentative d’asservissement de son semblable, je me suis senti solidaire de son acte.












Lien : https://netsdevoyages.car.bl..
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Peau noire, masques blancs

A lire, certainement. Certains passages ou reprises de paroles d'autres auteurs ou penseurs (catastrophiques ou constructifs) sont parfois ardu, ce n'est pas une lecture facile. Cela dit, c'est parsemé de "punchlines", mais remplie de sens et de force qui sont des coups de poings salutaires, pour s'éveiller à des réalités qui nous ont échappées, écouter, apprendre.

L'aspect psychanalytique de la réflexion semble avoir été une nécessité pour Fanon, mais ce n'est que pour mieux la dépasser, notamment dans ses conclusions.

Sartre retrouve des couleurs, si je peux me permettre.

La lecture hégélienne également. Bien intéressant.

Se comprendre, se réapproprier et ensuite convoler.

De l'humanisme pur et dur.

Fanon est à la mode et j'espère que le feu ne sera pas un feu de paille. La prochaine fois, le feu ; maintenant le feu, maintenir le feu, main-tenir.
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Peau noire, masques blancs

J'ai été très perturbée à la lecture de ce livre, oscillant entre approbation et lassitude.

Le livre date vraiment et s'appuie sur la psychanalyse, il y a des jugements très durs, agressifs, vis-à-vis d'autres auteurs et autrices, et reposant sur des analyses psychanalytiques faites à distance. Il a été publié en 1952, et on sent que les sciences humaines ont fait de gros progrès en 70 ans (heureusement!) donc ça le rend assez peu utile, même s'il y a des points intéressants, par ci, par là.

Il est peut être à réserver aux personnes qui souhaitent avoir une vision historique, de l'évolution des luttes anti-racistes et de l'évolution des représentations sociales; et étudier des documents de différentes époques.

Pour avoir une vision plus actuelle ou universelle du racisme et des mécanismes de domination sociale, il vaudra mieux se pencher sur des livres de psychologie sociale ou de sociologie plus récents.
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Peau noire, masques blancs

Je ne connais absolument rien à la psychanalyse, je ne vais donc rien dire sur cet aspect de l'ouvrage - même si j'ai l'impression que d'après elle, tous nos comportements sont à interpréter sous l'angle de la sexualité.

Ce qui m'a intéressée, c'est donc ce que je connais mieux, c'est-à-dire l'aspect historique. On m'avait parlé de ce texte lors de mes études sur les sociétés coloniales, et notamment sur les circulations au sein de l'Empire français. Et ici, il s'agit bien de cela : Frantz Fanon publie son ouvrage en 1952, c'est-à-dire à un moment où l'Afrique est encore quasiment totalement colonisée par les Européens, où la guerre d'Algérie n'a pas commencé. Et c'est ce contexte qui explique les maladies mentales dont souffrent ses patients, mais plus largement, tous les hommes et les femmes noirs en contexte colonial : le racisme s'appuie sur une supériorité et une domination politique. Or, Fanon écrit en temps qu'Antillais, qui a fait ses études à Paris : il explique bien que, dans la France coloniale, les Antillais - les Martiniquais faisant ensuite une distinction entre eux et les Guadeloupéens - instrumentalisent les divisions et créent une hiérarchie entre les groupes : les Martiniquais sont perçus comme plus éduqués, plus proches des Blancs, car Français depuis plus longtemps, que les Sénégalais, terme générique pour les Noirs d'Afrique. A l'intérieur même des colonisés, ceux-ci reproduisent donc implicitement la hiérarchie que leur impose le colonisateur, avec les valeurs associées. Cela montre aussi que l'on circule dans cet espace colonial, avec des "Sénégalais" associés à la guerre, et les Antillais à l'éducation et à la culture : les élèves brillants partent en métropole étudier la médecine, le droit, la littérature, et c'est là qu'ils rencontrent le racisme de façon systématique, étant alors confrontés à leur différence. J'ai particulièrement apprécié les nombreuses références aux poètes de la négritude, même si je n'ai encore lu que Cahier d'un retour au pays natal. On sent que si Fanon n'apprécie pas toutes les idées de Césaire, il l'admire comme poète.

J'ai aussi été intéressée par l'aspect culturel et éducatif dans la construction de l'identité : je ne sais pas si c'est un des premiers penseurs à le faire, mais Fanon insiste sur le rôle de la culture populaire, films et comics, dans la construction identitaire d'un enfant. Ainsi, un jeune martiniquais apprenant "nos ancêtres les Gaulois", lisant des récits d'aventures, s'identifie aux personnages de héros, même s'ils sont blancs. Et la figure négative, le traître, le lâche, le méchant, est donc associé "au Noir très noir", au "Sénégalais", celui qui est un bouc émissaire porteur de valeurs répulsives, comme l'est le juif dans la conception antisémite. Fanon s'appuie d'ailleurs beaucoup sur les études de Sartre sur l'antisémitisme pour comparer les Noirs et les juifs.

Je n'ai donc pas tout compris sur les aspects théoriques liés à la psychanalyse, les aspects médicaux, mais j'ai apprécié cette oeuvre d'un point de vue historique, en voyant bien pourquoi elle peut servir de source aux historiens des post-colonial studies : c'est un témoignage direct d'un colonisé, qui se voit comme tel - même s'il se voit d'abord comme Noir face aux Blancs, qui sont les colonisateurs.

Il termine enfin par un message très politique, très personnel aussi sans doute, qui pourrait être très actuel "que cesse à jamais l'asservissement de l'homme par l'homme. C'est-à-dire de moi par un autre. Qu'il me soit permis de découvrir et de vouloir l'homme, où qu'il se trouve". Il faut dépasser cette opposition raciale et raciste, s'unir contre le véritable ennemi - qui est selon lui le capitalisme. Et pour finir, je citerai sa dernière phrase qu'il formule comme une prière et que je trouve très belle: "O mon corps, fais de moi toujours un homme qui interroge ! "
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Peau noire, masques blancs

Pourquoi l’homme noir se sent ‘il encore aussi mal dans sa peau et a t’il encore autant de mal a trouver sa place dans une société dominée par l’homme blanc. Cet essai, tente d’y répondre de façon très complète avec beaucoup de références à des écrivains et des philosophes qui s’y sont intéressés. C’est un gros travail de documentation, de compilations et d’analyses auquel s’est attelé l’auteur. Parfois un peu dur à suivre, car requérant des notions de philosophie pour en apprécier la richesse, mais l’ensemble permet d’appréhender de façon intelligente et factuelle cette problématique.
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Les damnés de la terre

J’ai ressenti le même sentiment d’universalisme que j’avais ressenti en lisant le livre « les veines ouvertes de l’Amérique latine ». Un sentiment que rien n’est fait par hasard, tout à été la conséquence d’une décision qui a été prise par des peuples colonisateurs qui avait tout intérêt à laisser les peuples colonisés dans une tiède dépendance.



Du génie, il a fallu du génie pour penser un système globalisé aussi systématique et performant, pour organiser les économies des colonies en fournisseur de matière première, (cacao, bois, or…), de sorte que même après l’indépendance ils ne soient pas capable de se suffire a eux même.

Frantz fannon systématise les manipulations occidentales sur les colonies en synthétisant de manière pragmatique leur praxis. Tout les aspects sont abordés méticuleusement et de manière tout à fait compréhensible et cohérente. L’idée de suprématie blanche ou plutôt d’infériorité indigène que les colonisateurs ont implanté jusque l’esprit même des colonisés , mais aussi les dynamique qui vont mener jusqu’aux indépendances.



Et après l’indépendance, qu’est ce qui fait que même en ayant perdu leur souveraineté les puissances coloniales restent encore gagnantes dans les rapport de force. Qu’est ce qui a changé vraiment après l’indépendance si un pays qui vendait du bois vend toujours du bois aux même européen? l’intermédiaire n’est plus un colon avec un fouet mais un nègre avec un chapeau de velours. Fannon nous explique pourquoi parmis toute les forces en présence, c’est spécifiquement un indigène qui refuse la violence libératrice sans compromis, plus apte à négocier avec ses anciens propriétaires, qui prédominera sur les autres.



c’est un excellent panorama qui se base sur les expériences des républiques d’Amérique latine, qui étudie scrupuleusement les rapports des différents groupes sociaux, prolétaire, agriculteur bourgeoisie en mettant en évidence leur ressemblance et leur différence avec les modèles occidentaux. Et au delà de ces relations intra-nationale, on comprends comment l’ancienne puissance coloniale se permet de faire preuve d’ingérence, en opposant les différentes autorité traditionnel, ethnique ou religieuses, au nationaliste qui souhaitent distribuer les fruits de l’indépendance au plus grand nombre. Toutes ces effusions ont pour effet de laisser le pays dans un état difficilement rattrapable par les futures présidents inexpérimentés qui se mettent alors en place.

Loin de faire un constat pessimiste, « tout est de leur fautes » Fannon, parle aux colonisés, pour leur expliquer comment procède le colonisateur, et surtout comment le colonisé doit agir pour se libérer de son carcan.
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Peau noire, masques blancs

Je viens d'achever la lecture de ce texte poignant de Frantz Fanon. Ecrit au début des années 50, son message reste hélas plus que jamais d'actualité.

L'auteur nous expose le fruit d'un travail psychanalytique sur le rapport entre hommes noir et blanc. Il explique avec beaucoup d'acuité les conséquences psychiques de l'asservissement d'un groupe humain sur des critères raciaux. Le complexe d'infériorité est notamment analysé. Il conduit de fait à l'assimilation forcée du modèle européen aux dépens des cultures autochtones. Fanon étend son raisonnement en se présentant comme le défenseur de tous les peuples colonisés car la liberté est, selon lui, la plus précieuse des valeurs humaines.

Pensée authentique, à lire et relire.


Lien : https://www.babelio.com/livr..
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Peau noire, masques blancs

Saisissant,prenant,une intelligence suprême au service d'une belle écriture,je l'ai lu d'une seule traite je ne pouvais plus m'arrêter,remarquable.
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