Un roman reçu pour une masse critique sauvage de Babelio, Vertiges de Fredric Gary Comeau vient tout d’un coup me déstabiliser dès les premiers mots, comme le titre, je me consume d’une impression étrange, celle intime qui m’est propre, je suis le lecteur de mon écrit, cette sensation est vivace, drôle, presque prétentieuse, fantasmagorique certainement , lentement la réalité surgit au court d’un mot, d’une phrase, d’une éphémère légèreté de petits paragraphes à la saveur prosaïque de strophes, de court poème en vers s’entremêlant dans une intrigue polyphonique à huit cordes, chaque corde vibre un personnage de sa résonance absolu, puis les accords s’entrecroisent dans l’inextricable vertige de la vie. Je ne connais pas du tout l’auteur, un canadien, de mon âge, acadien, auteur compositeur et interprète, s’illumine alors l’architecture du roman, cette poésie qui se diffuse lentement, ce chant traverse l’onde profonde de ces huit cordes vibrantes, ces huit âmes en fuite, ces huit personnages, globe-trotter en herbe arpentant la planète bleue dans le sillon des rencontres régit par l’incertitude de leurs passions profondes, l’art est ce moteur, la peinture, la poésie, la littérature, la visite de nombreux musées, la sérénité de l’esprit dans la religion et le soufisme sont le cœur battant de ces huit personnages, ils vont dans cette liberté du hasard se suivre, se rencontrer, se percuter, converser, se marcher sur les pieds, se faire l’amour et enfin devenir le chemin de leurs vies, pour former un cercle intimiste d’amis, ce lien immuable qui les relie, ils seront ces gouttes d’eaux pour devenir cet océan d’amitié inébranlable se déversant dans le tout et le rien de la vie.
C’est des petits fragments de vies qui s’envolent dans la prose de notre auteur, comme une chanson, les paragraphes sont assez courts, nous allons d’un personnage à un autre sans lien réel avec l’autre, quelque fois, une continuité se forme, les passages se suivent avec le même personnage, cette trace est plus vivace, d’autres sont comme un songe, un oasis dans un désert qui s’illusionne du mirage, par cette chaleur qui trouble les sens, comme cette envie de cette jeune fille Hope, désirant s’isoler dans le Sahara, vivre dans un désert, pas celui où vit sa mère Grace à Santa Fe, celui qui a su relever à Grace sa force créative et ce rouge qui l’obsède, couleur qui sera ce vertige des sens avec cette femme Eva. Mais une brisure rompt le charme de ce roman, l’introduction de la langue anglaise, je n’ai pas cette universalité des langues, je suis ancré dans la langue de Molière, celle de Shakespeare est muette, je n’ai pas ce vertige d’être polyglotte comme Madeleine, la sœur d’Antoine, maniant à merveille les langues, les entremêlant dans une même phrase, créant une dialectique nouvelle, un peu déconcertante à comprendre, c’est un chant polyphonique, Kazuo, lui, capte la lumière avec les mots, chaque langue à sa propre luminosité, le japon, l’anglais, l’espagnol et le français ont pour lui leur propre couleur qu’il définira à son ami Victor Bouquet, la plupart des personnages ont en eux cette polyphonie des langues, que je n’ai pas, et certains passages sont devenus obscures, je devais traduire des poèmes anglais de Kazuo, beaucoup de passages en langues étrangères non traduites, dans des conversations, me demandant beaucoup d’effort, la magie de la lecture perdant de sa force, ma faiblesse et surement une force pour d’autres, j’ai été trop désarçonné par ces longs écrits de langues diverses, différentes du français, il aurait été judicieux d’avoir en annexe une traduction, pour une fluidité de lecture et une compréhension. Il y a peu de passage où les personnages conversent, les dialogues restent en retrait, devenant plus présent vers la fin du roman, les personnages vivent de leur interactions, leurs inerties à leur passions, les propulsent à une vivacité de logorrhée en progression avec l’intrigue, qui se dévoile lentement, puis devient évidant au fil des pages, tous vont pouvoir enfin se rencontrer pour communier les uns aux autres.
Vertiges a reçu le prix Jacques-Cartier du roman et nouvelles de langue française en 2013, soulignant la qualité d'une œuvre dont la facture et l'originalité enrichissent le patrimoine littéraire de la francophonie, enrichit par la pluralité aussi des langues qui abreuve la beauté de chacun, l’anglais, l’espagnol, l’acadien, l’arabe et le français fusionnent dans la voix des personnages de ce Vertiges au pluriel, où chacun vient le prendre naturellement dans l’arabesque des plaisirs. Le roman s’éparpille dans divers pays, nous commençons dans une gare parisienne puis le bouclant dans une église de Turquie, traversant de nombreux pays, comme le canada, les États-Unis d’Amérique, l’argentine, la Pologne, l’Espagne, le Portugal, le Japon, l’Égypte et bien d’autres, nous sommes en mouvement, le temps se dilate aussi, deux années s’écoulent, la guerre en Yougoslavie fait rage, Sarajevo ou Srebrenica sont dans cette tourmente, Hope flotte vers ces deux villes, Antoine compose une chanson pour appréhender ce conflit où « La guerre se réjouit de ses cicatrices, en Bosnie », comme l’écrit Fredric Gary Comeau, la date de 1992 est le moment où il va se cristalliser la suite des événements pour réunir tous nos personnages, celle du dépôt du recueil de poème du jeune poéte acadien, Antoine dans le désert du Nouveau Mexique, proche de la maison de Grace la maman de Hope, qui sera retrouvé par cette maman, l’auteur est l’homme de la vie de sa fille selon les astres, Hope ira à sa recherche avec nonchalance, laissant la destinée faire la rencontre entre ces deux êtres, ce fil de Marianne anime Hope peureusement, deux évènements ont bouleversés sa vie, témoin de la mort d’un homme à Kyoto à l’âge de 9 ans et celui du jeune garçon, Benjamin, le petit fils de Victor Bouquet, ce prénom hante son existence, la surdité n’existe pas naturellement, cet écho de Benjamin prononcé par Victor l’affaiblit, sa chair doit exulter, Hope chavire de bras en bras, décide de prendre ces hommes dans un corps à corps physique, elle se lance des défis, comme à la Fnac, puis dans ce train avec ce comptable timide de 45 ans, puis ces marins, et ce jeune garçon de 15 ans Olivier , rencontré dans un avion, ils auront une idylle passionnelle, restera le premier amour de ce garçon et aussi le guide pour cette jeune femme à la beauté magnétique, voguant lentement vers le jeune poéte, sa destinée. Petit à petit les personnages s’accumulent, nous avons aussi Jésus, un argentin, ancien acrobate, à la sexualité de Sade, rencontrant la sœur d’Antoine, dans une scène surréaliste, puis aussi Hope sur un pont de Central Park, lui sifflotant l’air de Nina Simone, Black is the Colour of my True Love’s Hair, celui qu’elle aime grâce à son père, tous ont ce pouvoir intérieur de magnétiser l’autre à un moment du roman, Hope et Olivier ont cette belle innocence de leur âge, Naguib et Antoine ont cette amitié, Victor et Kazuo Kuniba aussi, tous ont un but , un objectif, un désir, une obsession, une destinée, celle de Vertiges.
D’autres prénoms animent aussi le roman, du présent au passé, comme un lien indéfinissable de tous, le scénario de leurs vies est surement déjà écrit bien avant leur naissance, cette force de la vie qui va entremêler des êtres dans des émotions qu’ils vont conjuguer ensemble, cette musique qui susurre sa partition plane tous au long du roman, la musique est vraiment présente, Olivier aime l’écouter en silence et en solitaire, tous vont être dans la sagesse des chants et de la musique d’Allah, dans la douceur d’une nuit Orientale au café Nirvana en Turquie.
L’étirement de la trame s’articule dans une prose poétique chère à Fredric Gary Comeau, auteur de poésie, il articule aussi son monde culturel, si riche, assez anglophone, j’ai été souvent à la recherche de ces références, découvrant de nouveaux horizons, j’aime pouvoir découvrir, apprendre et prendre ce plaisir de lecture. Chaque personnage a un côté sombre, certain le cultive comme Jésus, se donnant à des actes sexuels de soumission sans tabou, les assumant, au contraire de Naguib, fantasmant de torture sur des femmes, laissant le sang coulé sous ces coups, Hope se lave le corps pour ne plus entendre et oublier ces deux morts, Victor a la vengeance en lui, son petit-fils Benjamin sera la stèle de ce pécher capital qui le dévore pour faire revivre son passé militaire et la mort qu’il a donné , Frida veut être dominer, un inconnu, à la mémoire photographique, qui a suivi la belle Hope dans le métro, aime la jeunesse pour s’exciter, allant dans la chambre de sa fille , adolescente pour sentir cette fraicheur et se branler, tout en pensant à Hope, Olivier aussi, aime le plaisir onanisme en pensant à Hope, la sexualité est sans tabou dans la langue de Fredric Gary Comeau, comme une continuité naturelle du corps humain , le laissant vivre ces pulsions, réelles ou virtuelles.
Ce roman m’a laissé tout de même un petit gout amer, j’ai été déçu de la fin, qui était déjà cousu de fil blanc , j’aurai surement aimé être surpris, mais nous ne pouvons pas tout avoir, c’est tout de même une belle lecture, j’ai eu de bon moment de plaisir.
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