Comme dans toutes les rencontres, je pense, le dîner est parfait. Quoi que tu manges, quoi que tu boives, quel que soit l'endroit, si la personne en face de toi est celle que tu attends, plus rien n'a d'importance.
- Je pense plutôt que vous ne connaissez pas vraiment votre époux, Alix. Mon frère, Mathilda...Et maintenant il s'évapore. Ou bien est-ce que vous vous voilez la face? Vous savez, s'il y a bien une chose que m'a appris mon métier, c'est que l'on ne sait pas ce qui se passe chez les gens une fois qu'ils ont fermé la porte.
Cette femme qui disait de ma mère qu'elle n'était pas féminine, mais qu'elle était une excellente maman. Celle-là même qui draguait ouvertement monsieur Castaing pendant que sa femme partait au marché. Je me souviens précisément de tous ces détails et, plus encore, je me souviens de mon père qui tentait de dissimuler ses larmes en se cachant dans le cabanon le jour de sa mort.
Le 12 avril 1997.
J'avais treize ans.
On dit que le malheur fait vieillir prématurement et que le bonheur conserve.
- Marius, papa et moi, nous nous aimerons pour le reste de notre vie. L’amour ce n’est pas quelque chose de linéaire. L’amour emprunte différents chemins, différentes formes, il se perd aussi parfois, mais il ne meurt jamais. Ce n’est pas parce que les grandes personnes décident de ne plus vivre sous le même toit qu’elles arrêtent de s’aimer. Tu comprends?
- Oui, c’est comme moi, quand je serai grand et que j’aurai ma maison. Je ne serai plus avec toi, mais je t’aimerai encore.
Elle portait une robe de chambre bleu turquoise avec des petites marguerites imprimées un peu partout. Je n'ai pas pu m'empêcher de sourire. Elle s'en est rendu compte et s'est assise en face de moi.
- Qu'est-ce qui te fait rire ?
- Toi. Où trouves-tu des choses pareilles ? j'ai demandé en désignant sa tenue.
Ma belle-mère a haussé les épaules et mimé le dédain.
- Tu ferais mieux de te colorer, toi aussi. Vous autres êtes toutes habillées comme si vous alliez assister à des funérailles. Une génération de tristes, c'est tout ce que vous êtes !
J'aime ce terme, "absenter". Il était lui-même, disparaissait quelques temps et puis il revenait comme s'il avait fait un voyage dans un monde où je n'existais pas.
Ils traversèrent tous les deux la pièce pour rejoindre l'immense porte qui menait vers le couloir de l'aile nord du domaine. Lorsqu'ils furent devant, Devignier posa sa main sur la poignée pour l'abaisser puis se ravisa.
- Dans une famille, un peu comme la nôtre, un père doit pouvoir faire confiance à ses enfants, n'est-ce pas ?
- Oui bien sûr, rétorqua le plus jeune.
- Je suis ravi de te l'entendre dire. Il va donc de soi qu'il ne s'est rien passé hier soir au lac et que, quoi qu'il en coûte, aucun d'entre vous ne révèlera jamais rien à propos de cette nuit-là ?
L'adolescent opina du chef tandis que Bertrand Devignier lui tapa chaleureusement sur l'épaule avant d'ouvrir la porte. Un rayon de soleil s'infiltra dans la pièce.
- Allez, va profiter de la journée avec les autres.
L’instinct maternel n’a rien à voir avec les liens du sang, c’est une certitude.
Il m’a fallu me perdre pour comprendre que je ne pourrai jamais me pardonner, que je devrai vivre pour le reste de mes jours avec ce poids sur la conscience….