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Citations de Gabrielle Roy (241)


Débarquant sur la rive opposée, on devait traverser à pied
une île longue d’un demi-mille, couverte de foin rugueux et
serré, de bosses et de trous boueux et, si c’était l’été, de moustiques
énormes, affamés, qui se levaient par milliers du terrain
spongieux.
On aboutissait à une autre rivière. C’était la Petite Poule
d’Eau. Les gens du pays avaient eu peu de peine à en dénommer
les aspects géographiques, toujours d’après la doyenne de
ces lieux, cette petite poule grise qui en exprimait tout l’ennui
et aussi la tranquillité. En plus des deux rivières déjà citées, il y
avait la Poule d’Eau tout court; il y avait le lac à la Poule d’Eau.
En outre, la contrée elle-même était connue sous le nom
de contrée de la Poule d’Eau. Et c’était une paix infinie que
d’y voir les oiseaux aquatiques, vers le soir, de partout s’envoler
des roseaux et virer ensemble sur un côté du ciel qu’ils
assombrissaient.
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Ici, on abandonnait la Ford ou le buggy.
Les Tousignant avaient un canot pour traverser la rivière.
S’il se trouvait sur la rive éloignée, un des voyageurs devait aller
le chercher à la nage. On s’en allait ensuite au fil de l’eau, tout
enveloppé d’un silence comme il s’en trouve peu souvent sur
terre, ou plutôt de froissements de joncs, de battements d’ailes,
de mille petits bruits cachés, secrets, timides, y produisant
quelque effet aussi reposant et doux qu’en procure le silence.
De grosses poules des prairies, presque trop lourdes pour
voler, s’élevaient quelque peu des bords embroussaillés de la
rivière pour aller s’abattre aussitôt un peu plus loin, déjà lasses
de leur paresseux effort.
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Pour se rendre chez elle, de Portage-des-Prés, il fallait
continuer tout droit devant la pompe à essence, en suivant toujours
le trail, peu visible au premier abord, mais que l’on finissait
par distinguer aux deux bandes parallèles d’une herbe qui
restait quelque peu couchée derrière le passage des légères
charrettes indiennes. Seul un vieil habitant ou un guide métis
pouvait s’y reconnaître, car, à plusieurs endroits, cette piste se
divisait en pistes secondaires conduisant, à travers la brousse, à
la cabane de quelque trappeur, située deux ou trois milles plus
loin et que, du chemin principal, on ne pouvait pas apercevoir.
Il fallait donc s’en tenir strictement au trail le plus direct.
Et ainsi, au bout de quelques heures si on était en charrette, un
peu plus vite si on voyageait dans une des Ford antiques telles
qu’il y en a encore là-bas, on devait arriver à la rivière de la
Grande Poule d’Eau.
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Ce petit village au fond de la province canadienne du Manitoba,
si loin dans la mélancolique région des lacs et des canards
sauvages, ce petit village insignifiant entre ses maigres sapins,
c’est Portage-des-Prés. Il est déjà à trente-deux milles, par un
mauvais trail raboteux, du chemin de fer aboutissant à Rorketon,
le bourg le plus proche. En tout, il comprend une chapelle
que visite trois ou quatre fois par année un vieux missionnaire
polyglotte et exceptionnellement loquace, une baraque en
planches neuves servant d’école aux quelques enfants blancs de
la région et une construction également en planches mais un
peu plus grande, la plus importante du settlement puisqu’elle
abrite à la fois le magasin, le bureau de poste et le téléphone. On
aperçoit, un peu plus loin, dans l’éclaircie des bouleaux, deux
autres maisons qui, avec le magasin-bureau-de-poste, logent
l’entière population de Portage-des-Prés. Mais j’allais oublier:
en face du bâtiment principal, au bord de la piste venant de
Rorketon, brille, munie de sa boule de verre qui attend toujours
l’électricité, une unique pompe à essence. Au-delà, c’est
un désert d’herbe et de vent. L’une des maisons a bien une
porte de devant, à l’étage, mais comme on n’y a jamais ajouté
ni balcon, ni escalier, rien n’exprime mieux la notion de l’inu -
tile que cette porte. Sur la façade du magasin, il y a, peint
en grosses lettres: General Store. Et c’est absolument tout ce
qu’il y a à Portage-des-Prés. Rien ne ressemble davantage au
fin fond du bout du monde. Cependant, c’était plus loin
encore qu’habitait, il y a une quinzaine d’années, la famille
Tousignant.
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La vieille carte lui parlait presque comme une amie et aussi comme une voleuse. Elle suintait. En l’effleurant, en la réchauffant de sa main, Luzina lui arrachait des petites gouttes d’humidité, ténues, froides, qui, sous ses doigts, lui faisaient l’effet bizarre de larmes. Le Manitoba lui paraissait alors s’ennuyer. Si grand, si peu couvert de noms, presque entièrement livré à ces larges étendues dépouillées qui figuraient les lacs et les espaces inhabités! De plus en plus vide, de papier seulement et sans caractères écrits, plus on remontait vers le Nord. Il semblait que toutes les indications se fussent groupées ensemble sur cette carte comme pour se communiquer un peu de chaleur, se fussent resserrées dans le même coin du Sud. Elles devaient s’y traduire en abréviations, tant, parfois, la place leur manquait, mais plus haut, elles s’étalaient à leur aise, aucunement bousculées. Mlle Côté avait enseigné que les trois quarts de la population du Manitoba habitaient tout ce bout-ci de la carte que Luzina pouvait couvrir de ses deux mains. Cela laissait peu de monde pour le Nord! Si vide en cette région, la vieille carte paraissait vouloir venger Luzina. Elle portait en grosses lettres le nom de la Water Hen River. Cependant, elle se taisait sur l’existence de l’île de la Petite Poule d’Eau.
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débarquant sur la rive opposée, on devait traverser à pied une île longue d’un demi-mille, couverte de foin rugueux et serré, de trous de boue et, si c’était l’été, de moustiques énormes, affamés, qui se levaient par milliards du terrain spongieux. On aboutissait à une autre rivière. C’était la Petite Poule d’Eau. Les gens du pays avaient eu peu de peine à en dénommer les aspects géographiques, toujours d’après la doyenne de ces lieux, cette petite poule grise qui en exprimait tout l’ennui et aussi la tranquillité. En plus des deux rivières déjà citées, il y avait la Poule d’Eau tout court; il y avait le lac à la Poule d’Eau. En outre, la contrée elle-même était connue sous le nom de contrée de la Poule d’Eau. Et c’était une paix infinie que d’y voir les oiseaux aquatiques, de partout s’envoler des roseaux et virer ensemble sur un côté du ciel qu’ils assombrissaient.
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Mais les journées étaient longues. D'écrire à tous les coins du pays n'usait pas entièrement les jours d'hiver. La neige s'abattait sur la vitre en flocons humides que retenaient les cadres de bois noir et, peu à peu, de cet appui, la neige montait et bouchait presque tout le carreau. On voyait le dehors à travers un petit morceau de vitre tout juste grand comme l'œil qui s'y appliquait. La poignée de la porte, en métal, était givrée, plus froide aux doigts qu'un glaçon.
Pour passer le temps, un bon jour, Luzina prit la petite « surprise » par la main. Elle la conduisit au pupitre de Joséphine. Encore forte et grasse, Luzina parvint tout juste à s'asseoir au coin du petit banc. Les vents hurlaient. Tout près de la petite fille, Luzina entreprit de lui montrer ses lettres. « C'est A, dit Luzina. A comme ton frère Amable, A comme la petite Armelle. »
En peu d'années, en deux ou trois ans peut-être, l'élève eut une meilleure main pour ainsi dire que la maîtresse. Du moins, ainsi en jugea Luzina. Le contenu des lettres, tout ce qu'il ne fallait pas oublier de rappeler au sujet de la santé, de la bonne conduite, du cœur, Luzina s'en chargeait encore. Mais pour ce qui serait visible à la poste, au facteur, à cet intermédiaire entre elle-même et l'amour-propre des enfants qui ne devait pas souffrir, Luzina fit appel à Claire-Armelle.
Dès lors, les lettres qui partaient de la Petite Poule d'Eau étaient écrites selon la pente coutumière, mais l'enveloppe portait une autre écriture. C'était une écriture extrêmement appliquée, d'une enfantine rigueur. En examinant l'enveloppe de près, Edmond et Joséphine pouvaient voir, point toujours effacées, les lignes tracées au crayon par Luzina pour aider la petite fille à écrire bien droit.
Et les enfants instruits de Luzina avaient un instant le cœur serré, comme si leur enfance là-bas, dans l'île de la Petite Poule d'Eau, leur eût reproché leur élévation.
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Alors arriva Georges, un petit bonhomme silencieux, sans expression, amené par une mère distante qui me donna les détails nécessaires sur un ton impersonnel et partit sans avoir même souri à son enfant assis à son pupitre.
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J'offris une pomme rouge à Roger qui la refusa net, mais me l'arracha une seconde plus tard, comme j'avais le regard ailleurs. Ces petits Flamands d'habitude n'étaient pas longs à apprivoiser, sans doute parce qu'après la peur bleue qu'on leur en avait inspirée, l'école ne pouvait que leur paraître rassurante. Bientôt, en effet, Roger se laissa prendre par la main et conduire à son pupitre, en n'émettant plus que de petits reniflements.
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La mère, dans un lourd accent flamand, me présenta son fils, Roger Verhaegen, cinq ans et demi, bon petit garçon très doux, très docile, quand il le voulait bien - hein Roger ! - cependant que, d'une secousse, elle tâchait de le faire taire. J'avais déjà quelque expérience des mères, des enfants, et me demandai si celle-ci, forte comme elle pouvait en avoir l'air, n'en était pas moins du genre à se décharger sur les autres de son manque d'autorité, sans doute tous les jours menacé :"Attends, toi d'aller à l'école, pour te faire dompter."
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Tôt, ce matin-là, me parvinrent des cris d'enfant que les hauts plafonds et les murs résonnants amplifiaient. J'allai sur le seuil de ma classe. Du fond du corridor s'en venait à l'allure d'un navire une forte femme traînant par la main un petit garçon hurlant. Tout minuscule auprès d'elle, il parvenait néanmoins par moments à s'arc-bouter et, en tirant de toutes ses forces, à freiner un peu leur avance. Elle, alors, l'empoignait plus solidement, le soulevait de terre et l'emportait un bon coup encore. Et elle riait de le voir malgré tout si difficile à manœuvrer. Ils arrivèrent à l'entrée de ma classe où je les attendais et m'efforçant d'avoir l'air sereine.
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En repassant, comme il m'arrive souvent, ces temps-ci, par mes années de jeune institutrice, dans une école de garçons, en ville, je revis, toujours aussi chargé d'émotion, le matin de la rentrée. J'avais la classe des tout-petits. C'était leur premier pas dans un monde inconnu. A la peur qu'ils en avaient tous plus ou moins, s'ajoutait, chez quelques-uns de mes petits immigrants, le désarroi, en y arrivant, de s'entendre parler dans une langue qui leur était étrangère.
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Telle était la passion qui m’a tenue au cours de ces
années-là, et je sais aujourd’hui que de toutes celles qui
nous prennent entiers, pour nous broyer ou façonner,
celle-là autant que les autres est exigeante et dominatrice.
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Il me revient d’ailleurs maintenant que les instants de
pure confiance que j’ai connus dans ma vie ont tous été
liés à cette sorte d’imprécision heureuse que nous avons
eu le bonheur de connaître, Médéric et moi, du haut de
l’étroit plateau aménagé en belvédère au faîte des collines.
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D’où vient que l’on a tant de peine à
voir transparaître l’homme dans un visage d’enfant alors que
c’est la plus belle chose du monde que de voir revenir l’enfant
chez l’homme?
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J’ouvris les yeux. Je me trouvai à regarder dans l’une des
deux lanternes à quatre faces, joliment serties de
baguettes de plomb, qui se faisaient pendants de chaque
côté du traîneau. La vitre assombrie me renvoya le reflet
de mon visage. Il m’apparut flou, gracieux, avec de
lointains yeux qui perçaient la neige en tourbillons et des
cheveux fous qui moussaient. Je ne pouvais en détacher le
regard.
Alors, tout à côté du mien, vint s’inscrire le visage de
Médéric qui s’était rapproché sans se rendre compte que
le verre captait aussi son image. Il se pencha vers moi,
peut-être pour voir si je dormais. Comme je ne bougeais
ni ne parlais, il put me croire sommeillante. Les yeux miclos,
je le surveillai dans la face réfléchissante de la
lanterne où passaient, emportés sur des courants de neige,
nos deux visages brouillés comme en d’anciennes photos
de noces. Puis tout s’éclaircit un moment, et je distinguai
qu’était tendu vers moi le visage de Médéric. Une mèche
de cheveux, envolée de mon bonnet, gonflée d’air, s’éleva,
lui frôla la joue. Immobile, les yeux fixés sur le verre de la
lanterne, je le vis ôter son gant et chercher à capter la
mèche folle. Il fut près de la saisir au vol, mais s’arrêta, la
main en suspens, surpris de lui-même et de son geste. Son
regard me révéla un étonnement infini et une tendresse
douce comme on n’en voit jamais plus dans l’amour
satisfait ni même dans celui qui se reconnaît amour.
Médéric semblait aussi flotter sur des îles de neige, et
j’avais cette curieuse impression que tout ce que je voyais
ne se passait que dans la lanterne, que c’était elle qui
inventait ces jeux auxquels nous ne prenions vraiment
part ni Médéric ni moi. Mais alors elle me montra le
visage de Médéric, défait, puis fermant les yeux dans le
premier effarement du coeur qui lui venait.
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Pourquoi riions-nous? De nous découvrir si bien,
ensemble, je suppose, unis dans la rare et merveilleuse
entente survenant entre deux êtres qui fait qu’ils n’ont
plus besoin de mots ou de gestes pour se rejoindre; alors
ils rient, sans doute de délivrance.
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C’était le gros ennui de ces écoles de campagne, de
contenir tant de divisions, mais aussi leur incroyable
valeur, car, avec des enfants de tout âge, elles
constituaient une sorte de famille, un monde en soi, on
dirait aujourd’hui une commune.
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Ce que nous avons mangé pour souper, je ne m’en
souviens guère. Cela n’avait pas d’importance. Ce qui
devint inoubliable, ce fut le réconfort et la tendre beauté
de cet intérieur, ses deux lampes allumées […] leur éclat
se reflétant dans les vitres envahies par la nuit.
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Je me doutais bien qu’une distance infinie séparait la
vie de là-bas de la nôtre à l’école, mais j’étais encore loin
en dessous de la réalité – entre ces deux vies existait une
frontière pour ainsi dire infranchissable.
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